LE RÉGIME ALIMENTAIRE SELON LA MOBILITÉ SAISONNIÈRE
Qui n’a jamais été intrigué par un Autochtone ici au Québec? Le regard que vous avez porté, était-il parsemé de mystère ou encore, avez-vous dit : « Mais que font-ils? ». Le mystérieux a tellement été répété et maintenu avec l’histoire de la religion catholique que cela s’est transposée à travers les générations.
Avec ces spéculations qui se sont longtemps perpétuées, différents chercheurs, dont des anthropologues américains, ont présenté plusieurs recherches effectuées avec des Indiens anonymes. On savait qu’il existait des peuples indigènes, mais ne connaissant pas la façon dont ils se nommaient comme individus et surtout, comment ils écrivaient leur nom et bien, on les numérotait. Plusieurs ont écrit sur les us et coutumes, mais de façon très générale. La barrière de la langue a été un obstacle important. Elle permettait seulement aux chercheurs d^observer les sociétés autochtones et non d’en intégrer complètement divers aspects de la culture. Certains, par contre, se sont démarqués, dont Frank G. Speck au début des années 1900, qui amena un nouveau concept appelé territoire familial chez les Pekuakamiulnuatsh. Encore aujourd’hui sa cartographie est étudiée, mais aussi revendiquée.
Le mémoire qui suit s’inscrit dans le domaine de la recherche sociale. Le but de cette recherche est de combler un manque d’informations écrites sur le sujet de l’alimentation, plus précisément sur le régime alimentaire des Pekuakamiulnuatsh.
Le parcours des écrits
Plusieurs auteurs se sont attardés à différents aspects du mode de vie des Pekuakœninlnuatsh. Tous ont placé des bases afin de permettre à ceux qui veulent s’initier à leur culture de pouvoir s’informer. Notons monsieur Camil Girard et la compréhension de l’histoire régionale incluant la présence autochtone; monsieur Jean-François Moreau et l’archéologie – le sol de la région du Saguenay Lac-SaintJean, regorge de trésors du passé qui font parler le présent; monsieur Serge Bouchard et monsieur Paul Charest, anthropologues pour leurs études du peuple ilnu de la Côte-Nord. On ne peut passer sous silence non plus, monsieur Frank G. Speck qui, de passage dans le début du XXe siècle, laissa un héritage remarquable autant pour le patrimoine matériel (objets) et que le patrimoine immatériel (rencontres).
Néanmoins, un portrait unique du régime alimentaire manque à celui ou celle qui veut en savoir plus sur ce sujet. Pour connaître ce menu traditionnel, il fallait entamer une démarche qui étudierait différentes facettes du mode de vie pouvant le définir. Pour ce faire, la lecture provenant de différentes disciplines a été nécessaire pour comprendre cette réalité; soit Fhistoire, l’archéologie, la géographie et F anthropologie. Certains auteurs se sont démarqués afin de donner des pistes de recherche, mais cela laisse encore un espace pour de la recherche future.
La tradition orale
En effet, le témoignage ou le récit de vie est un procédé idéal pour étudier les Pekuakamiulnuatsh. Possédant une tradition orale, le discours est très important dans cette culture. Les savoirs se transmettent d’une génération à une autre, cherchant à garder les connaissances vivantes.
Selon Bertaux (2005), en raison de leur orientation narrative, les récits de vie s’avèrent particulièrement adaptés à la saisie des processus; c’est-à-dire des enchaînements de situations, d’interactions, d’événements et d’actions (…) s’inscrivant dans la durée, et parfois la longue durée. (BERTÀUX, 2005 : 89) Dans le cas étudié, les informateurs étaient invités, à partir de thèmes généraux, à parler de leur vécu. Les individus ciblés, un homme et une femme sont des membres de la bande des Pekuakamiulnuatsh. Ils sont âgés de plus de 60 ans et ont vécu en forêt une bonne partie de leur vie. Ce sont les gens dans cette catégorie d’âge qui sont encore aptes à parler de la vie en forêt. Mais ils sont de moins en moins nombreux, car le mode de vie contemporain, la scolarisation des enfants et le travail rémunéré dans des villes ou des villages influencent l’occupation du territoire.
Le choix quant à leur même groupe d’âge, c’est qu’ils divulgueront une perception temporelle basée sur une même référence historique et sociale. Ils auront probablement un partage commun d’informations qui rejoindront les mêmes faits sociohistoriques.
Les renseignements obtenus seront subjectifs. Ils seront basés sur une perception, mais aussi sur un vécu. Ce qui signifie que Finterlocuteur a de l’expérience sur le sujet abordé. Il a maintes fois répétés des actes ou des gestes qu’il a vérifiés selon ses références culturelles qui lui ont été enseignées .
L’aire à l’étude
Les personnes interrogées devaient avoir leur territoire familial dans une aire d’étude précise, soit sur le bassin hydrographique de la rivière Ashuapmushuan. Comme le territoire appelé Nitassinan est immense, il fallait restreindre Faire d’étude. Il aurait fallu une recherche de plus grande envergure afin de rencontrer d’autres personnes vivant sur les autres bassins de rivières, mais avec la contrainte de temps et d’espace littéraire, il a été convenu de se limiter à la rivière Ashuapmushuan; rivière reconnue, entre autres, pour la route liée au commerce de la fourrure.
Une méthode exploratoire
La présente recherche tente pour une première fois de décrire une particularité du mode de vie des Pekuakamiulnuatsh, celui de connaître davantage leur régime alimentaire. Or, pour y arriver, une tentative non conventionnelle au niveau de la méthodologie, s’est présentée. L’auteure de ces lignes faisant partie des Pekuakamiulnuatsh et étant géographe de formation a pu développer un esprit d’analyse face à plusieurs observations qu’elle a pu voir depuis quelques années. Les notions tirées de la géographie culturelle plus particulièrement ont aidé à définir une nouvelle cartographie tirée de discours d’entrevue, car dans cette sous discipline de la géographie, on s’intéresse à l’humain dans son milieu (vécu) et à comment il considère son univers (perçu).
La collecte de données
Ainsi, pour réaliser la recherche, il a été choisi d’effectuer des entrevues avec deux personnes, soit monsieur Gordon Moar et madame Thérèse Bégin. Initialement, il était visé trois rencontres avec eux. Les premières rencontres ont eu lieu sur leur territoire familial respectif. Monsieur Moar a été rencontré le 21 août 2011, à son camp, près du lac de Centaure, situé sur le bassin hydrographique de la rivière Ashuapmushuan. L’entrevue a duré une heure et quinze minutes. Une deuxième rencontre a eu lieu, le 16 octobre 2012 à son domicile de Mashteuiatsh, et ce, pour une durée de 45 minutes.
Quant à madame Bégin, la première entrevue a eu lieu le 6 septembre 2011, à son camp, près du lac Gabriel-Fleury, situé également sur le bassin hydrographique de la rivière Ashuapmushuan. La rencontre a duré une heure et vingt minutes. Une deuxième rencontre d’une durée de quinze minutes a eu lieu le 30 septembre 2012. Il faut spécifier ici qu’étant donné que ces personnes font partie de l’entourage de la chercheuse et qu’ils se croisent régulièrement, il était facile de justifier et de questionner sur certains détails de la recherche. Le climat de confiance était déjà installé.
Les informateurs ont eu droit à une lecture de l’ensemble du mémoire, afin de donner leur opinion et de corriger au besoin les constats avec Fauteure. Ainsi, cela donne un total de trois entrevues étalées sur une année, soit une rencontre avec les thèmes à aborder pour la recherche, une autre rencontre servant à discuter des points qui avaient été abordés et qui n’étaient pas bien rendus et une autre rencontre pour finaliser avec eux les corrections et les ajouts demandés lors des entretiens précédents. Le fait de retrouver en annexe uniquement l’intégralité de la première entrevue est tout à fait voulu car, c’est à partir particulièrement de ces informations divulguées à ce moment, que le mémoire s’est bâti. Cette technique d’interprétation d’entrevue réfère à une analyse dite verticale. C’est-à-dire qu’à partir d’un récit, on tire des informations pour former une cohérence logique. Elle diffère de la technique anthropologique qui impose un nombre de dix à vingt entrevues afin de se rendre compte du phénomène étudié. On dit que cette analyse est horizontale. Mais cette technique ne s’appliquait pas à la présente étude, car on visait à comprendre, selon le sexe de la personne sa perception du territoire, de voir si l’occupation diffère lorsque c’est un homme ou une femme, de voir si les tâches quotidiennes, etc.
De plus, pour permettre la transmission dans le temps de l’histoire des Pekuakamiulnuatsh, il a été convenu de demander aux informateurs de divulguer leur nom. Depuis trop longtemps, dans les écrits antérieurs, on constate l’anonymisation des personnes et cela perd parfois en intérêt pour les présentes recherches par les membres des familles, qui pourraient être fiers de leurs ancêtres, qui ont contribué à la recherche. Par contre, il faut souligner que lors de la demande éthique, le décanat des études supérieures a demandé à ce qu’un professionnel chapeaute le bon déroulement des entrevues, advenant le cas de souvenirs pouvant affecter les informateurs. Heureusement, le tout s’est bien déroulé.
Le traitement des données
La recherche documentaire sur le sujet a mené à étaler un ensemble de connaissances sur le mode de vie des Ilnu. À travers les nombreuses lectures, il s’est avéré une tendance à pouvoir décrire plus précisément le concept dy ilnu aitun. La description élaborée de ce concept était essentielle pour la compréhension de la vision du territoire et de son utilisation. Il vient repositionner et mettre à jour les informations des recherches antérieures sur le monde autochtone car trop d’interprétations fautives viennent encore influencer les perceptions dans le contexte d’aujourd’hui. Il était opportun de faire cet exercice .
L’analyse des données
Les pratiques effectuées par les Pekuakamiulnuatsh sont dites concrètes, parce que ces derniers sont capables de coordonner des schemes d’opération. Ils classent leurs techniques et mettent en relation les conséquences de leurs expérimentations (cause à effet). (…) un élément de succession temporelle externe ou interne; c ‘est en quoi, cette composition est causale au lieu de demeurer simplement deductive ou implicative, mais Vêlement de succession ne suffirait pas à constituer le lien causal sans une assimilation aux actions propres, puis à la composition opératoire. (PIAGET, 1950 : 269) C’est ce qui a donné la base du traitement d’une partie des données recueillies. Voici comment peut s’opérer une pratique ou un scheme d’apprentissage. ESSAI (pratique) —» SUCCÈS (capture un gibier) = répétition de la technique Sinon, ESSAI (pratique) —» ERREUR (pas de gibier capturé) = remise en question de la technique utilisée Ces façons de procéder mènent au développement et au raffinement des techniques. En posant le geste, la personne refait sans cesse ce processus qui la mène à l’assimilation de la pratique.
Les limites des données tirées de témoignage
Comme les données qualitatives tirées de témoignages demeurent des références subjectives, il faudra porter attention à ne pas généraliser les informations tirées de témoignage, car cela comporte des limites. Selon Girard (2003), ces témoignages constituent une base limitée pour tirer des conclusions générales. Tout lecteur averti devra donc situer cette analyse dans les limites qu’impose l’enquête. Chaque informateur ou informatrice ne représente pas l’entièreté de sa culture. Il ou elle demeure cependant un représentant de sa communauté qui véhicule, consciemment ou non, une manière de voir et de dire spécifique sa culture.
Variables indépendante et dépendante
En recherche sociale, la détermination de variables indépendante et dépendante est essentielle pour construire une démarche scientifique. Dans le cas de cette étude, les informateurs étaient invités à livrer leurs perceptions selon des thèmes généraux. Ces thèmes ont été élaborés selon la variable indépendante de P alimentation. Les sujets abordés établissaient des mises en situation où l’interlocuteur était amené à se prononcer sur ce qui pouvait influencer leur pratique.
CONCLUSION
C’est ainsi que les pratiques traditionnelles s’organisent dans une dynamique saisonnière. Dû au fait qu’il devait se déplacer constamment en respectant les caractéristiques écologiques qu’apporte l’arrivée d’une nouvelle saison, Yllnu connaissait bien son environnement et s’en servait d’abord pour se nourrir, mais aussi comme élément essentiel à son univers social.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
1.1 Le parcours des écrits
1.2 La tradition orale
1.3 L’aire à l’étude
1.4 Une méthode exploratoire
1.5 La collecte de données
1.6 Le traitement des données
1.7 L’analyse des données
1.8 Les limites des données tirées de témoignages
1.9 Variables indépendante et dépendante
1.10 Une représentation spatiale
CHAPITRE II LE CONCEPT WILNUAITUN, LA BASE DES PRATIQUES TRADITIONNELLES
2.1 Le concept iïilnu aittm, un système d’idées complexes
2.1.1 Principes hiérarchisés et intégrés par la société Unu
2.1.2 Un système d’idées identitaires,
culturelles, transmis de génération en génération
2.1.3 La recherche du gibier, une pratique planifiée
2.2 Le rituel, un monde parallèle intégré aux coutumes
2.2.1 Les rituels associés à la partique de la chasse
2.3 Les cinq saisons chez les Ilnuatsh
2.3.1 La rivière Ashuaprnushuan, l’aire spatiale à l’étude
2.3.2 Takuatshin (automne), le début du cycle saisonnier
2.3.2.1 Départ sur la rivière Àshuapmmhuan
2.3.3 Pipun (hiver), le temps des raccourcis
2.3.3,1 Le campement d’hiver, se rapprocher des caribous
2.3.4 Shikuan (pré-printemps), la période de transition
saisonnière
2.3.5 Milushkamu (printemps), le territoire est au repos
2.3.6 Nipin (été), la saison d’abondance
2.4 Les pratiques traditionnelles, au fil des saisons
2.4.1 Les stratégies liées à la subsistance
CHAPITRE III NUTSHIMIT, LA FORÊT
3.1 La représentation spatiale
3.2 Approche systémique de l’espace vécu
3.2.1 Le début du cycle des saisons
3.2.2 Le départ pour le territoire
3.2.3 L’arrivée du temps froid
3.2.4 Apparence de dégel
3.2.5 Enfin, les cours d’eau sont dégagés de leur glace
3.2.6 On retourne « là où il y a une pointe »
CHAPITRE IV GORDON MOAR, ÊTRE AU CENTRE DE SON GARDE-MANGER
4.1 La représentation des pratiques sur le territoire familial
4.2 Les lieux nommés
4.3 Un monde animal nommé
CHAPITRE V THÉRÈSE BÉGIN, ENTRE L’ORIGNAL ET L’OURS, APPRENDRE ET TRANSMETTRE
5.1 Le territoire familial
5.2 La toponymie ilnu
5.3 Un monde animal nommé
CHAPITRE VI LE RÉGIME ALIMENTAIRE SELON LA MOBILITÉ SAISONNIÈRE
6.1 La nourriture de transition
6.2 La nourriture liée aux périodes déterminées
6.3 Le concept de territorialité selon Vilnu aitun
6.4 L’organisation spatiale
6.5 La toponymie Unu
6.6 Les pratiques traditionnelles selon le genre
6.7 Les actes liés aux rituels à travers les pratiques
6.8 Le phénomène des alliances
CHAPITRE VII LES PRATIQUES ALIMENTAIRES TRADITIONNELLES
7.1 Portrait du menu alimentaire
7.2 Le concept de territorialité
CONCLUSION
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