Le Recueil Trepperel, un témoin des pratiques dramatiques du début du XVIe siècle
Si les textes retrouvés à Arras au XIIIe siècle l’ont été grâce à des recueils plus ou moins liés à la confrérie des Bourgeois et Jongleurs, on doit la préservation de très nombreuses pièces entre 1480 et 1550 à l’impression de recueils destinés à la vente. Le fait que des imprimeurs souvent prestigieux, tel qu’Antoine Vérard qui publia la grande moralité Bien Avisé Mal Avisé dans la décennie 1490, se soient très tôt intéressés aux publications dramatiques prouve qu’il y eut rapidement un lectorat friand de ces livres. Même si tous les imprimeurs qui publièrent des recueils théâtraux ne leur accordèrent pas toujours le même prix, se pose la question de la nature de ce public et de ses motivations d’achat : étaient-ce des lecteurs attirés par le théâtre mental qu’offre le déchiffrement des dialogues et utilisant la dramatisation comme un support pour la méditation, comme cela a été suggéré pour de nombreuses pièces dévotionnelles ou spirituelles ? Le phénomène d’un théâtre à lire « dans un fauteuil » n’a pas attendu Musset pour émerger : dès le XVe siècle on peut trouver de somptueuses copies enluminées et pourvues de partition accompagnant les répliques de Robin et Marion, les enluminures permettant d’imaginer les costumes et accessoires, les partitions d’en fredonner les passages lyriques . On peut aussi supposer que les lecteurs étaient, plus simplement, d’anciens spectateurs cherchant à se procurer le texte de spectacles à succès, la mention des représentations étant traitées par certains imprimeurs comme un argument de vente . Il pouvait enfin s’agir d’acheteurs plus impliqués, peut -être des troupes de joueurs, si l’on poursuit la récente hypothèse de Jelle Koopmans qui voit dans ces anthologies le possible répertoire de certaines compagnies, vendues par elles à des maisons d’imprimerie, et qui auraient pu attirer l’attention de praticiens.Quoi qu’il en soit, il n’est pas inimaginable de supputer un lectorat aux motivations diverses : simples curieux de pièces « nouvelles » – l’adjectif est fréquent dans les intitulés– amateurs de lecture méditative, spectateurs, voire joueurs.
Description matérielle du Recueil Trepperel
Témoignage de la dynamique éditoriale issue de ce goût certain pour le livre théâtral, le Recueil Trepperel, du nom de son imprimeur, est l’une des trois grandes anthologies de théâtre en français imprimées au XVIe siècle . Elle rassemble – ou plutôt, on le verra, devrait rassembler – trente-cinq pièces brèves, surtout des farces, des sotties et des moralités.
Le Recueil Trepperel fut acheté par Edmée Mauss en 1928 qui en fit retirer la couverture d’origine et le fit découper en trente-cinq plaquettes luxueusement reliées, une par pièce. C’est sous cette forme que l’imprimé peut être aujourd’hui consulté à la réserve des livres rares de la Bibliothèque Nationale de France . La première à l’étudier a été Eugénie Droz. Elle publia en 1935 une édition des sotties , puis en 1962, avec la collaboration d’Halina Lewicka, des farces . Un dernier volume parut en 1967 : il s’agissait d’un fac-similé de l’ensemble de l’imprimé. L’édition prévue des sept moralités ne vit jamais le jour.
À cette lacune éditoriale que le présent travail propose de commencer à pallier, s’en ajoute une autre, liée à l’état actuel de l’imprimé. Dans l’introduction du fac -similé, Eugénie Droz a précisé qu’elle avait dû travailler, pour les deux dernières pièces, d’après des photocopies : l’une, la Bergerie des Bergers gardant l’Agneau de France, a bénéficié ensuite d’une édition moderne ; pour l’autre, la Farce moralisée de la Langue Envenimée, il ne nous reste plus que le fac-similé. Lorsqu’en 1974 la Bibliothèque Nationale de France fait l’acquisition du Recueil Trepperel, elle n’acheta donc en réalité que les trente -trois premières pièces de l’original. Or, nos propres recherches à la BnF en 2015 -2016 nous ont permis de constater que, depuis, la première pièce du Recueil Trepperel avait également disparu, le nombre des pièces survivantes à trente-deux.
Le Recueil Trepperel est un ouvrage de format agenda (environ 9 cm sur 27). Cette taille allongée, qui permet de glisser les livres dans la poche d’un vêtement, est usuelle pour les recueils de théâtre du XVIe siècle. On la retrouve dans les deux autres grandes anthologies théâtrales de cette époque, le Recueil de Florence (imprimé par l’officine des Trepperel vers 1515) et le Recueil du British Museum (rassemblé vers 1548, de provenance lyonnaise, parisienne et rouennaise).
Les cahiers du Recueil Trepperel sont généralement coposés de quatre feuillets, et seules quelques pages de titre ou d’explicit sont ornées d’un bois gravé. Les caractères employés sont gothiques, apparemment issus de trois séries de caractères disti ncts . Le grand nombre de taches d’encre, de coquilles et de foliotages manquants – particulièrement visibles dans la Moralité des quatre Eléments que nous éditions ici – semble corroborer l’idée de Jelle Koopmans qui voit dans le Recueil de Florence, « suite » du Trepperel composée selon les mêmes principes, un ensemble de pages imprimées à la hâte et en série, peut-être pour répondre à la demande d’un lectorat amateur de ce type d’ouvrages.
Les imprimés Trepperel, diffuseurs d’une culture partagée au début du XVe siècle
L’activité de Jean Trepperel et de son atelier, l’une des plus fameuses officines d’imprimerie parisiennes du début du XVIe siècle, est suffisamment connue pour ne pas être commentée ici en détail.
On peut simplement rappeler qu’entre 1493 et 1520, la publication de textes vernaculaires, type d’édition dans laquelle l’atelier était spécialisé, était très abondante puisque qu’ont été conservés aujourd’hui près de quatre-cent cinquante textes – certains en recueils, d’autres en volumes individuels – publiés par cette famille. Le fonds Trepperel propose essentiellement de la littérature française à succès, dans des éditions bon marché.
Sans surprise, on y trouve les principaux éléments des « classiques » littéraires français du début du XVIe siècle : y dominent la poésie des décennies précédentes, comme celle de François Villon de Jean Molinet ; des fictions narratives très diffusées tel que Le Livre des quatre filz Aymon, La Patience de Griseldis ou encore Le Roman de Mélusine de Jean d’Arras, et un important corpus dramatique, les trente-cinq pièces de notre Recueil auxquelles s’ajoutent les cinquante-trois pièces du Recueil de Florence . L’ensemble est dominé par des ouvrages spirituels, éditions de la Bible en français, psautiers, recueils de prières, livres d’images pieuses à méditer, vies de saints, traités moraux et pénitentiels, etc..
Cette abondante production ne révèle aucune solution de continuité avec les « bestsellers » de la fin du Moyen Âge analysés par Frédéric Duval , la seule nouveauté véritable étant la place qu’y tient le théâtre. Il n’y a, dès lors, rien d’étonnant à ce que les publications dramatiques des Trepperel partagent les traits de leurs autres éditions : diversité des écritures, pourvu qu’elles soient à succès, et thématiques partagées.
Les moralités du Recueil Trepperel
Les sept moralités de l’anthologie mettent en scène des personnages allégoriques mais aussi des figures historiques entourées d’une très forte auctoritas, l’Ancien Testament pour le personnage d’Abraham présent dans la première pièce, par exemple, et qu’il est possible d’interpréter « à plus haut sens », le but étant de créer un cadre propre à la généralisation du message – usuellement une leçon de bonne conduite – afin de le rendre acceptable par tous.
Ces pièces jouent à plein de leur dimension éducative, la Moralité de l’empereur qui tua son neveu (n°16) propose la résolution d’un dilemme moral à travers un voile de fiction historique « médiévale », les Moralité du Genre Humain (n°18) et Moralité du Lymon et de la Terre (n°19), nourries de citations scripturaires, proposent de guider le spectateur vers le salut de son âme, la première en rappelant le sacrifice du Christ, la seconde en offrant des lignes de conduite à observer. L’éducation à la vertu peut aussi se doubler d’un partage de savoirs intellectuels : ainsi la Moralité des quatre Eléments (n°22) propose-t-elle à son public un parcours interprétatif qui fait appel tour à tour à la médecine humorale, à l’astrologie et au droit. D’autres pièces mobilisent également certains lieux communs judiciaires : les pièces n°3.1 et 3.2 sont respectivement un plaidoyer et une enquête, la pièce n°29 est un procès, et la pièce n°22, la Moralité des quatre Elémentsen contient un.
La volonté d’exemplarité et le recours à l’autorité, que celle-ci soit incarnée par es personnages ou soulignée par des effets stylistiques (citations en latin, proverbes) rapprochent le théâtre des moralités de la rhétorique du sermon. La mise en scène dialoguée le rend plus vivant et peut-être plus efficace que la parole du prêcheur. En tous cas, même si l’efficacité réelle de telles pièces demeure difficile à évaluer, leur impact mental sur les récepteurs est sans nul doute souhaité et le livre peut être un moyen de le renforcer : lire ne permet -il pas à un éventuel spectateur de se remémorer, une fois revenu chez lui, l’enseignement qu’il a reçu de la représentation ou à un lecteur de se projeter dans un spectacle imaginaire?
Deux moralités du Recueil Trepperel : présentation des pièces éditées
Au sein de l’important ensemble dramatique issu des presses Trepperel, nous avons choisi d’éditer deux moralités qui nous semblent avoir des liens très forts l’une avec l’autre , tant dans les sujets abordés que dans la mobilisation de rôles communs. Leur diptyque nous paraît en effet permettre de mettre à l’essai un certain nombre d’hypothèses sur l’écriture dramatique en français au début du XVIe siècle : ces textes semblent regorger de lieux communs, empruntés à la culture de l’époque, qui sont agencés de façon à servir un discou rs moral. Nous verrons comment ils sont employés, et la façon dont ils s’intègrent au parcours éducatif que proposent ces moralités. Les personnages des deux moralités du Recueil Trepperel sont, eux aussi, empruntés aux habitudes des scènes allégoriques mé diévales, nous pourrons cependant questionner les fonctions dramatiques de tels personnages.
Principes d’édition
Nous avons suivi le plus fidèlement possible le vingt-deuxième volume du Recueil Trepperel, en veillant à n’apporter des modifications que lorsque le texte de l’imprimé faisait obstacle à la compréhension pour un lecteur moderne.
Nous avons respectivement remplacé -i- et -u- par -j- et -v- lorsque ces lettres avaient une valeur consonantique. Nous avons marqué les diérèses par un tréma ( digestïon, v.33), lorsque la métrique le suggérait. Nous avons également marqué d’un accent aigu les -e- en finale absolue qui ne soient pas muets (moralité, page de titre, appelé, v.17, gré, v.20). Nous avons eu à cœur d’indiquer par un accent les prépositions (à, v.11, là, v.646, où, v.554, près, v.95, més, v.282) afin de les différencier de leurs h omographes. Nous avons fait de même pour les mots qui pouvaient prêter à confusion avec d’éventuels homophones, notamment les P5 en « es » que nous avons marqué d’un accent (Dame vous parlés par trop hault v.211, vous le debvés reprendre, v.821). Pour les mêmes raisons de confort de lecture, nous avons introduit l’apostrophe (C’est, L’Homme, l’Air, l’Eau, page de titre), la cédille (ça, v.448), et les espaces entre les mots lorsque cela était nécessaire. Nous avons cependant conservé l’agglutination courante des composés de très- (tresmal, v.373, tresmauvais, v.771), ainsi que la graphie « treffort » (v.859) que l’on trouve dans l’ensemble des pièces du Recueil Trepperel. Nous avons résolu toutes les abréviations trouvées ( plaisance m daine devient plaisance mondaine, page de titre, seign rs : seigneurs, v.1, q : que, v.14, q l : qu’il, v.726, po’ : pour, v.330, no’ : nous : v.440, p : par, v.768 et 774, dt : dont, v.45, & : et, v.40), et avons corrigé le texte lorsqu’il nous semblait manifeste qu’une graph ie ne pouvais être que fautive : nous avons pris soin d’indiquer les corrections effectuées en notes précédées de la mention « corr. ».
Par souci de clarté nous avons placé les didascalies en italique, et les refrains de forme fixes en caractères gras. Nous avons également rétabli les majuscules aux allégories ainsi qu’à leurs éventuels adjectifs apposés (Hault Juge, v.880). Nous avons également systématisé la majuscule au début du vers par souci d’harmonie les quelques fois où elle avait été oubliée (v. 2, 39, 203, 221, 224, 230, 236, 238, 242, 315, 532, 615, 629, 704, 710, 754, 766, 790, 950, 1064, 1071 et 1077). Un retour à la ligne a été inséré lorsque le nom du personnage prenant la parole était accolé à un vers, ainsi que c’était le cas du v.316. Nous avons introduit la numérotation des vers de la pièce en ne tenant compte ni de sa page d’introduction, ni des didascalies, ni des indications de personnage. Enfin, nous avons rétabli le foliotage manquant en conservant la logique du foliotage existant. Nous avons également différencié les rectos des versos des pages.
Nous avons, en dernier lieu, renoncé à la ponctuation d’origine composée de barres obliques pour introduire le point d’interrogation, le point d’exclamation, le point et la virgule là où ils nous semblaient utiles.
La Moralité du Lymon et de la Terre
Mouvements de la pièce
SCENE ENCADRANTE : UN PELERINAGE DE VIE HUMAINE
– Moment de présentation des avatars de la vertu et du vice (v.1-96) puis des conseillers vicieux(v.97-190)
– Transition vers le cheminement de Chacun par la décision que prennent des ministres de la vertu, Terre et Limon, d’envoyer leur fils au Monde (v.191-197)
– Temps de gestation avant la venue au Monde : Terre, Limon et Raison font leurs recommandations à Chacun (v.198-331)
– La naissance de Chacun intervient au vers 331.
– La jeunesse de Chacun : chez Monde, notre protagoniste découvre les vices (v.332 -370) finit par céder aux sirènes de la mondanité (v.371-574).
LE BANQUET (V .575-1085) (LE MOMENT DU CHOIX)
– Transition sur la commande du banquet (v.575-577). En parallèle, Terre et Limon décident d’aller voir leur fils (v.578-594), et la fin du passage de transition prépare la scène suivante : Monde prévient Terre et Limon des changements opérés chez leur fils (v.595-611)
– Premier débat (v.612-722) Terre et Limon ne parviennent pas à faire entendre raison à leur fils.
– Transition : les festivités reprennent du côté de l’assemblée entourant Chascun (v.723-732) tandis qu’en parallèle, Terre et Limon partent demander son aide à Raison (v.733-760) préparant ainsi la scène de débat suivant.
– Second débat (v.761-979) Raison ne parvient pas à convaincre Chacun qu’il fait confiance à de mauvais conseillers.
– Transition : Terre, Limon et Raison constatent leur échec et décident de recourir à la Mort (v.980-990). Limon s’en va la chercher (v.990-1003). Raison donne ses instructions à la nouvelle venue (v.1004-1014)
– La fin du Banquet : La Mort initie une danse macabre jusqu’à frapper Chascun et faire cesser les réjouissances (v.1015-1085).
– L’Agonie de Chacun (v.1085-1205) : Chacun tente de trouver un secours pour échapper à la Mort mais ne parvient pas à rompre la funeste destinée qu’il a lui-même dessinée par ses choix.
– L’ultime confrontation (v.1206-1254) : Chacun et Raison se retrouvent pour un dernier face à face. Celle-ci parvient enfin à lui faire reprendre ses esprits dans une sorte de derniers sacrements.
– Une conclusion à l’assemblée (v.1254-1267) : la dernière réplique, destinée au public, fait office d’explicitation de la « morale » qu’il faut comprendre lorsque l’on assiste à la représentation. Par son exemple, Chacun entend dissuader quiconque voudrait vivre pareillement.
Notes
v. 1-32 : La pièce s’ouvre sur quatre rondeaux triolets de la Mort. L’usage de cette forme fixe permet un jeu d’écho sonore qui souligne l’inéluctabilité de la mort insistant. En outre, la forme est associée à une dimension lyrique et à la danse . Toutefois, la dimension lyrique de cette forme – qu’il y ait ou non psalmodie du texte – est indéniable, et pourrait sans doute se justifier par le goût pour les danses macabres à ces époques et qui est d’ailleurs mis en scène à l’occasion du banquet de Chacun (v. 1013-1090) . En outre, il est fréquent de lier l’entrée dans une pièce à une virtuosité lyrique, faisant du rondeau triolet une express ion du seuil . En « faisant ses cris » dans le premier rondeau (v. 1-8), la Mort se pose comme une crieuse publique, avec, peut-être, une connotation judiciaire par l’annonce de la condamnation à mort. Elle endosse dans ces vers la charge du personnage liminaire, tel que le fait un Messager ou un Docteur dans d’autres moralités.
Le premier rondeau permet de souligner la fonction du personnage : Mort met fin aux existences de façon systématique, tout le monde est condamné à mort par le caractère éphémère de la vie humaine. Elle insiste dans le deuxième rondeau sur l’inconscience de ses victimes, même à l’article du trépas alors que chacun sait qu’il est mortel (v. 9-16). Mort livre dans le troisième rondeau (v. 17-24) des exemples de ses plus illustres réussites : ni Aristote, symbole du sage par excellence, ni Samson, héros guerrier exemplaire (connu pour ses prouesses guerrières, notamment dans le conflit contre les Philistins, Livre des Juges, 13), ni Absalon, troisième fils du roi David, réputé pour être le plus bel homme du royaume (II Samuel) ni Salomon, autre fils de David qui lui succède, réputé pour l’étendue de sa sagesse et de ses connaissances (sa naissance est évoquée dans II Samuel, son règne dans I Rois), ne parviennent à éloigner le spectre de la Mort. Ce troisième rondeau insiste sur la ruine de toute chose : ni la beauté, ni la sagesse ni même la force ne résistent au temps. « Tous les ay fait dancer sans note » renvoi aux danses macabres que l’on trouve à la fois dans l’iconographie et la littérature au Moyen Âge , mais relève aussi d’une vanité ou d’un ubi sunt. Le quatrième rondeau triolet permet l’annonce du destin de Chacun (v. 25-32). v. 36, 71, 80, 90, 95 : « Qui plus a plus dolent mourra » est un refrain établissant avec insistance une corrélation entre la possession de biens matériels et la difficulté à les abandonner, une fois la mort venue. La possession matérielle devient ainsi une illusion puisqu’elle ne dure que le temps de la vie, et non pas dans la mort. Cf. Luc, 9, 51, ou la parabole des talents, Matthieu, 25, 14-30.
v. 37-62 : La réplique du Monde est encadrée par deux rappels à l’ordre de la Mort. Sa position centrale souligne une connexion entre Mort et Monde, l’un étant intégré dans l’autre, puisque la Mort fait partie de l’existence terrestre.
v. 41-43 : La rime monde/immonde est un couple courant dans les prêches , qui souligne la nature Im-monde du Monde, dont le nom semble programmer le contraire de sa réalité. La « Mondanité » est ainsi une illusion destinée à tromper et à laisser penser aux visiteurs du monde qu’ils trouveront des choses essentielles au Monde lorsque tout n’est qu’inutilité et vanité (v. 48).
v. 49-62 : Le Monde souligne l’importance de la fortune et du hasard dans l’existence terrestre. La répartition des biens n’est soumise ni à la justice ni à la reconnaissance d’un mérite. Le Monde se présente comme un monarque certes généreux, puisqu’il prête volontiers ses biens à tous, mais dont la bienveillance est fluctuante, d’où son lien avec Fortune, allégorie de la variabilité, extrêmement présente dans l’imaginaire des XVe et XVIe siècles, mais étonnamment absentes des scènes de l’époque, hormis dans la Moralité de Bien avisé mal avisé, éd. J. Beck, Recueil général de moralités d’expression françaises, dir. J. Beck, E. Doudet, A. Hindley, Paris,Garnier, 2014, t.3.
v. 64 : possible référence à la figure du passeur, Charon, qui ne permet le passage de l’Achéron – ou le Styx selon les sources – qu’à ceux qui payent leur traversée. Il était de coutume d’ensevelir, en Grèce Antique, les corps avec des pièces dans la bouche ou posées sur les yeux. Il est, ici, surtout question de souligner la vanité des choses matérielles face au salut de l’âme : le prix à payer pour le Paradis est de renoncer à l’opulence mat érielle. v. 67 : Monde comme Mort présentent la même conclusion : les possessions matérielles n’appartiennent pas à l’au-delà mais à la vie terrestre. Cependant la différence de traitement de l’information est ici évidente : Monde présente ce fait comme u n élément de sa générosité, il « ne tient à nully » ses biens (v. 60), c’est-à-dire que les biens circulent sous le coup du hasard. A l’inverse, Mort insiste sur la vanité de la possession, puisque c’est toujours au Monde que reviennent les possessions matérielles une fois l’homme mort.
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Table des matières
Introduction
– Le « théâtre du Moyen Âge », les a priori
– Le Recueil Trepperel, un témoin des pratiques dramatiques du début du XVIe siècle
Synopsis des deux moralités
I. Analyse des pièces
A. Motifs et Lieux communs
1. La via vitae : un motif structurant
2. Des scènes à faire
a. Le banquet
b. Le procès
B. Les personnages
1. Des allégories en scène : définition et transformation à l’épreuve du théâtre
2. Les personnages axiologiques
3. La Terre, polyphonie d’un personnage
4. Des commentateurs impliqués
II. Eléments de langue et de style
A. Quelques remarques sur la langue
1. Morphologie
2. Phonétique et graphie
B. Un style sapientiel : locutions, proverbes et citations
C. Les formes fixes au service du discours
Bibliographie
La Moralité du Lymon et de la Terre
La Moralité des quatre Eléments
Notes concernant la Moralité du Lymon et de la Terre
– Mouvements de la pièce
– Notes
Notes concernant la Moralité des quatre Eléments
– Mouvements de la pièce
– Notes
Glossaire
Index des proverbes et locutions
Index des citations
Annexe
– Le Recueil Trepperel
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