Le recueil littéraire
LE RECUEIL POÉTIQUE: THÉORIE, ANALYSE ET EXPÉRIENCE
Comme nous proposions, dans la partie « création» du présent mémoire, un recueil de poésie où la mise en recueil et la composition des textes et des différentes parties du recueil tiennent un rôle significatif, il nous semble pertinent, dans un premier temps, de faire un bref survol des recherches et des réflexions actuelles portant sur la notion de recueil et de proposer, à la suite de ce survol, une réflexion sur les différentes possibilités qu’offre la mise de poèmes en recueil aux stratégies mises de l’avant lors de l’écriture poétique. Dans un deuxième temps, il serait intéressant d’observer différents modes de mise de poèmes en recueil. Pour ce faire, nous proposons une lecture de trois recueils émanant de la jeune poésie québécoise. Ce choix de corpus sera au passage l’occasion de souligner la qualité et l’originalité de la production venant d’ une nouvelle génération de poètes qui commence, au début du vingt et unième siècle, à se tailler une place de choix dans le paysage de la poésie québécoise actuelle. Cette démarche en deux temps permettra de construire une réflexion autour d’un mode de l’écriture poétique et de l’ illustrer par des exemples contemporains et pertinents. Les études et les réflexions théoriques liées au recueil sont, mIS à part quelques exceptions, relativement récentes. Nous consacrerons principalement notre examen des recherches pOIiant sur le recueil à deux sources majeures, la première datant de 1998 1 et la seconde de 2003 2 .
Si le numéro d’Études littéraires propose avant tout une lecture des rapports entre la forme du recueil et les genres que ce dernier supporte, le livre dirigé par Langlet offre une série d’articles tournant autour de trois axes, soit les « formes du recueil », traitant des genres du recueil; les « logiques du recueil », autour des différentes stratégies et structures de la mise en recueil; et les «acteurs du recueil », relevant, autour de la question « qui fait le recueil? », différentes formes de recueil, comme l’anthologie ou le volume d’oeuvres complètes, et soulevant particulièrement des questions d’ordre institutionnel. Les articles ou chapitres nous intéressant davantage traiteront surtout du recueil poétique. Il s’agira, à l’aide de ces comptes rendus, d’esquisser une réflexion sur les rapports entre l’écriture poétique et la mise en recueil. L’idée de rapports entre la mise en recueil et l’écriture poétique peut paraître banale, puisqu’un livre de pOèmes3 est par nécessité un recueil4 , mais la mise en recueil pourrait aussi être lue comme un des processus de l’écriture poétique et il serait alors intéressant d’esquisser les stratégies ou les modalités selon lesquelles opère cette forme d’écriture poétique.
Le recueil de poésie peut premièrement emprunter diverses formes: recueil de poèmes, recueil de suites poétiques, recueil de recueils d’ un même auteur rassemblés par l’auteur en un seul livre, recueil de poèmes divisé en plusieurs parties indépendantes ou non, etc. Le choix de la forme du recueil poétique devient alors un premier objet de lecture. Chaque partie d’un recueil peut ensuite obéir à une structure particulière interagissant ou non avec les autres parties. Il s’agit en somme d’observer les différentes structures composant le recueil, du poème au recueil luimême, et leurs rapports entre elles. Au-delà de ces questions de structures intervient celle de ce que nous avons appelé la « mise en recueil comme écriture poétique ».
THÉORIE
Bien que certains chercheurs se soient intéressés de façon ponctuelle aux différentes questions que pouvait soulever le recueil littéraire, François Ricard9 par exemple, ou que certains praticiens, poètes, nouvellistes, écrivains en général, se soient exprimés à la lumière de leur propre pratique, nous pouvons affirmer que le numéro d’hiver 1998 de la revue Études littéraires consacré au recueil a introduit celui-ci dans le domaine des études littéraires comme un « objet de la théorie littéraire» (RL, p. Il) et a été le point de départ d’une série d’études systématiques portant sur le recueil dont nous pouvons voir un échantillon de la diversité dans Le Recueil littéraire : pratiques et théorie d’une forme, paru sous la direction d’Irène Langlet. Ces deux sources sont à même d’offrir un panorama intéressant des recherches récentes prenant le recueil pour objet; nous construirons ainsi une brève réflexion sur le mode d’écriture poétique que représente le recueil à partir de la lecture synthétique de ces deux sources principalement, mais sans éluder certaines publications isolées dont la pertinence de la réflexion pourrait nourrir notre propre réflexion.
ÉTUDES LITTÉRAIRES (1998)
Ce numéro présente 5 articles et une bibliographie commentée et s’oriente selon deux perspectives: « le point de vue contemporain et les liens entre genres et recueil» (EL, p. 7), avec la ferme intention de dresser l’ébauche d’une poétique du recueil. Outre l’utilité évidente de la bibliographie sommaire sélectionnée et commentée par René Audet, Mélanie Cunningham et François Dumont, deux articles ont particulièrement retenu notre attention: « Le recueil comme condition, ou déclaration, de littérarité: Paul Valéry et Robert Musil» (EL, p. 23-36) d’ Irène Langlet et « Poétique du recueil dans la Vie immédiate de Paul Éluard» (EL , p. 37-54) d’Olivia Guérin. Bien que tous les articles proposent une réflexion générale tout à fait intéressante, j’écarterai de cette courte synthèse les articles d’Isabelle Daunais et de René Audet en raison de leur orientation générique (recueil de voyages imaginaires et de nouvelles) et celui d’Alain Viala puisque les questions d’hétérogénéité générique nous entraîneraient vers d’autres considérations et nous voulons construire notre réflexion précisément autour du recueil poétique.
L’article d’Irène Langlet porte sur le recueil d’essais chez Paul Valéry et Robert Musil, ce qui ne l’empêche pas de proposer dans sa première moitié une réflexion générale tout à fait pertinente et stimulante à l’égard de notre objectif. Partant du principe qu’une poétique du recueil cherche à voir en quoi un ensemble de textes est un objet littéraire, faux problème en apparence, Langlet pose dès le début de son article la distinction fondamentale dans le cadre du recueil entre la partie et le tout, entre chaque texte pris isolément et l’ensemble des textes constituant le recueil. De cette distinction découlent deux hypothèses intéressantes: premièrement, qu’un recueil de textes littéraires puisse ne pas être littéraire, question que l’on pourrait par exemple appliquer à l’anthologie, au florilège, voire au manuel de littérature; deuxièmement, qu’un ensemble de textes non littéraires puisse donner une qualité littéraire à leur mise en recueil.
Dans notre cas, puisque le poème est généralement une forme considérée a priori comme une forme littéraire, il s’agirait de voir les différences entre le degré de littérarité du texte pris isolément et celui de l’ensemble des textes, ce qui nous amènerait à vouloir définir la possibilité de quantifier la littérarité, d’abord conçue comme une donnée qualitative, du texte écrit et selon quels critères. II pourrait s’agir d’un outil efficace pour la lecture des recueils poétiques dans la mesure où cette méthode nous aiderait à redéfinir les rapports entre les différentes hiérarchies de la structure organisatrice du recueil de poésie, du poème à la suite poétique dans laquelle il prend place, de la suite poétique à la partie de recueil dans laquelle elle prend place, de la partie de recueil au recueil, voire du recueil à l’oeuvre – les possibilités sont ici très vastes. Le mouvement de ces rapports ne sera d’ailleurs pas unilatéral; si chaque texte propose à l’ensemble une structure signifiante supplémentaire, chaque ensemble propose aussi au texte pris isolément une possibilité de lecture supplémentaire.
Dans le cadre d’un court examen de différents types de recueil, Langletapporte une seconde distinction pour nous efficace: distinction entre les recueils d’inédits et les recueils de textes repris. Elle montre bien que le recueil d’inédits en particulier constitue un dialogue entre le tout et la partie, ce qui se conçoit aisément, comme nous le suggérons dans le paragraphe précédent. La nature du recueil de textes repris, quant à lui, incite à prendre en considération le projet initial du recueil ou de tel ou tel texte composant le recueil. Ainsi, la reprise de tel texte publié en revue, soumis à certaines contraintes et repris dans un contexte autre, intégré à un ensemble dont il modifie la ou les significations et par lequel sa ou ses significations sont modifiées, c’est-à-dire qu’et le texte et l’ensemble de textes se trouvent «resémantisés », témoigne d’un certain «projet» du recueil. Encore une fois, cette distinction, au premier abord arbitraire, permet une lecture renouvelée du recueil en rendant plus précis l’octroi de signification aux différentes structures du recueil, car elle permet de tenir compte de la stabilité ou de l’instabilité, pendant la composition ou l’écriture, du projet duquel découlent ces structures. Cela n’implique pas qu’il faille faire une étude génétique systématique de chaque texte, mais ce type d’attention prêtée à l’environnement textuel du recueil permet de mieux comprendre les mécanismes de certains recueils.
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Table des matières
TABLE DES MATIÈRES
1. AU RAS MINIMUM
2. LE RECUEIL POÉTIQUE: THÉORlE, ANALYSE ET EXPÉRlENCE
2.1. INTRODUCTION
2.2. THÉORIE
2.1 Études littéraires (1998)
2.2 Le recueil littéraire : pratiques et théorie d’uneforme (2003)
2.3 Synthèse
2.3. ANALYSE
2.3.1. Douze bêtes aux chemises de l ‘homme, Tania Langlais
2.3.2 Le rayonnement des corps noirs, Kim Doré
2.3.3 Des fois que j e tombe, Renée Gagnon
2.4. A U RAS MINIMUM: ÉCRITURE ET EXPÉRlENCE
2.5. CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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