LE RECIT TRANSPERSONNEL DANS SOUVENIRS PIEUX (1974) DE MARGUERITE YOURCENAR ET UNE FEMME (1987) D’ANNIE ERNAUX

Définition et caractéristiques

   Dans son article intitulé « Les tentations du sujet dans le récit littéraire actuel », Blanckeman a dégagé les tenants et les aboutissants du récit transpersonnel. Son introduction même semble prendre en compte tous les concepts ayant trait aux mutations de l‟écriture de soi. Il dit, dès l‟entame de ses propos, et en résumé de l‟article, que : La création littéraire française s‟est, avec une nouvelle génération d‟écrivains des années quatre-vingt, réorientée vers des préoccupations plus conventionnelles du récit, en amoindrissant l‟importance des préoccupations plus formalistes des générations précédentes portant sur l‟exploration du matériau langagier. Pour illustrer nos propos, nous nous référerons, au-delà des œuvres du corpus, aux articles et entretiens où Yourcenar et Annie Ernaux ont expliqué de façon détaillée leur propos. Il s‟agit, en grande partie comme nous l‟avons dit dans l‟introduction, de Les yeux Ouverts, de L’écriture comme un couteau parmi tant d‟autres. Pour Bruno Blanckeman, le récit transpersonnel peut être défini comme la multiplicité des récits qui présentent des cheminements autobiographiques inattendus. Selon lui, le moi s‟affirme paradoxalement en effaçant ses propres contours. Cette position de Blanckeman fait penser aux propos de Yourcenar qui dit ceci : l’être que j’appelle moi vint au monde un certain lundi 8 juin 1903. En effet, le récit qui devait prendre une allure autobiographique est considérablement détourné par l‟impossibilité narrative de l‟annonce de la naissance de l‟auteur. Cette impossibilité est liée du fait que dans cette annonce de la naissance, Yourcenar n‟a pas spécifié dans les règles de l‟art la matière narrée. Elle le dit de façon paradoxal. Nous avons l‟impression qu‟il ne s‟agit pas d‟elle. C‟est donc une nouvelle démarche si nous la comparons à celle entreprise par certains autobiographes c‟est-à-dire ceux qui ont écrit des œuvres autobiographiques répondant aux normes de ce genre. Par ailleurs, dans le récit transpersonnel, le moi se cherche dans sa spécificité dans une reconstitution ardue de la mémoire familiale. A cet effet, « le moi rassemble les multiples atomes du passé généalogique qui compose le gisement ignoré et décisif d‟une identité archaïque de l‟être.» : Le moment me parait venu de présenter ces dix enfants de Mathilde, non plus tels qu‟elle les connut, sous la forme de « têtes blondes », comme les eut appelés la mauvaise poésie de leur temps, mais adultes et installés dans les circonstances de leur vie. Le portrait de quelquesuns d‟entre eux a déjà été esquissé dans les premières pages de ce livre, mais une présentation en groupe m‟aidera […] à discerner chez ces personnages certains traits que je pourrais retrouver en moi. [SP, p.147] Pour Yourcenar, il ne s‟agit pas de s‟auto présenter dans son œuvre mais de faire la présentation d‟autres personnes. Elle reconnait tout de même qu‟en présentant les autres, elle peut se reconnaitre ou sa figure peut être identifiée dans cette présentation : […] mais une présentation en groupe m’aidera […] à discerner chez ces personnages certains traits que je pourrais retrouver en moi. [SP, p.147] Dans son œuvre, il ne s‟agit pas d‟une seule histoire, il ne s‟agit pas non plus de l‟histoire de l‟auteur. Mais il y a une multitude de récits, une pluralité d‟histoires et d‟historiettes. En outre dans le récit transpersonnel, il y a une clarification par l‟écrivain des caractéristiques de soi impliquées par l‟apparence familiale et géographique comme le soutient Marguerite Yourcenar : […] naissant d’un français appartenant à une vielle famille du Nord, et d’une Belge dont les ascendants avaient été durant quelques siècles établis à liège, puis s’étaient fixés dans le Hainaut. [SP, p.11] Annie Ernaux aussi situe ses parents dans l‟espace et le temps quand elle dit : En 1931, ils ont acheté à crédit un débit de boissons et d‟alimentation à Lillebonne, une cité ouvrière de 7000 habitants, à vingt-cinq kilomètres d‟Yvetot. Le café-épicerie était situé dans la Vallée, zone des filatures datant du dix-neuvième siècle, qui ordonnaient le temps et l‟existence des gens de la naissance à la mort. [UF, p.39] Dans le récit transpersonnel, l‟écrivain attribue les ondes d‟influence, jouant dans sa composition à l‟attraction du milieu naturel : Ce que j’espère écrire de plus juste se situe sans doute à la jointure du familial et du social, du mythe et de l’histoire. [UF, p.23]Il s‟agit ici d‟une certaine clarification de la démarche surtout de la thématique du récit. Et selon Blanckeman, le noyau central de l‟être réside dans le mélange ou le dosage de ces différents paramètres, difficilement reconnaissables quoiqu‟obsessionnellement éprouvés. Le narrateur quant à lui se constitue sous forme de détermination commune, le récit dans son accomplissement littéraire s‟offre en retour du temps en partage de ceux qui en furent dépossédés. Parlant de leurs démarches, Marguerite Yourcenar et Annie Ernaux affirment respectivement : Il s‟agit pour moi de donner une pensée à ces millions d‟êtres qui vont se multipliant de génération en génération (deux parents, quatre grands-parents, huit bisaïeux, seize trisaïeux, trente-deux quadrisaïeux), à l‟immense foule anonyme dont nous sommes  faits, aux molécules humaines dont nous avons été bâtis depuis qu‟a paru sur la terre ce qui s‟est appelé l‟homme.36Mes livres répondent certes, au désir personnel que j‟avais de faire entrer mes parents dans la littérature. Mais avec eux, c‟est aussi toute une classe sociale que j‟emmène. […]Je pense – et c‟est une de mes raisons d‟écrire – que dans le destin individuel est contenu le social. C‟est le social qui prime dans l‟individu. Annie Ernaux et Marguerite Yourcenar ont, à travers ces passages, défini ou distingué de façon directe les protagonistes de leurs œuvres. Mais au-delà de cette distinction, elles font ressortir le cadre de leur écriture. Ce n‟est donc pas seulement de leur personnalité qu‟il s‟agit mais d‟un ensemble, d‟une multitude de thèmes et d‟histoires. Pour Bruno Blanckeman, le récit transpersonnel oppose un niveau de la longévité et une lente maturation de la mémoire retrouvée, de la personnalité reprisée au fil du temps. Il préserve le sujet dans la complexité difficilement perceptible de ses ramifications généalogiques face à toute représentation superficielle de la personne, au masque ou à toute présence obscure de l‟individu, (etc.) ; le narrateur semble étranger à ses souvenirs : La création littéraire est un torrent qui emporte tout ; dans ce flot, nos caractéristiques personnelles sont tout au plus des sédiments. La vanité ou la pudeur de l’écrivain compte peu en présence de ce grand phénomène naturel dont il est le théâtre.

Le je (u) collectif

   Comme tous les sous-points, nous allons, pour traiter celui-ci, prendre appui sur les théories d‟un certain nombre de critiques. Mais pour cette fois-ci, nous allons nous intéresser à la critique féministe de l‟autobiographie. Dans la revue critique, nous avons signalé qu‟il y a beaucoup de chercheurs ou de critiques qui se sont intéressés aux œuvres de Yourcenar et Ernaux, mais certains d‟entre elles parlent du caractère féministe de ces dernières. Nous allons donc nous baser sur les études faites sur le caractère féministe de l‟autobiographie en général et les articles parlant du caractère collectif du je dans l‟œuvre de Marguerite Yourcenar et Annie Ernaux en particulier. En outre, en ce qui concerne ledit titre, il a un double sens. Le premier sens rime avec le pronom personnel je et le second, jeu, c‟est la façon, la démarche de l‟écriture par laquelle Marguerite Yourcenar et Annie Ernaux sont parvenues à une écriture collective au profit de l‟expérience personnelle. En regroupant les autobiographies de femmes, dit Eliane Lecarme-Tabone, on courait le risque de les enfermer dans un carcan réducteur dont, d‟ailleurs, plusieurs écrivaines se méfiaient résolument. Il fallait surtout ne pas méconnaître la dimension universelle de leurs œuvres, ni occulter les originalités individuelles. On devait donc s‟efforcer de croiser les grilles de lecture de manière à ne pas appauvrir les œuvres des femmes en leur réservant une seule approche. Dans le cas particulier de l‟autobiographie, il n‟était pas toujours aisé de faire coïncider le geste autobiographique des femmes avec les définitions usuelles de l‟autobiographie. Repérer des spécificités revenait souvent à légitimer des écarts. Le geste autobiographique des femmes perd cependant de ses contours spécifiques à la suite d‟une double évolution : on note une certaine « virilisation » de leur écriture qui va de pair avec une « féminisation » de l‟écriture de soi en général. L‟écriture de soi adopte désormais chez les femmes comme chez les hommes des procédures communes qui rappellent certains « écarts » de l‟autobiographie féminine antérieure. Dans L’autobiographie, Eliane Lecarme-Tabone constate par ailleurs que les autobiographes femmes ont souvent hésité à livrer leur vie en public de façon directe et ostensoir. Elle se range, à cet effet, du côté du néologisme d’autogynography forgé par la féministe américaine Germaine Brée, qui permet de reconnaitre, à l‟intérieur du genre autobiographique, une façon particulière (oblique allusive) de parler de soi. Parallèlement à Eliane Lecarme-Tabone, Farzaneh Karimian et Atiyeh A‟rabi, dans un article consacré à Annie Ernaux et Goli Taraghi, affirment suivant ces termes : Les récits autobiographiques féminins donnent à lire un Moi relationnel, décentré et collectif, dessiné dans une écriture fragmentaire et protéiforme. Elles continuent en disant que les femmes forment un autre type d‟individualité, baptisé également individualité dans la «relativité» par les théoriciennes de l‟autobiographie des femmes; cela revient à dire que les femmes ont conscience d‟elles-mêmes toujours dans leur rapport avec autrui, jouant un rôle crucial dans la formation de leur individualité. De l‟autre côté, l‟on peut ajouter la conception de Xiao Wei, critique féministe qui laisse entendre que : Le moi est dans une relation permanente d‟échanges aux autres qui le construit, non seulement parce que les autres nous façonnent et nous définissent tout au long de notre vie, mais aussi parce que la perception que nous avons de nous-mêmes ne peut être décrite qu‟à travers un réseau de significations qui sont des phénomènes sociaux.

L’hybridité générique

   L‟auteur d‟une écriture intime se heurte à de nombreuses difficultés parmi lesquelles le mélange des genres. S‟agissant ce mélange, Philippe Gasparini soutient : On sait que le roman adopte volontiers la stratégie du coucou qui pond des œufs dans les nids d‟autres espèces. Le roman autobiographique perfectionne encore cette technique de reproduction en investissant subrepticement des nids, c‟est-à-dire des genres, déjà colonisés par la fiction – la lettre, le journal, le testament, la confession, les Mémoires –, dont il mimera plus ou moins le fonctionnement. Ainsi va s‟engager un jeu intertextuel, et même, si l‟on peut dire, intergénérique, qui ne prendra tout son sens qu‟après le décryptage sémiotique du texte que le titre encode. Ainsi, l‟écriture de soi Chez Marguerite Yourcenar et Annie Ernaux regorge de plusieurs genres. Autrement dit, nous distinguons la présence de plusieurs genres dans l‟œuvre des deux écrivaines : chronique familiale, biographie, auto socio-biographie, autofiction, mémoires, essais, autobiographie, etc. Cependant, le lecteur rencontre plusieurs difficultés à reconnaitre ou à voir de façon univoque la présence de ces genres en ce sens que tous les points de repère génériques, les conventions sur lesquelles reposent les genres s‟y brouillent. Tout porte à croire que nous reconnaissons tant bien que mal un contenu autobiographique, biographique, historiographique, autofictionnel, auto-socio-biographique, essayiste et mémorial dans les œuvres de ces deux écrivaines plus particulièrement dans Une femme et Souvenirs pieux. Ce qui reste déterminant c‟est de détecter la présence de ces genres dans ces œuvres et de les analyser ou développer en fonction de la notion de récit transpersonnel. Pour ce présent travail, nous allons nous limiter à un certain nombre de genres comme la biographie, l‟autosocio-biographie et l‟autofiction. Il s‟agit donc de faire une étude qui consiste à voir les rapports qui existent entre ces genres et le récit transpersonnel. Nous nous intéressons en premier lieu à la biographie qui, selon François Dosse, s‟écrit d‟abord au présent comme l‟histoire dans un rapport d‟implication encore plus fort, dans la mesure où se retrouve toujours requise l‟empathie de celui qui écrit donc une implication des souvenirs personnels du narrateur ou l‟auteur. Comme nous venons de souligner en disant que l‟auteur d‟une écriture de soi se heurte à certaines difficultés surtout le mélange des genres, Dosse soutient que la biographie elle aussi est un genre hybride : Genre hybride, la biographie se situe en tension contrainte entre une volonté de reproduire le vécu réel selon les règles de la mimésis, et en même temps le pôle imaginatif du biographe qui doit recréer un univers perdu selon son intuition et ses capacités créatives. Nous pouvons convenir avec François Dosse qu‟effectivement la biographie est non seulement un genre hybride mais aussi allie réalité et fiction. C‟est donc au biographe de savoir comment allier ces deux c‟est-à-dire la réalité et la fiction. Mais Dosse dit que cela peut être possible à travers la capacité créative de l‟écrivain. Concernant le caractère véridique de la biographie, André Maurois dit que le biographe doit préférer les documents originaux, lettres, journaux afin de garantir la véracité de son récit.

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Table des matières

Introduction
Première partie : Le récit transpersonnel : Une nouvelle esthétique de l’écriture de soi
Chapitre 1 : Les fondements théoriques du récit transpersonnel
1.1.Définition et caractéristiques
1.2.Une autobiographie transgressée
Chapitre 2 : Les procédés narratifs
2.1. La mise à distance
2.2. Le je(u) collectif
Deuxième partie : Les effets de la « transpersonnalisation » du récit
Chapitre 3 : Les effets stylistiques
3.1. L‟hybridité générique
3.2. L‟hétérogénéité énonciative
Chapitre 4 : Les effets thématiques
4.1. Le versant social
4.2. L‟aspect sentimental
CONCLUSION

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