Le phénomène de stress thermique résultant du réchauffement climatique est un problème pour l’agriculture dans de nombreuses régions du monde. Faire face aux augmentations de la température et à sa variabilité constitue un défi important pour une productivité durable des cultures dans un avenir proche. De plus, les dernières projections climatiques ont mis en évidence une tendance d’augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes, telles que des vagues de chaleur (IPCC, 2021). Ainsi, il s’avère nécessaire d’approfondir les connaissances des réponses des plantes dans ce contexte de répétition des vagues de chaleur qui entraine des stress thermiques successifs, pour apporter de nouvelles stratégies d’acclimatation et/ou d’adaptation, et ainsi permettre d’améliorer la résilience des systèmes de cultures face au changement climatique.
Dans ce contexte climatique fluctuant, plusieurs stratégies d’amélioration génétique des plantes et de conduites de cultures sont développées (Ceccarelli et al., 2010; Soares et al., 2019b; Verma et al., 2020; Zheng et al., 2022a). De plus, des travaux récents font le constat que des conditions de stress modéré peuvent potentiellement permettre aux plantes de se sensibiliser et de répondre de façon plus rapide, plus sensible et/ou plus efficace à des stress postérieurs grâce à un « effet mémoire » bénéfique du premier stress (Boyko and Kovalchuk, 2011; Crisp et al., 2016; Kinoshita and Seki, 2014; Lämke and Bäurle, 2017). Ainsi, la caractérisation de ces « effets mémoire » permettrait d’une part une meilleure compréhension de la réponse des plantes dans un contexte de stress thermiques répétés, et d’autre part d’améliorer la prédiction de ces effets dans les approches de modélisation, en considérant des scénarios climatiques plus réalistes et proches des projections .
Le réchauffement climatique
Le récent rapport du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC, en anglais Intergovernmental Panel on Climate Change, IPCC) a analysé l’augmentation de la température moyenne de la surface terrestre et ses origines au cours des quatre dernières décennies, qui ont été chacune successivement plus chaude que toutes les décennies précédentes depuis 1850 (IPCC, 2021). Entre 2011-2020, la température à la surface terrestre (continentale et océanique) a augmenté en moyenne de 1,09 °C par rapport à la période 1850- 1900, avec une hausse sur les continents variant de 1,34 à 1,83 °C. Ce contexte climatique est étroitement lié aux activités humaines qui induisent des émissions croissantes des gaz à effets de serre (GES) tels que le dioxyde de carbone, le méthane et le protoxyde d’azote. Ces émissions ont connu une forte hausse notamment depuis la première révolution industrielle, à la fin du XVIIIème siècle en Angleterre, qui a reposé sur l’utilisation d’énergies fossiles très génératrices des GES.
Dans la continuité des scenarii passés, les projections futures indiquent que la température terrestre continuera d’augmenter au moins jusqu’au milieu du siècle et ce quel que soit les scénarios d’émissions des GES envisagés. Par ailleurs, cinq scénarios qui couvrent un large éventail de variables ont été récemment publiés par le GIEC (IPCC, 2021), allant d’un scénario dans lequel les émissions de CO2 diminuent drastiquement pour atteindre la neutralité carbone vers 2050 (SSP1-1.9) à un scénario dans lequel les émissions de CO2 continuent d’augmenter fortement jusqu’à être deux fois supérieures aux niveaux actuels en 2050 (SSP5-8.5). Appelées SSP pour « Shared Socioeconomic Pathways », ils incluent non seulement des prévisions en termes d’émissions de GES, mais aussi des aspects économiques, politiques et sociaux. En utilisant ces scénarios d’émissions de GES en entrée de modèles climatiques, il a été possible d’estimer leurs impacts futurs sur des variables climatiques. Par rapport à la période de référence 1850-1900, la température moyenne entre 2081-2100 sera très probablement supérieure de 1,0 à 1,8 °C avec le scénario prévoyant de très faibles émissions de GES (SSP1- 1.9, dit « le plus optimiste »), mais elle pourra atteindre une augmentation de l’ordre de 3,3 à 5,7 °C avec le scénario prévoyant de très fortes émissions de GES (SSP5-8.5, dit « le plus pessimiste »).
En France, une augmentation de la température moyenne annuelle entre 0,6 et 1,3°C (par rapport à la période de référence 1976-2005) est attendue d’ici 2050. Cette hausse devrait être plus importante dans le Sud-Est en été, avec des écarts à la référence pouvant atteindre de 1,5 à 2 °C (Ouzeau et al., 2014). Puisque les zones continentales se réchauffent plus rapidement que les zones océaniques, les températures moyennes nationales présentent toujours des augmentations plus importantes que la moyenne mondiale correspondante, pour le même scénario.
Plusieurs conséquences environnementales sont attendues à cause de ce phénomène de réchauffement climatique (IPCC, 2021), notamment (i) l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements extrêmes (tels que les vagues de chaleur, fortes pluies) ; (ii) la sécheresse généralisée sur certaines régions du globe, qui impactera notamment la biodiversité et les productions agricoles ; (iii) l’occurrence accrue des catastrophes naturelles (telles que les ouragans, cyclones, feux de forêts) ; et (iv) la montée du niveau des océans. Les incertitudes concernant la sécurité alimentaire pour une population mondiale croissante sont d’autant plus préoccupantes dans ce contexte climatique (Gitz et al., 2016), ce qui a conduit l’Organisation des Nations Unies (ONU) à définir 17 objectifs de développement durable (ODD) au niveau mondial, qui inclut notamment les ODD « Pas de zone de famine » et « Action climatique » dans l’agenda (FAO, 2015). En effet, ces phénomènes climatiques associés à une demande alimentaire croissance attendue d’ici 2050, risquent d’exposer les populations et les écosystèmes à plusieurs types de vulnérabilité, tels que la pauvreté, la précarité climatique, l’incidence des maladies, la migration et la disparition des espèces. Les travaux sur les effets du réchauffement climatique sur les espèces végétales s’inscrivent donc dans une problématique associant des enjeux sociétaux, économiques et environnementaux.
Définition des vagues de chaleur et du stress thermique
Le contexte de réchauffement climatique inclut plusieurs notions telles que la météorologie, la variabilité climatique et les évènements extrêmes . A la différence de la météorologie, qui peut être très variable sur une base journalière, le climat est basé sur des moyennes observées sur une échelle de temps beaucoup plus longue. Cependant, le climat est également variable. En prenant la température comme exemple, la variabilité climatique concerne l’échelle de variation des observations en comparaison à une moyenne, due à des facteurs naturels et anthropiques. Différemment, les événements extrêmes sont des événements météorologiques ponctuels et spécifiques qui s’écartent de la moyenne de manière significative.
Même si les évènements extrêmes sont de plus en plus cités en littérature, sa définition précise reste encore très dépendante du contexte dans lequel on l’utilise. Pour les études d’impacts climatiques, ces évènements sont généralement définis via des « indices extrêmes », qui peuvent être basés sur sa probabilité d’occurrence ou sur des dépassements d’un seuil. En utilisant les vagues de chaleur comme exemple, ces « indices extrêmes » peuvent être calculés en considérant le nombre, le pourcentage ou la fraction de jours où la température maximale (Tmax) est supérieure au 90ème, 95ème ou 99ème percentile du jeu de données, généralement définis pour des périodes spécifiques (mois, saison, année) par rapport à une période de référence (Seneviratne et al., 2012). Ces mêmes indices calculés sur des périodes journalières sont appelés « jours/nuits chauds » dans le langage courant, et leur utilisation permet de comparer des observations ou simulations entre différentes régions géographiques.
Le réchauffement climatique entraîne à la fois une augmentation des moyennes de référence sur l’échelle du temps, mais aussi une probabilité accrue d’occurrence des événements extrêmes, ces derniers contribuant également à la variabilité climatique . En effet, il a été démontré que chaque 0,5 °C supplémentaire dans les températures moyennes entraîne une augmentation perceptible de l’intensité et de la fréquence des évènements climatiques extrêmes, y compris les vagues de chaleur, les fortes précipitations et les sécheresses agricoles (IPCC, 2021). Par exemple, la probabilité qu’un jour d’été en France soit marqué par des vagues de chaleur (tels que les canicules) augmente à mesure que la moyenne des températures terrestres augmente (Ouzeau et al., 2014). De plus, plusieurs études ont mis en évidence une augmentation de la durée, fréquence et intensité des vagues de chaleur dans le monde (Bador et al., 2017; Christidis et al., 2015; Lemonsu et al., 2014; Trnka et al., 2014).
Des études régionales détaillées ont mis en évidence que les augmentations de température en termes de durée et fréquence seront les caractéristiques les plus importantes des vagues de chaleur, et non l’augmentation de l’intensité qui ne devrait pas être significative dans la plupart des régions du monde (Perkins Kirkpatrick and Lewis, 2020). Une durée et une fréquence plus importantes peuvent être à l’origine des « événements composés » (« compound events ») en climatologie (Seneviratne et al., 2012), qui sont le résultat (i) de deux ou plusieurs événements extrêmes se produisant simultanément ou successivement ; (ii) des combinaisons d’événements extrêmes avec des conditions sous-jacentes qui amplifient l’impact des événements ; ou (iii) des combinaisons d’événements qui ne sont pas eux-mêmes extrêmes mais qui, une fois combinés, conduisent à un impact extrême.
La variabilité climatique significative autour de la moyenne, notamment liée à la fréquence accrue des évènements extrêmes, représente un vrai défi pour la production agricole et la sécurité alimentaire dans le monde (Bita and Gerats, 2013; Jagadish et al., 2020; Wheeler et al., 2000). Ainsi, le caractère composé des vagues de chaleur expose les espèces végétales à plusieurs périodes susceptibles au stress thermique au cours de leur cycle de culture et/ou au fil des générations. Le stress thermique chaud chez les végétaux est souvent défini comme l’augmentation de la température au-delà d’un niveau seuil pendant une période suffisante pour impacter la croissance et le développement des plantes (Shekhawat et al., 2022; Wahid et al., 2007). Pour des applications agronomiques, la définition purement climatique des vagues de chaleur n’est donc pas suffisante pour définir un stress thermique ressenti par les cultures, ses caractéristiques intrinsèques (i.e. durée, intensité, fréquence) devant d’abord être confrontées à des seuils propres à chaque espèce ou variété. En d’autres termes, il s’agira de définir par exemple le nombre de jours dépassant un seuil de température spécifique d’un processus métabolique ou d’un stade de croissance, spécifique pour une espèce ou un génotype. Cela implique que l’on étudie la réponse des végétaux à un stress thermique ponctuel, mais aussi la réponse résultante de la séquence des stress thermiques répétés qui peut conduire à des effets différés, amplifiés ou atténués.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Synthèse bibliographique
1.1. Contexte agroclimatique
1.1.1. Le réchauffement climatique
1.1.2. Définition des vagues de chaleur et du stress thermique
1.1.3. Impacts du stress thermique sur les végétaux
1.1.4. Les stratégies de réponse des végétaux au stress thermique
1.1.5. Réflexion : quels impacts des stress thermiques répétés ?
1.2. La mémoire du stress
1.2.1. Définition du concept
1.2.2. Effets de la mémoire pendant le cycle de culture
1.2.3. Effets de la mémoire au cours des générations
1.2.4. Les mécanismes d’acquisition de la mémoire du stress
1.2.5. Réflexion : la mémoire peut-elle être un levier face aux stress répétés ?
1.3. La qualité grainière du colza d’hiver
1.3.1. Le colza : origine et aspects agronomiques
1.3.2. Importance de la fertilisation soufrée
1.3.3. Débouchés industriels des graines
1.3.4. Les composantes de rendement et définitions des critères de qualité
1.3.5. Développement de la graine du colza
1.3.6. Impacts du stress thermique sur le rendement et les qualités grainières
1.3.7. Réflexion : comment limiter les impacts des stress répétés ?
1.4. La prédiction des effets du stress thermique
1.4.1. Concepts généraux de modélisation des cultures
1.4.2. Les trois approches de modélisation testées dans le cadre de la thèse
1.4.3. Réflexion : comment prédire les effets des stress thermiques répétés ?
Chapitre 2 : Plan de recherche
2.1. Problématique et objectifs
2.2. Axes de recherche et démarches associées
2.2.1. Axe I : Caractérisation écophysiologique
2.2.2. Axe II : Modélisation numérique
Chapitre 3 : Effets des stress répétés au cours d’un cycle de culture
3.1. Effets des stress thermiques répétés sur le rendement et la qualité grainière du colza, dans de conditions contrastées d’apport en soufre
3.1.1. Préambule
3.1.2. Introduction
3.1.3. Materials and methods
3.1.4. Results
3.1.5. Discussion
3.1.6. Conclusion
3.2. Effets des stress thermiques répétés sur le développement cinétique des composés de stockage dans la graine du colza
3.2.1. Préambule
3.2.2. Introduction
3.2.3. Materials and methods
3.2.4. Results
3.2.5. Discussion
3.2.6. Conclusion
Chapitre 4 : Effets des stress répétés sur deux générations successives
4.1. Effets des stress thermiques répétés sur le rendement et la qualité grainière du colza sur deux générations de plantes stressées
4.1.1. Préambule
4.1.2. Introduction
4.1.3. Materials and methods
4.1.4. Results
4.1.5. Discussion
4.1.6. Conclusion
Chapitre 5 : Modélisation des effets des stress thermiques répétés
Conclusion générale