Le rayonnement électromagnétique et le visible

C’est en 1969 que Platt introduit le terme électrochrome et les premiers fondements de ce phénomène physico-chimique [1] Le mot électrochrome est formé des deux racines : electro, électrique bien sûr et chromos la couleur, en grec. Electrochromisme, que l’on peut rapprocher des termes photochromisme et thermochromisme, est donc un changement de couleur sous l’application d’une différence de potentiel électrique. Ensuite, sous l’impulsion des travaux de Deb [2], se développe rapidement l’idée que les matériaux électrochromes peuvent être la base de dispositifs construits sur le principe des générateurs électrochimiques. Les dispositifs électrochromes sont des systèmes multicouches qui présentent des changements de couleurs que l’on appellera électrochromes, comme les matériaux optiquement actifs qui les constituent. Depuis ces débuts, nombres de progrès en matière de nouveaux matériaux et de technologies d’assemblage de dispositifs ont été accomplis. Les dispositifs électrochromes ont en effet largement été étudiés dans le domaine spectral visible et proche infrarouge pour des applications telles que les vitrages à transmittance contrôlable pour le bâtiment [3,4], les rétroviseurs pour le secteur automobile [5,6] et les afficheurs [7]. Des rétroviseurs électrochromes sont actuellement sur le marché et l’intégration de vitrages électrochromes dans le bâtiment est désormais devenue réalité. Comme dans le domaine des accumulateurs électrochimiques, des oxydes métalliques, et surtout l’oxyde de tungstène WO3, ont été utilisés comme matériaux électrochromes. Les polymères conducteurs représentent également une classe de matériaux particulièrement intéressante puisqu’ils peuvent être facilement déposés électrochimiquement en couches minces sur divers substrats et peuvent présenter des colorations multiples.

L’ELECTROCHROMISME

Historique et fondements 

Le terme électrochromisme apparaît en 1961 sous la plume de J.R. Platt [1] qui décrit le premier les principes fondamentaux de cette découverte. Electrochromisme est alors formé à partir des termes provenant de l’anglais electrick et du grec khrôma la couleur. L’électrochromisme est l’apparition ou le changement de couleurs qui apparaît dans un matériau quand il est soumis à une tension électrique faible (quelques Volt au maximum). Ce phénomène physique se produit quand l’apparition de nouvelles bandes d’absorption optique accompagne les réactions d’oxydoréduction chez certaines espèces que l’on appelle alors électrochromes. Un matériau électrochrome est donc avant tout une espèce chromophore, c’est à dire qu’elle absorbe du rayonnement lumineux. Mais, une espèce électrochrome doit également être électrochimiquement active, c’est à dire qu’elle peut être oxydée ou réduite de façon réversible et illimitée (dans l’absolu). Un électrochrome est donc, pour résumer, une espèce redox qui engendre des contrastes réversibles en absorption.

Notre but, ici, n’étant pas de retracer l’histoire de l’électrochromisme, ni de faire une présentation exhaustive du domaine, quelques ouvrages de références peuvent être consultés. L’œuvre récente de P. Monk [16], agrémentée de nombreuses références, donne un aperçu général et accessible de l’électrochromisme. H. Byker a présenté en 1994 une revue de l’ensemble des matériaux électrochromes disponibles avec un point de vue technologique et économique [17]. En 1995, Granqvist a fait un bilan des matériaux électrochromes inorganiques et de leurs applications éventuelles [18].

Des espèces électrochromes sont connues et utilisées depuis longtemps, sans pour autant que l’on connaisse leurs propriétés électrochromes. C’est, en particulier, le cas pour des complexes métalliques du fer, parmi lesquels le Bleu de Prusse est le plus célèbre. En effet, ces espèces sont connues et utilisées comme teintures aux colorations multiples depuis le XVIIème siècle. Leur « redécouverte » et renaissance comme matériau électrochrome ne date pourtant que de 1978 [19].

La publication fondatrice de Platt [1] portant sur des molécules organiques, pose les grands principes de l’électrochromisme. Mais le développement des électrochromes est dû aux travaux de Deb, qui en 1969, montre que le trioxyde de tungstène WO3 peut présenter des propriétés électrochromes [2]. Sous forme de couche mince, il peut ainsi être intégré dans des dispositifs de fonctionnement électrochimique similaire aux batteries et qui peuvent permettre de moduler la transmittance [20]. Les électrochromes, tels qu’ils sont étudiés et développés aujourd’hui étaient nés et voués à un développement considérable. Depuis, de nombreux autres matériaux électrochromes ont été découverts : oxydes métalliques, complexes de métaux, molécules organiques et polymères conducteurs. Les espèces électrochromes sont intégrées à des dispositifs électrochromes qui changent de couleurs par modulation du potentiel entre deux électrodes. Ce système électrochimique doit donc être composé d’une anode, d’une cathode et d’un électrolyte. Ces systèmes multicouches sont proches des accumulateurs électriques par leur mode de fonctionnement mais diffèrent par leur conception et les matériaux utilisés. Différents types de dispositifs électrochromes ont été conçus pour s’adapter aux applications visées.

Le rayonnement électromagnétique et le visible 

Le rayonnement est une onde électromagnétique, c’est à dire un champ électrique et un champ magnétique perpendiculaires entre eux mais également perpendiculaire à leur direction de propagation et qui se déplace à la vitesse de la lumière dans le vide. La fréquence ν des oscillations des champs électrique et magnétique donne la fréquence du rayonnement, qui est ensuite reliée à la longueur d’onde λ par la relation ν = c/λ où c est la célérité de la lumière. Le comportement des ondes électromagnétiques dans un milieu, et en particulier leurs interactions avec la matière sont  définies par les lois de Maxwell. Nous ne rentrerons pas ici dans les détails de ces équations fondatrices de l’électromagnétisme.

Le spectre électromagnétique est très large et divisé en régions spectrales . On peut remarquer que la zone spectrale visible, qui correspond aux longueurs d’onde comprises entre 400 et 800 nm, est très restreinte par rapport à l’ensemble du spectre. Celle-ci correspond au domaine de sensibilité de l’œil humain. Les couleurs perceptibles par l’œil humain sont directement liées à l’absorption du rayonnement visible du corps observé.

L’absorption et les électrochromes

Un rayonnement électromagnétique est absorbé si la matière qui reçoit cette énergie l’absorbe, c’est à dire qu’elle utilise et transforme cette énergie électromagnétique. Une radiation incidente est alors absorbée si le corps subit une transition d’un état d’énergie E1 à un état d’énergie E2 plus élevée. L’énergie hν du photon absorbé est alors reliée à la transition énergétique du corps par la condition de Bohr (Eq. I.2) :

hν = E1 – E2  Eq. I.2

Les phénomènes d’absorption de rayonnements électromagnétiques par la matière sont dus à différents phénomènes physiques de transitions qui sont fonction de la gamme énergétique du rayonnement incident. Dans le domaine visible qui nous intéresse, les énergies des photons absorbés sont comprises entre 1,5 et 3,1 eV. Ces niveaux énergétiques correspondent à des transitions électroniques. Ces phénomènes de transition électronique entre niveaux d’énergies peuvent souvent s’étendre dans les domaines de l’ultraviolet pour les énergies plus élevées et dans le domaine du proche infrarouge pour les énergies plus faibles. Nous verrons plus loin que l’absorption dans l’infrarouge plus lointain met en jeu d’autres propriétés de la matière.

Chez les atomes ou les ions isolés, l’absorption se manifeste sous forme de pics discrets correspondants aux transitions entre orbitales, niveaux d’énergie discrets. Dans le cas de molécules ou de cristaux, l’énergie vibratoire entre atomes induit un élargissement de ces niveaux d’énergie. L’absorption se manifeste alors par des bandes d’absorption plus larges, on parle alors de spectre continu. Ces transitions électroniques peuvent se produire à l’intérieur d’une molécule, l’excitation est alors intramoléculaire ; mais ce saut énergétique peut également se produire entre deux espèces voisines en interaction, on parle alors de transfert de charge optique, la transition des charges étant accompagnée d’une absorption optique. L’absorption dans le visible, et donc la coloration d’une espèce, dépend de sa structure électronique.

Revenons aux matériaux électrochromes et expliquons comment il est possible d’obtenir des changements de couleurs par simple application de potentiel. Les matériaux électrochromes sont des espèces redox, donc il est possible de modifier électrochimiquement leur état d’oxydation. Lorsqu’une espèce chimique est réduite (gain d’électron) ou oxydée (perte d’électron), les états d’énergies électroniques évoluent et les transitions électroniques possibles sont alors modifiées. Les bandes d’absorption optique se trouvent alors déplacées, engendrant les changements de coloration. Les réactions d’oxydoréduction des matériaux électrochromes doivent pouvoir être totalement réversibles, c’est à dire que l’on doit pouvoir retrouver les états électroniques « de départ ». Les phénomènes optiques seront donc par conséquent réversibles eux aussi. Les bandes d’absorption sont obtenues par une mesure en transmittance. Il s’agit d’envoyer un faisceau incident d’intensité I0 sur le matériau, puis de mesurer l’intensité I du faisceau qui a effectivement traversé le matériau.

Le facteur de proportionnalité ε est le coefficient d’extinction molaire ou absorbance molaire de l’espèce chromophore considérée. ε est évidemment dépendant de la longueur d’onde considérée. La loi de Beer-Lambert implique des résultats forts importants. En effet, si l’épaisseur ou la concentration en espèce absorbante est doublée, l’absorbance A sera doublée, mais l’intensité du rayonnement se trouvera affectée d’une puissance 2. Par exemple, si un matériau qui transmet 10% du faisceau lumineux se trouve doublé en épaisseur, la transmission sera alors de (0,1)² soit 0,01, c’est à dire 10 fois moindre.

La variation de ε lors de sollicitations externes confère à l’espèce des propriétés optiques modulables. On peut citer les matériaux thermochromes qui changent de couleurs sous l’effet de variations de température [22], les solvatochromes, sous l’effet de la solvatation, les photochromes sous l’effet de la lumière [23] et évidemment les électrochromes sous l’effet d’un potentiel électrique. Pour comparer les matériaux électrochromes du point de vue de leurs performances optiques, deux grandeurs sont utilisées : le contraste et l’efficacité optique. Le contraste ΔA est donné par la différence d’absorption entre les états absorbants minimum et maximum. Celui-ci est donné pour une longueur d’onde λ précise ou pour un intervalle spectral Δλ.

Cas des électrochromes

Les espèces électrochromes répondent aux lois classiques de transfert de charges et de transport de masse. Elles peuvent toutefois être décomposées en trois classes. Les espèces qui sont totalement solubles quel que soit leur état d’oxydation, les espèces qui sont partiellement solubles, c’est à dire qui précipitent dans un état d’oxydation donné, et enfin celles qui sont solides et totalement insolubles. Le premier cas concerne des molécules organiques de faibles masses molaires. Lors de l’application d’un potentiel suffisant, l’espèce électrochrome dissoute en solution diffuse jusqu’à l’électrode où elle est réduite ou oxydée. La quantité de molécules ainsi oxydées ou réduites est alors dépendante de la vitesse de diffusion des molécules à l’électrode. Celle-ci répond à la loi de Cottrell pour un potentiel appliqué constant au cours du temps. Le contraste électrochrome étant linéairement dépendant du nombre de molécules oxydées ou réduites (loi de Beer-Lambert), on voit que la vitesse de coloration sera dépendante de la vitesse de diffusion. L’espèce colorée formée étant également soluble, celle-ci diffuse en solution dans l’autre sens, sa concentration étant maximale au niveau de l’électrode. Ceci pose alors un problème : l’espèce formée ayant diffusée en solution, il devient difficile de la régénérer totalement en un temps acceptable. La décoloration n’est donc pas possible, du moins dans sa totalité en des temps raisonnables.

Différentes solutions sont proposées dans la littérature pour résoudre ce problème. La première consiste à greffer les molécules sur l’électrode conductrice (généralement des oxydes métalliques) au travers de liaisons chimiques. Il est possible, par exemple, de fonctionnaliser des viologènes solubles avec des groupements polaires réactifs, comme les triméthoxysilyles [27] ou les phosphonates [28]. La deuxième solution consiste à utiliser des électrolytes polymères pour limiter la diffusion des molécules, et ainsi les garder à proximité de l’électrode. Des viologènes ont ainsi été couplés à des électrolytes polymères, comme le poly(oxydes d’éthylène) (PEO) ou bien à des polyélectrolytes comme le poly(2-acrylamido-2-methylpropanesulphonic acid) (PAMPS) [29]. La troisième possibilité consiste à fonctionnaliser la molécule de façon à ce qu’elle puisse précipiter lors de son oxydation ou sa réduction. Nous arrivons donc au deuxième cas. En effet, si les molécules précipitent lors de leur réaction d’oxydoréduction, elles restent en contact direct avec l’électrode et peuvent ainsi électrochimiquement retourner dans leur état d’oxydation initial : le contraste optique devient alors totalement réversible. Des viologènes à chaînes alkyles assez longues présentent ces caractéristiques en solution aqueuse. Le processus électrochimique est alors, comme dans le premier cas, dépendant de la diffusion des molécules à l’électrode.

Le troisième cas concerne les espèces qui restent fixées sur l’électrode. On peut alors parler d’électrode modifiée, l’électrode étant continuellement recouverte du matériau à étudier. Ceci concerne la majorité des espèces électrochromes, à savoir les oxydes métalliques, de nombreux complexes métalliques, et également les polymères conducteurs. Dans ce cas, le matériau à étudier doit être déposé sur l’électrode, mis en contact avec l’électrolyte et soumis aux signaux électriques. Le processus électrochimique est alors dépendant de l’injection des charges dans le matériau électrochrome mais surtout de la diffusion des espèces ioniques dans le matériau. En effet, pour compenser les charges créées dans le matériau, des ions provenant de l’électrolyte doivent s’insérer et se désinsérer dans la couche électrochrome. Cette diffusion ionique en milieu solide est souvent le facteur limitant la réaction d’oxydoréduction. Elle dépend des espèces électrochromes et des ions utilisés. Cette diffusion est nettement plus rapide avec les protons et dans les matériaux peu denses que sont les complexes ou les polymères conducteurs. Les temps de réponse sont en revanche allongés pour les oxydes métalliques cyclés en présence d’ions lithium.

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Table des matières

INTRODUCTION
I – Premier Chapitre – BIBLIOGRAPHIE
I. L’Electrochromisme
1. Historique et fondements
2. Principes de base
a. Optique
α. Le rayonnement électromagnétique et le visible
β. L’absorption et les électrochromes
b. Electrochimie
α. Généralités
β. Cas des électrochromes
3. Les dispositifs électrochromes
a. Transmission ou réflexion
b. Les électrolytes
4. Applications des électrochromes visibles
5. Les matériaux électrochromes
a. Les oxydes métalliques
b. Les hydrures de terres rares
c. Les complexes métalliques
d. Les viologènes
e. Les polymères conducteurs
II. L’Electrochromisme Infrarouge
1. Concept d’émissivité
a. Grandeurs photo-énergétiques
b. Le corps noir
c. Transferts thermiques
d. Camouflage infrarouge
2. Dispositifs électrochromes infrarouge
a. Matériaux électrochromes réflecteurs
b. Dispositifs flexibles à base de matériaux absorbants
III. Les Polymères Conducteurs
1. Historiques et fondements
2. Les grandes familles de polymères conducteurs
3. La polymérisation : synthèse des polymères conducteurs
4. Modèle de bandes des polymères conducteurs
5. Optique
a. Electrochromisme visible
b. Polymères conducteurs et infrarouge
6. Electrochimie
a. Généralités
b. Mouvements d’ions et gonflement
c. La microbalance à quartz
α. L’effet piézo-électrique
β. La microbalance à quartz électrochimique (EQCM)
χ. Applications aux polymères conducteurs
IV. Conclusions
II – Deuxième Chapitre – ELECTROCHIMIE
I. La Polydiphénylamine, PDPA
1. Propriétés des matériaux obtenus par synthèses chimiques et électrochimiques
a. Synthèses
b. Caractérisations des polymères
c. Electrochimie
2. L’Electropolymérisation de la DPA
a. Les dopants utilisés
b. Mécanismes de polymérisation
3. Influence du dopant sur la polymérisation
et les propriétés du polymère obtenu
a. Tétraéthylammonium Tétrafluoroborate (TEABF4)
b. Tétraéthylammonium Tosylate (TEATOS)
c. Poly(tétraéthylammonium 2-acrylamido-2-méthylpropanesulfonate) (TEAPAMPS)
d. Observations MEB de films de PDPA
e. Spectro-électrochimie visible
4. Conlusions
II. Le Poly(3,4-éthylènedioxythiophène), PEDOT
1. Electropolymérisation
a. Influence du dopant
b. Influence du signal imposé sur la polymérisation électrochimique
c. Observations MEB des films de PEDOT
2. Mouvements d’espèces lors de l’oxydoréduction
III. Conclusions
III – Troisième Chapitre – OPTIQUE
I. Dispositifs et mesures optiques
1. Types de dispositifs
2. Membranes Microporeuses Métallisées
3. Assemblage et mesures optiques
II. Mesures optiques dans le domaine visible
III. Contraste infrarouge
1. Absorption dans le domaine infrarouge
2. Influence des dopants sur le contraste IR
IV. Conclusions
– CONCLUSION
– ANNEXE – Microbalance à Quartz Electrochimique
– BIBLIOGRAPHIE

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