La consultation de j uin 2016 sur le transfert de l’aéroport de Nantes à Notre-Dame-des Landes: le dernier épisode d’un conflit vieux de cinquante ans
Le dossier du transfert de l’aéroport de Nantes à Notre- Dame- des- Landes est l’un des plus anciens projets d’aménagement du pays. Lancé dans les années 1960 et tout de suite contesté par les agriculteurs locaux, mis entre parenthèse sous le président Mitterrand, puis relancé en 2000 par le gouvernement Jospin, réactivant ainsi l’opposition , le projet enchaî ne les péripéties. En 2017, les travaux ne sont toujours pas débutés , et la ZAD censée les accueillir est occupée parfois illégalement. En 2016, pour reprendre la main, l’État a organisé une consultation inédite à l’échelle du département de Loire- Atlantique, à laquelle le « oui » au transfert fut majoritaire, et assez localisé géographiquement.
Historique de la mobilisation : les grandes étapes d’un conflit devenu symbole
En presque 50 ans, ce conflit, au départ simple soulèvement local d’agriculteurs militants contre les promoteurs d’un projet de nouvel aéroport, est devenu un symbole national de lutte contre le capitalisme et ses projets parfois jugés inutiles. Deux camps s’affron tent clairement aujourd’hui. Les porteurs du projet paraissent moi ns bien armés et mobilisent plus difficilement malgré le soutien de nombreux gouvernements successifs, de la région, du département et de la métropole nantaise. Les opposants occupent la ZAD et ont réussi à s’inscrire dans les réseaux de luttes altermondialistes, parvenant à mobiliser assez largement de manière spectaculaire et parfois novatrice.
Les décennies 60 et 70 ou les prémices du projet déjà contesté d’un nouvel aéroport, jusqu ’au coup d’arrêt des chocs pétroliers
Le sujet du projet de l’aéroport de Notre- Dame- des- Landes fait régulièrement la une de l’actualité de ces dernières années et reste un thème de discussion récurrent pour la population du département de la Loire- Atlantique. Bien souvent, les individus suffisamment âgés vous diront que l’on en parle depuis quarante ans. D’ailleurs dans les entretiens réalisés pour ce travail, cette ancienneté du projet est évoquée parfois avec véhémence comme pour Éric : « Dès 1972, j’avais 12 ans, on nous a dit, tu vas voir ta ferme on va te la prendre, ce n’est pas la peine d’élever tes vaches ! C’était mon premier coup de gueule ! », ou avec davantage de retenue pour Bernard : « Quand je suis arrivé en 65 à Nantes, j’avais un collègue qui habitait Héric et ils en parlaient déjà à cette époque… ».
En effet, le projet ou plutôt ses prémices datent des années soixante. En pleines « Trente Glorieuses », dans le contexte économique favorable d’un e croissance qui semblait alors infinie, en dépit des premiers signe d’essoufflements, la DATAR (Délégation Interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale), l’organe principal du pouvoir en charge de moderniser et d’aménager le territoire français, fait état après divers travaux, de la « nécessité » d’un nouvel aéroport dans le Grand Ouest, notamment pour renforcer la métropole d’équilibre Nantes – Saint- Nazaire (C. Rialland- Juin , 2016). Ces métropoles d’équilibre s’intègrent à un ensemble de politiques volontaristes de rééquilibrage du territoire et de développement de grands équipements structurants. Nous sommes alors dans une période où le pouvoir de l’État aménageur est assez peu remis en cause et où les procédures décisionnelles sont très verticales, sans consultations locales ou très peu. Les grands travaux se multiplient, la France de la fin de mandat de De Gaulle se dote d’autoroutes et se lance pleinement dans le nucléaire civil.
L’État souhaite également contrer l’hypertrophie et la macrocéphalie parisienne par une politique de rééquilibrage du territoire, grâce notamment aux métropoles d’équilibre. Au nombre de huit en 1964 (à savoir Lille -Roubaix – Tourcoing, Nancy – Metz, Strasbourg, Lyon – Grenoble – Saint- Etienne, Marseille, Toulouse, Bordeaux, et Nantes – Sai nt- Nazaire), puis de douze quelques années plus tard (avec Dijon, Rennes, Clermont- Ferrand et Nice), ces métropoles sont censées recevoir des équipements et des investissements publics importants, visant à réduire les déséquilibres de développement du territoire français de cette époque.
La consultation de juin 2016 : analyse sociogéographique des résultats
En 2016, face à l’enlisement du dossier Notre- Dame- des- Landes et après l’échec de l’opération d’évacuation de 2012, le gouvernement de Manuel Valls annonce la tenue d’une consultation censée donner la parole aux citoyens. Malgré de vives critiques multidimensionnelles, le « oui » au transfert l’emporte d’une courte majorité et devient un objet d’analyse en lui – même.
Présentation du dispositif de la consultation : dernière étape du conflit, un outil stratégique du pouvoir
Pour tenter de sortir de ce conflit qui a pris une envergure national e concernant la construction d’un nouvel aéroport pour la ville de Nantes, le second gouvernement de François Hollande a lancé une consultation, suscitant de vives critiques de la part des acteurs de ce conflit et cela pour de multiples raisons.
Les consultations et référendums sont souvent mis en œuvre par le pouvoir lorsque des projets d’infrastructure ou d’aménagement du territoire ne font pas consensus et peuvent avoir un effet notable sur l’environnement. Mais ces deux dispositifs ne sont pas synonymes.
Dispositif juridique désormais à la disposition de l’État, la consultation diffère du référendum avec lequel elle est souvent confondue. En effet, une consultation n’est que la mise en évidence d’un avis de la population, qui peut ou non être pris en compte par le pouvoir, alors que les référendums imposent normalement un respect du verdict par le pouvoir. Ils sont donc beaucoup plus dangereux et contraignants pour les autorités. En France, on peut distinguer le recours à l ’enquête publique et à la CNDP , en cas de litige sur des projets d’aménagement.
Ceux- ci permettent en théorie un débat sur le projet et l’organisation d’une consultation.
L’enquête publique est la forme la plus embryonnaire de débat sur ces projets, et est aujourd’hui souv ent mise de côté au profit du débat public lié à la CNDP qui consiste en une obligation d’information et de débat (M- H. Bacqué, H. Rey et Y. Sintomer, 2005). La dernière consultation en date (et non pas référendum) celle sur l’épineux dossier plus que cinquantenaire du transfert de l’aéroport de Nantes- Atlantique sur le site de Notre- Dame- desLandes, est assez inédite car elle ne concerne qu’un département et porte sur un projet d’aménagement du territoire.
Au début de l’année 2016, le Président Hollande demande au gouvernement d’organiser la tenue d’un référendum local sur la question de l’aéroport de Notre – Dame- desLandes. La mise en place de ce vote a été inspirée par le cas d’un conflit autour de l ’agrandissement de la gare de Stuttgart. La consultation a alors été une porte de sortie pour le gouvernement allemand et les groupes favorables aux travaux très controversés de la nouvelle gare de la capitale du Bade- Wurtemberg, même si les travaux n’ont pas encore débutés.
Malheureusement pour le gouvernement français, l’organisation d’un référendum local est impossible car anticonstitutionnelle. Dans la précipitation, le gouvernement semble avoir oublié ce détail et le fait qu’un référendum en France ne pouvait être organisé à l’échelle d’une collectivité que lorsqu’il concerne un projet dont les compétences relèvent de l’ État.
Même constat dans le cas d’une consultation locale puisqu’elle ne peut avoir lieu que si le projet dépend des prérogatives de la collectivité qui l’organise. Il y a donc une claire inadéquation entre l’échelle du vote souhaitée, à savoir un seul et unique département, et l’échelle de la compétence d’un tel projet, relevant de l’État. Ainsi, « aucune procédure existante ne permettai t en février d’organiser un référendum ou même une consultation à l’échelon local sur ce sujet, mais, heureuse coïncidence, un projet d’ordonnance de janvier 2016 change la donne » . (E. D uval , 2016, p7). Le gouvernement a donc dû improviser pour rendre cette consultation (et non plus référendum) possible et légale juridiquement parlant . Il a dû dépasser difficilement un vaste imbroglio juridique témoi gnant d’un empressement surprenant donnant le sentiment d’une « instrumentalisation complète et permanente d u droit » (G. Bouldic in E. Duval, 2016, p7).
L’influence des éléments de socialisation des interrogés sur l’intérêt porté au politique
Lorsque l’on interroge des individus à propos de leur sentiment vis- à- vis d’un projet d’aménagement contesté, sujet évidemment politique, on apprend bien des choses sur leur comportement et leur opinion politique. A la lumière des entretiens réalisés dans le cadre de ce travail, il semblerait que l’on puisse mettre en avant les éléments les plus saillants d’influence sur la politisation des interrogés. Ainsi, le militantisme et le degré d’engagement pour une cause, qui ne serait pas directement liée à l’aéroport, le rapport à l’ordre, à la religion et aux institutions, ou encore l’attachement territorial, semblent être les facteurs les plus influents de politisation .
Une socialisation primaire créatrice de comportements électoraux qui perdurent
Chez nos enquêtés, certaines variables semblent peser plus que d’autres dans leur comportement politique, telles que le rapport au pouvoir, à l’ordre, à la loi ou aux institutions.
Ce sont des variables, des visions du monde héritées la plupart du temps de leur socialisation primaire. Nous allons tenter d’étudier ici l’influence de certains de ces éléments de socialisation antérieure sur la politisation de notre panel .
Religion, classe sociale ou positionnement politique des parents, des éléments clefs de socialisation transmis aux enfants et influençant leur rapport au monde
En analysant nos entretiens, nous avons réalisé que, chez certains de nos enquêtés, le comportement politique et électoral peut en partie être imputé à un rapport à l’ordre, à la loi ou aux institutions différents acquis durant leur jeunesse et variables d’un individu à l’autre.
L’influence des parents et de la famille dans la politisation peut s’avérer décisive ; elle s’exerce surtout lors de la première phase de la socialisation d’un individu, c’est- à- dire lors de la socialisation primaire. Ce stade fondateur et incontournable chez tout individu, qui dépasse l ’éducation au sens strict, dans lequel la famille a un rôle déterminant mais pas exclusif, façonne le rapport au monde de l’enfant (M. Darmon, 2006). La famille, si elle n’est pas non plus le pôle exclusif d’influence dans la politisation d’un individu (on peut y adjoindre comme on l’a vu, l’école, la culture politique nationale, le m ilieu professionnel ou l’engagement militant) , en est tout de même l’un e des instances les plus importantes. Son action durant la socialisation primaire apporte à l’individu des valeurs, des comportements, des repères sociaux qui influencent grandement sa politisation . Ainsi, la religion des parents, leur classe sociale, ou leur statut professionnel, qui influencent leurs propres orientations politiques, créent chez les enfants un rapport particulier au pouvoir, à l’ordre, à la loi ou à la morale, rapports au cœur de comportements politiques qui peuvent alors perdurer et que l’on a relevés comme primordiaux lors de l’analyse de nos entretiens.
La religion, variable lourde des déterminants du vote, est un élément pourvoyeur d’une certaine vision du monde et appréhension de la société (P. Bréchon, 2006, D. Boy et N. Mayer 1997). Elle encourage souvent un vote de droite, conservateur, en contraste avec un athéisme qui serait progressiste et amènerait un vote plus à gauche. Cette corrélation n’est toutefois pas toujours automatique et on observe d’ailleurs des variations entre religions. Les catholiques et protestants pratiquants seraient par exemple plus à droite que les pratiquants juifs (C. Ysmal, 1990). Quoi qu’il en soit, plus on est croyant, plus on est pratiquant et assidu à sa religion, plus la propension à voter à droite augmente (P. Bréchon, 2006). D’ailleurs, certains chercheurs ont émis l’hypothèse selon laquelle l’école privée pourrait favoriser un vote conservateur chez les futurs électeurs, même si cet effet de l’influence du religieux dans le milieu scolaire, sur les comportements électoraux n’est pas flagrant (P. Bréchon, 2006). De par l’histoire de la religion, son fonctionnement très hiérarchisé (du moins en ce qui concerne le catholicisme), et ses positions idéologiques et morales, le vote des individus les plus croyants est très souvent un vote conservateur. Il révèle un certain rapport à l’ordre, à la morale, à la science, un respect de l’autorité, des institutions et une vision très hiérarchisée de la société (C. Ysmal, 1990). Il peut paraître alors logique que la prégnance d’une éducation et d’une socialisation religieuse induise un comportement électoral conservateur calqué sur celui des parents. Mais ceci n’est pas automatique et certains individus peuvent parfois adopter des postures de rejet de la religion ou encore connaître des événements biographiques plus récentsqui tendent à minorer l’influence de la religion sur leur vote.
Le militantisme, un vecteur de politisation qui diffère grandement d’un enquêté à l’autre
Comme nous l’avons vu précédemment, les premiers individus opposés au projet d’aéroport de Notre- Dame- des- Landes à la fi n des années soixante, sont souvent issus de mouvements ouvriers ou agricoles ayant participé aux événements de m ai 68 (H. Kempf, 2014). Nombre de ces agriculteurs et ouvriers étaient donc militants avant même d’enrichir leur militantisme, cette fois- ci en luttant contre un projet d’aménagement majeur.
Dans ce travail, nous avons interrogé des individus plus ou moi ns engagés pour ou contre le projet d’aéroport, plus ou moi ns proches des mouvements structurant ce conflit devenu symbole d’une lutte contre un système économique et social qui dépasse la simplequestion de la construction d’un nouvel aéroport. La frontière est poreuse ici entre un militantisme lié à la question de l’aéroport, et la sphère politique. Un engagement militant est un engagement poli tique, mais d’une forme différente (P. Bréchon, 2006). Il est intéressant alors d’observer si nos plus fervents défenseurs ou opposants au projet sont aussi les plus cultivés politiquement, intéressant aussi de se pencher sur les raisons de leur engagement (lié à l’aéroport ou non) et sur le rôle joué par le militantisme dans leur politisation par rapport à d’autres facteurs de socialisation.
On peut repérer comme un gradient chez nos enquêtés, avec un premier groupe au sein duquel l’influence du militanti sme sur la politisation est flagrante, notamment par le biais de la famille qui les a conduits au militantisme. Un deuxième groupe, se réduisant à deux enquêtés, se détache, chez qui le militantisme n’est pas clairement dû à une influence socialisatrice an térieure ou familiale mais plutôt professionnelle et chez qui la sphère militante est en interrelation avec la sphère politique en tout cas pour l’un des deux. Enfin, un troisième groupe peut être mis en avant, réunissant les moi ns militants de nos enquêtés, ceux qui ne sont pas forcément les moi ns informés politiquement, ce qui sera d’ailleurs intéressant à analyser, ou les individus pour lesquels nous manquons d’informations du fait d’entretiens moins aboutis car plus courts (certains de nos enquêtés manquaient de temps pour que nous puissions conduire un entretien plus poussé).
Des enquêtés parfois concernés par l’influence de cet attachement au territoire sur leur politisation
Nos entretiens n’avaient pas vraiment pour objet d’approfondir cette question du territoire comme source de politisation ou de changement d’opinion politique. Cela pourrait d’ailleurs constituer un sujet de rech erche à lui seul. Néan moi ns, nos entretiens ont mis à jour des éléments intéressants qui soulignent chez certains enquêtés, l’influence du territoire dans leur politisation.
Pour quatre des enquêtés, le territoire jou e un rôle assez net dans leur engagement militant, voire politique pour l’un d’entre eux. Chez Guy en effet, son amour pour SaintAignan- de- Grand- Lieu et pour le lac et ses environs, l’a poussé à s’engager aux côtés du maire de sa commune en intégrant le conseil municipal et à être l’un des responsables du collectif local pour le transfert de l’aéroport, le COCETA. Guy est né à La Chevrolière, non loin du lac et vit à Saint- Aignan depuis 1979. En venant s’installer ici, il a retrouvé un cadre de vie qui lui manquait : « J’ai toujours été attiré par le lac de Grand – Lieu, je ne sais pas, parce qu’avant j’étais à La Chevrolière, de l’autre côté du lac, pas très loin. J’avais envie de retrouver ce cadre- là quoi, et Saint- Aignan correspondait bien ». Nous n’avons pas suffisamment d’éléments sur les motifs de son engagement politique, certes modeste, mais nous savons qu’il apprécie le maire qui constitue pour lui une figure tutélaire. Nous savons également qu’il aime sa commune et craint pour son avenir si l’aéroport actuel devait s’agrandir :
« On sait très bien qu’on est dans une situation où il n’y a plus de terrains constructibles, on ne peut plus développer le bourg, donc c’est l’avenir de la commune… On sait que pour une commune telle que la nôtre qui fait 3800 habitants, il faut 30 à 35 constructions par an pour que les écoles gardent leurs effectifs… là on n’y arrive plus, l’an dernier ça a été catastrophique. Je ne sais pas combien il y a eu de permis mais c’est infime . »
Le rapport global à l’information, au politique et au vote , des individus consultés
Après nous être penchés sur les mécanismes de politisation les plus visibles chez nos enquêtés, nous allons tenter de comprendre leur vote lors de la consultation. Cela passe par une analyse de leur rapport aux médias et à l’information, de leur manière de s’informer, mais aussi par leur appréhension et connaissance du politique et des arguments des deux camps qui s’affrontent dans ce conflit.
Un rapport ambivalent aux médias et aux réunions d’informations sur le projet d’aéroport
Comprendre les déterminants du vote exige de s’interroger sur les sources d’informations utilisées par les individus et sur leur manière de se les approprier.
L’information passe évidemment par les médias, traditionnels ou plus récents, mais aussi dans le cas de la consultation sur le projet d’aéroport, par des réunions d’information.
Rapport des enquêtés aux médias traditionnels
La télévision, la presse et la radio semblent constituer les sources d’informations principales de nos enquêtés, que ce soit sur le sujet de l’aéroport ou non. Bien que critiqués et décriés et parfois objets de méfiance, ces médias traditionnel s restent très utilisés, même si la connaissance de la sphère médiatique par les enquêtés demeure relativement faible.
La télévision est aujourd’hui la première source d’information politique dans notre pays et un média interclassiste par excellence (R. Rieffel, 2015). Chez nos enquêtés, l’importance de ce média dans leur formation au politique se retrouve bel et bien, que ce soit à propos de l’aéroport ou non. Tous le regardent, même si Éric semble être le moins assidu par manque de temps. Les journaux télévisés sont particulièrement suivis, notamment l’édition locale de France 3, regardée par cinq des enquêtés (l es couples Catherine – Philippe et MarieJeanne – Bernard, ainsi que par Georgette), qui poursuivent parfois avec l’édition nationale. Olivier, suit plutôt celui de TF1 tout en admettant qu’il évite souvent de le dire car ses amis tenteraient de l’en dissuader. Marcel préfère s’informer avec une émission plus divertissante sur la TNT, Quotidien, au public plus jeune et à l’angle d’attaque plus décalé. Mais il admet ne regarder que peu la télévision. A l’inverse de ces derniers, les autres enquêtés n’abordent pas spontanément la télévision comme média alternatif à la presse. Peut- être est- ce parce que cette source d’information leur semble tellement évidente qu’ils ne songent pas même pas à la citer.
En ce qui concerne la presse, nous avons un peu plus d’informations sur les habitudes de nos enquêtés puisque nous leur avons directement posé la question. Ceci peut expliquer le fait que nos enquêtés paraissent la lire fréquemment, mais c’est peut- être la conséquence d’une question très précise à laquelle ils souhaitent répondre le mieux possible, tout en se mettant en valeur. Quoi qu’il en soit, trois de nos enquêtés sont abonnés à Ouest France, le reçoivent donc tous les jours, à savoir Georgette, Marcel et Philippe. Cette presse régionale, avec Presse Océan, est également achetée régulièrement par Olivier (tous les jours), MarieJeanne et Bernard, et lue par Philippe qui reçoit le Presse Océan de sa belle- mère chaque jour après qu’elle l’ait elle- même lue. Jean lui, lit cette presse régionale au travail, ainsi que des quotidiens nationaux tels que Le Monde ou Le Figaro. Marcel achète lui aussi ponctuellement certains titres nationaux comme Le Journal du Dimanche ou l’Humanité, en lien avec son engagement au PCF. Georgette quant à elle, est abonnée à l’hebdomadaire indépendant Le 1 et Guy au magazine Le Point. Ce dernier s’est récemment désabonné de Ouest France, en raison de son désaccord avec certains journalistes qui traitaient du projet de Notre- Dame- des- Landes. En complément du Point, il achète parfois Le Monde et l’Express.
Gilles et André, eux aussi ont durant l’entretien, exprimé leur désaccord avec certains journaux tels Reporterre ou Mediapart, qu’ils boycottent et à qui leur association, l’ACSAN, refuse désormais toute interview. Ces médias de gauche sont au contraire sollicités par Éric, qui lit régulièrement les versions en ligne de Mediapart et de Rue 89 grâce aux abonnements de l’ACIPA, et achète de temps à autre Le Canard enchaîné et Charlie Hebdo. Nos enquêtés cumulent donc parfois de nombreux titres et semblent beaucoup s’informer par la presse, même si nous ne sommes pas en capacité ici de savoir combien de temps ils consacrent à ces lect ures ni la portée de leur assiduité. Mais il y a peut- être aussi un effet générationnel ici , avec un lectorat plus âgé en ce qui concerne les quotidiens régionaux par exemple (R. Rieffel, 2015). Nos enquêtés n’étant pas très représe ntatifs en ce qui concerne leur âge, avec une surreprésentation des personnes retraitées (sept sur douze). Le tableau suivant recense les titres de presse lus par notre panel.
Le rôle de l’entourage dans la décision du vote
L’entourage au sens large (voisins, amis, famille, ou même commerçants et éventuellement inconnus) ne joue pas un rôle neutre chez nos enquêtés. Il peut, comme les médias, avoir un rôle d’émetteur d’information, mais aussi de récepteur de celle produite par nos enquêtés, et donc avoir un effet sur le comportement électoral ou les opinions politiques.
L’influence de l’entourage sur les opinions des enquêtés
Qu’ils soient plutôt en accord avec le projet d’aéroport à Notre- Dame- des- Landes, ou en désaccord, les individus que nous avons interrogés subissent de maniè re plus ou moi ns forte l’influence de certaines personnes ou certains groupes de leur entourage, en termes d’information sur le projet ou plus largement, ce qui peut parfois avoir un impact sur leur opinion politique et donc sur leur vote, comme lors de la consultation.
En analysant nos entretiens, on peut s’apercevoir que certains enquêtés sont bien plus influencés par des tiers dans leur comportement politique que d’autres, chez qui l’effet reste apparemment moi ndre. On pourrait penser que les plus militants sont aussi les moins influençables, mais ce n’est pas le cas. Ainsi, Éric, co- président de l’ACIPA, ou Guy, l’un des fondateurs du COCETA (collectif pro – aéroport), ont un entourage qui joue un rôle important dans leur engagement. Chez le premier, toute la famille est engagée, plus ou moins fortement.
Le père d’Éric joue un rôle central dans l’engagement de sa famille et notamment de son fils que nous avons interrogé. Le cousin et le frère d’Éric sont également très engagés. Le père, autrefois paysan su r ce qui deviendra la ZAD, a toujours résisté à son expropriation annoncée et vit encore sur cette zone symbolique et stratégique. C’est sa résistance qui a fait entrer Éricet les autres membres de sa famille en militance. Il y a comme une émulation dans cette famille qui partage et transmet à ses nouveaux membres, des valeurs de gauche dont nous avons déjà discuté et qui participent à un fort engagement de notre enquêté. Comme on l’a vu et conformément à ce que note E. Neveu (2015), le fait de partager un engag ement militant avec des proches et d’être soutenu par son entourage, – même si en l’occurrence l a femme d’Éric tempère quelque peu l’ardeur de son mari pour cette lutte, notamment dans les discussion s familiales et privées – permet à notre enquêté de continuer à militer sans trop de pression et de poursuivre son combat. L’influence de l’entourage est claire ici. Chez Guy, le soutien de sa femme paraît également important, et il semble ravit qu’elle l’accompagne aux manifestations. De plus, il partage énormément d’informations via internet avec d’autres membres du réseau des pro- aéroport, qui f ont parties d’autres associations et qui lui paraissent de bon conseil car plus « pointus » que lui. Il a beaucoup d’amis autour de lui avec qui il discute de ce projet d’aéroport, des amis qui parfois sont obnubilés par la question et « n’en sortent pas ». Globalement son entourage est du même avis que lui au sujet de ce conflit, mais un de ses ami s est contre et ils tentent en vain de se faire changer d’avis mutuellement. Guy, déclare comprendre ses arguments et ceux d’autres anti avec lesquels il lui arrive de discuter, mais affirme qu’ils ne l’ont jamais assez convaincu pour qu’il devienne un opposant au projet.
Guy est trop engagé en faveur de ce dernier, trop bien entouré de pro, pour être aussi influençable. Gilles et André, militants à l’ACSAN, ne nous ont pas livré suffisamment d’informations à propos de leur entourage, par manque de temps, pour que nous puissions en tirer quelque chose.
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Table des matières
Avant-propos
Introduction
I) La consultation de juin 2016 sur le transfert de l’aéroport de Nantes à Notre -Dame-des Landes: le dernier épisode d’un conflit vieux de cinquante ans
I.1 Historique de la mobilisation : les grandes étapes d’un conflit devenu symbole
I.1.1 Les décennies 60 et 70 ou les prémices du projet déjà contesté d’un nouvel
aéroport, jusqu’au coup d’arrêt des chocs pétroliers
I.1.2 2000 et 2008, dates clefs dans la relance du projet et de la contestation
I.2 La consultation de juin 2016 : analyse sociogéographique des résultats
I.2.1 Présentation du dispositif de la consultation : dernière étape du conflit, un outil stratégique du pouvoir
I.2.2 Analyse des résultats du scrutin
II) L’influence des éléments de socialisation des interrogés sur l’intérêt porté au politique
II.1 Une socialisation primaire créatrice de comportements électoraux qui perdurent
II.1.1 Religion, classe sociale ou positionnement politique des parents, des éléments clefs de socialisation transmis aux enfants et influençant leur rapport au monde
II.1.2 Une transmission qui perdure plus ou moins et se retrouve dans les comportements électoraux
II.2 le militantisme : un élément de politisation
II.2.1 Eléments de définition
II.2.2 Le militantisme, un vecteur de politisation qui diffère grandement d’un enquêté à l’autre
II.3 L’attachement au territoire, source de politisation
II.3.1 Explication théorique de la capacité d’influence d’un territoire sur la politisation d’un individu
II.3.2 Des enquêtés parfois concernés par l’influence de cet attachement au territoire sur leur politisation
III) Le rapport global à l’information, au politique et au vote, des individus consultés
III.1 Un rapport ambivalent aux médias et aux réunions d’informations sur le projet d’aéroport
III.1.1 Rapport des enquêtés aux médias traditionnels
III.1.2 Rapport des enquêtés aux réseaux sociaux, à internet et aux ré unions d’information
III.2 Le rôle de l’entourage dans la décision du vote
III.2.1 L’influence de l’entourage sur les opi nions des enquêtés
III.2.2 L’influence de l’enquêté sur l’opinion de l’entourage
III.3 Une représentation parfois floue de la politique
III.3.1 Un manque de connaissance politique
III.3.2 Une reprise des discours dominants, et un vote qui m obilise des catégories de pensée différentes d’un enquêté à l’autre
III.4 Les représentations communes des deux camps l’un sur l’autre au vu des arguments avancés
III.4.1 Rapport des enquêtés aux arguments des soutiens du projet d’aéroport
III.4.2 Rapport des enquêtés aux arguments des opposants au projet d’aéroport
Conclusion
Table des annexes
Annexes
Bibliographie
Table des figures
Table des matières