Le rapport entre les biens et leurs usages : contexte et nature des crises

Le rapport entre les biens et leurs usages : contexte et nature des crises 

La motivation initiale de ce travail de recherche vient d’observations empiriques étonnantes par rapport aux discours traditionnels sur le rapport entre biens et usages. De nouveaux produits et services aux usages inconnus suscitent aujourd’hui un engouement auprès de leurs usagers. Ces situations sont paradoxalement à contre-courant des recommandations habituelles sur l’innovation en ne proposant ni de réelles ruptures technologiques, ni d’usages nouveaux clairement identifiés. Un exemple récent est celui du Raspberry Pi : un “ordinateur”  livré sans clavier ni souris, sans boitier, sans alimentation et même sans capacité de stockage .

Les éléments qui le composent sont d’anciennes technologies, et le directeur exécutif, Eben Upton, explique : “Nous ne sommes pas prescripteurs sur les usages. L’outil est là, et on voit ce qu’on peut faire avec.”  . Aujourd’hui, à quelques mois après le début de sa commercialisation, cet “ordinateur” est utilisé dans de nombreux emplois, tels que la photographie spatiale amateur, mais également son utilisation avec des enfants pour apprendre les bases de l’architecture matérielle en informatique. Cet exemple n’est pas singulier et l’on retrouve aujourd’hui ces logiques de conception d’une variété d’usages nouveaux dans l’ensemble des objets emblèmes de la modernité. Internet a profondément bouleversé les logiques d’usages traditionnels, des e-mails jusqu’au e-commerce. Ces usages n’ont pas été pensés par les concepteurs, mais conçus par les premiers usagers. Le smartphone, l’ordinateur, les tablettes numériques sont autant d’exemples analogues. Aujourd’hui, la miniaturisation et la baisse drastique du prix de l’ensemble des composants électroniques nécessaires pour créer des modules communicants permet de concevoir des objets intelligents. Ces objets dits “intelligents” miment les objets traditionnels qui nous entourent, mais se voient également dotés de fonctions de communication et de traitement d’information. On voit ainsi apparaître des compteurs d’électricité communicants, des pèse personnes connectés ou encore des chaussures intelligentes .

Ces artéfacts qui intriguent et séduisent par leur potentiel de nouveaux usages viennent questionner le rapport traditionnellement univoque entre biens et usages, mais aussi la place des usagers et des firmes dans ces logiques d’exploration .

La capacité de certains biens à susciter des explorations sur leurs usages 

Dès qu’un nouvel objet est mis entre les mains d’un individu, la question des usages possibles se pose. L’histoire regorge de tentatives, d’expérimentations et de rêves autour de divers projets d’usages pour un objet donné. Ce mécanisme est particulièrement visible lors de l’introduction d’un nouvel artéfact, jusqu’alors inconnu, auquel on essaie de trouver des usages. On trouve à ce sujet de nombreuses études détaillées sur la réception de produits et d’innovations techniques par les premiers usagers. Prenons par exemple le cas de l’arrivée du phonographe, nouvel instrument permettant l’enregistrement et la retransmission de sons, qui a été présenté devant l’Académie des sciences en mars 1878. Les comptes-rendus de ces séances décrites par le Comte Théodose du Moncel (du Moncel, 1878) montrent ce nouvel objet technique passer par des projets d’usages multiples et variés, issus de l’imaginaire des premiers utilisateurs spectateurs. Et le Comte du Moncel d’énumérer les applications possibles en citant les propos d’Edison :

“Parmi les plus importantes applications du phonographe on peut citer, son application à l’écriture des lettres, à l’éducation, à la lecture, à la musique, aux entregistrations (sic) de famille, aux compositions électrolytiques pour les boîtes à musique, aux joujoux, les horloges, les appareils avertisseurs, les appareils à signaux, la sténographie des discours, etc.” — (du Moncel, 1878) .

De toutes ces explorations, seules quelques-unes verront le jour et s’installeront dans les habitudes pour former les usages du phonographe, au sens de l’utilisation courante de l’objet. Mais ces dynamiques ne concernent pas seulement l’instant initial de l’introduction d’un nouvel artéfact auprès d’un public ; elles peuvent se retrouver tout au long de la vie d’un objet. Aussi les détournements d’usage, fruits d’expérimentations et de tentatives qui cherchent une nouvelle utilité pour un objet déjà bien connu, permettent d’étendre ou de déplacer l’ensemble de ses usages. De Certeau (1980) a été dans les premiers à éclairer ces pratiques de détournement — il proposera le terme de “braconnage” — en étudiant les perruques, ces tactiques de détournement d’outils pour des projets autres que ceux qu’ils sont supposés remplir  . Plus récemment, et pour revenir à l’exemple du phonographe, l’évolution des usages des tourne-disques a été l’objet d’une étude approfondie par Faulkner et Runde (2009). Les auteurs retracent avec précision les différentes étapes qui ont mené à l’extension des usages du tourne-disque, de ses fonctions initiales et historiques de lecteur de musique à son utilisation aujourd’hui par les disc-jockeys en tant qu’instrument de musique. Ces phénomènes d’exploration des usages pour des biens partiellement inconnus s’intensifient aujourd’hui, en particulier avec les processus de conception innovante qui tendent à produire des biens à contre-courant des présupposés habituels sur l’usage, à l’identité ambiguë.

Une logique d’exploration des usages indissociable des produits de la conception innovante

Les régimes contemporains de conception dite “innovante” (Le Masson, Weil et Hatchuel, 2006 ; Hatchuel et Weil, 2008) produisent des biens nouveaux à l’identité incertaine. Et les usages de ces objets sont tout sauf connus à l’avance des usagers ! Les logiques d’emploi de ces nouveaux produits ou services ne sont au mieux qu’approximatifs au moment de leurs lancements. Pour ne citer que quelques-uns des exemples récents : l’outil de micromessagerie Twitter, le téléphone intelligent iPhone ou encore le service de voiture en libre-service Autolib’ sont autant de produits emblématiques des régimes de conception innovante. Tous trois ont été l’objet d’interrogations quant à leur utilité et ont suscité de nouveaux usages surprenants. Pire encore, ces objets produits par la conception innovante ne se résignent pas seulement à susciter de nouveaux usages de manière confinée, mais viennent remettre en question les logiques déjà bien installées d’objets connus de longue date ! Depuis sa création, Twitter a influencé le rapport à l’information pour un grand nombre de personnes mais aussi bousculé l’univers du journalisme. On lui attribue également un rôle substantiel dans l’organisation des révolutions récentes dans le monde arabe. Ces biens génératifs ne viennent pas simplement proposer de nouveaux usages qui s’accumuleraient aux usages existants et stabilisés. Au contraire, ils suscitent de vastes explorations qui remettent en question de nombreux usages établis. Nous proposons à présent d’illustrer ce phénomène par un exemple dans le domaine de l’automobile.

Un exemple d’exploration d’usages nouveaux : automobile et auto-mobilité 

Considérons la voiture automobile traditionnelle. À cet objet, dont on connait bien les spécificités aujourd’hui, est déjà associé toute une diversité d’usages qui dépendent de ses usagers. En effet, l’automobile est utilisée à des projets d’usage  très différents en fonction des besoins de chaque conducteur, depuis l’usager « professionnel » qui s’en sert pour transporter du matériel ou des marchandises tous les jours, jusqu’à la voiture qui emmène une famille en vacances, en passant par le taxi où le conducteur offre une prestation de service auprès d’autres usagers. À même bien, une grande diversité d’usages. Ce mécanisme n’est pas récent et on le retrouve dans un grand nombre de produits dont nous nous servons tous les jours. Les industries qui conçoivent et produisent ces objets sont au fait de ces classes d’usages et de leur diversité. C’est ainsi qu’elles ont adapté progressivement leurs biens pour répondre plus efficacement aux usages connus, en s’appuyant par exemple sur des études de marché leur qui permettent de segmenter leur offre en fonction de types de clients à usages différents. La voiture traditionnelle est emblématique d’une situation de conception où le modèle de l’objet « voiture » est stabilisé et connu de tous, usagers et concepteurs, tout comme pour les classes d’usages associées. Pourtant ceci ne veut pas dire qu’il n’y a pas une remise en question des logiques d’usages de l’automobile. Et si l’on prend un peu de recul par rapport à la voiture présentée en vitrine du concessionnaire, on peut observer toute une nébuleuse de classes d’usages radicalement différentes à la périphérie du couple bien / usages connu  . Considérons par exemple l’application mobile développée par AvegoTM pour organiser le covoiturage dans la baie de San Francisco. Cette application permet de mettre en relation en temps réel des conducteurs et des usagers désirant se rendre quelque part en voiture. Les conducteurs indiquent le trajet prévu lorsqu’ils entrent dans leur voiture, les autres usagers indiquent leur position et la destination voulue, et l’application cherche à se faire rencontrer ces deux projets. Elle organise un point de rendez-vous ainsi qu’un point de dépôt et coordonne la compensation financière qui permet de rémunérer le conducteur à hauteur du service rendu.

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Table des matières

Introduction générale
1 Le rapport entre les biens et leurs usages : contexte et nature des crises
2 Comment étudier le rapport entre les biens et leur capacité à susciter de nouveaux usages ?
3 Méthodologie : les nouvelles technologies de l’information et de la communication, cas révélateurs de ces crises
4 Structure du document et synopsis de la thèse
I La conception d’usages : un point aveugle des approches contemporaines
1 En guise de préambule : usage et usager, polysémie des termes
2 L’usage comme leitmotiv pour les approches en gestion de
l’innovation
3 L’usage réduit aux fonctions dans la conception réglée
4 L’innovation par l’usager : les limites de l’omni-concepteur
5 Le détournement d’usage légitimé : une conception qui reste mystérieuse
6 Des usages générateurs de biens aux biens génératifs d’usages
II Les biens comme espaces de conception : un nouveau cadre théorique pour la conception d’usages
1 Une axiomatique des biens et des usages : les biens comme espaces de conception
2 Propriétés statiques du modèle : réinterprétation des théories du consommateur et de l’usager-concepteur
3 Propriétés dynamiques du modèle : penser la conception collective d’usages
4 Variété des espaces de conception d’usage : les conditions de l’action collective
5 Conclusion : une théorie des biens comme espaces de conception d’usages
III Organiser l’action collective associée aux biens génératifs d’usages, un nouveau rôle pour la firme
1 Les difficultés de la gestion des biens génératifs d’usages : le cas de Fondue au Chocolat de Nestlé Dessert
2 Organiser une conception systématique des usages : le cas de l’iPhone et de l’iPad
3 Organiser la genèse des biens génératifs d’usages : le cas du compteur à scintillation liquide
4 Conclusion : sophistication des dispositifs et de l’ingénierie nécessaire à l’organisation de l’action collective de conception d’usages
Conclusion générale

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