Le rapport des élèves à l’Ecole : constats de départ
Partons tout d’abord de constats quant à la motivation – ou à la démotivation – des élèves à l’Ecole, constats observables par les professeurs dans les salles de classe, mais aussi étudiés par les didacticiens et les pédagogues, et plus généralement par les théoriciens de l’Education. Je m’appuierai dans cette partie sur mes propres observations lors de mon année de stage au lycée général et technologique Henri Bergson d’Angers, ainsi que sur les lectures que j’ai réalisées dans le cadre de ce mémoire et de ma deuxième année de Master MEEF Espagnol.
Quelques données observables
Décalage entre l’Ecole et la société : une nouvelle génération d’élèves
Tout d’abord, il convient de poser cette question de la motivation – ou plutôt, du manque de motivation – des élèves, dans le cadre de la société dans laquelle l’Ecole s’inscrit. En effet, il est impossible d’envisager de traiter le rapport des élèves à l’Ecole sans prendre en compte les grands enjeux sociétaux, ainsi que le milieu social auquel les élèves appartiennent.
Ce qui est constaté, notamment par les théoriciens de l’Education comme par exemple Michel Develay , c’est qu’il existe un décalage entre la société et l’Ecole tout d’abord, mais aussi un décalage entre le milieu social des élèves et l’Ecole. Nous sommes en effet, depuis quelques années déjà, dans une société de l’immédiat, du « zapping », ce qui a été renforcé avec l’apparition et la place grandissante de l’Internet et des nouvelles technologies dans nos vies. En effet, l’Internet offre une encyclopédie de savoirs à portée de main, où que l’on soit, et est capable de répondre à toutes nos questions, à n’importe quel moment. De son côté, l’Ecole a pour vocation de transmettre des savoirs sur le long terme, de préparer l’avenir des élèves – qui leur paraît à eux flou et lointain, j’y reviendrai plus tard. Dans ce contexte, il est alors facile de comprendre que les élèves ne perçoivent pas le sens et les objectifs de l’Ecole : ils sont préoccupés par leur présent et ont besoin de répondre à des questions immédiates, et des savoirs ou des savoir-faire qui pourraient, éventuellement, leur servir plus tard ne les intéressent généralement pas.
Maria-Alice Medioni développe cette idée en avançant que les élèves ont, pour la plupart, une conception « utilitariste » de l’Ecole et un « rapport marchand à la connaissance » . Ils se demandent ce que peuvent leur apporter sur le court terme les différents enseignements qui leur sont proposés, et s’ils n’y trouvent pas de sens ou d’utilité, faute de pouvoir zapper – ou de pouvoir ne pas assister au cours –, ils se désintéressent totalement et deviennent passifs, attendant que d’autres fassent le travail, car eux n’y voient pas d’intérêt.
Une autre explication que l’on pourrait apporter au manque de motivation des élèves à l’Ecole se situe dans l’hétérogénéité des publics accueillis en milieu scolaire. En effet, de plus en plus de jeunes arrivent au lycée, et de plus en plus se destinent vers un baccalauréat général – on peut donc aussi se poser la question de la bonne orientation des élèves. Les établissements scolaires ont, de fait, une hétérogénéité de plus en plus grande à gérer, et cette hétérogénéité, cette diversité, est perçue plus comme une difficulté supplémentaire que comme une opportunité. Le défi qui se pose à l’Ecole, dès lors, est le suivant : comment tirer profit de l’hétérogénéité des élèves et en et en faire une richesse ? Pour ce faire, il faut notamment que soient mises en place de nouvelles manières d’enseigner, afin d’accueillir et faire réussir un maximum d’élèves. Néanmoins, la question de l’hétérogénéité appelle d’autres problématiques qui, bien qu’intéressantes, ne seront pas développées ici, car il s’agit d’un autre sujet que celui de ce mémoire.
Les rapports qui se jouent au cœur de l’Ecole sont, comme on peut le constater, des rapports complexes. L’Ecole transmet des savoirs et des savoir-faire qui apparaissent pour les élèves – mais aussi parfois pour leurs parents – déconnectés de l’usage, de la pensée, et qui ne sont pas vécus au futur. Les enseignants font aujourd’hui face à une nouvelle génération d’élèves pour qui l’école n’a pas de résonnance sur le long terme : au mieux, leur objectif est d’avoir une bonne note – et nous savons que la motivation pour la bonne note n’est pas suffisante, car elle ne permet pas aux élèves de mettre en relation leurs apprentissages entre eux, et avec le monde qui les entoure. La société est en perpétuelle transformation, et ainsi, de plus en plus de personnes se réorientent, il n’est jamais trop tard, ils ne savent pas encore ce qu’ils veulent faire… Une des solutions peut être la suivante : au lieu de leur dire que les savoirs et savoir-faire que nous leur enseignons leur serviront plus tard, il faut leur démontrer que l’Ecole – et les apprentissages qui y sont mis en œuvre – leur ouvre le maximum de portes.
Manque de cohérence entre l’Ecole et le monde professionnel
L’Ecole est perçue comme abstraite pour les élèves, car la vie professionnelle leur paraît lointaine, mais aussi parce que l’Ecole n’a pas les mêmes méthodes d’enseignement et d’apprentissage que le milieu du travail. Le problème se situe donc ici dans une mauvaise articulation entre savoirs théoriques et savoirs pratiques. Les élèves, d’une part, savent de moins en moins « ce qu’ils veulent faire plus tard », et d’autre part, pensent que l’Ecole ne leur apporte pas de solutions sur leur orientation professionnelle. Pour la majorité d’entre eux, il existe d’un côté l’Ecole et son apport théorique, et de l’autre le monde du travail avec tous ses savoir-faire pratiques.
Les élèves ne perçoivent pas l’Ecole comme dispensant une formation au monde professionnel, mais le problème réside dans le fait qu’ils ne la perçoivent pas non plus comme un moyen de formation au développement personnel. De nombreux élèves, ainsi que leur famille, veulent de l’Ecole qu’elle soit un tremplin vers le monde du travail : ils ne se rendent pas forcément compte que l’Ecole est aussi le théâtre où vivent ensemble, où entrent en relation et où s’affirment des enfants et adolescents. Par conséquent, l’Ecole – et on l’oublie souvent – n’est pas seulement une porte d’entrée, un « avant » ou une préparation à la vie professionnelle.
Influence du milieu familial et social
L’Ecole, en plus d’être un lieu où sont dispensés des apprentissages et où sont construits des connaissances et des savoir-faire, est aussi – comme je l’ai dit quelques lignes plus haut – un endroit où des personnes se rencontrent, vivent ensemble et tissent des liens : les élèves entre eux, les personnels entre eux, mais aussi les élèves et les professeurs, et les parents et les professeurs. L’Ecole est par conséquent un lieu social où se rencontrent différents acteurs, qui ne viennent pas forcément du même milieu, qui n’ont pas forcément la même vision et les mêmes attentes quant aux finalités de l’Ecole ; par conséquent, elle est un lieu où les tensions sociales sont exacerbées.
Les élèves, de leur côté, ne comprennent pas les finalités de l’Ecole : ils ne perçoivent pas de cohérence entre les différents enseignements, et ne distinguent pas l’aspect éducatif et social derrière l’aspect purement disciplinaire. Ils ne se représentent le professeur que comme un expert dans sa discipline qui leur transmet des savoirs, mais n’ont pas nécessairement en tête qu’il incarne aussi des valeurs qui sont celles de l’Ecole, mais aussi plus largement, celles de la République. Ils ne voient pas nécessairement l’enseignant comme étant aussi un éducateur.
Par ailleurs, si les savoirs sont enseignés à l’Ecole – les savoirs scolaires –, il ne faut pas nier ni oublier l’importance du rapport de l’élève à sa culture, qui conditionnera son rapport au savoir en général et à la connaissance. Ce rapport de l’élève à sa culture est à envisager en prenant en compte le rapport plus large du milieu social d’appartenance de l’élève – sa famille, le groupe social auquel il appartient – à sa culture. En outre, le milieu social des élèves est une composante à prendre en compte dans la question de la motivation. Il apparaît clairement que tous les élèves ne sont pas égaux devant la relation de leurs parents ou de leur groupe social d’appartenance à l’Ecole : alors que certaines familles suivent leurs enfants, sont au courant de ce qu’ils font en classe, s’y intéressent voire s’impliquent à l’Ecole dans des instances telles que le conseil de classe, le conseil d’administration, etc. –, d’autres n’ont pas ce rapport au milieu scolaire – pour des raisons aussi diverses que l’appréhension et la crainte ou le désintérêt et l’incompréhension. Ici, il apparaît que les enfants issus de familles et de milieux sociaux qui adhèrent au milieu scolaire se plient plus facilement aux règles de l’Ecole, comprennent plus aisément ce qui s’y joue, que des enfants dont le milieu d’appartenance rejette l’Ecole. Pierre Bourdieu parle, à ce sujet, de « capital culturel » des élèves : ce capital tient pour beaucoup du milieu familial et social d’appartenance de l’élève, et cette notion permet d’expliquer, en partie, les inégalités dans la réussite scolaire selon les classes sociales et les milieux socioculturels d’appartenance des enfants.
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Table des matières
Introduction
1. Le rapport des élèves à l’Ecole : constats de départ
1.1. Quelques données observables
1.1.1. Décalage entre l’Ecole et la société : une nouvelle génération d’élèves
1.1.2. Manque de cohérence entre l’Ecole et le monde professionnel
1.1.3. Influence du milieu familial et social
1.1.4. La relation à la discipline et à l’enseignant, un facteur déterminant
1.2. Manifestations de ce rapport dans la classe
1.2.1. Elèves qui ne s’impliquent pas dans le cours
1.2.2. Elèves motivés par les activités d’apprentissage
1.2.3. Elèves démotivés par l’Ecole
2. Donner du sens à l’Ecole : permettre aux élèves de comprendre pourquoi « on fait ça »
2.1. Savoir ce qui motive les élèves
2.2. Donner du sens à l’Ecole : le travail de tous
2.2.1. L’importance du lien Ecole – maison
2.2.2. Donner un rôle aux élèves dans l’espace scolaire
2.2.3. Le travail collaboratif des équipes pédagogiques et éducatives
2.3. Motiver et donner du sens aux apprentissages dans la classe
2.3.1. La relation professeur-élève
2.3.2. Changer les a priori des élèves
2.3.3. Tirer profit de l’hétérogénéité des classes
3. La mise en activité des élèves en classe d’Espagnol : motiver les élèves en les rendant acteurs
3.1. La perspective actionnelle : rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages
3.1.1. La question de la motivation scolaire
3.1.2. Les changements apportés par la perspective actionnelle
3.1.3. La perspective actionnelle et le socioconstructivisme : motiver en faisant faire
3.2. La mise en activité des élèves en Espagnol : pistes de réflexion
3.2.1. Le statut de la LV2
3.2.2. Les premières heures de cours
3.2.3. Quelques démarches
Conclusion
Bibliographie
Annexes