Le B/Ca des foraminifères : de la difficulté de l’analyse
La mesure du bore présente plusieurs difficultés qu’il est essentiel de prendre en compte pour optimiser son analyse. Avant tout, le bore est un élément présent dans de nombreux matériaux, en plus ou moins grande concentration. Il est notamment présent dans les verres borosilicatés, qui sont extensivement employés en laboratoire pour leurs propriétés de résistance chimique et thermique. Cette particularité d’omniprésence du bore dans la plupart des matériaux oblige à la plus grande circonspection quant à la matière dont est composé le matériel servant à la mesure du B/Ca. Ainsi, afin d’éviter toute contamination due au matériel, pour la mesure du B/Ca dans les foraminifères nous avons choisi d’utiliser, tant pour le nettoyage que pour la mesure, des matériaux inertes vis-à-vis du bore, tels que les plastiques Téflon® PFA et FEP, ou le quartz en remplacement du verre (chambre de nébulisation de l’ICP-QMS). Du point de vue solutions, et notamment les solutions commerciales servant aux nettoyages ou utilisées pour préparer des solutions de calibration, le bore pose également problème. C’est en effet un élément relativement difficile à éliminer et les solutions commerciales, notamment la soude (NaOH), peuvent contenir des traces non négligeables de bore, d’autant plus qu’un grand nombre de ces solutions sont commercialisées dans des bouteilles en borosilicates. Nous avons donc utilisé essentiellement des réactifs concentrés de haute pureté, dilués dans de l’eau ultrapure (résistivité de 18.2 MΩ.m) obtenue à l’aide d’un purificateur Elga® Maxima avec de l’eau préalablement permutée sur une colonne Aquadem® PF210. Nous avons également limité la concentration des solutions pouvant présenter un risque du fait de la suspicion de présence de bore en quantité non négligeable dans ces solutions (voir section 3.2). Le bore est également un élément que l’on pourrait qualifier de « collant », c’est à dire ayant une très forte propension à adhérer aux parois. Il présente donc des propriétés d’effets mémoires élevées. Cette particularité se produit essentiellement dans les milieux neutres ou peu acides, le bore risquant ensuite d’être relargué et donc de contaminer les échantillons. Ainsi, pour éviter toute contamination, il est nécessaire d’adapter les concentrations des solutions servant à dissoudre l’échantillon lors du nettoyage (voir 3.2), mais également celles des solutions servant à rincer l’appareil de mesure. En effet, il apparaît plus efficace d’utiliser comme solution de rinçage un acide de haute pureté plus acide que la solution contenant l’échantillon afin de désorber plus de bore (voir section suivante). La facilité d’adsorption du bore pose également un autre problème au niveau de la mesure sur ICPMS: plus de temps est nécessaire pour stabiliser le signal en bore d’un échantillon, ce qui signifie une consommation importante de solution et donc une perte d’échantillon. De même, plus de temps est nécessaire pour le rinçage, afin de désorber le bore s’étant déposé sur les parois (capillaires, nébuliseur, chambre).
Principes de mesure et préparation de l’ICP-MS
En raison de la faible concentration des éléments traces dans la calcite des foraminifères, leur analyse requiert des appareils sensibles et précis capables de mesurer de quelques ng.L-1 à quelques µg.L-1. L’appareil adapté pour ce type de mesure est le spectromètre de masse, et plus précisément les spectromètres à torche à plasma (Inductively Coupled Plasma – Mass Spectrometer). Ces ICP-MS fonctionnent sur un principe simple: l’échantillon en solution est transformé en aérosol par un nébuliseur, puis transporté jusqu’à la source. La source est une torche à plasma, le plasma étant un gaz (l’argon) ionisé dont la température avoisine les 6000 à 8000 °K. Dans ce plasma, la matrice est vaporisée et les éléments traces sont atomisés ou ionisés. Dans le cas d’un ICP-MS à quadrupole (ICP-QMS), les différents éléments chimiques composant l’échantillon sont alors séparés selon leur rapport masse/charge (m/z) avant d’être comptés par un détecteur de type Multiplicateur d’électrons à dynodes discrètes: (Figure 16), tandis que dans un appareil de spectrométrie d’émission lumineuse à source plasma (ICP- AES pour Atomic Emission Spectroscopy) on détecte l’émission lumineuse produite par la désexcitation des éléments. Ces deux types d’appareil sont complémentaires : 1) l’ICP-AES présente une très bonne précision (~ 0.2-0.5 %) par exemple pour les métaux de transition ou les alcalino-terreux (ex : Mg/Ca) mais les limites de détection sont limitées à quelques ppb ; 2) l’ICP-QMS se caractérise par une gamme dynamique linéaire de plus de huit ordres de grandeur lui permettant de travailler aussi bien sur les éléments majeurs que sur les éléments traces. Les limites de détection atteintes sont inférieures au ppt pour de nombreux éléments du tableau périodique et les niveaux de précisions sont de l’ordre du % à quelques ‰. Les interférences spectrales limitent l’utilisation de l’ICP-QMS pour la quantification précise des éléments situés entre 40 et 80 u.m.a (métaux de transition l’ICP-QMS), mais ces dernières années le développement des « cellules collisions – réactions » a permis de remédier à cet inconvénient majeur. La spectrophotométrie d’émission atomique (ICP-AES) est une technique utilisée couramment pour la mesure du Mg/Ca des tests de foraminifères (e.g. Elderfield and Ganssen, 2000 ; de Villiers et al., 2002 ; Anand et al., 2003), mais la mesure précise du rapport B/Ca requiert une grande sensibilité, laquelle est obtenue sur ICP-QMS. Cette mesure présente deux difficultés majeures: l’effet de la matrice calcium qui nécessite de faire un compromis entre concentration en bore et précision de la mesure (Yu et al., 2005), et l’effet mémoire du bore de par son adsorption sur les parois. Yu et al. (2005) ont montré que la matrice calcium, c’est à dire la concentration en Ca de l’échantillon après dissolution, avait une forte influence sur la précision de la mesure d‘élément traces légers comme Li et Mg, ou plus lourds comme Zn ou U. Pour contrer cet effet de matrice, il est donc nécessaire que tous les échantillons, ainsi que les solutions de calibration et les standards, possèdent la même matrice calcium lors de la mesure d’éléments traces. Le niveau de présence à 100 ppm de calcium a été retenu pour tenir compte de l’effet de matrice car cela permet d’obtenir une bonne reproductibilité sur l’ensemble des éléments majeurs et traces sans dérive majeure liée par exemple à l’encrassement des cônes par des dépôts de Ca, tout en assurant des niveaux de concentration suffisant pour leur détection (Yu et al., 2005). Ainsi, chaque échantillon doit être mesuré deux fois : (i) une première fois pour déterminer le niveau initial de la concentration en Ca, et (ii) une seconde fois pour la mesure finale, précise du B/Ca et du Mg/Ca, une fois que la concentration en [Ca] a été ramenée autour de 100ppm par dilution de la solution initiale. Nous utilisons un ICP- AES Varian® Vista pour la mesure de la concentration initiale en Ca. L’usage de l’ICP-AES permet ainsi de disposer des concentrations en Ca des échantillons et de les diluer à 100 ppm avant même la fin des calibrations sur ICP-QMS. Un faible volume de la solution contenant l’échantillon dissous est dilué arbitrairement (~1/5) puis mesuré sur ICP-AES afin de déterminer sa concentration en calcium. La concentration de l’échantillon en calcium est alors ajustée à 100 ppm par dilution avant de mesurer les éléments traces sur ICP-QMS. Néanmoins, les relativement hautes valeurs de calcium posent un autre problème : l’encrassement progressif des cônes (figure 12, G et H) par dépôt de calcium, générant ainsi une perte de sensibilité lors de la mesure. Afin d’éviter une dérive excessive de l’ICP-QMS due à cet encrassage progressif, nous avons procédé à un conditionnement des cônes (Yu et al., 2005 ; Bourdin et al., 2011): préalablement à l’analyse, une solution à 100 ppm de calcium (issue du standard de calcite inorganique BAM) est introduite dans l’ICP-QMS pendant plusieurs heures (2 à 3). Cet encrassement volontaire permet de déposer un film de Ca relativement uniforme sur les cônes, prévenant ainsi toute dérive excessive par la suite. Les figures 10 et 11 montrent l’évolution des signaux du calcium et du lithium au cours de l’encrassage : le calcium montre au départ une perte de signal, puis le signal augmente ensuite au fur et à mesure de l’augmentation de saturation des cônes par le calcium avant que sa valeur ne se stabilise (figure 17). Dans le cas du lithium, présent en faible quantité dans le standard BAM, on observe une très forte décroissance au début de la phase d’encrassage et une stabilisation progressive du signal lorsque la durée d ‘encrassage augmente (Figure 18). Ainsi, malgré une perte de sensibilité sur certains éléments (notamment les légers), l’encrassage permet d’améliorer grandement la stabilité du signal, avec des dérives machine inférieures à 10% lors d’une session de mesure (une journée). Cet encrassage permet donc d’améliorer la reproductibilité des mesures. Les effets mémoire liés au bore pose également problème lors de la mesure, sa forte propension à adhérer aux parois pouvant générer un biais. L’analyse des éléments traces sur ICP-QMS se produit comme suit : le voltage appliqué dans le quadrupole (figure 12, J) varie continuellement, séparant ainsi les ions par leur rapport m/z, qui sont donc comptés les uns après les autres. Chaque balayage (sweep) de l’ensemble de la gamme m/z est reproduit plusieurs dizaines de fois (en moyenne 60 fois) pour obtenir une réplique (run), et plusieurs répliques (de 5 à 20) sont effectuées pour obtenir la mesure finale de chaque élément. Or, dans le cas du bore, les premières expériences ont montré une sous-estimation systématique du bore lors des 3 à 4 premiers runs, allant de -10% à -5% de la valeur moyenne finale. Cet écart sur les premiers runs, les suivants montrant des valeurs stables, est l’illustration de l’effet mémoire du bore : lors de la prise (uptake) d’échantillon, le bore se dépose d’abord sur les parois des capillaires, du nébuliseur et de la chambre, diminuant ainsi la concentration dans le nébulisat mesuré par le spectromètre de masse. Tandis que la solution continue d’être injectée dans la machine, on atteint progressivement une saturation pour le bore adsorbé sur les parois et la concentration en bore du nébulisat envoyé dans la torche plasma se stabilise (Table 1). Pour contrer cet effet mémoire, nous avons choisi d’allonger artificiellement le temps d’uptake sur l’appareil de mesure, ce qui permet de ne mesurer le bore qu’au moment où sa concentration est stable. Néanmoins, nous avons dû limiter cet allongement a une durée suffisamment courte pour ne pas risquer de perdre trop de solution d’échantillon, et afin de conserver un nombre de runs suffisant pour obtenir une bonne statistique de comptage et une bonne reproductibilité entre échantillons. Les premiers runs de chaque échantillon sont donc systématiquement vérifiés, et les runs présentant des valeurs faibles par rapport à l’ensemble de la mesure sont alors exclus (Table 1). L’effet mémoire ne joue pas uniquement sur les échantillons mais également sur les blancs. La figure 15 illustre l’évolution de la teneur en bore au cours de la phase de rinçage qui suit chaque échantillon : les concentrations en bore sont tout d’abord élevées, puis diminuent brusquement suite à l’ajout de l’acide de rinçage. Cet acide de rinçage, HNO3 0,5N, est cinq fois plus concentré que celui des échantillons et des blancs (0,1N) afin de permettre de désorber plus de bore. La figure 19 montre cet effet : après la brusque diminution du niveau de bore, on observe une légère augmentation puis une diminution très progressive du bore. Ce comportement s’explique par la désorption progressive du bore des parois sous l’effet de l’acide de rinçage. Ainsi nous avons également augmenté légèrement la durée du rinçage par rapport à nos premières mesures, le passant de 40 secondes à 50 secondes. Cependant, cet allongement du temps de rinçage s’est révélé insuffisant dans les cas particuliers de solutions plus concentrées en bore, notamment le standard JCp-1 : son rapport B/Ca atteint ~460µmol/mol, soit ~11.7ppb de bore en solution, comparativement aux moyennes de ~120 µmol/mol (~3.2ppb) et ~90 µmol/mol (~2.2 ppb) pour les espèces planctoniques G. ruber et G. sacculifer, respectivement, et une moyenne de ~200µmol/mol (5.2ppb) pour l’espèce de foraminifères benthiques C. wuellerstorfi. Les blancs suivant ces standards montrent systématiquement des teneurs en bore plus élevées. Ainsi, lors du passage de ce standard international JCp-1, nous avons donc choisi d’intercaler un blanc supplémentaire (voir section 2.1).
Impact d’une solution de nettoyage contaminée sur la mesure finale du B/Ca
Pour évaluer l’impact d’une contamination introduite accidentellement au cours de la phase de nettoyage par l’utilisation d’une solution contaminée, nous avons choisi d’introduire volontairement une pollution dans les dernières phases du nettoyage, c’est à dire soit le lavage à l’eau intercalé entre la phase oxydative (H2O2) et le leaching final, soit le leaching lui-même. Nous avons testé l’influence de cette pollution volontaire sur des tubes vides représentant le blanc de lavage, ainsi que sur une poudre d’un cristal de calcite extrêmement pure, le Spath d’Islande, qui ne contient pas de bore. Les échantillons ont été soumis à 2 types de pollution de concentrations différentes (1 ppb et 10 ppb de bore), à deux étapes différentes (avant et pendant le leaching) et en laissant ou non 10 à 20 µL de liquide dans le fond du tube, tel que cela est réalisé dans un nettoyage réel (pour éviter l’aspiration des fragments de foraminifères lors du micropipetage des solutions de nettoyage) (Figure 27). A la suite des pollutions, le nettoyage est poursuivi avec des solutions propres en bore. Dans le cas des tubes vides, le test de pollution volontaire a permis de mettre en évidence qu’il n’existe pas de différence notable entre les niveaux de bore mesurés dans ces tubes et celui mesuré dans des tubes issus du même batch non-soumis à une pollution volontaire, avec une valeur de blanc de l’ordre de 4000 cps dans les deux cas. De même, les résultats obtenus sur la poudre de cristal de Spath d’Islande (calcite pure) a montré des résultats similaires dans les différentes expériences, avec un niveau de bore ne dépassant pas les 5 µmol/mol (Figure 28), à l’exception d’un échantillon (I’) en raison de sa perte suite à une aspiration trop brutale, et donc de la perte de la matrice calcium (voir section 1.2 pour l’influence de la matrice). Ces valeurs de B/Ca sont de l’ordre de grandeur de la limite de détection calculée pour le B/Ca (voir section 1.3), et peuvent donc être considérées comme négligeables par rapport (1) aux échantillons et (2) aux variations que l’on souhaite observer. Nos tests montrent donc que, sous réserve que le nettoyage final à l’eau ultra-pure soit parfaitement exempt de toute pollution au bore, la contamination des micro-tubes et/ou de la calcite liée à l’utilisation d’une solution de nettoyage polluée au bore (tout au moins dans la limite maximale de 10 ppb de bore testée ici) ne conduit pas à une erreur significative sur la mesure finale du B/Ca. Il semble donc que l’adsorption accidentelle de bore sur les parois des micro-tubes et/ou sur la poudre de calcite reste donc minime pendant les quelques secondes des phases de nettoyage, lorsque la pollution au bore ne dépasse pas 10ppb (des pollutions plus sévères étant très improbables). Ceci nous permet donc d’avoir une bonne confiance dans le protocole de nettoyage, sous réserve, comme nous l’avons dit plus haut, que l’eau ultrapure utilisée dans le rinçage terminal soit, bien sûr, contienne des niveaux de bore en dessous du seuil de détection.
Conclusion et perspectives
L’objectif de ce sujet de thèse était d’utiliser un proxy récemment développé, le rapport B/Ca des foraminifères, dans le but de reconstruire certains aspects des variations du cycle du carbone dans l’océan au cours du temps. La quantification de ces variations peut permettre de mieux contraindre comment le cycle du carbone influe sur le climat, ainsi que le rôle de l’océan dans les grandes variations climatiques du Pléistocène supérieur. Au cours de cette thèse, je me suis attaché à répondre à cet objectif par le biais tout d’abord du développement de la méthode de mesure du rapport B/Ca sur les foraminifères planctoniques et benthiques au LSCE, puis par la calibration de ce proxy, et enfin par son application à la reconstruction des variations du pH des eaux de surface et de la variation du contenu en ions carbonates de l’océan profond. La première étape de mon travail a été de développer et tester la mesure du B/Ca des foraminifères. Cette mesure présente de nombreuses difficultés, liées à l’effet mémoire du bore, à sa faible concentration dans la calcite des foraminifères, et à la facilité relative avec laquelle les mesures peuvent être biaisées par des contaminations. A partir du protocole de nettoyage des foraminifères pour la mesure du Mg/Ca établi par Barker et al. (2003), et du protocole de mesure du B/Ca établi par Yu et al. (2005), nous avons développé un protocole de nettoyage spécifique à l’élément bore, ainsi qu’un protocole de mesure du B/Ca basé sur la spectrométrie de masse ICP-QMS couplée à une analyse préalable sur ICP-AES. Ces protocoles ont permis d’obtenir des mesures fiables car (i) exemptes de toute contamination, (ii) possédant une bonne reproductibilité de l’ordre de 3.5% pour le B/Ca et 1.5% pour le Mg/Ca. Dans un second temps, nous avons souhaité évaluer dans quelle mesure le rapport B/Ca de la calcite des foraminifères planctoniques peut être modifié au cours du processus de sédimentation, et influencer les reconstructions paléocéanographiques. Nous avons mis en évidence un fort effet de la dissolution sur le B/Ca de l’espèce Globigerinoides sacculifer, similaire à celui déjà mis en évidence pour le paléothermomètre Mg/Ca. Cet effet de la dissolution peut conduire à des biais sur les reconstructions des paleo-pH de surface de l’océan ; biais qui sont de l’ordre de grandeur de la variation de pH attendue au cours d’une transition glaciaire-interglaciaire. Néanmoins, le proxy B/Ca, appliqué cette fois aux foraminifères benthiques, nous a permis d’envisager une procédure permettant de corriger de l’effet de la dissolution le B/Ca des foraminifères planctoniques. La troisième étape de cette thèse a été de tenter d’établir une courbe de calibration du coefficient de partition KD, correspondant à l’incorporation du bore dans la calcite, pour l’espèce Globigerinoides ruber, ce coefficient permettant d’accéder à la reconstruction des paléo-pH des eaux de surface à partir du B/Cades foraminifères planctoniques. De telles calibrations ont déjà été publiées par plusieurs auteurs (Yu et al., 2007 ; Foster, 2008, Tripati et al., 2009), basées sur des approches bien différentes (i.e. calibration à partir de sommets de carottes et « downcore calibration »), mais leurs résultats sont contradictoires quant à l’influence de certains paramètres comme la température ou les concentrations en ion carbonate sur le KD. Plus récemment, Allen et Hönisch (2012) ont été jusqu’à mettre en doute la réelle possibilité de reconstruire les paléo-pH par l’utilisation du KD. Nous avons choisi de construire une calibration indépendante à partir de sommets de carottes provenant des trois grands bassins océaniques. Cette calibration a permis de mettre en évidence, pour les sédiments de l’Atlantique, des liens entre le KD et la température ou le [CO₃²⁻]. Ces relations sont similaires à celles mises en évidence par Foster (2008). Mais il se pose le problème de la forte covariance entre ces deux paramètres dans ce bassin océanique, qui ne permet pas de trancher sur lequel des deux exerce le contrôle le plus important sur le KD. Par ailleurs, les sommets de carottes issus des océans Indien et Pacifique ne suivent pas ces tendances, et possèdent des valeurs de KD bien plus élevées qu’attendues, dues essentiellement à de hautes valeurs de B/Ca. Cette tentative de calibration soulève donc de nombreuses questions quant à d’une part la réalité des droites de calibrations établies dans l’Atlantique, et d’autre part la raison des différences entre ces trois bassins. Nous évoquons plusieurs hypothèses, comme la présence de micro-algues symbiotiques ou le taux de croissance des foraminifères, qui peuvent potentiellement influer sur l’incorporation du bore dans la calcite et qu’il s’avèrera nécessaire d’investiguer pour mieux comprendre l’influence de l’environnement et/ou du microenvironnement sur le proxy B/Ca.Conscients des problèmes et des incertitudes qui demeurent sur la calibration du KD, nous avons souhaité évaluer l’impact que pouvaient avoir certains facteurs environnementaux (i.e. T, S) et l’utilisation de différentes calibrations du KD sur la reconstruction du paléo-pH des eaux de surface. Nous avons produit pour cela un enregistrement de B/Ca issu d’une carotte de sédiments marins provenant du Canal du Mozambique, et couvrant la dernière déglaciation. Nous avons ainsi pu clairement montrer que ces facteurs peuvent influer très significativement sur les estimations du paléo-pH, tant en termes d’évolution temporelle que de valeurs absolues. Afin de pousser plus avant cette analyse, nous avons effectué des tests de sensibilité en utilisant des KD différents et en faisant varier les paramètres nécessaires à la reconstruction du pH à partir du B/Ca, à savoir : la température, la salinité ou encore l’alcalinité. Il ressort de ces tests (i) qu’il est nécessaire (tout au moins au niveau du Canal du Mozambique) de corriger le Mg/Ca de l’effet de la salinité (Mathien-Bard et Bassinot, 2009) (la noncorrection du paléo-thermomètre Mg/Ca se traduit par des variations clairement erronées des paléosalinités de surface reconstruites) (ii) que les reconstructions de pH qui sont le plus fortement dépendantes du signal initial de B/Ca sont celles utilisant un KD invariant ou, mieux encore, décroissant avec la température (e.g. calibration proposée par Foster (2008) ou celle que nous avons nous même développée à partir des données de l’Atlantique), et(iii) que des phénomènes de « compensation » existent entre les effets de la température, de la salinité et de l’alcalinité et limitent de fait les amplitudes des valeurs de pH. Enfin, la dernière partie de ce travail a consisté à reconstruire les variations de la concentration en ion carbonate des eaux de fond de l’océan Pacifique Est tropical, par le biais de la mesure du B/Ca de l’espèce de foraminifère benthique C. wuellerstorfi. L’objectif de ce travail était de mieux contraindre le lien entre l’océan profond et la concentration en pCO2 atmosphérique au cours de deux transitions du Pléistocène supérieur, les transitions MIS 12/11 et MIS 16/15. Nous avons mis en évidence des niveaux de préservation/dissolution différents entre ces deux transitions, avec la présence de pics de préservation ayant lieu au début de chaque déglaciation. Nous avons également observé un déphasage entre proxies sédimentologiques et proxy B/Ca lors de la transition 12/11, mais pas lors de la transition 16/15, déphasage que nous attribuons à un changement de productivité de l’océan de surface. La reconstruction de la concentration en ion carbonate à partir du B/Ca a permis de mettre en évidence des amplitudes de variation de [CO₃²⁻] similaires à celles observées lors de la dernière déglaciation. Ces résultats suggèrent que le même phénomène, i.e. le dégazage de CO2 de l’océan Austral, est à l’origine des pics de préservation observés au cours de ces transitions.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : INTRODUCTION GENERALE
1. Le cycle du carbone dans l’océan
1.1. Le carbone inorganique dans l’eau de mer
1.2. Carbonate de calcium et saturation des carbonates
1.3. Sources et puits de carbone de l’océan
1.4. Compensation des carbonates
2. Traceurs géochimiques dans les biocarbonates marins
2.1. L’isotopie du carbone : δ¹³C
2.2. L’isotopie de l’oxygène : δ¹⁸O
2.3. Le paléothermomètre Mg/Ca
3. Un nouveau traceur géochimique : le rapport B/Ca
3.1. Le bore dans l’océan et dans les carbonates biogéniques
3.2. Le rapport B/Ca des foraminifères : un proxy pour le cycle du carbone dans l’océan
CHAPITRE II : DEVELOPPEMENT DE LA MESURE DU B/CA AU LSCE
Introduction
1. L’analyse du B/Ca sur spectromètre de masse ICP-QMS
1.1. Le B/Ca des foraminifères : de la difficulté de l’analyse
1.2. Principes de mesure et préparation de l’ICP-MS
1.3. Configuration finale de l’ICP-QMS et limite de détection
2. Mesure du B/Ca : blancs, calibration, standards et traitement de données
2.1. Blancs de mesure
2.2. Calibration en ratios, préparation de standards, reproductibilité
2.3. Traitement des données
3. Préparation des échantillons et intercomparaison avec le Godwyn Laboratory (Cambridge University)
3.1. Protocole de nettoyage : description
3.2. Influence des différentes étapes de lavage
3.3. Intercomparaison avec le Godwin Laboratory de Cambridge
CHAPITRE III : EFFET DE LA DISSOLUTION SUR LE B/CA DES FORAMINIFERES PLANCTONIQUES
Introduction
A. PUBLICATION: “A CORE-TOP STUDY OF DISSOLUTION EFFECT ON B/CA IN GLOBIGERINOIDES SACCULIFER FROM THE TROPICAL ATLANTIC: POTENTIAL BIAS FOR PALEO RECONSTRUCTION OF SEAWATER CARBONATE CHEMISTRY.”
1. Introduction
2. Material and methods
2.1. Site locations and hydrographic settings
2.2. Age control and foraminifer selection
2.3. Cleaning method
2.4. B/Ca and Mg/Ca analyses
3. Results
3.1. Profile of Mg/Ca versus water depth
3.2. B/Ca versus water depth profile
4. Discussion
4.1 Dissolution along the Sierra Leone Rise depth transect
4.2. Effect of dissolution on G. sacculifer B/Ca and Mg/Ca
4.3. Impact of dissolution-induced changes of B/Ca and Mg/Ca on pH reconstruction using G. sacculifer
4.4. A potential dissolution correction approach for planktonic foraminifer B/Ca?
5. Conclusion
B. ETABLISSEMENT D’UNE PROCEDURE POTENTIELLE DE CORRECTION DU B/CA
CHAPITRE IV : DU B/CA DES FORAMINIFERES PLANCTONIQUES AU PH DES EAUX DE SURFACE
Introduction
A. CORE TOP CALIBRATION OF THE PARTITION COEFFICIENT KD FOR BORON IN THE PLANKTONIC FORAMINIFER G. RUBER
Introduction
1. Material and methods
1.1. Sample selection
1.2. Oxygen isotopic analyses
1.3. Mg/Ca and B/Ca analyses
1.4. Temperature estimates
1.5. Hydrographic data
2. Results
2.1. Temperature and KD
2.2. Seawater carbonate ion [CO₃²⁻] and KD
3. Discussion
3.1 Comparison of our Atlantic data with other published core-top planktonic B/Ca
3.2 Why do the Indo-Pacific KD depart from the Atlantic data?
3.3. Core-top, culture and downcore calibrations
4. Conclusion
B. RECONSTRUCTION DU PH DES EAUX DE SURFACE AU COURS DE LA DERNIERE DEGLACIATION : APPLICATION A L’ETUDE DE LA CAROTTE MD79-257 (CANAL DU MOZAMBIQUE)
Introduction
1. Localisation de la carotte MD 79 257 et méthodologie
2. Résultats
2.1. Compositions isotopiques du carbone et de l’oxygène
2.2. Données de B/Ca et Mg/Ca obtenues sur G. ruber dans la carotte MD79-257
3. Discussion
3.1. Les différentes étapes de la reconstruction du paléo-pH des eaux de surface à partir du B/Ca mesuré sur foraminifères planctoniques
3.2. Reconstruction du paléo-pH au site MD 79-257 : impact de la calibration du paramètre KD
3.3. Effet de la température sur les paléo-pH reconstruits
3.4. Température, salinité, alcalinité, coefficient de partition : quelles valeurs pour quels paléo-pH?
3.5. Paleo-pH et pCO2
CHAPITRE V : RECONSTRUCTION DE LA VARIATION DE LA CONCENTRATION [CO₃²⁻] DES EAUX PROFONDES DU PACIFIQUE EST TROPICAL AU COURS DE DEUX DEGLACIATIONS DU PLEISTOCENE SUPERIEUR : TRANSITIONS MIS 12/11 ET MIS 16/15
Introduction
DEEP TROPICAL PACIFIC CARBONATE PRESERVATION CHANGES OVER GLACIAL-INTERGLACIAL TRANSITIONS MIS 12/11 AND MIS 16/15
1. Introduction
2. Material and methods
2.1. Oceanographic settings and presentation of ODP 849 site
2.2. Oxygen and carbon isotope measurements
2.3. The B/Ca ratio of benthic foraminifer shells
2.4. Sedimentological proxies of dissolution
3. Results
3.1. Oxygen and carbon isotopes
3.2. B/Ca results
3.3. Results for the qualitative preservation/dissolution proxies
4.Discussion
4.1. Comparison of sedimentological preservation records with benthic B/Ca across MIS 12/11 and MIS 16/15: what do these proxies actually record?
4.2. Age model for core ODP 849
4.3. Comparison of ODP 849 termination V and VII record with last deglaciation record
4.4. Quantification of CO₃²⁻ at terminations VII and V, comparison with the last deglaciation: conversion of the B/Ca signal to bottom water ΔCO₃²⁻ and [CO₃²⁻]
Conclusions
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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