Le rapport affectif au logement : concepts et notions indispensablesย
Pour mener ร bien ce travail, il est essentiel de comprendre et de sโapproprier certains concepts-clรฉs. Dans cette premiรจre partie les notions essentielles seront prรฉsentรฉes de maniรจre dรฉveloppรฉe, grรขce ร la lecture de travaux universitaires de recherche antรฉrieurs et de divers ouvrages et articles, notamment ceux de C. Younรจs, T. Paquot, D. Martouzet, M.Lussault, B. Bochet, M.Roncayolo et dโautres encore.
Petits rappels sur le rapport affectifย
Ce travail de recherche vise ร connaรฎtre les critรจres irrationnels liรฉs ร lโaffectif sur lesquels les mรฉnages se basent pour choisir leur logement, mais aussi sur la maniรจre de vivre leur logement et les espaces environnants sโy rapportant.
Avant toute chose, il semble indispensable de rappeler le postulat qui a รฉtรฉ รฉmis dans des travaux prรฉcรฉdents, selon lequel un individu est capable de crรฉer un lien affectif avec la ville. Nous pourrons mรชme aller plus loin en disant quโil est en mesure de crรฉer ce type de lien avec toutes sortes dโespace, quโil soit ville, quartier, espace de proximitรฉ ou logement, car ยซ le lieu ne se rรฉduit en aucun cas ร une enveloppe dรฉsaffectรฉe et inopรฉrante, il habite le corps en mรชme temps quโil se laisse habiter par lui ยป (J-P Thibaud, 2002, p.187). Cette citation montre bien ce lien โpositif ou nรฉgatifexistant entre lโindividu et le lieu ; lโun ne peut รชtre indรฉpendant de lโautre.
La rรฉflexion peut รชtre nourrie dโรฉlรฉments de constitution du rapport affectif ร la ville, grรขce aux travaux de recherche rรฉalisรฉs antรฉrieurement. Mรชme si ces travaux nโont pas รฉtรฉ rรฉalisรฉs ร la mรชme รฉchelle que ce travail, cette รฉtape est utile pour analyser le rapport affectif au quartier, aux espaces vรฉcus, voire au logement, puisquโelle peut fournir des informations intรฉressantes sur la construction de ce rapport et sur les paramรจtres qui peuvent influer dessus. Aprรจs sโรชtre appropriรฉ ce concept, il faudra faire des modifications si nรฉcessaire, pour que ce rapport affectif puisse se traduire ร lโรฉchelle du quartier ou de lโenvironnement proche du logement.
En effet, le rapport affectif ร la ville nโest pas forcรฉment le mรชme que celui au quartier ou au logement ; contrairement ร ce quโon pourrait penser, on ne pratique pas sa ville comme on pratique son quartier ou lโenvironnement proche de son logement, surtout dans les grandes villes ou ยซ connaรฎtre sa ville ยป est souvent un abus de langage ! Une personne peut affirmer connaรฎtre et aimer une grande ville, car elle y a passรฉ quelques jours en vacances : elle pourra avoir un rapport affectif ร cette ville, mรชme si elle nโen connait quโune infime partie. A lโinverse, lโhabitant dโun quartier donnรฉ a souvent usage des commoditรฉs de ce quartier, il connait souvent bien les espaces vรฉcus (endroits oรน il se dรฉplace frรฉquemment), il peut avoir un rapport affectif ร ce quartier, mais ce rapport nโest qualitativement pas le mรชme que le rapport ร la ville. Certains รฉlรฉments et concepts utilisรฉs et dรฉcrits dans les travaux relatifs au rapport affectif ร la ville pourront รชtre repris dans le cadre de ce travail, car ils sont applicables ร diffรฉrentes รฉchelles.
Pour justifier cette mรฉthode et ce cheminement, il paraรฎt bon de citer ici que ยซlโespace de proximitรฉ a une fonction particuliรจre pour lโappropriation de la ville. Nous mettons lโaccent sur lโespace vรฉcu, la dรฉfinition subjective du quartier, de ces caractรฉristiques physiques et sociales qui permettent ร lโindividu de se sentir chez luiยป (K. Noschis, 1984). Rapport affectif ร la ville et rapport affectif ร des espaces plus restreints existent donc tous deux et il est primordial de considรฉrer le rapport affectif entre individu et espaces vรฉcus. Il faut maintenant essayer de dรฉlimiter ce quโest lโaffectif, afin dโaffiner la recherche.
Affectif et irrationnel, quelle diffรฉrence ?ย
Il a รฉtรฉ choisi de travailler uniquement sur les critรจres affectifs, catรฉgorie de critรจres qui relรจve nรฉanmoins de lโirrationnel, cโest pourquoi il est important dโexpliquer les distinctions entre affectif et irrationnel.
Il faut tout dโabord savoir que lโirrationnel ne reprรฉsente quโune partie des critรจres intervenants dans le choix dโun logement : lโautre partie correspondant aux critรจres rationnels. Ces deux catรฉgories sont aussi appelรฉes respectivement ยซ paramรจtres subjectifs ยป et ยซ paramรจtres objectifs ยป ; dans le secteur de lโimmobilier de logement, comme dans bien dโautres secteurs dโailleurs, ces paramรจtres sont facilement identifiables et sรฉparables. Les premiers correspondent au choix dโun logement selon des critรจres tels que le prix ou la surface du bien, alors que les seconds ont plus rapport ร lโaffectif et ร lโรฉmotionnel, comme par exemple le fait dโaimer le logement ou lโendroit oรน lโon va habiter ; cela peut aussi se caractรฉriser par ยซ le coup de cลur ยป. Le choix dโun logement peut reposer soit sur des critรจres irrationnels, soit sur des critรจres rationnels, ou alors sur les deux ร la fois.
Pour distinguer affectif et irrationnel, il est maintenant nรฉcessaire dโaller plus loin, afin de voir ce que recouvre exactement le concept ยซ affectif ยป. Souvent assimilรฉes ร la mรชme chose, ces deux notions sont en rรฉalitรฉ bien distinctes. En effet, une action peut รชtre irrationnelle et lโanalyse montre que la cause de lโirrationalitรฉ est dโordre affectif, mais elle peut aussi รชtre dโune autre nature, comme le montre le schรฉma suivant. Ce qui est dโordre affectif est forcรฉment irrationnel, mais la rรฉciproque nโest pas vraie. Voici donc un schรฉma permettant de distinguer et de mettre en รฉvidence le lien existant entre irrationnel et affectif.
Lโirrationnel regroupe lโaffectif et le transcendantal qui peuvent eux-mรชmes รชtre divisรฉs en sous-domaines.
Lโaffectif peut รชtre considรฉrรฉ comme la somme de quatre paramรจtres. Lโintuition, si elle est bonne, peut avoir une influence sur le rapport affectif entre lโindividu et le logement. ยซ Il sโagit dโun mode de connaissance immรฉdiat ne faisant pas appel ร la raison. Une intuition n’est pas infรฉrentielle: elle n’est jamais la conclusion d’un raisonnement. Elle prend la forme d’un sentiment d’รฉvidence quant ร la vรฉritรฉ ou la faussetรฉ d’une proposition, qu’on ne peut pas toujours justifier. On parlera ainsi d’intuition pour dรฉsigner une proposition proto-thรฉorique (proto = tout premier) concernant un sujet quelconque. On aura par exemple l’intuition quโaction est juste, sans savoir pourquoi elle lโest ยป (Wikipรฉdia). Lโintuition peut par exemple amener un individu ร pressentir que tel ou tel logement est certainement celui quโil lui faut.
Lโatmosphรจre que dรฉgage lโenvironnement ou le logement lui-mรชme est aussi ร prendre en compte, dโautant quโelle est fortement liรฉe au ressenti de lโindividu. Ce ressenti pourrait peut-รชtre mรชme รชtre perรงu comme la dimension humaine de lโatmosphรจre qui elle serait ยซ objective ยป. Selon B. Bochet (2007), il existe des ยซvaleurs de caractรจre ยป et des ยซ valeurs humaines ยป. ยซ Les premiรจres sont les qualitรฉs morales de la ville, cโest-ร -dire le caractรจre gai ou triste que dรฉgage la ville ; quant aux valeurs humaines, elles concernent lโambiance sociale, ainsi que la mentalitรฉ des habitants ยป. Ces deux catรฉgories de valeurs semblent correspondre ร ce que nous avons appelรฉ ยซ atmosphรจre ยป dans notre schรฉma. Lโatmosphรจre a aussi รฉtรฉ dรฉfinie comme ยซ certaines qualitรฉs environnementales des environs immรฉdiats du logement qui semble favoriser des rapports satisfaisants ร ce tissu urbain et la construction du chez-soi ยป (Sheets & Manzer, 1991). Cette notion renferme les attributs physiques de lโenvironnement, mais aussi des dimensions sociales telles lโhomogรฉnรฉitรฉ de la population ou le rรฉseau dโรฉtayage social.
Considรฉrons par exemple un individu qui visite un logement dans un quartier agrรฉable, avec des espaces verts, des commerces, il pourra apprรฉcier lโatmosphรจre, le caractรจre vivant qui se dรฉgage de toutes ces commoditรฉs, ainsi que lโambiance sociale : son ressenti sera plutรดt bon. Enfin prenons un individu qui a passรฉ une enfance, dont il garde de bons souvenirs, dans un quartier ou environnement donnรฉ, il aura plaisir ร revenir en ces lieux, puisquโil y est attachรฉ affectivement de par son vรฉcu. Le vรฉcu peut donc dans certains cas permettre de dรฉvelopper un rapport affectif fort.
Amรฉnitรฉs โ Urbanitรฉ โ Civilitรฉ – Lisibilitรฉ, catรฉgories de dรฉterminants du rapport affectif ร la villeย
Dans un travail relatif au rapport affectif ร la ville datant de 2000, B. Bochet a mis en รฉvidence trois catรฉgories de dรฉterminants du rapport affectif ร la ville, ร savoir les amรฉnitรฉs, lโurbanitรฉ et la civilitรฉ.
Amรฉnitรฉs
Le terme dโamรฉnitรฉs correspond ร ยซ lโensemble des facilitรฉs offertes par la ville et des aspects concrets et matรฉriels de celle-ci et les consรฉquences qui en dรฉcoulent ยป (B. Bochet, 2000, p.13). Ce qui signifie que les amรฉnitรฉs recouvrent une multiplicitรฉ dโรฉquipements, de structures, de rรฉseaux. Elles peuvent dรฉsigner les รฉquipements collectifs dโune ville, ses agrรฉments matรฉriels, mais il sโagit aussi des avantages individuels et collectifs que crรฉe la ville dans le but de maximiser les รฉchanges sociaux. Au sens รฉlargi, les amรฉnitรฉs peuvent donc regrouper รฉgalement des bรขtiments vouรฉs ร des utilitรฉs diverses, des rรฉseaux, telles les routes, les commerces, les services et tout ce qui permet de favoriser les relations sociales et la qualitรฉ de vie dโune ville ou dโun quartier. Les amรฉnitรฉs reprรฉsentent donc lโensemble de ce que propose la ville ร lโhabitant ; il ne faut pas oublier de dire quโelles peuvent aussi bien รชtre positives (รฉquipements qui agrรฉmentent un endroit : square, rives paysagรฉes, parterres fleuris) que nรฉgatives (bรขtis mal entretenus, murs taguรฉs, rues sales).
Lโinfluence de ces amรฉnitรฉs sur le rapport affectif des individus ร leur logement et ร son environnement devra donc รชtre prise en compte. On peut aimer certains espaces parce quโils prรฉsentent certaines commoditรฉs, mais on peut aussi se tenir ร lโรฉcart de certains lieux prรฉsentant des amรฉnitรฉs nรฉgatives. Les amรฉnitรฉs peuvent mรชme รชtre ร lโorigine de ce que B. Bochet a appelรฉ lโurbanitรฉ. Voyons comment elle peut รชtre dรฉfinie.
Lโurbanitรฉ
Lโurbanitรฉ est ยซ lโensemble des liens sociaux qui existent ou qui se crรฉent dans la ville ยป (B. Bochet, 2000, p.19). Selon les sources, les dรฉfinitions de lโurbanitรฉ sont variables : ยซ politesse, de lโaffabilitรฉ que donne lโusage du monde ยป (Acadรฉmie Franรงaise), ยซ ce sont les qualitรฉs quโest censรฉ possรฉder un homme de la ville, par opposition aux habitants de la campagne, jugรฉs plus rustres ยป (Wikipรฉdia). Les dรฉfinitions donnรฉes dans ces sources, lโurbanitรฉ correspond en fait ร ce qui est dรฉfini plus loin comme civilitรฉ. B. Bochet (2000) est allรฉe plus loin dans sa dรฉfinition, en disant quโil sโagit des interactions crรฉes par la ville, ยซ ร travers par exemple les contacts, les regards, les relations, la promiscuitรฉ, les rencontres, les nombreuses occasions, les croisementsโฆ ยป. Voilร comment les amรฉnitรฉs peuvent รชtre ร lโorigine de lโurbanitรฉ ; en effet, elles constituent un des vecteurs des relations sociales entre les individus, puisquโil sโagit de lieux oรน les personnes se croisent, se parlent, se rencontrent etc.
La civilitรฉ
Une autre catรฉgorie de dรฉterminants du rapport affectif est la civilitรฉ ; il sโagit en fait de ยซ lโobservation des convenances, des bonnes maniรจres en usage dans un groupe social ยป (F. Guyomard, 2005, p.6, reprenant les travaux de B. Bochet et de J-B. Racine). Il faut noter que cette dรฉfinition correspond aussi ร celle de lโurbanitรฉ dans les dictionnaires courants. Selon les lieux, selon les pays, les villes ou les quartiers, ou mรชme selon la catรฉgorie de population, il existe des codes plus ou moins explicites, des maniรจres de se comporter etc. En rรจgle gรฉnรฉrale, la civilitรฉ cโest รชtre poli, รชtre courtois, savoir gรฉrer les rapports sociaux avec les autres personnes, afin de se sentir intรฉgrรฉ, mais aussi pour รชtre acceptรฉ par autrui.
Pour rapprocher cela de notre travail de recherche, il est bon de noter que la civilitรฉ rรฉgit souvent la vie dโun quartier et le rapport affectif aux espaces que peuvent avoir les habitants. Le concept de civilitรฉ peut soit recouvrir uniquement les rรจgles de politesse de base, soit prendre aussi en compte les codes de bonne conduite qui, lorsquโils existent, sont souvent bien spรฉcifiques ร une ville ou ร un quartier. Or, les rรจgles, us et coutumes de chaque individu peuvent largement varier, selon lโรฉducation, le milieu social, la religion etc et ce indรฉpendamment du lieu oรน ils se trouvent. Le non respect de la civilitรฉ ou lโinadรฉquation entre les rรจgles de vie des diffรฉrents individus dans certains lieux peuvent modifier le rapport affectif aux espaces que les individus sont susceptibles dโavoir. Pour illustrer ce dernier propos, nous pouvons citer lโexemple de la vie dans un immeuble oรน certaines personnes ne respectent pas toujours les rรจgles : tapage nocturne, dรฉgradation du bรขtimentโฆ ces mauvaises conduites sont souvent ร la base des mรฉsententes entre les habitants et cela peut engendrer un sentiment de mal-รชtre chez certaines personnes et crรฉer un rapport affectif nรฉgatif.
|
Table des matiรจres
INTRO
PARTIE I PRESENTATION DU SUJET DE RECHERCHE ET ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
1. LE RAPPORT AFFECTIF AU LOGEMENT : CONCEPTS ET NOTIONS INDISPENSABLES
2. OBJET DE LA RECHERCHE
PARTIE II PRESENTATION DE LA METHODE DE RECHERCHE
1. PRESENTATION SUCCINCTE DES DIVERSES METHODES DE RECHERCHE
2. LE QUESTIONNAIRE : INTERMEDIAIRE IDEAL POUR OBTENIR DES ENTRETIENS
3. ENTRETIEN SEMI-DIRECTIF : METHODE DE RECUEIL DโINFORMATIONS QUALITATIVEMENT ET
QUANTITATIVEMENT RICHES
PARTIE III ANALYSE DES RESULTATS
1. ANALYSE DES QUESTIONNAIRES
2. ANALYSE THEMATIQUE DES ENTRETIENS
3. RECONNAISSANCES DE CERTAINES CATEGORIES DE LโHABITANT DU QUARTIER
4. CRITIQUE DE LโECHANTILLON INTERVIEWE
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
Tรฉlรฉcharger le rapport complet