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Rappels
Généralités sur les troubles constitutionnels de l’hémostase
Les troubles constitutionnels de l’hémostase sont nombreux. Les deux troubles les plus fréquents sont la maladie de Willebrand et l’hémophilie.
La maladie de Willebrand, anomalie de l’hémostase primaire, se transmet sur un mode autosomal, généralement dominant. Elle est liée à une anomalie soit quantitative, soit qualitative, du facteur Willebrand (VWF). Comme pour toutes les anomalies de l’hémostase primaire, la symptomatologie hémorragique est essentiellement cutanéomuqueuse : hémorragies muqueuses (épistaxis, gingivorragies, ménorragies, hémorragies gastro-intestinales) et cutanées (ecchymoses).
L’hémophilie A et B sont héréditaires et transmises selon un mécanisme récessif lié au chromosome X. Par conséquent, les cas d’hémophilie sévère sont rares chez les femmes, mais les conductrices à taux bas sont relativement nombreuses appelées « femmes hémophiles ». Cette maladie hémorragique chronique de la coagulation présente plusieurs niveaux de sévérité selon l’importance du déficit en facteur de coagulation. Il s’agit de la plus fréquente des pathologies hémorragiques de la coagulation, dans le cadre de laquelle les accidents hémorragiques touchent plus particulièrement les articulations et les muscles.
Chez l’enfant hémophile, la chute des dents de laits est en règle générale peu hémorragique, mais les morsures de langue ou les traumatismes du frein de langue et de la joue sont fréquemment responsables d’hémorragies intrabuccales.
Les autres maladies hémorragiques, plus rares sont :
– les déficits en facteurs de la coagulation autres que Facteurs VIII et FIX (tableau 1)
– les thrombopathies constitutionnelles, classées selon la localisation du défaut fonctionnel (pathologies des récepteurs glycoprotéiques et pathologies sécrétoires) (tableau 2).
Epidémiologie
La maladie de Willebrand est la plus fréquente des anomalies constitutionnelles de l’hémostase primaire avec une prévalence estimée dans la population générale à 1%. La prévalence des sujets symptomatiques serait de 1 pour 10 000, donc assez voisine de celle de l’hémophilie A ou B.
L’hémophilie est la plus fréquente des maladies hémorragiques graves :
– l’hémophilie A est due à un déficit en facteur VIII. Elle touche environ 1 naissance sur 5000 enfants de sexe masculin.
– l’hémophilie B correspond à un déficit en facteur IX. Son incidence et de 1 sur 30 000 enfants de sexe masculin.
Physiopathologie
Le VWF est une glycoprotéine multimérique, circulant complexée avec le facteur VIII ; sa taille est régulée par une métalloprotéinase, l’ADAMTS13 (A Disintegrin And Metalloprotease with ThromboSpondin Type 1 repeats, 13e membre). Le VWF est synthétisé dans les cellules endothéliales et les mégacaryocytes par un gène situé sur le bras court du chromosome 12. Le VWF est soit sécrété directement dans le plasma et la matrice sous-endothéliale soit stocké dans les corps de Weibel Palade des cellules endothéliales et les granules α des plaquettes. Le VWF constitue une sorte de ciment entre le sous-endothélium et les plaquettes auxquelles il se lie par l’intermédiaire des glycoprotéines Ib et Ib/IIIa (GPIb et GP IIb/IIIa). Pour exercer ce rôle, le VWF change de forme et s’allonge, ce qui lui permet d’augmenter le nombre de sites de liaison aux plaquettes [5]. Le collagène du sous-endothélium joue également un rôle important dans l’adhésion plaquettaire en se fixant à des glycoprotéines plaquettaires (notamment la GPVI) et au VWF.
Les glycoprotéines llb/llla changent de conformation lors de l’activation plaquettaire et cette modification permet la fixation du fibrinogène en présence de calcium et l’agrégation. Celle-ci repose donc sur l’interaction des plaquettes entre elles, médiée essentiellement par le fibrinogène qui crée un thrombus initial, lequel sera consolidé ensuite par la coagulation et la formation de la fibrine.
Les facteurs de coagulation sont des proenzymes, toutes synthétisées par le foie. Ils circulent sous forme non active. Ainsi, le FVII (ou proconvertine) et le FII (ou prothrombine) sont des proenzymes qui sont transformées, lors de l’activation de la coagulation, en formes actives : FVlla (ou convertine) et FIIa (ou thrombine). Chaque facteur à l’état activé peut soit activer un autre facteur, soit intervenir différemment dans une étape de la coagulation. Seuls deux facteurs ne sont pas des proenzymes : le FV et le FVIII, mais ils doivent néanmoins préalablement être activés par la thrombine, afin d’exercer un rôle de cofacteur pour les enzymes que sont le FXa et le FIXa, respectivement. Quatre facteurs de la coagulation (FII, FVII, F IX et FX) et deux inhibiteurs (protéine C et protéine S : PC et PS) nécessitent la présence de la vitamine K pour être synthétisés sous forme active pouvant alors se fixer aux phospholipides en présence de calcium [6].
Gravité et traitement
Il existe une très grande hétérogénéité dans l’expression clinique et biologique de la maladie de Willebrand. Il existe trois grands groupes de maladie de Willebrand, avec de plusieurs sous-types : caractérisation du type et du sous-type (tableau 3) :
– type 1 (déficit quantitatif partiel en VWF) ;
– type 2 (anomalie qualitative et plusieurs sous-types)
– type 3 (déficit quantitatif total)
La régulation de la synthèse du VWF fait intervenir des mécanismes complexes influencés par des facteurs environnementaux et des facteurs génétiques. Tout ceci explique la pénétrance incomplète de la maladie de Willebrand et la grande variabilité du phénotype clinique et biologique, particulièrement dans le type 1. Les facteurs environnementaux sont essentiellement l’âge, le stress, un syndrome inflammatoire, qui entraînent des augmentations des taux de VWF. Les sujets de groupe sanguin O ont par exemple des taux plasmatiques de VWF 25 à 35% plus faibles que ceux des sujets non O. Il existe également des facteurs hormonaux : le taux de VWF s’élève physiologiquement à partir du 2e trimestre de grossesse. En pathologie, au cours de certaines affections chroniques (hyperthyroïdie, insuffisance rénale, diabète, insuffisance hépatique, néoplasie), il existe une variation qui peut être importante des taux de VWF.
Le traitement de la maladie de Willebrand est celui des accidents hémorragiques ou de leur prévention. Le choix thérapeutique est guidé par la caractérisation du type et du sous-type. Dans la majorité des cas, la symptomatologie dans la vie courante est modérée et le traitement ne sera nécessaire que lors d’un traumatisme important ou d’un acte chirurgical. Le traitement est avant tout préventif. Il passe par une bonne information et une éducation du patient sur ses risques hémorragiques, sur le fait que tout traitement susceptible d’accroître le risque hémorragique (antiagrégants plaquettaires, dérivés salicylés, anti-inflammatoires non stéroïdiens) doit être évité ou soigneusement discuté et que tout geste invasif doit être discuté.
En cas de saignement, des solutions simples à mettre en œuvre qui dépendent du site du saignement sont parfois suffisantes : compression locale, méchage (épistaxis), colle biologique après avulsion dentaire, traitement hormonal pour ménorragies par exemple. Les manifestations cliniques peuvent être soit spontanées, soit provoquées par un traumatisme (avulsion dentaire ou autre acte chirurgical) même minime. A l’inverse de l’hémophilie, les hématomes (sous-cutanés profonds ou intra-musculaires) et les hémarthroses sont rares sauf pour les formes sévères de la maladie.
Dans tous les cas et surtout en cas de maladie de Willebrand de type 2 ou 3, un suivi dans un centre spécialisé doit être proposé pour une prise en charge thérapeutique, une information du patient et l’établissement d’une carte de maladie de Willebrand.
Cette carte précise les caractéristiques de la maladie, les résultats biologiques, les résultats de l’épreuve thérapeutique à la dDAVP, ou Desmopressine, et les traitements à utiliser en cas de besoin.
Pour la maladie de Willebrand, l’objectif du traitement préventif ou curatif est de corriger les anomalies de l’hémostase primaire soit par mobilisation des réserves endogènes par la Desmopressine d’efficacité variable en fonction du type de déficit en Willebrand et de la sévérité, soit par un apport de VWF exogène (Wilfactin®) associé éventuellement à du FVIII exogène (Wilstart®, Voncento®, Eqwilate®) sous forme de concentrés plasmatiques en cas d’inefficacité ou de contre-indication à la Desmopressine (tableau 4). Depuis janvier 2019, un concentré de facteur Von Willebrand pur d’origine recombinante (Veyvondi®) est également disponible en France. Concernant l’hémophilie, l’importance de la tendance hémorragique est globalement corrélée au taux du facteur de coagulation déficitaire dans le plasma. A taux identiques, les déficits en FVIII s’expriment de façon similaire à ceux en FIX. De plus, dans une même famille, la sévérité du déficit est identique d’un membre à l’autre de la famille. Elle ne se modifie pas au cours du temps. Dans la forme sévère (qui représente environ 40% des cas), le taux plasmatique du FVIII ou du FIX est inférieur à 1% (soit 1 U/dL). Concernant l’hémophilie modérée, ce taux est compris entre 1 et 5%. Dans les formes mineures, il se situe entre 6 et 40%.
Les femmes conductrices peuvent être symptomatiques si elles présentent un taux de FVIII plasmatique abaissé en dessous de la valeur médiane théorique de 50%.
Plusieurs produits antihémophiliques sont disponibles sur le marché français. Ils sont soit purifiés à partir du plasma humain, soit élaborés par génie génétique. Ils sont uniquement disponibles dans les pharmacies hospitalières, et sont soumis à des règles de prescription particulières. On utilise toujours un traitement visant à substituer la molécule manquante dans l’organisme, FVIII chez l’hémophile A et FIX chez l’hémophile B, en l’absence d’anticorps inhibiteur spécifique anti-facteur. Les deux critères principaux de choix des médicaments sont la sécurité et l’efficacité.
En ce qui concerne la sécurité, l’absence de transmission d’agents infectieux est bien sûr au premier plan. Depuis l’introduction des méthodes d’inactivation et d’élimination virales, aucune transmission, par les médicaments dérivés du plasma humain, d’un virus enveloppé (hépatite B, C ou VIH) n’a été documentée. Les facteurs produits par génie génétique visent progressivement à l’élimination de tous les composés humains ou animaux présents dans leur mode de fabrication. L’efficacité est aussi un critère majeur d’évaluation des produits antihémophiliques. Sur le plan de la pharmacocinétique, il existe des concentrés de FVIII et de FIX à durée de vie standard qui sont d’origine plasmatique ou recombinante. A l’heure actuelle, des produits recombinants à durée de vie prolongée font progressivement leur apparition. En particulier, pour le FIX, les bénéfices sont très importants, avec une demi-vie multipliée par 3 environ, permettant ainsi une meilleure protection vis-à-vis du risque hémorragique et un allègement des schémas d’injection prophylactique chez les patients hémophiles B.
L’apparition d’anticorps spécifique anti-FVIII modifie le schéma habituel de traitement. C’est une complication redoutée du traitement de l’hémophilie. On tente si possible de faire disparaître l’inhibiteur au moyen d’un protocole d’induction de tolérance immune.
En cas d’hémorragie ou de chirurgie, on a recours à d’autres facteurs de la coagulation appelés agent « by passant ».
Il convient également de signaler que la Desmopressine est utilisée quand cela est possible en première intention chez l’hémophile A mineur après évaluation par un test thérapeutique. Elle n’est pas utilisable chez l’hémophile B (tableau 4) [7].
Etat actuel des connaissances
A titre indicatif, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) rapporte en 2013 que l’indice carieux (nombre moyen de dents cariées, avulsées ou obturées par enfant, indice CAO1) en France est passé de 4,2 en 1987 à 1,2 en 2006 chez les enfants âgés de 12 ans. Quant à la part des enfants indemnes de caries, elle a augmenté de 12 % à 56 % au cours de la même période [8].
Les patients ayant un trouble constitutionnel de l’hémostase semblent constituer une population où l’incidence des pathologies dentaires est plus élevée, sans doute liées
à un déficit d’hygiène bucco-dentaire, par crainte du risque hémorragique bien qu’aucune étude épidémiologique ne l’établisse de façon formelle à notre connaissance. Au contraire, un suivi est indispensable dès l’enfance afin d’éviter les actes de chirurgie orale, qui eux, sont à risque hémorragique et doivent être encadrés. 29
Concernant la prise en charge des patients ayant un trouble constitutionnel de l’hémostase en chirurgie orale :
– au niveau national : les recommandations de la Commission Médicale pour l’Étude et le Traitement des Maladies Hémorragiques Constitutionnelles COMETH 1997 (annexe 3) et du Protocole National de Diagnostic et de Soins de la maladie de Willebrand de 2018 (annexe 4) servent de trame aux hématologues du CHU de Rouen pour établir leurs protocoles. Basées sur l’expérience de chacun et sur les données de la littérature, elles sont destinées à aider les praticiens à encadrer ces diverses situations. La société francophone de médecine buccale et de chirurgie buccale a établi en 2005 des recommandations [1] dont toutes sont de faible niveau de preuve scientifique (grade C, ANAES 2000) et une de grade B (présomption scientifique), selon laquelle il faut procéder par hémi arcade pour les avulsions multiples.
– au niveau international, des lignes de conduites ont été établies pour les patients hémophiles par la Fédération Mondiale de l’Hémophilie en 2012 (annexe 2)
Les protocoles peuvent donc différer selon les établissements [2-4]. La plupart des protocoles associent un traitement par desmopressine ou traitement substitutif, un traitement antifibrinolytique et des mesures d’hémostase locales. Actuellement, on tend à une réduction du traitement substitutif.
La littérature est pauvre concernant les autres affections : déficit en facteur V |9], facteur VII [10], facteur XIII [11], déficits combinés [12] syndrome de Hermansky Pudlak [13], thrombasthénie de Glanzmann [14].
Matériels et méthodes
Patients
Cette étude de cohorte rétrospective incluait tous les patients ayant un trouble constitutionnel de l’hémostase, pris en charge dans notre service avec un protocole établi par le service d’hématologie de notre hôpital pour un geste de chirurgie orale entre janvier 2006 et décembre 2018.
Les patients ont été inclus à partir de classeurs regroupant l’intégralité des protocoles établis par le service d’hématologie pour les patients atteints d’un trouble constitutionnel de l’hémostase. Les actes chirurgicaux concernant les autres spécialités ainsi que ceux qui concernent des patients atteints d’un trouble acquis de l’hémostase n’ont pas été inclus.
Les critères d’inclusion étaient :
– l’existence d’un trouble constitutionnel de l’hémostase (Hémophilie A et B, les déficits en facteurs de la coagulation autres que Facteurs VIII et FIX, la maladie de Willebrand, les thrombopathies constitutionnelles)
– la réalisation d’un geste de chirurgie orale
Ces actes de chirurgie orale comprenaient : les avulsions dentaires simples ou multiples, localisées à un sextant ou étendues à plusieurs quadrants, les avulsions de dents de sagesse et de dents incluses, les drainages d’abcès d’origine dentaire par voie intrabuccale, les exérèses de kystes des mâchoires, la pose d’implants unitaire ou multiples, les greffes tissulaires.
Les critères d’exclusion étaient :
– un trouble acquis de l’hémostase
– un geste sortant du champ de la chirurgie orale
– un acte réalisé hors CHU
– un acte finalement non réalisé
En consultant les dossiers papiers et informatiques des patients, nous avons remarqué la réalisation chez des patients ayant un trouble constitutionnel de l’hémostase d’actes pour lesquels il n’y avait pas eu de demande de protocole au CRC-MHC et donc non répertoriés dans les classeurs. Ces gestes n’ont pas été inclus car ils ne respectaient pas la procédure habituelle.
Protocole
Les dossiers médicaux informatiques puis papiers des patients ont été consultés afin de recueillir avec précision :
Les données cliniques préopératoires
– l’identité du patient (puis anonymisation)
– la nature du geste
– la date du geste
– le sexe
– l’âge
– le poids
– l’anomalie de l’hémostase et sa sévérité
Le protocole hématologique
– le produit substitutif ou Desmopressine (Minirin®) en intra-veineux, en cas de réponse suffisante antérieurement connue
– la dose totale rapportée au poids
– l’agent antifibrinolytique
– la durée préconisée d’hospitalisation
Ce protocole était établi par l’hématologue, en réponse à une demande du service de chirurgie maxillo-faciale, selon l’âge et le poids du patient, la pathologie hémorragique et sa sévérité, le risque hémorragique du geste à effectuer ainsi que la réponse antérieure aux traitements. Il pouvait s’agir :
– de patients déjà connus et suivis au CRC-MHC
– de patients nouveaux ou suivis ailleurs auparavant
Les données radiologiques préopératoires : radiographie panoramique dentaire ou radiographie rétro-alvéolaire
Le protocole chirurgical et l’hémostase locale
– le type d’anesthésie (locale ou générale) avec ou sans adrénaline
– l’adjonction ou non d’une anesthésie locale lors d’une anesthésie générale
– la nature du geste réalisé
– le nombre de dents avulsées
– l’expérience de l’opérateur : interne ou sénior (chirurgien autre qu’interne, quelle que soit son expérience)
– la durée d’hospitalisation
Nous avons attribué un score en fonction du risque hémorragique du geste (mineur = 1, modéré = 2, important = 3), à partir du compte-rendu opératoire et de la radiographie. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur une classification établie par l’Association française des hémophiles en partenariat avec la Société Française de Chirurgie Orale (tableau 5, annexe 1).
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Table des matières
I. INTRODUCTION
II. RAPPELS
1. Généralités sur les troubles constitutionnels de l’hémostase
2. Epidémiologie
3. Physiopathologie
4. Gravité et traitement
5. Etat actuel des connaissances
III. MATERIELS ET METHODES
1. Patients
2. Protocole
a) Les données cliniques préopératoires
b) Le protocole hématologique
c) Les données radiologiques préopératoires
d) Le protocole chirurgical et l’hémostase locale
e) Les complications postopératoires
f) La durée moyenne d’hospitalisation
g) Le coût de prise en charge
h) Analyses statistiques
IV. RESULTATS
V. DISCUSSION
VII. BIBLIOGRAPHIE
VIII. ANNEXES
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