Le processus d’implantation de l’IB

Le processus d’implantation de l’IB

Origine et fondements de l’initiative de Bamako

En principe

L’initiative de Bamako est bien souvent perçue comme une simple réforme technique du financement des services de santé. Et pourtant, elle est aussi imprégnée de valeurs et trouve son origine et ses fondements dans la politique des soins de santé primaires.
Au milieu des années 1970, les progrès scientifiques et technologiques dans le domaine médical laissaient entrevoir la possibilité d’une résolution de nombreux problèmes de santé dans le monde. L’éradication, à l’échelle de la planète, de la variole en 1979 est une victoire unanimement reconnue et participe à cette construction mentale. Mais, en même temps, on continue de constater l’accroissement et la persistance des inégalités de santé et d’accès aux services de santé. Voilà pourquoi Mahler, le directeur général de l’OMS,
propose en 1975 aux gouvernements de se fixer un objectif commun pour les politiques de santé : la santé pour tous en l’an 20002. Cela sera entériné en 1977 par l’Assemblée mondiale de la santé. Le contexte politique international est encore bipolaire, la guerre froide est toujours présente. Elle constitue l’arrière plan de ces décisions à caractère social et universel. Cette déclaration de 1977 est conçue comme « a battle cry to incite people to action » (Tejada de Rivero 2003, p.2). C’est au cours de cette même année de la proposition de Mahler (1975) que le concept de soins de santé primaires (SSP) est énoncé pour la première fois. Il fallait, en effet, trouver de nouvelles stratégies pour envisager l’atteinte de cet objectif universaliste. Certains pays du Sud, qui œuvraient en ce sens depuis plusieurs années, ont en quelque sorte pris les devants sur les pays du Nord et leur approche biomédicale3. Bien que les Soviétiques aient émis quelques réticences à l’origine, ne voulant pas remettre en cause les progrès scientifiques, ce sont eux qui, dès 1976, proposent de financer et d’organiser une conférence internationale en faveur des SSP. Pour des raisons politiques et diplomatiques, la conférence aura finalement lieu à Alma-Ata, au Kazakhstan, plutôt qu’à Moscou. Après 29 mois de préparation et 18 versions différentes du document, la stratégie des SSP voit le jour en 1978 dans le but d’aider les pays à se rapprocher de l’objectif de santé pour tous (WHO 1978; Tejada de Rivero 2003). Cette politique reconnaissait la nécessité d’examiner les relations entre les professionnels de santé et les membres de la communauté car ce dernier élément constitue un facteur clef dans les réformes de santé. Elle s’est alors fortement inspirée du modèle chinois des années 1970, notamment les fameux “ médecins aux pieds nus ” (IDS 1995), et également d’une étude internationale de 1975 critiquant fortement l’utilisation, par les pays du Sud, du modèle occidental centralisé de l’organisation des services (Collins 1994). L’approche communautaire, comme en Chine, n’était pas complètement nouvelle en Afrique de l’Ouest puisque dès le milieu des années 1960, des expériences de comités de santé et d’agents villageois avaient été menées, notamment au Niger. Ces essais d’alliance d’un processus de décentralisation à une propagation des techniques d’animation rurale deviendront des références pour toute la sous-région africaine (Berche 1998; Olivier de Sardan 1999). Ils ont été des éléments précurseurs de la politique des SSP. Dès les années 1940 on a tenté en Afrique (orientale britannique notamment), d’introduire, sans y parvenir, le paiement des soins par les usagers. C’est le Mozambique (et son État marxiste-léniniste) qui a été le pays précurseur du recouvrement des coûts (Van Lerberghe et de Brouwere 2000). Collins (1994) nous informe que l’émergence des SSP s’était produite dans un contexte particulièrement favorable dont les caractéristiques peuvent se résumer par l’accumulation des doutes à propos de l’approche du modèle purement médical, ii) le changement de la perception du développement en général et iii) les mouvements d’indépendance de nombreux pays. Néanmoins, il rappelle que cette nouvelle politique, qui visait plus d’équité et de justice distributive, n’était pas sans aller à l’encontre de la volonté de certains politiciens (au niveau local ou national) favorisant le statu quo et se satisfaisant d’un système d’inégalité sociale et de domination politique. Car si les SSP peuvent être interprétés selon des critères techniques — nous n’entrerons pas dans les débats intenses autour des fameux SSP sélectifs5 — ils peuvent l’être également selon leur nature politique qui suppose, ou non, des changements sociaux. Ce qui explique notamment pourquoi on s’est d’abord focalisé sur l’augmentation de l’offre et non pas sur une nouvelle distribution des pouvoirs, singulièrement médico-sanitaires à l’époque (Berche 1998).
La notion d’équité était au cœur de la politique des SSP, tel que vient de le rappeler longuement l’OMS dans son rapport annuel de 2003 (OMS 2003). Or, l’équité exige la reconnaissance de besoins différents, et « les interactions entre les droits de l’homme et la santé sont caractérisées par la dualité droits égaux et besoins inégaux » (Bryant, Khan et al. 1997, p. 122). Nous reviendrons, dans le chapitre consacré à la méthodologie de l’analyse de l’état des connaissances sur l’IB, sur l’utilisation de la définition de l’équité dans l’organisation du financement communautaire. Outre l’importance de l’équité et de la participation communautaire que nous avons déjà évoquées, la stratégie des SSP est principalement fondée sur les éléments de la figure suivante.
À ce stade de l’exposé, il nous semble important de noter qu’Alma Ata est principalement une déclaration de principes. Les intentions énoncées étaient même générales et abstraites et les composantes, exhaustives et banales (Hours 1992). L’OMS, l’UNICEF et leurs États membres se sont attachés à définir les fondements de cette politique, sans pour autant élaborer des stratégies précises de mise en application. Nous sommes bien là en présence d’une situation qui semble relever de la classique rhétorique de la santé publique, tel que le souligne Fassin (2000a). Cet auteur a lui aussi relevé ce trait particulier de la déclaration d’Alma Ata, ajoutant que la mise en œuvre devient secondaire au regard des idéaux invoqués par ses promoteurs. La politique des SSP demeure, entre autres, relativement muette concernant le financement des services et précise simplement que « primary health care is essential health care […] at a cost that community and country can afford » (WHO 1978). Malgré le peu de précision, la prise en compte de la capacité à payer les soins de santé semble donc une préoccupation de principe, ce que rappelait le rapport préparatoire à la réunion d’Alma Ata du bureau africain de l’OMS (OMS/AFRO 1978).
Devant les problèmes économiques des pays africains (croulant notamment sous le poids de la dette extérieure) qui avaient des conséquences néfastes sur la situation sanitaire et, face aux difficultés de mise en œuvre des SSP6, l’UNICEF formule une proposition qui a été acceptée à contre-cœur, semble-t-il (Van Lerberghe et de Brouwere 2000), par l’OMS en 1987. Il s’agissait de relancer la politique des SSP et de réduire la mortalité maternelle et infantile. Cette proposition adoptée en 1987 par les ministres africains de la santé a pris le nom du lieu de la réunion, l’initiative de Bamako (IB). Les premiers documents officiels de l’OMS et de l’UNICEF et le premier bulletin d’information de l’IB (OMS/FISE 1989a) précisent que l’objectif ultime de l’IB est « universal accessibility to PHC » (WHO 1988), ce que rappelle le ministère de la Santé burkinabé aux équipes cadres de district lors de leur formation (CADESS 2000; CADSS 2001)7. À propos du financement des services de santé, la réduction de la participation de l’État aux coûts des systèmes rendait en quelque sorte logique l’augmentation de celle des usagers prônée par les promoteurs de l’IB. Toutefois, il était prévu que des moyens seraient déployés pour s’assurer que les plus pauvres aient accès aux soins (Deschamps 2000). De surcroît, l’IB est différente de la politique des frais aux usagers au niveau national, dont l’objectif principal est la génération de revenus (Gilson 1997b), au sens que sa mise en place doit servir, entre autres, à l’amélioration de la qualité des services et à l’accès aux soins, ce que rappellent encore en 2003 les principaux acteurs de la mise en œuvre de l’IB, aujourd’hui passés de l’UNICEF à la Banque mondiale (Knippenberg, Traore Nafo et al. 2003). Notons que par « coïncidence » c’est également en 87 qu’est apparu un document majeur issu de la Banque mondiale, qui a fortement influencé les réformes sanitaires des années 1990 (Creese et Kutzin 1997; Ridde 2002b) et qui faisait l’apologie du paiement direct des usagers et du rôle du secteur privé : « financing health services in developing countries : an agenda for reform ».
Les objectifs spécifiques de l’initiative de Bamako ont été définis ainsi (OMS 1999b) :
• renforcer les mécanismes de gestion et de financement au niveau local ;
• promouvoir la participation communautaire et renforcer les capacités de gestion locale ;
• renforcer les mécanismes de fourniture, de gestion et d’utilisation des médicaments essentiels ;
• assurer des sources permanentes de financement pour le fonctionnement des unités de soins.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler les huit principes qui sont présentés comme les fondements techniques de l’IB. Les agents de santé ayant suivi plusieurs formations sur l’IB les connaissent par cœur. À l’origine, on ne précisait pas si ces principes devaient être i) des pré-requis au financement des bailleurs, ii) des objectifs à atteindre ou iii) des éléments caractérisant les activités à mettre en œuvre (Mc Pake, Hanson et al. 1992). Lors de la revue de l’IB dans la région africaine faite à Bamako en mars 1999, le bureau africain de l’OMS à souligné de nouveau qu’il s’agissait de principes directeurs8 (OMS 1999b).

Les inquiétudes originelles :

Il faut d’abord préciser qu’il semble bien que l’initiative prise par l’UNICEF ait été une surprise pour la plupart des organisations internationales (Tejada de Rivero 2003). Paganini (2004) vient même de dire, 15 ans après, que l’OMS était furieuse de ce lancement. Dès l’annonce de l’initiative de nombreuses inquiétudes sont apparues. Certaines voix se sont levées pour demander que les objectifs soient moins ambitieux puisque cette nouvelle politique ne se fondait que sur deux expériences « it is dangerous to jump from two small projects to a multimillion dollar enterprise » (Lancet 1988, p.1177). De surcroît, ces expériences pilotes ne devaient leur succès qu’à la motivation particulière des cadres locaux (Benoist 1991). D’autres étaient préoccupés par le fait que l’initiative, en focalisant ses activités sur l’accès (et le paiement) aux médicaments, risquait d’anéantir les efforts de rationalisation des prescriptions (Korte, Richter et al. 1992). Plus tard, quelques-uns ont aussi reproché à l’initiative d’accorder trop d’importance aux médicaments et donc au système curatif, car ils considéraient que la plupart des maux de l’Afrique devaient trouver une solution de nature préventive, se rapportant à la santé publique, à l’accès aux aliments ou encore à l’amélioration des conditions de vie. Ainsi, certains auteurs sont allés jusqu’à interpréter l’IB comme étant une stratégie des compagnies pharmaceutiques pour remettre le médicament dans une sphère plus privée (avec profits) que publique (étatique) (Turshen 1999)11. Mais les agitations primaires de la part de certaines organisations non gouvernementales et de quelques universitaires étaient principalement orientées sur les questions financières concernant aussi bien l’État et son probable désengagement que les usagers et leur capacité à payer ou encore l’utilisation des ressources générées par le paiement des services dans les centres de santé.
L’IB donnait l’illusion qu’à la fin du soutien des bailleurs de fonds (prévue à l’époque en
93) les centres de santé gérés par les populations (avec cette vision idéaliste de la solidarité communautaire des sociétés traditionnelles (Benoist 1991; Ouedraogo et Fofana 1997)) — voire les gouvernements africains — allaient devenir financièrement autonomes (Kanji 1989). Voilà pourquoi Chabot (1988) prévenait que l’enthousiasme des gouvernements africains à adhérer à l’IB découlait très certainement du fait que l’initiative éludait les questions de responsabilités et notamment celles des États et des ministères de la Santé. Les États pouvaient ainsi entrevoir la possibilité de réduire leur contribution au financement du secteur de la santé, ce qui constituait une inquiétude supplémentaire pour les détracteurs de l’IB (UNICEF, HAI et al. 1989).
Certains affirmaient que le pouvoir d’achat des populations risquait de limiter l’étendue de l’initiative et de réduire l’utilisation des services (Unger, Mbaye et al. 1990). D’autant que les rapports entre la santé et l’argent (rythme de dépenses, circonstances, montants) sont bien différents selon le choix du mode de soins (moderne contre traditionnel) de la part de la population (Benoist 1991). En 1989, lors d’une conférence internationale sur le financement communautaire organisée en Sierra Leone, à la lumière des expériences d’ores et déjà en cours de réalisation, on s’inquiétait des conséquences sur les plus pauvres de cette politique de participation financière directe de la part des usagers des services de santé (UNICEF, HAI et al. 1989). En 1990, Soucat (avant de passer à l’UNICEF et la Banque mondiale) soutenait dans sa thèse de médecine qu’il fallait rester vigilants afin « d’éviter que ce système ne glisse vers une approche trop gestionnaire qui ferait fi de la notion d’équité » (Soucat 1990, p. 153). La question de l’équité semblait en effet diviser la communauté internationale de santé publique, cette division étant, selon le responsable de l’époque de l’IB à l’UNICEF, fondée sur des a priori, idéologique (Paganini 2004). La même année, une des premières études sur les expériences conduites montrait que le maintien du pouvoir d’achat des populations et la continuité dans le versement des salaires du personnel de santé de l’État étaient deux conditions sine qua non à la réussite de l’IB (Knippenberg, Levy-Bruhl et al. 1990).
En outre, aucune indication ne semblait avoir été donnée sur l’utilisation des fonds générés par la vente des médicaments et encore moins sur le processus de décision concernant l’emploi de ces nouvelles ressources (Chabot 1988). Dans une analyse de la situation malienne au début des années 1990, Brunet-Jailly estime que dans ce pays, à l’époque, il était préférable de se concentrer sur la réduction des coûts plutôt que sur leur hypothétique recouvrement (Brunet-Jailly 1992). L’organisation non gouvernementale Save The Children se préoccupait de l’enthousiasme exagéré de l’UNICEF à propos de la capacité des revenus tirés du paiement direct des usagers à financer les frais de fonctionnement des centres de santé (Smithson 1994).
Quelques-unes de ces inquiétudes originelles trouvaient une réponse, rhétorique et encore très théorique, dans une lettre envoyée à la revue médicale The Lancet en 1989 par le Deputy Manager of UNICEF’s Bamako Initiative Management Unit de New York, originaire du Ghana (pays d’origine d’un projet pilote de l’IB) (Ofosu-Amaah 1989). Dans une conférence internationale, un autre fonctionnaire de ce service notait, à son tour, que l’autosuffisance des communautés n’était pas un objectif de l’IB et que le partenariat entre les donateurs, les collectivités et les gouvernements locaux devrait permettre le déploiement de ressources extérieures, indispensable à la mise en œuvre de l’IB, selon Paganini (1991). En ce qui concerne l’exclusion des plus démunis, l’auteur s’en remet, et nous verrons plus loin combien cette idée est utopique et de moins en moins vérifiée, à la solidarité communautaire pour leur prise en charge. Néanmoins, plus de deux lustres après l’expression de ces préoccupations quant aux effets de la mise en place de l’IB, il est temps de faire un bilan des résultats des diverses expériences menées en Afrique de l’Ouest. Nous en ferons de même pour le district étudié dans cette recherche dans le chapitre consacré aux résultats de la thèse. Entreprendre l’évaluation d’une politique après une mise en œuvre qui a été plus que décennale répond aux recommandations méthodologiques de certains spécialistes de l’étude des politiques publiques. Ces derniers préconisent un laps de temps relativement long (de cinq à dix ans, disent-ils) entre la phase de mise en œuvre et celle de l’évaluation de ses résultats (Sabatier 1986).

Méthodologie de l’étude de l’état des connaissances sur les effets de l’IB

Cette section présente la manière dont nous avons procédé pour effectuer une étude de l’état des connaissances eu égard aux résultats de la mise en œuvre de l’IB. Il convient immédiatement de préciser qu’il ne s’agit aucunement d’une méta-analyse de type quantitative. Cela est impossible, essentiellement pour deux raisons. La première est que la qualité des données disponibles ne le permet absolument pas. La seconde est que les informations étudiées sont tirées d’expériences et de projets pour lesquels la mise en œuvre de l’IB se situe à des moments différents dans l’histoire de sa mise en œuvre. Il est donc impossible d’effectuer une comparaison rigoureuse. Aussi, nous avons opté pour le second ideal-type, selon Pawson (2002) des analyses systématiques de l’état des connaissances, l’approche narrative. Au-delà des nombreuses critiques que l’on peut faire à ce type d’approche, c’est la seule stratégie possible compte tenu des matériaux dont nous disposons pour porter un jugement sur les effets de l’IB.

Critères d’analyse des effets de l’IB

L’équipe du Centre for Health Economics de l’université de York propose les quatre critères suivants pour analyser les effets des politiques de santé : efficience technique, efficience dans l’allocation des ressources, équité et qualité (Witter, Ensor et al. 2000).

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Table des matières

INTRODUCTION
1 Problématique
2 Objectifs de la recherche, contexte et cadre d’analyse
3 Stratégie méthodologique
4 Le contexte spécifique de la recherche
5 Le processus d’implantation de l’IB
6 Les acteurs et le courant des problèmes
7 Les acteurs, les valeurs et le concept d’équité
8 Les acteurs et le courant des solutions
9 Les acteurs et le courant des orientations
10 Les acteurs, les logiques mises en œuvre et le contrôle des ressources
11 Discussion
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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