Le processus de socialisation
Origine sociale et trajectoires sociale, scolaire et professionnelle
Le concept d’origine sociale dรฉsigne le milieu social d’oรน provient une personne, sa classe sociale, sa catรฉgorie socioprofessionnelle ainsi que celle de ses parents (Ansart et Akoun, 1999). ร ce propos, Bourdieu et Passeron (1970) affirment que les chances scolaires sont distribuรฉes inรฉgalement selon l’origine sociale et la restriction des choix scolaires ou professionnels s’impose gรฉnรฉralement aux milieux dรฉfavorisรฉs. Les enfants des classes favorisรฉes sont avantagรฉs en termes de rรฉussite scolaire, car ils sont plus en mesure de satisfaire aux exigences de l’รฉcole grรขce ร leurs savoirs ; leurs savoir-faire et leur capital linguistique transmis sous forme d’hรฉritage familial. Ils accรจdent donc en plus grand nombre aux รฉtudes supรฉrieures et aux carriรจres les plus prestigieuses.
Dรฉfinissant des chances, des conditions de vie ou de travail tout ร fait diffรฉrentes, l’origine sociale est, de tous les dรฉterminants, le seul qui รฉtende son influence ร tous les domaines et ร tous les niveaux de l’expรฉrience des รฉtudiants, et en premier lieu aux conditions d’existence (Bourdieu et Passeron, 1964 b, p. 23). Bihr et Pfefferkom (2008) vont dans le mรชme sens lorsqu’ils รฉtablissent un lien entre l’origine sociale d’un individu et le niveau de scolaritรฉ qu’il atteindra. En fait, ils constatent que plus le milieu social d’un individu est favorisรฉ, plus il aura de chance de poursuivre de longues รฉtudes lui assurant, par le fait mรชme, une position sociale รฉlevรฉe. Et l’inverse se vรฉrifie tout aussi bien: les enfants des milieux populaires sont ceux qui sont les plus dรฉpourvus de diplรดmes ou qui doivent se contenter des diplรดmes les moins รฉlevรฉs et qui, partant, ont aussi le moins de chance d’accรฉder ร des positions moyennes et a fortiori supรฉrieures (Bihr et Pfefferkom, 2008, p. 97).
Plusieurs auteurs considรจrent รฉgalement que la position sociale des parents est un facteur dรฉterminant quant ร la trajectoire scolaire et professionnelle de leurs enfants (Bourdieu et Passeron, 1970; Bondon, 1973; Berger, 1979; Devineau et Lรฉger, 2002; Cacouault-Bitaud et Oeuvrard, 2009). Cette trajectoire scolaire et professionnelle dรฉsigne en fait la trajectoire sociale d’un individu. La trajectoire sociale, selon Ans art et Akoun (1999), correspond au : (. .. )parcours ou [ร l’] itinรฉraire d’un individu de sa classe sociale d’origine ร sa classe sociale d’arrivรฉe. Ce parcours s’effectue ร travers diffรฉrentes รฉtapes ou passages par les institutions de la reproduction (principalement la famille, l’รฉcole) et de la production (le systรจme productif); il est bien diffรฉrenciรฉ pour les hommes et pour les femmes. (p. 540). En effet, les trajectoires des hommes se distinguent de celles des femmes qm ne sont gรฉnรฉralement pas attirรฉes par les mรชmes domaines d’รฉducation et d’emploi. Par exemple, les filles choisissent davantage l’enseignement comme profession alors que les garรงons s’orientent en plus grande proportion vers les sciences (Bourdieu et Passeron, 1964 b ).
Aussi, comme l’affirmaient Bourdieu et Passeron (1964b), l’รฉtude des lettres et des sc1ences qui conduisent gรฉnรฉralement vers le champ de l’enseignement est plus souvent l’histoire des femmes que des hommes, et ce, davantage chez les femmes issues des classes moyennes que celles des classes aisรฉes. Par exemple, ce sont surtout les filles de salariรฉs agricoles qui s’orientent vers ces facultรฉs ainsi que les filles d’ouvriers. Les filles de cadres moyens et les filles de cadres supรฉrieurs sont les moins nombreuses dans ces domaines d’รฉtude. Dans le contexte quรฉbรฉcois, Valois (2009) รฉcrit que les femmes ยซ sont depuis longtemps fortement majoritaires en sciences humaines, et, surtout, en sciences de l’รฉducation.ยป (p. 139-140), et ce, au niveau universitaire. Cette situation prรฉvaut รฉgalement en sciences de la santรฉ. Par ailleurs, les femmes sont peu prรฉsentes en sciences naturelles, en gรฉnie et en technique physique, domaines majoritairement masculins (V al ois, 2009). De plus, comme l’affirment Bujold et Gingras (2000), les moyens matรฉriels dont l’enfant pourra bรฉnรฉficier quant ร la poursuite de longues รฉtudes sont nettement influencรฉs par son origine sociale.
La mobilitรฉ sociale
Le concept de mobilitรฉ รฉvoquรฉ ci-haut dรฉsigne les possibles mouvements et dรฉplacements pour un individu dans la hiรฉrarchie sociale. En d’autres termes, il s’agit du degrรฉยซ d’ouverture ou, au contraire, de ยซย fermetureย ยป des segments de la structure sociale, mais aussi sur le degrรฉ d’hรฉrรฉditรฉ ou d’indรฉpendance qui rรฉgit le processus de la ยซ distribution sociale ยป des individus dans cette structure ยป (Ansart et Akoun, 1999, p. 345). Bonnewitz (1998) nous apprend que les รฉtudes menรฉes ร ce sujet montrent que la tendance ร la reproduction sociale3 est plus forte que la mobilitรฉ sociale. Ainsi, ce sont les individus issus de familles dont le capital culturel, social et รฉconomique est fort qui ont le plus de chance d’accรฉder ร une position sociale รฉlevรฉe (Bihr et Pfefferkorn, 2008). Bihr et Pfefferkorn (2008) รฉcrivent ร ce sujet que : (. .. ) le rendement social des รฉtudes (la position sociale ร laquelle on peut espรฉrer accรฉder sur la base d’un diplรดme donnรฉ) dรฉpend directement de la catรฉgorie sociale d’origine. Cette derniรจre joue comme une sorte de ยซ force de rappel ยป qui continue ร exercer son influence la vie durant et tend ร ramener l’individu vers une position sociale aussi proche que possible de sa position d’origine. Ce qui constitue รฉvidemment un puissant facteur d’hรฉrรฉditรฉ sociale qui limite d’autant la mobilitรฉ. (p. 98)
Malgrรฉ tout, les รฉtudes menรฉes en Occident au 20e siรจcle rรฉvรจlent la prรฉsence d’une certaine mobilitรฉ sociale et ce phรฉnomรจne tend ร se poursuivre dans le temps (Angers, 2013). Toutefois, cette forme de mobilitรฉ sociale varie selon les pays. Par exemple, le Canada, la Norvรจge et la Suรจde sont des pays qui offrent plus de mobilitรฉ sociale en comparaison ร la France, ร 1 ‘Italie ou ร 1’ Allemagne, entre autres. Plusieurs thรจses sont fournies par Nunn (20 11) pour expliquer ces taux variables de mobilitรฉ sociale. D’abord, l’รฉchelle de revenu permet de constater que les pays plus รฉgalitaires sont plus mobiles que les pays oรน les inรฉgalitรฉs socioรฉconomiques sรฉvissent. En fait, plus l’รฉchelle de revenu dรฉmontre des extrรชmes importants (entre les riches et les pauvres), moins il y a de mobilitรฉ (Nunn, 2011 ).
Ensuite, diffรฉrentes mesures politiques et institutionnelles peuvent faciliter la mobilitรฉ sociale. Par exemple, les dรฉpenses publiques dรฉdiรฉes ร l’utilisation de services publics universels tels que les services de garde ร la petite enfance et au prรฉscolaire ainsi que le systรจme รฉducatif obligatoire y contribuent. Aussi, diffรฉrentes mesures politiques peuvent รชtre mises en place telles que des mesures d’aide ร l’emploi et des mesures de protections sociales (comme l’assurance-emploi) favorisant une ouverture sociale (Nunn, 2011). Enfin, d’autres facteurs peuvent expliquer l’ampleur de cette mobilitรฉ sociale tels que le contexte รฉconomique et social (pรฉriode d’essor รฉconomique) ainsi que le marchรฉ du travail comme la crรฉation de nouveaux emplois, ce qui transforme la structure sociale.
Le revenu familial et la poursuite d’รฉtudes postsecondaires
Dans un mรชme ordre d’idรฉe, Boudon (2000) et ses collaborateurs prรฉcisent que l’รฉvaluation des coรปts par rapport aux avantages futurs que procurent de longues รฉtudes (voire universitaires) varie en fonction du milieu social. En fait, les familles ร faible revenu sont parfois plus rรฉticentes ร envoyer leur enfant poursuivre des รฉtudes postsecondaires parce qu’en cas d’รฉchec, les consรฉquences financiรจres semblent รชtre plus lourdes. Boudon et ses collaborateurs (2000) sont aussi d’avis que ยซ ( … ) la situation sociale des familles fait qu’elles apprรฉcient diffรฉremment les risques, les coรปts et les avantages de l’investissement scolaire ยป (p.20). Bihr et Pfefferkom (2008) ajoutent que la contribution financiรจre des parents varie selon la taille de la famille : ยซ ( … )en 2005, les familles trรจs nombreuses sont nettement plus souvent ouvriรจres et beaucoup plus rarement cadres ou professions intermรฉdiaires.
Quand on a un nombre รฉlevรฉ de frรจres et soeurs, on est donc plus souvent employรฉ ou ouvrier, et moins souvent cadreยป (p.99-100). Ainsi, les familles ouvriรจres disposent, dรจs le dรฉpart, de moins de capital รฉconomique que les familles de cadres par exemple. (Bihr et Pfefferkom, 2008). D’autre part, l’Universitรฉ du Quรฉbec (2013) constate que le taux de participation aux รฉtudes postsecondaires augmente au fur et ร mesure que le revenu familial annuel s’รฉlรจve. Comme il est prรฉsentรฉ dans le tableau 1.2 ci-dessous, ร la derniรจre colonne, les รฉtudiants dont les parents ont un revenu familial en dessous de 25 000 $ ont le taux de participation aux รฉtudes postsecondaires le plus bas soit 49% comparativement ร 77% chez les รฉtudiants dont le revenu familial est supรฉrieur ร 100 000 $.
Le rapport des ouvriers face ร l ‘รฉcole et ร la scolaritรฉ
Par ailleurs, le rapport qu’entretiennent les ouvriers ร 1 ‘รฉgard de 1 ‘รฉcole et ร la scolaritรฉ semble changer au tournant des annรฉes 1980. En fait, on note une mobilisation autour de la scolaritรฉ au sein de la culture ouvriรจrรฉ ร partir de ce moment. Les transformations du rapport ร l’รฉcole des familles ouvriรจres s’inscrivent dans le processus global des changements du mode de vie des ouvriers. La prioritรฉ ร l’acquisition d’un mรฉtier, privilรฉgiรฉe dans la culture ouvriรจre traditionnelle, fait place, ร partir des annรฉes 1980, ร une forte mobilisation autour de la scolaritรฉ (Terrail, 1990, citรฉ dans Cacouault-Bitaud et Oeuvrard, 2009, p. 54). Selon Terrail (1990), les ouvriers ont compris que la rรฉussite scolaire et l’obtention d’un diplรดme permettent 1 ‘exercice de professions industrielles qualifiรฉes et mieux rรฉmunรฉrรฉes, et ce, combinรฉ ร une promotion sociale. Ils parviennent ainsi ร offrir de meilleures conditions d’existence ร leur enfant.
D’ailleurs, Terrail (1990) รฉvoque la centralitรฉ de l’enjeu scolaire dans la rรฉussite des enfants, et ce, ร travers l’รฉtude de plusieurs transfuges5 en provenance du milieu ouvrier. Ces nombreux tรฉmoignages racontent 1 ‘histoire oรน un enfant issu de la classe populaire parvient ร รฉviter de vivre dans des conditions socio-รฉconomiques difficiles grรขce ร la rรฉussite scolaire. La motivation de ce projet peut รชtre soit extrinsรจque ou intrinsรจque. Lorsqu’elle est de source extrinsรจque, c’est la volontรฉ des parents qui pousse l’enfant ร s’affranchir du contexte de classe difficile oรน ils vivent ou encore l’influence du groupe de pairs. ร l’opposรฉ, la motivation est intrinsรจque lorsque la dรฉtermination et l’ambition proviennent de l’enfant lui-mรชme.
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Table des matiรจres
Rรฉsumรฉ
Abstract
Introduction
Chapitre 1- Problรฉmatique de recherche
1.1 Origine sociale et trajectoires sociale, scolaire et professionnelle
1.2 La mobilitรฉ sociale
1.3 La rรฉussite scolaire
1.3.1 L’incidence du milieu socioรฉconomique sur le dรฉcrochage scolaire
1.3.2 L’incidence de la scolaritรฉ des parents sur la rรฉussite scolaire
1.4 Le revenu familial et la poursuite d’รฉtudes postsecondaires
1.5 Orientation scolaire et professionnelle
1.6 Le rapport des ouvriers face ร l’รฉcole et ร la scolaritรฉ
1.7 L’aspiration ร la profession enseignante
1.7.1 L’influence des modรจles de comportement traditionnels fรฉminins
1.7.2 L’enseignement au primaire, un mรฉtier ร prรฉdominance fรฉminine
1.8 La composition du corps enseignant en fonction du grade d’enseignement
1.9 L’origine sociale des enseignants au Quรฉbec
1.10 L’origine sociale des enseignants en France
1.11 Pertinence de la recherche
1.12 Les grandes transformations du monde de l’รฉducation au Quรฉbec
1.12.1 La composition du corps enseignant et les รฉcoles normales
1.12.2 Crรฉation de collรจges dans les rรฉgions quรฉbรฉcoises
1.12.3 Les changements survenus grรขce ร la Rรฉvolution tranquille
1.13 Objectifs de la recherche
Objectif gรฉnรฉral
Objectif spรฉcifique
Chapitre 2- Cadre thรฉorique
2.1 La thรฉorie sociologique de Pierre Bourdieu
2.2 Le concept d’habitus
2.3 Le processus de socialisation
2.4 Les formes de capital
2.5 Le champ de travail des enseignants
Chapitre 3- Mรฉthodologie
3.1 Hypothรจse
3.2 Recherche qualitative
3.3 Technique de collecte des donnรฉes: l’entrevue semi-dirigรฉe
3.4 Population ร l’รฉtude et technique d’รฉchantillonnage
3.5 Les limites de la recherche
Chapitre 4- L’analyse qualitative des donnรฉes
4.1 L’analyse qualitative
4.2 Les mรฉthodes d’analyse
4.2.1 L’analyse structurale
4.2.2 L’analyse phรฉnomรฉnologique
4.3 L’interprรฉtation des rรฉsultats ร l’aide de l’analyse structurale
4.3.1 Le profil personnel gรฉnรฉral
4.3.2 L’itinรฉraire scolaire
4.3.3 Le choix de votre profession
4.3.4 Rapport ร la profession
4.3.5 Rapport au travail..
4.3.6 Occupation des proches
4.3.7 Statut socioรฉconomique
4.3.8 Le modรจle de base produit au moyen de l’analyse structurale
4.4 Interprรฉtation des rรฉsultats ร l’aide de la mรฉthode situationnelle phรฉnomรฉnologique et structurale
4.4.1 L’origine sociale
4.4.2 Premier groupe : Les enseignants dรฉclarant avoir un statut social et un niveau de vie
nettement plus รฉlevรฉ que celui de leurs parents
4.4.3 Deuxiรจme groupe : Les enseignants dรฉclarant avoir un statut social et un niveau de vie un peu plus รฉlevรฉ que celui de leurs parents
4.4.4 Troisiรจme groupe : Les enseignants dรฉclarant avoir un statut social et un niveau de vie รฉquivalent ร celui de leurs parents
4.5 Motivation de choix de carriรจre
4.6 Retour sur les donnรฉes du terrain
4.6.1 L’habitus des enseignants
4.6.2 Les formes de capital et le champ de l’enseignement
4.6.3 Le sens du jeu dans une รฉcole primaire
4.6.4 La lourdeur de la tรขche de travail et les coupures budgรฉtaires en รฉducation
Conclusion
Bibliographie
ANNEXE 1 Guide d’entretien
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