Le processus de production du handicap
Le problรจme identifiรฉ
Il se trouve que, lors de mes recherches, je nโai pu trouver, en utilisant comme mots ยซ maladie ยป, ยซ incurable ยป ou encore ยซ dรฉgรฉnรฉrative ยป, que de la littรฉrature sโadressant au monde mรฉdical. De plus, lorsque lโon parle de maladie dรฉgรฉnรฉrative incurable, il est commun de penser premiรจrement ร celle-ci comme agissant au niveau bio, soit physique de la personne. Cela nous laisse penser que la prise en charge des personnes atteintes de maladie incurable dรฉgรฉnรฉrative ne se fait quโau niveau mรฉdical. Or, lโOrganisation Mondiale de la Santรฉ (OMS) dรฉfinit la santรฉ de cette maniรจre : ยซ la santรฉ est un รฉtat de complet bien-รชtre physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou dโinfirmitรฉ ยป (OMS, 1946). Les dimensions psychique et sociale sont donc รฉgalement ร prendre en compte. On sait alors que la maladie touche le niveau bio-psycho et social. Donc, il ne sโagit pas uniquement de travailler sur lโaspect mรฉdical. Afin de trouver de la littรฉrature prenant en compte ces deux autres dimensions et incluant le travail social, il mโa fallu utiliser le terme ยซ handicap ยป, qui lui intรจgre ces notions bio-psycho-sociales, comme expliquรฉ plus bas, dans le point 3.1.3 sur le processus de production du handicap.
Il est dโailleurs logique dโutiliser le mot ยซ handicap ยป car la maladie a un impact sur les diffรฉrents domaines de vie de la personne. Il existe donc ici une tension entre les mondes mรฉdical et social qui pourrait รชtre perรงue comme de la concurrence. Or, on constate quโun ou une TS pourra intervenir sur les niveaux du psychologique et du social de la personne quโelle accompagne, donc en complรฉment de lโintervenantยทe mรฉdicalยทe qui sโoccupe plutรดt de lโaspect somatique. Qui plus est, on retrouve dans la dรฉfinition internationale du travail social ce qui justifie lโintervention des TS dans ce domaine : ยซ Le Travail social est une pratique professionnelle et une discipline. Il promeut le changement et le dรฉveloppement social, la cohรฉsion sociale, le pouvoir dโagir et la libรฉration des personnes. [โฆ] Etayรฉ par les thรฉories du travail social, des sciences sociales, des sciences humaines et des connaissances autochtones, le travail social encourage les personnes et les structures ร relever les dรฉfis de la vie et agit pour amรฉliorer le bien-รชtre de tous. ยป (EASSW, 2014). On y retrouve trois รฉlรฉments qui montrent en quoi le travail social peut รชtre utile dans les situations de maladies incurables dรฉgรฉnรฉratives. Tout dโabord, on relรจve la promotion du pouvoir dโagir, en dโautres termes, la promotion de ยซ la capacitรฉ et la libรฉration (empowerment) des personnes ยป (AvenirSocial, 2010, p. 8).
Dans le monde mรฉdical, la personne atteinte de maladie incurable, en tant que ยซ ยซ patient ยป a un rรดle passif qui se limite ร rรฉpondre aux questions du professionnel et ร appliquer ses recommandations ยป (LeBossรฉ, 2016, p. 33). Cette maniรจre de fonctionner dans la relation ne permet pas ร la personne de dรฉvelopper son pouvoir dโagir. Or, il existe une approche dรฉveloppรฉe par Yann Le Bossรฉ, appelรฉe dรฉveloppement du pouvoir dโagir, qui est utilisรฉe par certainโeโs TS et qui pourrait sโappliquer lorsque ceux-ci travaillent avec une personne souffrant de maladie incurable dรฉgรฉnรฉrative. Cette approche et son application seront dรฉveloppรฉes dans le point 4.3 de ce travail. Dans la dรฉfinition internationale du travail social, il est prรฉcisรฉ que le ou la travailleuse sociale a pour mission dโencourager les personnes ร relever les dรฉfis de la vie. Or, on peut considรฉrer les consรฉquences dโune maladie incurable chronique et dรฉgรฉnรฉrative comme un dรฉfi de la vie. Cet รฉlรฉment permet de justifier davantage lโintervention des professionnelโleโs du travail social dans cette situation. Un dernier point ร soulever dans cette dรฉfinition concerne lโamรฉlioration du bien-รชtre de tous et toutes, qui est une des missions du travail social (EASSW, 2014). Donc, le ou la TS doit travailler aussi ร amรฉliorer le bien-รชtre des personnes atteintes de maladie incurable chronique et dรฉgรฉnรฉrative. Grรขce ร ces deux dรฉfinitions, nous pouvons soutenir que lโintervention du ou de la professionnelโle du travail social auprรจs des personnes souffrant de maladie incurable dรฉgรฉnรฉrative est justifiรฉe.
Question et hypothรจses de recherche
Comme il est justifiรฉ pour le ou la travailleuse sociale dโintervenir dans la situation dโune personne atteinte de maladie incurable dรฉgรฉnรฉrative, il est lรฉgitime de se demander de quelle maniรจre il ou elle intervient. La question de recherche a รฉtรฉ formulรฉe suite au constat que jโai pu faire lors de ma formation pratique ร la Ligue Pulmonaire. Je me suis en effet aperรงue des difficultรฉs rencontrรฉes par les personnes atteintes de maladie dรฉgรฉnรฉrative incurable et de lโimpact que celle-ci a sur leur quotidien. Jโai รฉgalement pu observer lโimportance du ou de la TS dans ces situations et je me suis questionnรฉe sur la maniรจre dโaccompagner ces personnes. Jโai alors posรฉ la question de recherche suivante : Comment et quelles mesures les travailleurs et travailleuses sociales mettent en place pour limiter au maximum lโimpact de la maladie sur la vie du ou de la patiente ? Pour y rรฉpondre, je pose de lโhypothรจse suivante : Le choix de la mesure se fait en fonction du positionnement par rapport au handicap ou ร la dรฉficience et en fonction de la posture inscrite dans la relation (aide ou accompagnement). Autrement dit, lโassistant ou lโassistante sociale va รฉmettre une rรฉponse ร la demande de la personne. Cette rรฉponse sera conditionnรฉe par sa maniรจre de considรฉrer la personne comme malade ou en situation de handicap et par la posture quโelle aura adoptรฉe. Deux sous-hypothรจses sous-tendent celle-ci :
Les personnes souffrant de maladie incurable dรฉgรฉnรฉrative ne sont pas considรฉrรฉes comme des personnes en situation de handicap par les professionnelโleโs du travail social. En effet, si les professionnelโleโs ne considรจrent pas ces personnes comme en situation de handicap, alors, il est possible de ne pas intervenir sur les diffรฉrents axes (les habitudes de vie, les facteurs environnementaux et les facteurs personnels) prรฉsentรฉs dans le processus de production du handicap, au point 3.1.3 de ce travail. Donc, en confirmant ou en infirmant cette hypothรจse, je pourrai avoir une vision plus claire des axes travaillรฉs et de ceux mis de cรดtรฉ par le ou la travailleuse sociale.
Le ou la travailleuse sociale a tendance ร adopter une posture professionnelle de sauveur et non une posture dโaccompagnement. Car, si le ou la professionnelโle occupe une position de sauveur, alors le pouvoir dโagir des personnes ne sera pas dรฉveloppรฉ et nous ne serons pas dans une relation dโaccompagnement oรน la relation est bilatรฉrale mais dans une relation unilatรฉrale avec un pouvoir donnรฉ ou pris par le ou la professionnelโle. Le ou la TS est censรฉ adopter une posture favorisant lโautonomie de la personne. En effet, ยซ le travail social consiste ร encourager les changements permettant aux รชtres humains de devenir plus indรฉpendants, et ce aussi ร lโรฉgard du travail social ยป (AvenirSocial, 2010, p. 6). Or, avoir une posture de sauveur aura plutรดt tendance ร rendre la personne dรฉpendante du ou de la TS. Le dรฉveloppement du pouvoir dโagir permet, lui dโรฉviter cela en mettant en avant lโautonomie de la personne.
Historique du handicap
Si la dรฉfinition du handicap prend en compte diffรฉrents aspects et relรจve la complexitรฉ de cette notion, il nโen a pas toujours รฉtรฉ ainsi. En effet, cette notion et lโintervention sociale qui sโy rapporte ont รฉvoluรฉ au fil du temps. Au Moyen Age, lโunique prise en charge existant pour les personnes qui en avaient besoin รฉtait la famille. Si elle รฉtait dans lโimpossibilitรฉ de sโen occuper, alors cโest la communautรฉ territoriale qui intervenait. A partir du XIIรจme siรจcle, les personnes infirmes ou malades รฉtaient gรฉnรฉralement touchรฉes par la pauvretรฉ, tout comme les veuves et les orphelinยทeยทs, les paysanยทneยทs, les vieillards, les nobles dรฉchus, les jongleurs, marchands et รฉtudiants libertins. Pour rรฉpondre ร cette pauvretรฉ de masse, une prise en charge fut mise en place. Afin de dรฉterminer qui aurait droit ร cette aide, le critรจre principal รฉtait lโaptitude au travail. Une distinction รฉtait alors fait entre celles et ceux qui รฉtaient lรฉgitimes pour recevoir une aide car dans lโincapacitรฉ de travailler et celles et ceux qui nโavaient pas cette lรฉgitimitรฉ et qui devaient alors travailler (Ville, Fillion, & Ravaud, 2014, p. 28). Au XIIIรจme siรจcle, on assiste ร une gรฉnรฉralisation de lโaumรดne et le pauvre est sanctifiรฉ. ยซ Dรจs lors, il ne sโagit plus de ยซ se pencher sur ยป les indigentยทeยทs, mais de ยซ sโรฉlever ยป jusquโร eux.
Cโest en ce sens que Henri-Jacques Stiker รฉvoque ยซ une mystique de lโinfirmitรฉ ยป propre ร la pensรฉe chrรฉtienne qui admet ยซ la marginalitรฉ comme une valeur positive ยป en lieu et place du mรฉpris et de lโhumiliation qui y รฉtaient attachรฉs ยป (Ville, Fillion, & Ravaud, 2014, p. 29). Donc les malades et infirmes, considรฉrรฉs comme indigentยทeยทs, รฉtaient vuยทeยทs de maniรจre positive. En effet, le fait dโรชtre misรฉricordieux permettait aux gens de racheter leurs pรฉchรฉs. Ce qui signifie quโaider les indigents รฉtait un moyen dโaccรฉder au paradis. Sโil nโy a pas de personne dans le besoin, il aurait รฉtรฉ plus difficile dโacquรฉrir son droit ร la rรฉdemption. A la fin du XIIIรจme siรจcle, le ยซ service social ยป de cette รฉpoque, dirigรฉ par les pouvoirs publics, dรฉcida de distinguer les pauvres simulateurs des vraiยทeยทs malades et infirmes en mettant en place des contrรดles. Cela commenรงa tout dโabord en reclarifiant lโobligation de travailler, catรฉgorisant alors les ยซ pauvres mรฉritants ยป et les ยซ vagabonds ยป. Cโest ร partir du XIVรจme siรจcle que lโassistance servira finalement ร contrรดler aussi bien quโร aider les indigentยทeยทs (Ville, Fillion, & Ravaud, 2014, p. 29 et 30).
Puis, une spรฉcialisation de cette assistance se mit en place suite ร un รฉpisode de peste noire qui engendra une situation de crise. En Europe, plus dโun tiers de la population pรฉrit et le besoin de main dโoeuvre pour le travail se fit sentir. Ce qui eut pour consรฉquence la condamnation du vagabondage et de lโoisivetรฉ et des moyens de rรฉpressions furent mis en place. Le ยซ bon pauvre ยป reste alors la personne qui, inapte au travail, ยซ dรฉnote une pauvretรฉ subie, consรฉquence du destin ou de la volontรฉ divine ยป (Ville, Fillion, & Ravaud, 2014, p. 30). Le fait dโรชtre infirme, que ce soit suite ร une maladie ou un accident, justifie le besoin dโassistance. Jusquโau XXรจme siรจcle, la plupart des infirmes nโont alors pas dโobligation de travailler. Il est รฉgalement important ici de ne pas laisser de cรดtรฉ ยซ le grand renfermement ยป qui eut lieu XVIIรจme siรจcle dans toute lโEurope. A cette pรฉriode, de nombreuses personnes se virent enfermรฉes dans des hรดpitaux afin ยซ dโempรชcher la mendicitรฉ, lโoisivetรฉ ยป considรฉrรฉes alors comme ยซ source de tous les dรฉsordres ยป (Ville, Fillion, & Ravaud, 2014, p. 32). Cette politique est liรฉe aux changements sociรฉtaux ร lโoeuvre. ยซ Le capitalisme naissant rompt avec la sociรฉtรฉ moyenรขgeuse, sensible au salut et au don, oรน les mendiants trouvaient leur place et leur utilitรฉ. Dans ce contexte, les pauvres deviennent des ยซ inutiles au monde ยป ยป (Ville, Fillion, & Ravaud, 2014, p. 32). La sociรฉtรฉ devenant capitaliste, soit basรฉe sur le travail et le profit, les personnes ne pouvant pas travailler nโรฉtaient pas utiles. Le secours veut alors ยซ relever ยป et ยซ รฉduquer ยป les indigentยทeยทs grรขce ร la discipline et au travail forcรฉ.
|
Table des matiรจres
1. Introduction
2. La problรฉmatique
2.1 Le problรจme identifiรฉ
2.2 Question et hypothรจses de recherche
3. La dรฉficience
3.1 Handicap et dรฉficience
3.1.1 Dรฉfinitions et distinction
3.1.2 Historique du handicap
3.1.3 Le processus de production du handicap
3.2 La maladie dรฉgรฉnรฉrative et le PPH
3.2.1 Dรฉfinition
3.2.2 PPH : Facteurs personnels
3.2.3 PPH : Facteurs environnementaux et habitudes de vie
4. Le travail social, le handicap et la maladie dรฉgรฉnรฉrative
4.1 Lโaccompagnement de la personne
4.2 La posture du ou de la travailleuse sociale
4.3 Le dรฉveloppement du pouvoir dโagir (DPA) comme finalitรฉ de lโaccompagnement
5. La mรฉthodologie
5.1 Terrain de recherche
5.2 Echantillon
5.3 Recueil de donnรฉes
5.4 Ethique
6. Analyse
6.1 Le handicap
6.1.1 Au centre des facteurs personnels, le diagnostic
6.1.2 Les facteurs environnementaux : lโimportance des proches et la question du logement
6.1.3 Les habitudes de vie : travail, assurances sociales et risque de licenciement
6.2 Lโaccompagnement
6.2.1 Premiรจre รฉtape : identifier la demande
6.2.2 La posture
6.2.3 Lโapproche utilisรฉe Marie de Chastonay Travail de Bachelor HESยทSO Valais//Wallis
7. Discussion des rรฉsultats
7.1 Retour sur les hypothรจses
7.1.1 La maladie incurable dรฉgรฉnรฉrative et le handicap
7.1.2 Lโaccompagnement
7.1.3 Hypothรจse et sous-hypothรจses
7.2 Retour sur la question de recherche
7.3 Perspectives dโaction
8. Bilan
8.1 Les limites de ce travail
8.2 Perspectives de recherche
8.3 Evolution professionnelle et personnelle
9. Bibliographie
10. Annexes
10.1 Guide dโentretien
10.2 Lettre informative
10.3 Formulaire de consentement
Tรฉlรฉcharger le rapport complet