Le processus de convection profonde dans les océans du monde
Les sites de convection connus et leur rôle dans la circulation thermohaline
Relativement peu de sites de convection sont répertoriés à travers le monde malgré leur rôle crucial (Killworth, 1983 ; Figure I-1). En effet, les processus de convection en océan hauturier sont à l’origine de la formation et du renouvellement des masses d’eaux profondes. Ces eaux se propagent ensuite dans tous les océans, participant activement à la circulation thermohaline de l’océan global (Figure I-2). Ce processus complexe a été observé au nord de l’océan Atlantique, et plus précisément dans les mers d’Irminger, du Groenland et en mer du Labrador (Marshall and Schott, 1999). Alors que les eaux profondes formées en mer du Groenland restent confinées à la circulation de l’océan Arctique et autour de l’Islande, les eaux Profondes Nord Atlantique (NADW, North Atlantic Deep Water) formées en mer du Labrador réapprovisionnent en eaux profondes tout l’océan Atlantique, puis se divisent à la pointe africaine pour alimenter l’océan Indien puis l’océan Pacifique (Mauritzen, 1996). Dans l’hémisphère sud, les mers de Weddell et de Ross (Marshall and Schott, 1999) sont des sites de convections en océan ouvert à l’origine de la formation des eaux profondes Antarctique (AABW, Antarctic Bottom Water). Les AABW sont les eaux les plus denses de l’océan global, et comme les NADW, elles pénètrent dans les 3 océans principaux : l’océan Atlantique, puis l’océan Indien et enfin le Pacifique (Orsi et al., 1999). Un dernier site de convection existe dans l’hémisphère nord, la mer Méditerranée (Medoc Group, 1970; Thetis Group, 1994) .
Structuration des épisodes de convection
La convection en océan hauturier est un processus physique hivernal complexe, dont le déclenchement des épisodes est réalisé en 3 étapes pouvant se chevaucher (Send & Marshall, 1995; Marshall & Schott, 1999; Figure I-3). Des eaux denses sont formées en surface lors de la phase de préconditionnement (Figure I-3A) grâce aux forçages atmosphériques. Ces forçages consistent en l’action combinée de la diminution de température saisonnière et de l’action de forts vents, ce qui entraine une perte de chaleur de la couche de surface (diminution de la température) ainsi qu’une évaporation (augmentation de la salinité). Ceci se traduit par une augmentation de l’anomalie de masse volumique des eaux de surface, dépendant des conditions atmosphériques hivernales, mais également de l’état de stratification de la colonne d’eau. Toutes les zones connues de convection en océan hauturier se situent au centre d’un tourbillon cyclonique. Cette circulation particulière a pour effet de remonter localement les différentes masses d’eaux (pompage d’Ekman), formant un dôme isopycnal qui affaiblie la stratification de la colonne d’eau (Killworth, 1983; Marshall and Schott, 1999). Les forçages atmosphériques hivernaux déstabilisent d’autant plus facilement les couches stratifiées, formant ainsi une cheminée de convection parfois large de plus de 100km de diamètre. La phase de mélange intense (Figure I-3B) consiste en l’approfondissement de la cheminée de convection par la propagation de cellules de convectives, larges d’environ 1km de diamètre chacune. Au sein de ces cellules, des vitesses verticales descendantes parfois supérieur à 10 cm.s-1 ont été enregistrées (Mertens and Schott, 1998). Plusieurs cellules convectives coexistent au sein de la cheminée de convection, des cellules dynamiques entre lesquelles des courants ascendants permettent de remonter des eaux profondes à des vitesses inférieures que les courants descendants (Send and Marshall, 1995). Lors de la phase de propagation (Figure I-3C), la diminution des forçages atmosphériques ralentie puis stoppe le mélange vertical permettant aux eaux environnantes de progressivement recouvrir l’ancienne zone de convection. Les eaux denses sont exportées par gravité à leur pression hydrostatique, puis se propagent progressivement vers les autres bassins en fonction de la circulation générale.
Impact du changement climatique sur le processus de convection
La fréquence et l’intensité des épisodes de convection sont susceptibles d’être altérées avec le changement climatique, puisque la convection en océan hauturier est un processus dépendant du forçage atmosphérique (cf. section I.1.2). En effet, les échanges de chaleur entre l’atmosphère et l’océan jouent un rôle essentiel dans la déstabilisation d’une colonne d’eau (Marshall and Schott, 1999). Ces 50 dernières années, une augmentation de température des eaux de surface de ~0.64°C a été enregistrée dans l’océan global (Reid et al., 2009), avec notamment une élévation de plus de 1°C en mer Australe depuis les années 1950 (Meredith, 2005). Les prédictions actuelles tendent donc à voir le processus de convection diminuer du fait de l’augmentation de température de l’océan et de la stratification, ce qui pourrait conduire à une diminution de la circulation thermohaline Atlantique de 50% au 21ème siècle (Reid et al., 2009). Toutefois en Méditerranée Nord Occidentale, une augmentation de la fréquence des épisodes de convection profonde a été observée ces dernières décennies. La diminution du taux de précipitation et l’augmentation de la fréquence des évènements de vents froids et intenses auraient conduit à une élévation du taux d’évaporation des eaux de surface (Marty and Chiavérini, 2010), contrebalançant l’augmentation de température des eaux de surface par l’augmentation de salinité. Au début des années 90, la génération massive d’eaux denses dans la mer d’Égée a conduit à une importante modification des caractéristiques des eaux profondes dans le bassin oriental. Ce processus a été appelé « Eastern Mediterranean Transient » (EMT) (Roether et al., 1995) et a entrainé un changement de la circulation thermohaline profonde dans tout le bassin oriental, ainsi que sur les caractéristiques des eaux passant dans le bassin occidental par le seuil de Sicile (Vilibić et al., 2012). Suite à cela, des modifications des eaux profondes ont aussi été observées dans le bassin occidental (eaux profondes plus chaudes, plus salées et plus dense) engendrant ainsi le « Western Mediterranean Transient » (WMT) (Schröder et al., 2006). L’exemple de la Méditerranée indique que l’impact du changement climatique sur les processus de convection n’est pas homogène dans tous les océans du monde. Ces observations montrent la nécessité d’étudier davantage ces processus, afin d’alimenter les modèles existants et d’améliorer leur prédiction.
La Mer Méditerranée
La Mer Méditerranée – un océan miniature
La Méditerranée est une mer semi-fermée séparée en 2 sous-bassins oriental et occidental, connectée à l’océan Atlantique par le détroit de Gibraltar et à la mer Rouge par le canal de Suez. Il s’agit d’un bassin de concentration où le taux d’évaporation est supérieur au taux de précipitation, ce qui induit un déficit hydrique naturel d’environ 1 m.a-1 (Béthoux et al., 1999). Un équilibre est toutefois atteint via les eaux atlantiques entrantes qui compensent 21 fois ce déficit hydrique, et les eaux méditerranéennes sortantes excédant le déficit en eau douce de 20 fois. Mais ces bilan hydriques ne sont pas fixes et font encore sujet de nombreux travaux de recherche, notamment par le programme HYMEX (HYdrological cycle in Mediterranean EXperiment). La mer Méditerranée représente 0.7% de la surface des océans mondiaux et 0.3% de leur volume. Ces caractéristiques favorisent un temps de résidence des eaux court, de l’ordre de 70 ans contre ~2000 ans dans l’océan global (Mermex group, 2011). Quatre sites de convection y sont répertoriés (Figure I-4) : 3 dans le bassin oriental, en mer Adriatique et en mer Égée et en mer de Rhodes, et un site dans le bassin occidental, au niveau du golfe du Lion. La Méditerranée est une des mers les plus sensibles au changement climatique avec l’océan Arctique (IPCC, 2007). Pour toutes ces raisons, elle est considérée comme un « océan miniature » (Béthoux et al., 1999) permettant de surveiller des changements climatiques et environnementaux similaires à l’océan global, mais sur des échelles de temps et d’espace beaucoup plus courtes.
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Table des matières
I. INTRODUCTION GÉNÉRALE
I.1. Le processus de convection profonde dans les océans du monde
I.1.1. Les sites de convection connus et leur rôle dans la circulation thermohaline
I.1.2. Structuration des épisodes de convection
I.1.3. Impact du changement climatique sur le processus de convection
I.2. La Mer Méditerranée
I.2.1. La Mer Méditerranée – un océan miniature
I.2.2. Influence du changement climatique sur la mer Méditerranée
I.2.3. Masses d’eaux et circulation de la mer Méditerranée
I.2.4. La convection dans le golfe du Lion
I.3. Les cycles biogéochimiques dans les océans et l’influence des phénomènes de convection
I.3.1. Les sels nutritifs dans les océans
I.3.2. La matière organique dans les océans
I.3.3. Impact des épisodes de convection sur les cycles biogéochimiques
I.4. Le compartiment microbien
I.4.1. La boucle microbienne et la relation diversité/fonction
I.4.2. Impact des épisodes de convection sur le compartiment microbien
I.5. Objectifs de la thèse
II. IMPACT DE LA CONVECTION SUR LA BIOGÉOCHIMIE DE LA MNO
II.1. Préambule
II.2. Article 1: Impact of open-ocean convection on nutrients, phytoplankton biomass and activity
III. IMPACT DE LA CONVECTION SUR LES PROCARYOTES MARINS EN MNO
III.1. Préambule
III.2. Article 2: Impact of an open-ocean convection event (0-1500m) on prokaryotic diversity and activity in the NW Mediterranean Sea
III.3. Préambule
III.4. Article 3: Vertical niche partitioning of marine bacterial (SAR11) and archaeal (Marine group I and II) ecotypes in response to physical turbulence
IV. DISCUSSION GÉNÉRALE ET PERSPECTIVES
IV.1. Impact de la convection sur la biogéochimie de la MNO
IV.1.1. Discussion et perspectives : les sels nutritifs
IV.1.3. Discussion et perspectives : export de matière organique
IV.2. Impact de la convection sur la diversité et les activités des procaryotes marins en MNO
IV.2.1. Discussion et perspectives : influence de la MO exportée sur les communautés convectives
IV.2.3. Discussion et perspectives : devenir des communautés dans les nouvelles WMDW
IV.2.2. Discussion et perspectives : écotypes de SAR11, Marine Group I et Marine
Group II
RÉFÉRENCES
ANNEXES