Le préalable législatif dû au découpage de la qualification en droit pénal international

Le préalable législatif dû au découpage de la qualification en droit pénal international

Là encore, le système existant en droit pénal international et droit international privé diffère fortement. C’est M. Lombois qui, suite à une analyse comparative entre ces deux matières, a démontré le nécessaire préalable de la compétence législative sur la compétence juridictionnelle en droit pénal international.

En droit international privé, la compétence judiciaire doit précéder la compétence législative, c’est ce qu’affirme avec vigueur un autre auteur en énonçant que « dans le jeu normal des conflits, il ne peut-être question de rechercher d’abord la loi applicable au fond, afin d’en déduire ensuite la juridiction compétente».

Il est donc inenvisageable de définir la compétence d’un tribunal sur le fondement d’une loi alors que la loi, encore inconnue, dépend de la règle de conflit de lois applicable au litige. Il démontre qu’en droit international privé, « la situation est à priori juridique. Elle l’est avant qu’on sache vraiment suivant quelle loi, elle l’est nécessairement avant même d’être soumise au juge : c’est pour cela que le juge doit se prononcer sur elle, même en cas de silence, d’obscurité ou d’insuffisance de la loi ». On voit qu’en droit international privé, la détermination du juge précède la détermination de la loi applicable au litige. Le rôle du juge est dominant dans la résolution du litige, c’est à lui que revient le devoir d’interpréter la loi, d’en déterminer le sens ce qui implique que sa compétence soit fixée en amont, avant même de déterminer la loi qui sera ensuite applicable au litige.

L’absence de conflit de lois en droit pénal international

L’affirmation selon laquelle le droit pénal international ne peut connaître de conflit de lois peut d’abord surprendre car celui-ci se caractérise par l’extranéité des situations qu’il régit. Pourtant l’appréciation du conflit de lois qui est faite en droit pénal international est restrictive  contrairement au système de droit international privé qui est plus « ouvert ».

Le conflit de lois en droit international privé

Pour qu’existe un conflit de lois, il faut que soit présent parmi toutes les données du litige, un contact conflictuel entre l’ordre juridique de référence du juge et un ordre juridique étranger. Dans l’hypothèse d’une situation qui présente un élément d’extranéité, un conflit peut résulter de la différence de contenu entre la loi du for, référence du juge, et la loi étrangère car ces deux ordres juridiques sont alors potentiellement compétents pour régler le litige. Ce qui entraîne le conflit de lois est donc bien un fait étranger, sinon l’application par le juge de normes internes pour régler une situation interne ne poserait aucune difficulté.

Le conflit de lois relève donc de la question de la loi applicable… il va s’agir de faire un choix entre les différentes lois en présence pour déterminer celle qui règlera la relation . Pour caractériser un conflit de lois en droit international privé, il faut en premier lieu que deux ordres juridiques soient compétents pour régler une question de droit déterminé, et ensuite que le juge soit contraint de choisir entre deux lois en présence.

La fixation unilatérale de la compétence pénale élusive de tout conflit de lois en droit pénal international

La fixation de compétence répressive est unilatérale, les Etats délimitant eux-mêmes leur compétence et donc, le champ d’application de leur loi pénale dans l’espace. En effet, le conflit de lois ne semble pas transposable en droit pénal puisque chaque Etat dispose d’une compétence matérielle exclusive, ce qui a pour effet d’empêcher une concurrence entre deux ou plusieurs ordres juridiques. Cette détermination unilatérale résulte de l’arrêt Lotus dans lequel la Cour permanente de justice internationale a affirmé que «chaque Etat reste libre d’adopter les principes qu’il juge les meilleurs et les plus convenables » en matière de compétence répressive. Dans cet arrêt, la Cour donne une liberté énorme aux Etats qui ont une marge de manœuvre exclusive dans la fixation de leur compétence répressive.

Cette compétence matérielle exclusive pour chaque Etat démontre aussi l’absence de conflit de lois en droit pénal international puisqu’aucune concurrence ne peut naitre entre les Etats dans la fixation de leur compétence. L’absence de concurrence entre les compétences des Etats entraînant ipso facto l’absence de conflits de lois.

La première conséquence de cette absence de conflit de lois est que le juge répressif français ne peut pas appliquer une loi pénale étrangère. La seconde est que le juge n’a pas pour obligation de déterminer, dans l’hypothèse où sa propre loi pénale n’est pas applicable, la loi qui pourra alors régir la situation.

La solidarité des compétences en cas d’universalité

La compétence universelle se définit par la compétence par laquelle un Etat poursuit et juge une infraction qui n’a pas de lien de rattachement avec lui mais qui repose sur le constat que certains comportements portent atteinte à des valeurs intrinsèquement internationales et universellement admises.

Ce titre de compétence se trouve aux article 689-2 et suivants du Code de procédure pénale, il s’agit de la compétence universelle des juridictions répressives françaises ce qui implique par conséquent la compétence de la loi française. La logique est donc inversée mais la solidarité toujours consacrée.

Finalement, le trouble à l’ordre public n’est pas national mais international, peu importe alors de savoir où le fait a été commis. « La conscience universelle » est bafouée ce qui rend légitime pour l’Etat sur lequel se trouvent les auteurs réfugiés de défendre cet ordre public, en poursuivant l’auteur des faits devant ses tribunaux et selon sa propre loi pénale.

La Cour européenne des droits de l’homme a consacré la compétence universelle en tant que principe de droit international dans un arrêt du 17 mars 2009, Ould Dah c/ France. Cette décision s’impose comme un arrêt de principe car la Cour déclare le principe de compétence universelle compatible avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si la juridiction française pouvait être compétente pour juger des faits commis à l’étranger par un étranger contre des victimes étrangères et appliquer la loi française.

En l’espèce, un homme a engagé sa responsabilité pour des actes de tortures et de barbarie commis en Mauritanie entre 1990 et 1991 lors d’affrontements entre différentes ethnies en tant qu’agent des forces armées. Or, en 1993, le gouvernement Mauritanien a adopté une loi d’amnistie pour les infractions ayant été commises dans le cadre des opérations de l’armée. Rappelons « l’amnistie ôte rétroactivement à un fait son caractère délictueux et que la raison d’être de cette indulgence est le souci de mettre un terme à une période marquée par des divisions politiques graves ».

La solidarité des compétences maintenue dans le nouvel article 113-8-1 du Code pénal

C’est la loi du 9 mars 2004 dite « loi Perben II » qui a instauré un nouvel article dans notre Code pénal, l’article 113-8-1 qui énonce que « (…) la loi pénale française est également applicable à tout crime ou à tout délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement commis hors du territoire de la République par un étranger dont l’extradition a été refusée à l’Etat requérant par les autorités françaises aux motifs, soit que le fait à raison duquel l’extradition avait été demandée est puni d’une peine ou d’une mesure de sûreté contraire à l’ordre public français, soit que la personne réclamée aurait été jugée dans ledit Etat par un tribunal n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense, soit que le fait considéré revêt le caractère d’infraction politique .La poursuite des infractions mentionnées au premier alinéa ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public. Elle doit être précédée d’une dénonciation officielle, transmise par le ministre de la justice, de l’autorité du pays où le fait a été commis et qui avait requis l’extradition ».

Tout en consacrant ce nouveau titre de compétence, le législateur français a précisé que seule la loi française était applicable, ce qui revient donc à admettre la solidarité des compétences législative et juridictionnelle.

La volonté du législateur mérite d’être approuvée car elle permet d’avoir de nouveaux moyens dans la lutte contre l’impunité dès qu’une ou plusieurs frontières perturbaient « le jeu normal de l’exercice des compétences répressives » . En se dotant de cette nouvelle compétence répressive, la France peut réprimer une infraction commise à l’étranger sans pour autant sacrifier certains principes fondamentaux. Cette nouvelle compétence doit donc se faire selon la loi pénale française devant les tribunaux français. Cet article confirme l’idée d’aboutir à une universalité dans la répression qui remonte à Grotius et prétend mettre en œuvre un adage latin « aut dedere, aut punire » qui avait déjà été soutenu par Covarruvias qui énonçait que le juge « devait pouvoir punir ou extrader tous les malfaiteurs dangereux ». Ce nouvel article permet d’assurer la répression d’une infraction et ce, indépendamment de son lieu de commission et l’éclatement géographique de ses éléments constitutifs.

La réfutation du caractère préalable de la compétence législative

Si en droit international privé, le préalable de la compétence juridictionnelle sur la compétence légale est un principe fondamental, en droit pénal international, le système défendu est inversé chronologiquement. En effet, le système pénaliste consacre le préalable de la compétence législative. Ceci est critiquable et n’a pas pour corolaire la solidarité des compétences , et rendant indispensable la réécriture de certains articles .

Les failles du caractère préalable de la compétence législative

A la lecture du Code de procédure pénale, il est possible de remarquer que le législateur français réfute, lui même, dans certaines hypothèses le caractère préalable de la compétence législative. L’article 689-1 du Code de procédure pénale énonce qu’une personne « peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises » ce qui démontre qu’en introduisant les titres de compétences universelles des juridictions pénales, le législateur s’intéresse à la compétence des juridictions avant de se référer à la loi applicable au litige.

Les anciens articles 694 et 695 du Code de procédure pénale démontraient, eux aussi, la volonté du législateur de consacrer la compétence juridictionnelle avant de se pencher sur la compétence législative. En effet, l’objectif visé par ces textes était de déterminer dans quelles conditions un Français « peut être poursuivi et jugé par les juridictions françaises…d’après les lois françaises ». Ces articles affirment donc le préalable de la compétence judiciaire sur la compétence légale et admettent donc que la détermination du juge peut précéder la détermination de la loi. D’un point de vue simplement terminologique, il est possible de contester le préalable de la compétence législative.

La remise en cause du préalable législatif en pratique

Même si très souvent, le législateur fait dépendre la compétence des juridictions françaises à l’application de la loi pénale française, certains articles ne corroborent pas les décisions de ce dernier.

En effet, si l’on observe avec attention l’article 689 du Code de procédure pénale, on peut se rendre compte d’une faille puisqu’il énonce que « Les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises (…) soit lorsque la loi française est applicable, soit lorsqu’une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l’infraction ». S’il paraît évident que la compétence de la loi pénale française implique la compétence des juridictions françaises, celle-ci est plus contestable si c’est une convention internationale qui donne compétences aux juridictions françaises. En effet, dans cette seconde hypothèse, la compétence peut être donnée aux juridictions pénales françaises mais « en marge de nos lois pénales de fond » ce qui amorce « le déclin du dogme de la solidarité des compétences » : les poursuites exercées devant nos tribunaux répressifs ne sont donc pas forcément soumises à notre propre droit. Une lecture littérale de cet article permet d’affirmer que les compétences juridictionnelle et législative ne sont pas nécessairement solidaires.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 LA LEGITIMITE DU PRINCIPE DE SOLIDARITE DES COMPETENCES LEGALE ET JURIDICTIONNELLE EN DROIT PENAL INTERNATIONAL
SECTION 1 LES JUSTIFICATIONS TRADITIONNELLES DU PRINCIPE DE SOLIDARITE DES COMPETENCES
§ 1 La territorialité de la loi pénale
A) L’affirmation du principe de la territorialité des lois pénales françaises
B) Un principe justifié par la souveraineté territoriale
§ 2 Le préalable de la compétence législative en droit pénal international
A) Le découpage de la qualification en droit pénal international
B) L’appréciation par le juge du préalable législatif
§ 3 L’absence de conflit de lois en droit pénal international
A) Le conflit de lois en droit international privé
B) La fixation unilatérale de la compétence pénale élusive de tout conflit de lois en
droit pénal international
SECTION 2 LE NECESSAIRE MAINTIEN DE LA SOLIDARITE DES COMPETENCES EN DROIT PENAL INTERNATIONAL
§1 L’applicabilité de la loi pénale française pour la compétence réelle
§2 La solidarité des compétences en cas d’universalité
§3 La coïncidence des compétences maintenue dans le nouvel article 113-8-1 du Code pénal
PARTIE 2 LA REMISE EN CAUSE DU PRINCIPE DE SOLIDARITE DES COMPETENCES LEGISLATIVE ET JURIDICTIONNELLE
SECTION 1 LA FRAGILITE DES JUSTIFICATIONS TRADITIONNELLES
§1 L’extension abusive du principe de territorialité
A) Une compassion territoriale exagérée
B) La répression de la complicité à l’étranger
§2 La réfutation nécessaire du préalable de la compétence législative
A) Les failles théoriques de l’antériorité de la compétence législative
B) La remise en cause du préalable législatif en pratique
§3 Le conflit de lois en droit pénal
A) L’indifférence de l’unilatéralisme dans la fixation des compétences
B) La prise en considération de la loi pénale étrangère par le juge français
SECTION 2 L’AVENIR INCERTAIN DU PRINCIPE D’IDENTITE DES COMPETENCES
§1 Les perspectives des différentes compétences
A) La compétence territoriale
B) Les compétences personnelles
C) La compétence réelle
D) La compétence universelle
§2 Vers une réforme plus globale, la généralisation de la double incrimination
CONCLUSION

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