Le pouvoir sur les apprentissages
Les pédagogies nouvelles
Pour mieux comprendre dans quel contexte s’inscrit la pédagogie d’expression ludocréative, nous allons traiter de l’émergence des pédagogies nouvelles par un bref détour historique.
Nées dans le courant du XIXe siècle, elles sont le reflet d’une volonté de réformer le système traditionnel de l’enseignement et s’appuient sur une longue tradition de pédagogues et de théories. Parmi elles, nous pouvons nommer Rousseau (1712-1778) avec sa réflexion sur l’éducation avec « Emile, ou De l’éducation » (1772) ou encore les expériences pédagogiques de Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827). Elles ont en commun leurs valeurs que sont le respect de l’enfant et le développement de son intelligence (Fournier, 2007, p. 5). Leur but est de permettre à l’enfant de construire ses connaissances tout en lui permettant de développer son autonomie :
« Les pédagogies nouvelles tirent leur force et leur pertinence d’une révolte contre l’école-caserne, l’école-usine, l’école qui évalue avant d’enseigner, l’école où l’on se rend avec angoisse, où l’on travaille dans l’ennui et la souffrance, l’école où l’on est assujetti et où l’on apprend la soumission plutôt que l’autonomie, l’école sélective, qui fabrique des échecs et des hiérarchies, l’école qui dénie le droit à l’erreur, à la différence, à la parole » (Perrenoud, 1997, p. 28).
Parmi les principaux pédagogues de ce courant, nous pouvons nommer John Dewey, Rudolph Steiner, Maria Montessori, Ovide Decroly, Alexander Sutherland Neil, Célestin Freinet, Fernand Oury. Tous ont en commun d’avoir créé leur école, mettant ainsi en pratique à travers des outils qu’ils ont développé leurs valeurs éducatives.
Après la deuxième Guerre mondiale, le mouvement pour l’éducation nouvelle poursuit son développement avec, en France, le plan Langevin-Wallon qui incite ce type de pratiques innovantes. Dans les années 1960-1970, les théories du psychologue Jean Piaget et de l’américain Carl Rogers viennent également alimenter le débat. En 1968, ce sont les idées de Michel Foucault qui contribuent à la critique de l’école traditionnelle (Fournier, 2007, p. 5).
C’est dans ce contexte que se développe, dans les années 1970, une multitude d’écoles parallèles et alternatives. Cependant, c’est l’arrivée massive des élèves à l’école secondaire et la problématique des échecs scolaires dans les années 1980 qui vont les placer sous les feux des projecteurs et permettre un changement de regard, même si toutefois elles restent davantage perçues « comme propre à réconcilier les élèves décrocheurs, plus que comme des projets porteurs d’une éducation différente… » (Fournier, 2007, p. 6).
Au terme de cette partie, nous pouvons relever les liens qui rattachent la pédagogie d’expression ludocréative au courant des écoles nouvelles. En effet, nous pouvons faire de nombreux parallèles tant dans les valeurs qu’elles défendent que dans les outils pratiques qu’elles emploient. La pédagogie d’expression ludocréative s’inscrit dès lors dans le même courant de pensée mettant en avant le respect de l’enfant dans sa globalité, l’hétérogénéité, l’affirmation du Sujet, le vivre ensemble. De plus, nous pouvons faire des analogies entre les outils développés par Dinello et ceux d’autres pédagogues. Ainsi, il nous paraît intéressant de nommer la place du jeu dans les apprentissages que nous retrouvons chez Winnicott (18961971), ainsi que chez Deligny (1913-1996). Pour Montessori (1870-1952), l’utilisation du matériel passe par la manipulation et le travail autonome. C’est à travers l’expérimentation de ce matériel que l’enfant apprend. L’objet permet ainsi d’introduire différents contenus cognitifs par exemple la grammaire, l’écriture, la lecture, la numération, les formes, la géométrie, etc. L’importance de l’objet est au cœur même de la pédagogie d’expression ludocréative, puisque c’est en favorisant les interactions entre l’élève et les objets, ainsi qu’avec les autres personnes qui l’entourent (interaction Sujet-objets-sujets) qu’émerge l’apparition des questionnements. L’utilisation d’objets permet, dès lors, à l’élève de partir du concret pour arriver à l’abstrait :
« Les activités d’expression prennent forme lorsque les potentialités du sujet permettent de transformer et agir sur des objets qui représentent la réalité. Les différents matériaux proposés dans les aires d’expression donnent l’occasion de réaliser une « œuvre », en situation symbolique » (Loetscher, Vaucher & Péclard, p. 22).
Le savoir n’est ainsi plus transmis directement par le maître, mais il est médiatisé par le biais de l’objet. Cependant, si chez Montessori les objets sont prédéterminés et définis, dans la pédagogie d’expression ludocréative la transformation est au centre du processus d’apprentissage.
Nous pouvons relever que Dinello se retrouve également dans la lignée de l’apprentissage par l’expérience tel que mis en avant par John Dewey (1859-1952) avec le célèbre « learning by doing », ainsi que par Waldorf-Steiner (1861-1925) qui préconise également de partir de l’expérimentation pour aboutir à des concepts.
Pour terminer ce chapitre, nous pourrions faire encore de nombreux parallèles entre ces pédagogies et la pédagogie d’expression ludocréative. Cependant, ce n’est pas le propos principal de ce mémoire. Le dernier lien que nous retiendrons et qui nous permet d’introduire la suite de notre réflexion est le constat que toutes ces pédagogies ont suscité et suscitent toujours une importante controverse et des réactions contrastées. En effet, comme le relève Fournier (2007, p. 5), toutes les écoles créées par des pédagogues issus du mouvement des pédagogies nouvelles ont été considérées depuis leur création « comme des expériences marginales attirant souvent la méfiance en raison de leur caractère novateur et de la liberté qu’elle laisse à l’enfant ». Il existe peu de recherches sur ces écoles et il aura fallu attendre les années 2000 pour qu’enfin des chercheurs mettent en avant les progrès spectaculaires réalisés par les élèves au sein d’une école Freinet de la banlieue de Lille (Reuter, 2007). Cependant, malgré l’efficacité des méthodes mises en avant, le destin des écoles alternatives paraît encore précaire, dépendant de la volonté mouvante d’une administration tantôt élogieuse, tantôt contraire en fonction des orientations politiques et idéologiques de l’instant. Selon Fournier (2007, p. 7), « jouant sur une méfiance fréquente de l’opinion publique, les autorités placent souvent ces écoles dans une injonction paradoxale qui consiste à leur demander la réussite tout en souhaitant leur échec ». Dès lors, nous en arrivons au cœur de notre sujet, d’où viennent ces réticences et ces craintes ? Pour tenter d’y répondre nous allons traiter de la question des représentations, de l’idéologie, de l’imaginaire et de l’identité.
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Table des matières
Remerciements
Résumé
Mots-‐clés
1. Introduction
1.1 Choix de notre thématique
1.2 Les résistances
2. La pédagogie d’expression ludocréative
2.1 Présentation du fondateur de la pédagogie Raimundo Dinello
2.2 Implantation de la pédagogie en Suisse
2.3 La séquence méthodologique et son organisation
2.3.1 Les activités ludiques
2.3.2 L’expression créative
2.3.3 Les conflits pédagogiques
2.3.4 Les recherches d’informations et expérimentations
2.3.5 L’articulation conceptuelle et la systématisation des savoirs
3. Les pédagogies nouvelles
4. Cadre théorique
4.1 Les représentations
4.2 L’idéologique dans la représentation
4.3 L’imaginaire
4.4 Identité
5. Méthodologie
5.1 Les objectifs visés et la méthode de recherche
6. Analyse des données
6.1 Les pédagogies nouvelles / la pédagogie traditionnelle
6.1.1 Positionnements pédagogiques
6.1.2 Choix pédagogiques
6.2 Jeu “ plaisir ” / Jeu “ travail ”
6.2.1 Conception du jeu
6.3 Le pouvoir sur les apprentissages : apprendre / transmettre
6.3.1 La place de l’élève
6.3.2 Le rôle de l’enseignant
6.3.3 Conception de l’apprentissage
6.3.4 Le rôle du système scolaire
6.4 Le parcours scolaire et la formation des interviewés
7. Synthèse des données
7.1 Identité
7.2 Représentations
7.2.1 Le statut du jeu
7.2.2 Processus d’apprentissage
7.2.3 Le groupe
7.3 Idéologie
8. Conclusion
Bibliographie
Annexe A : questions entretiens
Annexe B : entretien Rafaël
Annexe B : entretien Marius
Annexe B : entretien Louisa
Annexe B : entretien Margaret
Annexe C : catégorie d’opposition Rafaël
Annexe C : catégorie d’opposition Marius
Annexe C : catégorie d’opposition Louisa
Annexe C : catégorie d’opposition Margaret
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