Le cadre juridique applicable
Tout d’abord, il semble utile de préciser que le juge des saisies est un juge spécialisé du tribunal de première instance. Il est titulaire d’un mandat spécifique et bénéficie d’une compétence exclusive via l’article 569,5° du Code judiciaire qui énonce que « le tribunal de première instance connaît des contestations élevées sur l’exécution des jugements et arrêts ».
La compétence matérielle du juge des saisies est encadrée par plusieurs dispositions du Code judiciaire. Trois d’entre elles confèrent au juge des saisies une compétence générale. Tout d’abord, l’article 1395 du Code judiciaire stipule que « toutes les demandes qui ont trait aux saisies conservatoires et aux voies d’exécution sont portées devant le juge des saisies ». De plus, cette disposition précise aussi que « ces demandes sont introduites et instruites selon les formes du référé, sauf dans les cas où la loi prévoit qu’elles sont formées par requête ». La procédure comme en référé est donc applicable devant le juge des saisies.
Ensuite, l’article 1489 du Code judiciaire précise que « le juge des saisies est seul compétent pour vider les contestations sur la régularité de la procédure de saisie conservatoire ». Il s’agit ici d’une compétence exclusive dévolue au juge des saisies. En outre, l’alinéa 2 de cette disposition rappelle que « l’ordonnance du juge des saisies ne porte pas préjudice au principal ». Le juge du fond ne pourra donc, en aucun cas, être lié par l’ordonnance rendue par le juge des saisies en matière de saisie conservatoire.
Enfin, l’article 1498 du Code judiciaire stipule « qu’en cas de difficulté d’exécution, toute partie intéressée peut se pourvoir devant le juge des saisies. Cependant, l’intentement d’une telle action ne peut avoir un quelconque effet suspensif ». Le terme « exécution » de cette disposition vise uniquement l’hypothèse d’une exécution forcée. Sont donc exclues l’exécution en nature et l’exécution directe du champ des compétences du juge des saisies.
D’autres dispositions du Code judiciaire donnent également compétence au juge des saisies. A titre d’illustration, nous pouvons épingler l’article 1403 du Code judiciaire relatif au cantonnement ou les articles 1417 et 1418 relatifs aux saisies conservatoires.
Principe : le juge des saisies ne peut connaître du fond du litige
Lorsque le juge des saisies est amené à statuer sur une contestation dont il est saisi, sa compétence est limitée. Elle est limitée en ce sens qu’il ne peut connaître de l’opportunité des poursuites, il ne peut connaître du fond du litige.
En effet, le juge des saisies ne peut connaître, pour rappel, que de la régularité et de la légalité d’une saisie. Il est chargé d’apprécier l’actualité exécutoire du titre et il ne peut, en aucun cas, revenir sur la décision prise antérieurement par le juge du fond. Il doit simplement prendre en considération la survenance potentielle de circonstances nouvelles à partir de l’obtention du titre exécutoire. A titre illustratif, la Cour de cassation a considéré que « le juge des saisies est compétent pour examiner si la créance apparaissant du titre exécutoire ne s’est pas éteinte postérieurement à la naissance du titre, auquel cas celui-ci n’est plus actuel et l’exécution est illicite. Il ne peut, à cet effet, déroger à ce qui a été décidé par le juge qui a rendu le jugement dont l’exécution est poursuivie ».
Par contre, il ne peut s’agir de circonstances nouvelles lorsque des faits ou circonstances, déjà invoqués en amont devant le juge du fond, sont à nouveau allégués devant le juge des saisies afin de contester l’actualité du titre exécutoire. Il en va de même lorsque la validité d’une créance sous-jacente à une saisie conservatoire, préalablement rejetée comme non-fondée par le juge du fond, est à nouveau soumise au juge des saisies. Ce dernier ne pourra donc, dans ce cas, considérer que cette créance est certaine, liquide et exigible.
Arrêts subséquents
En matière de saisie-exécution cette fois, un autre arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 1996 précise que : « hormis le cas de simulation, la saisie-arrêt-exécution ne peut, en règle, être pratiquée qu’à charge du débiteur et non d’un tiers».
En outre, la cour déclare aussi que : « la circonstance qu’un tiers, doté de la personnalité civile, a des liens de nature patrimoniale avec un débiteur n’a pas pour effet de permettre une saisie pratiquée à sa charge, sans titre exécutoire ». Il ressort donc de cet arrêt qu’une saisie-exécution ne peut avoir lieu qu’à charge du débiteur, sauf dans l’hypothèse d’une simulation. Cette jurisprudence de 1996 relative à une saisie-exécution va être transposée aux saisies conservatoires. En effet, un arrêt Teguise/F.U.S. contre État belge de la Cour de cassation du 20 avril 2017 se réfère à cette jurisprudence datant de 1996.
En effet, la cour rappelle ici qu’une saisie-arrêt conservatoire ne peut, en principe, uniquement qu’être effectuée à charge du débiteur et non auprès d’un tiers, sauf en cas de simulation. Le fait qu’un tiers ait des liens de nature patrimoniale avec un débiteur est sans incidence sur ce principe. De plus, la cour ajoute que « Le tiers ne pourra donc être tenu comme débiteur qu’en cas de simulation, de confusion et généralement d’attitude fautive engageant sa responsabilité envers le poursuivant». Dans le cas de la simulation, le juge des saisies est amené à vérifier si les biens saisis appartiennent réellement au débiteur saisi et non au tiers saisi. Le juge des saisies peut donc connaître de la propriété des sommes saisies-arrêtées, c’est-à-dire du fond du litige.
L’arrêt de la Cour de cassation du 4 septembre 2020
Un autre arrêt, encore plus récent, du 4 septembre 2020, concernant ici une saisie-exécution adopte une position légèrement différente comparé à la jurisprudence développée ci-dessus en matière de saisie-conservatoire. Tout d’abord, un bref rappel des faits semble pertinent afin d’appréhender les conséquences qui découlent de cet arrêt.
Le R.S.Z. (Rijksdienst voor Sociale Zekerheid) disposait de titres exécutoires à l’égard de deux sociétés (B.V. Privant et B.V. Arcalius) mais n’en disposait pas à l’égard d’une troisième société (B.V. UTN). Par conséquent, afin de saisir les sommes détenues par la société B.V. UTN, le R.S.Z. avait pour but de faire la démonstration qu’il y avait simulation, en ce que les trois sociétés forment, dans les faits, un tout.
L’objectif étant de retirer la personnalité juridique de ces trois sociétés afin de pouvoir mettre en œuvre le titre exécutoire à l’égard de la société B.V. UTN. Le juge des saisies a donc fait droit à la demande du R.S.Z. en ôtant la personnalité juridique de ces trois sociétés pour cause de simulation. La société B.V. UTN interjetait appel de cette décision. La Cour d’appel a reformé la décision rendue par le juge des saisies considérant que ce dernier ne pouvait statuer sur ces questions car elles sont liées au fond du litige, questions que seul le juge du fond peut aborder. Le R.S.Z. a donc introduit un pourvoi en cassation contre ce jugement d’appel. La Cour de cassation va annuler, dans son arrêt du 4 septembre 2020, le jugement rendu en appel. Quels enseignements pouvons-nous tirer de cet arrêt ?
La cour rappelle, qu’en principe, le créancier doit être titulaire d’un titre exécutoire pour procéder à une saisie vis à vis d’un tiers. Cette affirmation découle de l’article 1539 du Code judiciaire qui stipule que « le créancier nanti d’un titre exécutoire peut faire procéder par exploit d’huissier à une saisie-arrêt exécution, entre les mains d’un tiers, sur les sommes et effets que celui-ci doit à son débiteur ». Donc, si le tiers est redevable de sommes vis à vis du débiteur et que le créancier est titulaire d’un titre exécutoire, ce dernier peut saisir les biens appartenant à ce tiers. Mais, dans l’hypothèse d’une simulation, il n’est ni nécessaire de disposer d’un tel titre exécutoire pour saisir les biens de ce tiers, ni nécessaire que ce tiers soit redevable de sommes vis à vis du véritable débiteur.
La saisie paulienne : notion
Il existe une figure juridique créée de toute pièce par la jurisprudence et la doctrine: la saisie paulienne. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’une sorte de mélange entre l’action paulienne telle qu’elle est visée par l’article 1167 du Code civil et la saisie conservatoire, dont le juge des saisies connaît des demandes en vertu de l’article 1395 du Code judiciaire.
La saisie paulienne est un mécanisme qui permet, in fine, de saisir un bien qui se trouve dans le patrimoine d’une personne autre que le débiteur. Il permet donc au créancier de saisir des biens, initialement entre les mains de son débiteur, dans un patrimoine autre que celui de ce dernier.
La saisie paulienne constitue donc une exception aux articles 7 et 8 de la loi hypothécaire, desquels ressortent, pour rappel, qu’en principe, seuls les biens du débiteur peuvent faire l’objet de saisies. Georges DE LEVAL rappelle que, par principe, « le saisi doit être le débiteur et propriétaire des biens saisis ». Par exception à cette règle, il précise en outre « que le créancier peut quand même effectuer une saisie conservatoire sur des biens faisant l’objet d’une action paulienne, biens qui n’appartiennent donc plus au débiteur ».
A titre d’exemple, un arrêt rendu par la Cour d’appel de Gand du 8 septembre 2009 a estimé que «bien qu’en principe, la saisie puisse uniquement être pratiquée sur des biens qui appartiennent au débiteur saisi, la saisie peut exceptionnellement être opérée sur des anciens biens de ce dernier qui ont été transférés dans le patrimoine d’un tiers. Tel est le cas lorsque le créancier attaque avec succès l’opposabilité des actes juridiques qui ont été posés par le débiteur en fraude de ses droits et suite auxquels des biens ont disparu du patrimoine du débiteur pour se retrouver dans le patrimoine d’un tiers».
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : -LA COMPÉTENCE MATÉRIELLE DU JUGE DES SAISIES
SECTION 1-Le cadre juridique applicable
SECTION 2-Principe : Le juge des saisies ne peut connaître du fond du litige
SECTION3-Exceptions : Le juge des saisies peut connaître du fond du litige
CHAPITRE 2 : -LES LIMITES FACE AUX MANŒUVRES SIMULÉES DU DÉBITEUR
SECTION 1-L’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 1995
SECTION 2-Arrêts subséquents
SECTION 3-L’arrêt de la Cour de cassation du 4 septembre 2020
CHAPITRE 3 : -LES LIMITES FACE AUX MANŒUVRES FRAUDULEUSES DU DÉBITEUR
SECTION 1-La saisie paulienne : notion
SECTION 2-L’arrêt de la Cour de cassation du 30 septembre 2016
CONCLUSION
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