Le positionnement Netflix : un « internet cinéma » ?

Le positionnement Netflix : un « internet cinéma » ?

L’identité de Netflix, à la recherche du mythe cinématographique

Noir, Rouge, Blanc : Les codes couleurs d’une signature

Lorsqu’on se rend sur l’interface du site , l’on constate l’utilisation massive de la couleur  noir comme fond d’écran de l’interface. Ce choix démontre une volonté de la marque de rompre avec les conventions habituelles du web et ainsi se démarquer. En effet, le blanc est la couleur d’une page internet par excellence, « il renvoie à la page – Web et papier -, le blanc étant la couleur conventionnellement utilisée comme fond dans tout nouveau document sur Internet » . En effet, la couleur noir renvoie d’un point de vue symbolique au  cinéma et en premier lieu à l’appareil de prise de vue. La caméra, la chambre noire avait besoin de cette obscurité totale afin d’imprimer la pellicule. Cette couleur rappelle aussi l’expérience de projection du spectateur plongé dans l’obscurité d’une salle de cinéma. Enfin, on note que de nombreux procédés comme le fondu au noir utilisent cette couleur afin de constituer un langage cinématographique.

La couleur rouge utilisée dans la typographie du logo Netflix est aussi étroitement liée à l’histoire du cinéma et par prolongement à celle du théâtre. Au début du XXéme siècle, lorsque le cinéma devint un art populaire, ils réaménagèrent d’anciens théâtres en salle de projection. Le vert étant une couleur maudite au théâtre, l’utilisation du rouge pour le rideaux d’ouverture, le tapis à l’entrée ainsi que les sièges était la norme depuis la révolution française.

Enfin, le rouge est associé à la fonction cathartique du théâtre, qui permettait « pour Aristote, un effet de purification produit sur les spectateurs par une représentation dramatique » .  L’utilisation coordonnée d’un rouge éclatant au blanc, présent sur les premiers logos Netflix ainsi que dans les typographies de la plateforme digitale rappelle aussi la couleur iconique du fameux cône de pop-corn, lié à la culture américaine de divertissement et du snacking. En effet, dès son invention en 1891, ce grain de maïs se répand dans tous les lieux de divertissement et rassemblement populaires : cirques, fêtes foraines, événements sportifs, meetings politiques. Les cinémas résistent à la confiserie, synonyme de consommation de masse, le cinéma jouissant à l’époque encore d’un positionnement haut de gamme, qui s’explique par sa filiation avec l’art théâtral.

C’est après la grande dépression de 1929, que le pop-corn et le snacking rentre définitivement dans les salles obscures. En effet, le cinéma jusqu’alors présenté comme art élitiste, a vu sa « fréquentation divisé par deux entre 1930 et 1933 » . Les exploitants  ont besoin de nouvelles recettes et mettent en place des distributeurs de popcorn à l’entrée des salles, qui a l’avantage « d’être facile à produire et d’avoir un coût infime par rapport à son prix de vente : 90 % des revenus sont de pure marge ». Ce moment  correspond à un changement de la pratique culturelle du cinéma : autrefois art élitiste, il devient après la crise de 1929, un art de masse, populaire, et la consommation de popcorn induit un certain type de cinéma « les films d’actions font vendre plus de rations » .

Nous pouvons noter qu’en liant ces deux couleurs, Netflix crée une sorte de synthèse, entre le rouge, issu de l’élite, haut de gamme du cinéma de ses débuts, et associé au blanc, à la pratique du snack, lié à la culture de masse américaine. Il est intéressant de noter que Netflix qui se définit, d’après son fondateur comme une révolution digitale, un service « d’internet tv » , puise en réalité par l’utilisation de ce triptyque de couleur noir, rouge et blanc dans un patrimoine sémiotique iconisé, celui de l’imaginaire du cinéma du début du XXème siècle, représentant « à la fois la métaphore et la métonymie du dispositif cinématographie tout court » .

L’évolution du logotype : d’un patrimoine cinématographique iconisé à une application digitale

Depuis son lancement en 1998, Netflix a connu trois évolutions majeures de logos . Le  premier , bien connu des américains (chez qui Netflix est aujourd’hui dans presque un  foyer sur trois) avait pour fonction notamment de véhiculer son coeur de métier à l’époque : celui de loueur de films de cinéma par correspondance via internet. Pour incarner ce service, Netflix avait fait le choix d’employer un relief fort crée grâce à une typographie épaisse et une large ombre portée entourant les lettres. Cette  typographie en relief, extrêmement remarquable et différentiante se rapprochait des logos des grands studios hollywoodiens comme Universel, Fox ou la Warner Bros. Ces studios du début 20ème siècle, étant constitutifs de l’âge d’or d’un certain cinéma américain. De plus, la silhouette incurvée du logotype apporte un certain dynamisme, rappelant l’inclinaison de certains écrans de cinéma, une promesse de spectacle de masse. Par ailleurs, le choix d’une grande taille de typographie, centrée, accentue l’horizontalité. Cette horizontalité conjuguée au mouvement pourrait être d’un point de vue sémiotique, le défilement d’une pellicule dans un appareil de prise de vue. Par ailleurs, le lettrage blanc, en caractère majuscule, espacé, évoque les lettres de la mythique colline d’Hollywood, véritable métonymie du cinéma américain, dominé alors par l’industrie des majors. En empruntant cette référence iconique, Netflix construit une signature forte, avec une promesse de grand spectacle, ancre la marque dans cet héritage mythique pour ainsi en capter un peu de sa légitimité : « en consommant les symboles de  l’Amérique, nous faisons corps avec le mythe le plus puissant de tous les temps, le rêve américain ».

En 2014, le logo change : l’effet de relief disparait au profit d’un aplatissement des lettres  et de la suppression de bords gras. La typographie s’élargit et gagne en lisibilité et en sobriété. De plus, les couleurs s’éclaircissent et où les teintes s’inversent (le fond devient blanc et la typographie rouge) créant une sorte de « négatif » du logotype originel. Cependant, l’incurvation subsiste, conférant le même dynamisme à l’ensemble et son allure de titre de blockbuster. En s’épurant, ce logo devient plus atemporel, plus design mais aussi plus net. Car entre temps, Netflix a connu de profondes évolutions : le streaming en ligne a remplacé le dvd (2010), la production de séries originales (« Lilyhammer » 2012, « House of cards » 2013), la mise à disposition des épisodes en simultané (concept de bingeviewing ), l’accès au service à partir de tv connectées, et dans plus d’une  quarantaine de pays.

Face à une digitalisation de son service, la diversification de son offre et de ses supports de diffusions, Netflix opte pour une signature plus normée, puisant moins dans l’imaginaire mythique du cinéma américain afin de s’adapter à ses nouvelles problématiques globales, digitales et multi-supports. En juin 2016, Netflix dévoile une nouvelle icône , destinée à être en complément sur de  nouveaux supports d’après Netflix. Ce nouvel élément de marque est une imposante lettre N, de couleur rouge sur fond noir. On note que ce N n’est pas une reprise du logo actuel. Cependant à travers certains détails, on retrouve des éléments de la signature d’origine, comme les couleurs (le rouge éclatant et le noir dense), ou l’allure incurvée du logotype, ainsi que le relief crée par les ombres sur la typographie.

En passant de sept à une lettre, Netflix épure sa signature en la rendant plus synthétique, une sorte de marque lettre, réduisant son symbole pour gagner en force d’évocation. Par ailleurs, ce N constitué d’une seule ligne peut évoquer par la largeur, l’horizontalité, la couleur et sa bande centrale plusieurs références : la forme d’un tapis rouge, emblème du des festivals de cinéma et de son glamour, une pellicule de film, ou encore la forme linéaire des structures classiques de récits, mais aussi par le mouvement de la ligne, un flux de streaming, ou alors une bande passante. La polysémie de ce nouveau signe exprime bien l’ambiguïté du positionnement identitaire de Netflix, entre producteur de films et séries ainsi que plate-forme digitale de flux de streaming. Par ailleurs, cette icône mieux adaptée aux différents supports (tablette, télévision, casque de réalité virtuelle mais surtout smartphone), mais aussi aux formats des réseaux sociaux constitués d’icônes petites carrées ou verticales, permet de gagner en lisibilité et attribution à la marque. L’arrivée de ce nouveau signe marquant le passage de site internet à une véritable application, coïncide d’une part à son expansion internationale, passant de 130 à 190 pays en Janvier 2016, à l’exception de la Chine, et d’autres part à  l’apparition de nouveaux supports de diffusion. Par cette nouvelle icône, Netflix démontre le syncrétisme de sa nouvelle identité, à la fois réminiscence de l’âge d’or du cinéma hollywoodien autant que forme rationnelle et épurée, adaptée aux supports digitaux et ses nouveaux usages, mobiles notamment.

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Table des matières

Introduction
I. Le positionnement Netflix : un « internet cinéma » ?
1.1 – L’identité de Netflix, à la recherche du mythe cinématographique
A – Noir, Rouge, Blanc : Les codes couleurs d’une signature
B – L’évolution du logotype : d’un patrimoine cinématographique iconisé à une application digitale
C – La transposition de l’imaginaire cinématographique sur l’interface digitale
1.2 – L’expérience cinéphile sur l’interface, preuve d’un positionnement qualitatif
A – Optimisation du visionnage de contenus non formatés : une expérience cinéma
B – Un service unique sur une interface épurée
1.3 Aura du cinéma comme outil de marketing relationnel
A- Netflix studio de cinéma : la captation des stars comme moteur du désir
B – La relation stars-fans alimentée par les fictions Netflix
II. L’expérience de l’interface Netflix : du continuum vers l’attention
2.1 – Le dispositif Netflix
A – Le processus d’inscription : entre promesse d’ubiquité et gratuité
B – Les rubriques de l’interface : entre navigation contrôlée et interface personnalisée
C – La mise en forme des films : la « poétique du microscopique et du kaléidoscope »
2.2 Les modes de consommations
A- La lecture continue ou « la machine à capturer le regard »
B- Le Bingewatching ou le « traitement Ludovico »
C – Le multi – écrans : une consommation en mobilité
III. Le digital Labor : vers la création de valeur par les utilisateurs
3.1 – La participation active de l’utilisateur
A – Les notes des contenus
B – Les commentaires critiques : une expression sous surveillance
C – La recommandation des contenus par les utilisateurs
3.2 Le travail invisible du consommateur
A – L’interface indéfiniment évolutive par l’aliénation de l’utilisateur
B – De la recommandation à la prédiction, vers la production de contenus à succès
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE RAISONNEE
ANNEXES

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