Le « portrait-charge » et l’image satirique (XVI-XVIIe siècles)

CONTEXTE DE PARUTION DES DESSINS ET CONSTITUTION DU CORPUS

Notre choix pour analyser les dessins s’est porté sur la « crise de l’asile » des années 1989 à 1991. Nous avons donc écarté l’année 1987, date de la parution de l’ouvrage Caricartoons. Exil, que nous venons de citer. Il nous a semblé plus judicieux d’analyser ces trois années plutôt que celles qui les précèdent. En effet, en nous plongeant dans l’histoire de l’asile en Suisse, nous avons constaté que la toute fin des années 1980 a été marquée par ce que l’on nomme communément « crise de l’asile ». Mais qu’entend-on par là ? La notion de « crise » couvre une réalité complexe, souvent abstraite, qui est parfois difficile à appréhender. La « crise de l’asile » à laquelle nous nous référons correspond à la période où les demandes d’asile déposées en Suisse ont atteint un pic encore jamais vu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (cf. graphique ci-après)3. Son point culminant se situe en 1991, avec plus de 41’600 requêtes déposées par les requérants d’asile. A cela s’ajoutent encore les 61’700 dossiers en suspens des années précédentes, au Département fédéral de Justice et Police4. Ce contexte de « crise » nous a semblé être un terrain d’étude particulièrement intéressant pour analyser des dessins de presse. De par le nombre record des demandes d’asile, ces années sont inscrites dans l’histoire de l’asile en Suisse et méritent notre attention. Outre l’aspect historique, le mode d’expression de la caricature apparaît tout indiqué pour cerner les différents enjeux politiques et sociaux car cette dernière « est peut-être la mieux placée de tous les arts pour accompagner de manière critique les rebondissements incessants de la crise » .

Une fois le choix de la période d’analyse fait, nous avons ensuite sélectionné des dessinateurs de presse pour constituer notre corpus. Trois critères de sélections ont été pris en compte. Le premier critère est géographique. Nous avons voulu nous centrer sur la presse suisse romande pour garder une cohérence d’analyse au niveau des dessins. Le deuxième critère réside dans le fait de disposer d’un panel de dessinateurs de presse susceptibles d’avoir « produit » assez de dessins sur les réfugiés. Nous avons donc concentré notre recherche sur des caricaturistes de la « grande presse »6. De par leur activité importante d’illustrateur au sein de leur journal, ils sont aussi caractéristiques du paysage du dessin de presse en Romandie. Enfin, le troisième critère est d’ordre méthodologique. La facilité d’accès à certaines archives de grands journaux, notamment en ligne7, permet de passer en revue plus aisément les centaines de dessins signés par les « artistes de presse ». Nous avons donc retenu sept dessinateurs8 : Thierry Barrigue (Le Matin, Lausanne), Raymond Burki (24 Heures, Lausanne), Enrique Casal (Le Nouvelliste, Sion), Patrick Chappatte (La Suisse, Genève ; L’Hebdo, Lausanne), Jean-Marc Elzingre (L’Impartial, La Chaux-de-Fonds), Pierre Reymond (La Tribune de Genève, Genève) et Jean-François Burgener, alias Skyll9 (Le Confédéré, Martigny).

Au final, pour notre étude, nous avons donc réuni nonante-cinq dessins de presse. Ils concernent tous la thématique des réfugiés. Nous avons écarté les dessins qui représentaient des réfugiés sans lien avec l’asile suisse10. En effet, nous voulons nous focaliser sur le cas helvétique, le but de notre travail étant aussi de mieux comprendre la situation de l’asile en Suisse. Autre remarque. Etant donné le nombre important d’illustrations réunies pour notre travail de recherche, nous les avons regroupées par commodité dans un « dossier iconographique »11. Il nous paraît nécessaire de signaler que la période de la « crise de l’asile » stricto sensu fera l’objet d’une analyse uniquement dans le dernier chapitre. Par « effet d’entonnoir », les parties précédentes nous permettront de préciser le contexte historique des années 1989 à 1991.

Le « portrait-charge » et l’image satirique (XVI-XVIIe siècles)

Les fondements du dessin de presse reposent sur deux traditions distinctes. La première remonte à la caricature italienne de la Renaissance. Du mot latin « caricare » et italien « caricatura », signifiant « charger », la caricature « donne le sens d’une exagération des défauts à des fins comiques ou satiriques »15. Toutefois, l’art de mettre en scène des personnages de manière grotesque est plus ancien. Dans l’Antiquité, on retrouve déjà des représentations burlesques peintes sur des amphores grecques et des graffitis sur les murs de Pompéi. En se démarquant de l’idéal de beauté hérité des canons de l’Antiquité, les artistes italiens inaugurent un nouveau genre graphique. A l’image des têtes grotesques de Léonard de Vinci, puis des caricatures des frères Carrache un siècle plus tard, ils cherchent à révéler la diversité des modèles offerts par la nature en confrontant le beau au laid. Mais ces « portraits chargés » constituaient davantage « une sorte d’exercice pédagogique »16 qu’une véritable démarche satirique et polémique. L’estampe satirique constitue la deuxième tradition de l’origine de la caricature moderne.

Elle prit son plein essor dans le contexte des luttes confessionnelles du XVIe siècle17. Touchée de plein fouet par la Réforme, la Suisse va jouer un rôle clé dans la production et la diffusion d’images satiriques. Les villes de Genève, Zurich et Bâle permettent à des intellectuels réformés et des artistes satiriques de poursuivre leur activité de propagande. Lors de la Réforme, « les images satiriques s’intègrent dans le genre du pamphlet religieux (feuilles volantes ou fascicules) qui connaitront une fortune considérable »18 dans une société où la grande majorité de la population est illettrée. Les progrès des techniques de la gravure, le développement de l’imprimerie et l’apparition du papier favorisent la production de la propagande visuelle19. L’élan propagandiste des images satiriques tombe toutefois sous le joug de la censure. A la fin du XVIe siècle et au XVIIe siècle, les conflits interreligieux et la pression des grandes puissances voisines poussent les cantons à prendre des mesures restrictives. Pour Philippe Kaenel, l’histoire de la caricature suisse entre alors dans sa phase la plus pauvre20.

La caricature politique moderne (XVIII-XIXe siècles)

A la fin du XVIIIe siècle, la Suisse est en proie à des luttes intestines. Des régions rurales et défavorisées se soulèvent contre les régimes dominants des villes. Le territoire helvétique passe sous domination française et les mouvements révolutionnaires s’engouffrent dans les débats politiques au sein des cantons21. Ce terreau propice aux confrontations politiques va permettre à la caricature d’y puiser ses sujets. Militants et artistes expriment leur position au travers de la satire politique. Cependant, l’oeil de la censure guette toujours et en 1823, à la demande de ses puissants voisins, la Suisse promulgue le Conclusum sur la presse et les étrangers. Ainsi, « la Censure fut généralisée (à l’instar de décisions antérieures en 1805 et 1812), des rédacteurs réduits au silence et quelques journaux supprimés »22. Malgré les décisions qui frappaient la liberté de presse, elles n’empêchent pas la diffusion de caricatures. Celles-ci circulent toutefois essentiellement dans le cercle privé d’artistes et les milieux conservateurs23. La presse illustrée n’en est qu’à ses balbutiements et les techniques de reproduction s’avèrent coûteuses (gravure sur bois, eau-forte).

Prise dans l’effervescence intellectuelle et artistique des Lumières, la satire graphique donne naissance aux premiers grands noms de la caricature politique suisse. Balthasar Anton Dunker, Johann Martin Usteri, David Hess et Wolfgang-Adam Töpffer s’illustrent par leurs caricatures qui doivent beaucoup à l’influence graphique des caricaturistes anglais24. A partir des années 1830, Paris devient le centre de référence pour la caricature en Europe. Les premiers journaux satiriques apparaissent en France (La Caricature et Charivari). Ils vont mettre en lumière de grands artistes comme Jean-Jacques Granville et Honoré Daumier qui exerceront une influence notable sur les artistes suisses. La mise au point de nouvelles techniques d’impression (la lithographie), l’amélioration des réseaux de communication et l’instauration de la liberté de presse en 1848 favorisent le développement de la presse illustrée suisse25. Les journaux satiriques suisses se multiplient26 et introduisent l’image d’actualité27. A la fin du XIXe, en Suisse la presse satirique helvétique vit son âge d’or. La presse offre alors aux dessinateurs un nouveau « gagne pain »28. L’entrée du dessin dans l’ère de la presse moderne va peu à peu influencer la pratique des dessinateurs et redéfinir les contours de la caricature.

Le dessin dans la « grande presse » (XXe siècle)

Durant l’entre-deux-guerres, « les jeunes artistes se laissent alors séduire par la presse qui paie peu mais sûrement »29. En France, les caricaturistes se tournent vers la presse quotidienne et se réclament davantage du monde journalistique qu’artistique. Avec l’installation de la Société des Nations, Genève attire les premiers journalistes-dessinateurs en Suisse30. Ils caricaturent les personnalités lors de Conférences internationales. Le dessin politique helvétique reste pour l’heure cantonné à la presse satirique illustrée. Mais celle-ci permet désormais à des dessinateurs, tel Carl Böcklin du fameux Nebelspalter, de vivre véritablement de la caricature31. Si le statut du dessinateur de presse « se professionnalise » peu à peu, le paysage journalistique entame lui aussi sa mue. Depuis les années 1930 en Suisse s’amorce le déclin des journaux locaux qui dépendaient d’associations ou de groupements politiques32. Tel est le cas de la presse satirique dont les moyens financiers et humains sont limités. Le tirage des journaux ayant survécu a de son côté fortement progressé jusque vers le milieu des années 1980 grâce à une politique de centralisation. Désormais, ils appartiennent à de grands groupes d’édition dont les revenus dépendent de plus en plus de la publicité33. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, l’offre en matière de presse satirique a ainsi considérablement fondu. Quelques journaux ont perpétué cette tradition satirique et ont permis aux premiers véritables dessinateurs de presse de Suisse romande de faire leurs armes. Nous pouvons citer par exemple, Le Bonjour de Jack Rolland qui collabora avec le dessinateur André-Paul Perret et La Pomme qui réunit Martial Leiter et Jean-Marc Elzingre à la fin des années 1960

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Table des matières

PREMIÈRE PARTIE INTRODUCTION
1. Problématique
2. Contexte de parution des dessins et constitution du corpus
3. Remarques méthodologiques
4. Plan du travail
DEUXIÈME PARTIE LE DESSIN DE PRESSE ET LES DESSINATEURS
1. L’émergence du dessin de presse
1.1. Le « portrait-charge » et l’image satirique (XVI-XVIIe siècles)
1.2. La caricature politique moderne (XVIII-XIXe siècles)
1.3. Le dessin dans la « grande presse » (XXe siècle)
2. La réalisation d’un dessin
2.1. Thierry Barrigue
2.2. Raymond Burki
2.3. Enrique Casal
2.4. Patrick Chappatte
2.5. Jean-Marc Elzingre
2.6. Pierre Reymond
2.7. Jean-François Burgener, alias Skyll
3. Une fonction contestataire
TROISIÈME PARTIE LES RÉFUGIÉS AU FIL DU TEMPS ET DE LA PRESSE
1. La Suisse : lieu privilégié de refuge
2. État libéral et réfugiés libéraux
3. La menace des exilés de « gauche »
4. Les internés lors de la Grande Guerre
5. L »émigré juif » aux frontières
6. L’accueil généreux en période de guerre froide
7. Les « nouveaux réfugiés » et la fin d’un consensus
8. Les « vrais » et les « faux »
QUATRIÈME PARTIEP IERRE REYMOND ET LE « POIDS » DES ÉVÈNEMENTS
1. La politisation de l’asile
1.1. Les années 1970. Une politique d’asile en construction
1.2. Les années 1980. Des débats politiques et polémiques
1.3. Les années 1990. Entre accalmie et agitation
2. Fréquence des images et analyse
3. Les visages de l’immigration : du travailleur immigré au réfugié
3.1. Quelques dessins sur les travailleurs immigrés
3.2. Quelques dessins sur les réfugiés
CINQUIÈME PARTIE LES RÉFUGIÉS PENDANT LA « CRISE »
1. Un profil type ?
1.1. La provenance des réfugiés
1.2. Les types de figures du réfugié
2. Un vocabulaire visuel
2.1. Le bagage
2.2. L’arrivée
2.3. La file
2.4. La métaphore de l’eau (et de la barque)
2.5. La frontière (la douane et l’avion)
2.6. « L’imaginaire barbelé »
3. Des faits d’actualité et des représentations
3.1. Les « responsables » de l’attentat de Beckenried
3.2. Réfugié, étranger, immigré ? Le « Rapport de stratégie »
3.3. Le renvoi des « réfugiés d’Obwald » : la Suisse face à ses valeurs
4. Des contre-réactions
4.1. Les lecteurs
SIXIÈME PARTIE CONCLUSION
SEPTIÈME PARTIE BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
Annexe I : Portraits de la presse selon les dessinateurs
Annexe II : Entretien avec Thierry Barrigue
Annexe III : Entretien avec Raymond Burki
Annexe IV : Entretien avec Pierre Reymond
DOSSIER ICONOGRAPHIQUE
Provenance des dessins de presse

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