Le populisme : une modernité politique

QU’EST-CE QUE LE POPULISME ?

   Quels que soient leurs mérites, les définitions ne sont pourtant que des formules heureuses dont les étudiants font trésor mais que d’autres spécialistes s’empressent de disqualifier. Ce risque s’applique spécialement au populisme, pour deux raisons. La première tient à ce qui pourrait s’appeler sa ventriloquie, sa propension à mélanger les registres, à se repaître de l’incohérence et à soutenir une chose et son connaitre. Quant à la seconde de la faiblesse de toute définition du populisme, elle résulte de ce que la plupart de ses observateurs se sont consacrés en général pour l’essentiel à une auscultation fouillée de l’une de ses innombrables facettes historiques avant de ne consacrer ensuite qu’un instant à sa signification plus large. D’où la nécessité d’être soi-même modeste et de ne pas s’appesantir trop sur le sens primordial qu’on lui affecte ; d’admettre aussi que les modèles théoriques de quelque phénomène que ce soit n’existent nulle part comme des réalités complètes, et de se résoudre à accepter l’idée que le populisme se comprend sans doute mieux dans la lumière brouillonne des formes accumulées qu’il a revêtues dans le temps et dans l’espace que par une synthèse intellectuelle forcément simplificatrice. Incohérent dans sa réalité, il résiste à l’abstraction cohérente. Partout dans le monde des mouvements se manifestent pour des revendications sociales, politiques et économiques. Ces manifestations relèvent à la fois de la gauche comme celle de la droite. Elles se caractérisent par un appel direct au peuple pour la construction d’une alternative politique. En se donnant comme mission la réhabilitation du peuple dans le jeu politique, ces mouvements ont fini par gagner l’étiquette du populisme, qui est considéré comme un danger pour la démocratie. Ainsi, ce phénomène est à l’évidence considéré comme une menace dans presque tous les continents du monde. Qu’est-ce qu’exactement le populisme ? La plupart des travaux consacrés au populisme prennent des perspectives très différentes du fait de la définition historique et politique qui lui est accordée. Cette situation ne permet pas de le comprendre à travers une idéologie qui lui serait propre et qui présenterait le même degré de cohérence (approximativement) que le libéralisme, le socialisme, voire le fascisme (avec lequel il est admis qu’il a quelques traits communs). Ce qui fait que « la démarche la plus fréquente consiste à établir un catalogue de critères justifiant d’identifier un mouvement ou un parti comme populiste ». Partant de ce constant, on remarque que la plus part de ces critères ne sont pas distinctifs des partis politiques classistes. Alors, on soupçonne que le populisme, s’il n’est pas une catégorie de la démocratie, il ne lui est pourtant pas étranger. Il y a une sorte d’indétermination de la notion qui fait que certains considèrent le populisme comme une pathologie ou une perversion de la démocratie et d’autres comme une partie liée à la démocratie depuis toujours. Le populisme se manifeste le plus souvent dans des moments de crise de la démocratie. C’est une manière de contester un ordre, un système établi ou un pouvoir. Il est un des moyens d’expression de cette contestation du système politique représentatif. Une action politique qui recueille tous les affluents de la protestation sociale. Le populisme proteste contre les formes dominantes de notre idéologie actuelle qui est la démocratie libérale. Il est « l’ombre portée ou la réverbération de la démocratie sur une réalité sociale contrastée, sur une société atomisée d’individus aux demandes disparates ». De ce propos il ressort que le populisme est une manifestation directe de la démocratie. Pour comprendre la démocratie, il est nécessaire de saisir le populisme. Le phénomène du populisme peut être vu comme « la forme de la modernité politique par excellence ». Il n’est pas à confondre avec la démagogie. Il est un symptôme de la crise de la démocratie représentative engendré par la mondialisation, le système capitaliste et l’hégémonie libérale. Une forme de revendication des couches populaires qui se sentent exclues des politiques néolibérales. Le populisme est une appropriation d’un « Nous » unificateur et inclusif qui met en relation le peuple et son représentant par rapport aux élites et l’establishment. Il se définit par opposition au système politique qui n’arrive plus à satisfaire les différentes demandes de revendication politique, « soit parce que celui-ci est trop fermé, soit parce qu’il apparait incapable de faire face à une crise nationale majeure ». Il faut partir des questions essentielles pour penser le populisme, c’est-à-dire de la crise de la démocratie moderne. C’est en partant de là et non pas de certaines définitions a priori, qu’on peut parvenir à saisir le populisme dans tout son expression. De la même manière, pour comprendre le populisme, il nous faut mieux saisir la démocratie. La démocratie est inséparable de ses perversions, ce sont elles qui la rendent meilleure. Ses perversions contribuent à son développement et à son amélioration. Il faut approfondir la question du populisme pour comprendre la démocratie dans tous ses risques de détournement, de confiscation, ses ambiguïtés et son inachèvement. Ce qui revient à dire qu’ « étudier le populisme peut donc aussi nous conduire indirectement à mieux nous comprendre nousmêmes, à mieux comprendre ce que nous attendons exactement de la démocratie, à mieux comprendre les défis auxquels elle fait actuellement face ». Mais, si on ne parvient pas à cerner l’image du populisme comme quelque chose d’inhérente à la démocratie, on risque de « se limiter à une condamnation pavlovienne pour faire du mot « populisme » un épouvantail qui ne serait pas théorisé, qui ne serait pas pensée ». Alors, la question du populisme est inhérente à la démocratie, qui oblige à penser la démocratie pour pouvoir mieux la perfectionner et l’accomplir. Mais certains penseurs ont fait de cette compréhension une simplification de la démocratie pour le détourner de ses véritables aspects politiques. Pierre Rosanvallon nous fait savoir que l’ensemble des partis ou mouvements qu’on qualifie de populistes, ont une résonnance qui repose sur une triple simplification. D’abord, « une simplification politique et sociologique » qui considère le peuple comme quelque chose qui a déjà été construite, c’est-àdire un sujet évident et figé qui fait une distinction entre les élites et le peuple qui est « la partie saine et unifié d’une société qui ferait naturellement bloc dès lors que l’on aurait donné congés aux groupes cosmopolites et aux oligarchies ». Ensuite, « une simplification procédurale » qui consiste à ramener le populisme à la dimension antipolitique. Enfin, la dernière qui n’est rien d’autre qu’une simplification de la conception du lien social. C’est-àdire concevoir le populisme d’une manière identitaire en stigmatisant ou en rejetant certaines personnes à cause de leur culture ou identité nationale, comme le cas des immigrés et la question de l’Islam qui sont des formes d’exclusions identitaires, nationalistes et xénophobes. Cette manière très simpliste de vouloir réduire le populisme à une « maladie infantile de la démocratie » a engendré ce contresens qui consiste à le fusionner avec la démagogie. Ce qui fait que certains auteurs se montrent très critiques de la façon dont la théorie politique a, en grande partie ou entièrement, abordé la question du populisme. À leurs yeux, le concept a été injustement décrédibilisé et limité à une acceptation péjorative. En effet, selon eux, le rejet du populisme est tout simplement le rejet de la politique en général, le désir d’une administration fondée sur une préconception du bien plutôt que sur une appréciation de la communauté ouverte à ses mouvements réels. Cette nouvelle manière de définir le populisme redonne tout son sens au suffixe « -isme » qui, dans la langue française, désigne toujours le projet d’une production. Par exemple, le consciencisme qui cherche à construire une conscience africaine ; le communisme qui entend promouvoir le commun ; le racisme qui privilège une race etc. Dans cette perspective, Laclau parait plus rigoureux que les théories de politique traditionnelle. Selon lui, le populisme n’est ni une rouerie démagogique ni une sophistique flatteuse des fausses promesses. C’est généralement, d’une façon ou d’une autre, une manière ou une production du peuple. Dès lors, ce qui importe c’est seulement la façon dont le populisme est produit. Alors, la dimension populiste du leader ne peut être appréhendée qu’à travers une articulation du discours pour la mobilisation populaire. Un moyen articulatoire de la construction d’un discours populiste exprimant soit une dimension protestataire, en faisant de la fonction tribunicienne l’expression d’une protestation sociale, soit une dimension nationale ou identitaire. Ainsi, écrit Taguieff dans Le nouveau nationalpopulisme que « lorsqu’il fait prévaloir la fonction tribunicienne, exprimant politiquement la protestation sociale, le populisme peut être dit protestataire (poujadisme). Lorsque la dimension nationaliste ou ethnonationaliste est centrale dans une mobilisation populiste, on y verra à l’œuvre une forme de national-populisme ou de populisme identitaire (le front national sous la conduite de Jean-Marie Le Pen) ». Le populisme est une manière directe de faire appel au peuple, de construire une argumentation cohérente et logique qui est conforme à l’esprit du peuple, de parler en son nom et de le représenter dans ses différentes demandes. Une manière de « parler en lieu et place du peuple tout entier » . Il fait toujours appel à l’esprit du peuple pour montrer la supériorité de ses opinions au-delà de toute raison rationnelle. Le populiste cherche à faire savoir au peuple qu’il ne fait pas partie de l’élite « parce qu’il communie avec la vérité populaire ». Ce particularisme « est une manière de constituer l’unité du groupe » et, de surcroit, permet la construction d’une opposition politique entre les élites et le peuple. Un moyen de prendre publiquement le parti du peuple contre les élites avec plusieurs connotations. L’appel au peuple se veut direct, sans passer par des institutions de représentation. C’est une valorisation du peuple authentique qui s’oppose soit aux élites soit aux étrangers ou encore aux deux en même temps. Cet appel au peuple est toujours rapporté à quelque chose d’autre. Un appel qui est contre, qui cherche à construire une opposition à travers un « nous » contre un « eux ». Donner au peuple toutes les vertus d’honnêteté et d’authenticité qui lui permettraient de se distinguer face aux élites supposées illégitimes et corrompues. Un appel qui présuppose l’existence d’un leader charismatique dont la fonction « n’est pas seulement de transmettre la volonté de ceux qu’il représente, mais aussi de donner de la crédibilité à cette volonté dans un milieux différent de celui dans lequel cette volonté fut à l’origine constituée. Cette volonté est toujours la volonté d’un groupe sectoriel, et le représentant doit montrer qu’elle est compatible avec les intérêts de la communauté comme totalité ». Le peuple dont le leader fait appel est assimilable soit aux classes populaires soit au peuple tout entier ou à la communauté nationale. Il se confond avec « c’eux d’en bas » contre « c’eux d’en haut ». L’appel au peuple est un appel antisystème, qui cherche à rompre avec le système politique existant pour pouvoir le changer, c’est-à-dire d’en finir avec la bureaucratie, la partitocratie, la ploutocratie etc. Une déconstruction du système existant, un appel au changement dans toutes ses formes pour une reconstruction politique dont la base est le peuple. En l’occurrence, Taguieff nous fait savoir que « si l’appel au peuple est l’acte fondamental de ce qu’on appelle le populisme, alors il se pourrait bien que cet acte politique distinctif tienne en partie sa mauvaise réputation d’une assimilation plus ou moins abusive avec ce que les logiciens et les rhétoriciens appellent l’argumentation ad populum, ordinairement considérée comme un paralogisme ou un sophisme, c’est-à-dire une argumentation incorrecte ou fallacieuse » . Ce qui fait que le concept devient ambigu à caractère protéiforme qui le rend insaisissable, difficile à cerner d’où le rejet de son caractère auto- définitionnel privé de tout critère d’objectivité et « l’impossibilité de lui attribuer une véritable définition ». Cette impossibilité ne relève pas seulement de l’incapacité des élites politiques, mais aussi des élites intellectuelles et médiatiques qui ne parviennent plus à « penser ce qu’est un peuple politique » . Avec le caractère extensif qu’on lui a donné aujourd’hui, sa vulnérabilité ne cesse de s’accroître du fait de sa dimension très floue à se confondre avec des « phénomènes qui ne sont pas traditionnellement considérés comme populistes ». Autrement dit, « l’extension qui lui est aujourd’hui donnée ne facilite pas sa compréhension, dans la mesure où l’on se trouve confrontés à des contextes sociologiques et des histoires politiques très hétérogènes qui confèrent à chaque fois des caractères singuliers aux phénomènes considérés comme des manifestations du populisme ». Ainsi, le populisme devient une caractéristique spécifique des partis extrémistes exclusivement contestataires, qui n’ont pas la vocation de gouverner et dont le but est de canaliser les frustrations d’une partie du peuple afin de mieux l’exploiter. Il acquiert en ce sens une définition sommaire qui consiste à un « jugement moral attribué à la défense du particulier », dont l’acte consiste à « prendre publiquement le parti du peuple contre les élites, ou encore par le culte du peuple, avec diverses connotations ». En ce sens, le populisme prend une autre figure qui est très éloignée du populisme des années 1880. Après un petit détour sur les populismes historiques, on observe en effet que ce que l’on qualifie aujourd’hui de populisme n’a rien à voir avec l’histoire des politiques populistes du passé.

UNE THÉORIE POLITIQUE DE L’ÉMANCIPATION

   L’invention hic et nunc de formes du commun en écart par rapport aux formes dominantes reste aujourd’hui le cœur des pratiques et des idées d’émancipation. Et l’émancipation, hier comme aujourd’hui, est une manière de vivre dans le monde de l’ennemi dans la position ambiguë de celui ou celle qui combat l’ordre dominant mais est aussi capable d’y construire des lieux à part où il échappe à sa loi. La construction des identités collectives est le fondement d’une lutte pour l’émancipation et d’une reconnaissance de l’altérité dans les mouvements sociaux. Cette émancipation est le résultat de la construction d’un peuple frustré et opprimé dont les revendications sont marginalisées et non prises en compte. Elle est une forme de revendication des droits des minorités et des exclus du système de représentation politique. Elle se manifeste à travers six dimensions qui font que la théorie de l’émancipation ouvre la voie à de nouveaux discours libérateurs. La première est une dimension dichotomique qui montre une rupture radicale entre le moment émancipateur et l’ordre social préexistant. La deuxième est une dimension holiste qui fait que l’émancipation prend en charge à la fois tous les domaines de la vie sociale avec leurs contenus variés qui sont étroitement imbriqués. La troisième est une dimension de la transparence qui cherche à extirper toute aliénation dans chaque aspect de la vie, que ce soit politique, religieux, économique, etc. En effet, « l’émancipation implique l’élimination du pouvoir, l’abolition de la distinction sujet/objet, et le traitement des problèmes de la communauté est assuré – sans aucune opacité ni médiation – par des agents sociaux qui se situent du point de vue de la totalité sociale » . La quatrième dimension est la préexistence de ce qu’il s’agit d’émanciper par rapport à l’acte d’émancipation. C’est- à-dire qu’il ne peut pas y avoir émancipation sans oppression et « pas d’oppression sans la présence de quelque chose dont des forces oppressives entravent le libre développement ». La dimension fondatrice est la cinquième dimension. Elle se situe au niveau des fondements du social et est inhérente au projet d’émancipation radicale. Enfin, la dimension rationaliste qui abolit la distance qui sépare le réel et le rationnel. Donc, ces six dimensions montrent une opposition nette entre les opprimés qui veulent toujours se libérer, s’émanciper et les oppresseurs qui veulent toujours diriger, gouverner. C’est cette manifestation des voix dissidentes qui fait que les populistes se réclament comme défenseurs des mouvements sociaux, des classes populaires étouffées par l’élite dirigeante. Le populisme devient une manifestation des droits du peuple à pouvoir s’affirmer et de chercher à revendiquer leur autonomie. Le peuple se réclame comme législateur, celui qui a le plein pouvoir décisionnel et à qui le dernier mot revient. « Il est le souverain du régime politique et l’unique référent légitime pour interpréter les dynamiques sociales, économiques et culturelles.» Il considère que son émancipation dépend de sa capacité à reconquérir son pouvoir d’autorité dans les prises de décision du pouvoir politique et démocratique. Face à toutes les oppressions qui se manifestent aujourd’hui, « l’émancipation religieuse, politique et économique, émancipation des peuples asservis », la lutte pour l’émancipation est devenue le combat revendiqué par les mouvements, partis ou leaders populistes. Un combat pour la libération du peuple, mais aussi pour l’épanouissement individuel et collectif des membres de la société. Le combat pour l’émancipation est une lutte des mouvements sociaux et non une lutte de classe. Elle est une manifestation des différentes demandes sociales qui n’ont pas été prises en compte par le système et dont les revendications ne sont pas considérées comme démocratiques. Aussi, on voit que les premières incarnations du populisme qui étaient clairement articulées dans une perspective progressive, cherchaient « à modifier des situations jugés profondément inégalitaires et injustes et à promouvoir la cause du peuple dans un système politique qui l’opprimait ». Elles pratiquaient une mobilisation collective des mouvements qui ont des rapports de force très faibles et qui étaient défavorisés par le système de domination sociale et politique existant. La lutte pour l’émancipation était alors une stratégie pour redonner aux différents groupes sociaux leur position, leur autorité et enfin leur dignité qui était longtemps exclus de toute représentation politique et de faire entendre les causes sociales et politiques qui désintéressaient l’élite au pouvoir. Les populistes étaient vus en ce temps comme les défenseurs de la classe populaire. Ils avaient comme ambitions de redonner au peuple sa véritable image, longtemps escamotée par ceux qui monopolisaient les postes de pouvoir. Ils travaillent pour l’émancipation sociale, politique et économique du peuple en faisant appel à son collectif, c’est-à-dire aux différents groupes sociaux. L’émancipation se fait à travers le peuple qui se caractérise comme le lieu d’une polyphonie sociale, « comme le commun d’un ensemble de voix peuplant l’organisation sociale et historique ». Car le propre de l’émancipation est d’être doté d’un peuple qui se caractérise par un ensemble de discours vrais sur les sorts des différents mouvements sociaux. C’est ce qui fait que « l’émancipation n’est pourtant encore en elle-même qu’un concept critique, qui ne peut entrer en action qu’à travers des paradigmes pratiques, ou concepts stratégiques, élaborés au regard d’une théorie définie de la domination sociale ». En ce sens, l’émancipation est une lutte pour la survie d’un peuple qui est à la recherche de son être social et politique. Elle est un moyen d’aspiration « à une politique qui lui permette de redevenir un peuple déployant sa sociabilité propre ». C’est à travers cette aspiration de vouloir conserver sa sociabilité que le populisme est devenu « un moment où le peuple lutte pour sa survie en redécouvrant la solidarité de son être social et de son être politique ». Ainsi, l’émancipation du peuple commence à travers des mouvements de résistances et de dénonciation des conditions socio-économiques d’une vie précaire, assujettie à une fonction, un statut et un ensemble de capacités données. Dans les Manuscrits économicophilosophiques du 1844, Marx expose une émancipation du peuple de la classe ouvrière, qui cherche à se réapproprier de son travail. Cette émancipation est une reprise, pour Marx, du plein contrôle de la jouissance de son travail que la machine lui avait dépossédé. Pour avoir la capacité de pouvoir s’émanciper dans le travail, la classe prolétarienne devrait être en mesure d’imposer sa marque dans les produits de sa création. Ce qui fait que l’acteur émancipateur est aux yeux de Marx le prolétariat, « dont la particularité exprime directement, sans recours à aucun système de médiation, l’essence humaine pure et universelle ». Autrement dit, le prolétariat est « présenté comme le seul capable de mener à bien un processus d’émancipation véritable ». Comme nous l’avons dit plus haut, l’émancipation présuppose une dimension dichotomique antagoniste « qu’on ne peut ramener à un fondement unique ». Dès lors, le problème de l’unité de la société ne se pose pas autour du peuple, mais sur celui de la lutte de classes « entre la bourgeoisie – c’est-à-dire le capital – et le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui, selon le Manifeste, ne vivent qu’à la condition de trouver du travail et qui n’en trouvent que si leur travail accroit le capital ». Mais aussi une dimension fondatrice et radicale qui fait que « son accomplissement ne peut être l’œuvre d’aucun fonctionnement social particulier ». L’émancipation devient donc étroitement reliée au destin de l’universel, qui fait que sans l’universel, l’émancipation est impossible à parler. Le constat dans la pensée de Marx est que son universel, qui est le prolétariat, a déjà un fonctionnement social particulier qui fait perdre toute signification au concept d’émancipation et qui finit par engendrer « la mort de l’émancipation ». L’émancipation n’étant pas une représentation particulière et singulière d’un groupe, mais une manifestation des différentes couches populaires revendiquant une reconnaissance de leur légitimité dans les différents aspects de la vie sociale. Une manière de « concevoir le rapport entre universalisme et particularisme qui ne soit ni l’incarnation de l’un par l’autre ni l’effacement de leur différence, et qui permette de tenir sur la libération des discours différents ». De la même manière, cela nous permet de constater l’étiolement de la pensée marxiste avec les postmarxistes. Ces derniers pensent que la construction d’un peuple émancipateur est le résultat d’un agrégat de demandes hétérogènes ou « chaque lutte outrepasse sa propre littéralité et finit par représenter, dans la conscience des masses, un simple moment d’une lutte plus globale contre le système ». C’est à travers une construction équivalente des mouvements sociaux que l’émancipation peut s’élever à un niveau beaucoup plus haut pour pouvoir se réaliser pleinement afin de parvenir à se libérer des jougs de son oppresseur. Chaque lutte particulière est considérée comme une lutte universelle, participant à une forme d’émancipation individuelle et collective. Cette émancipation se traduit par l’association de « la classe comme vecteur d’émancipation de la gauche (avec sa dualité travail – capital) et le peuple (avec sa dualité peuple – oligarchie) ». Le populisme, qui est une revendication qui va au-delà de l’égalité économique, est une forme d’émancipation des conditions de la vie en général. La revendication ne devient plus l’apanage d’une classe, mais le statut d’un « peuple d’individus ayant dépassé l’appartenance de classe » qui fait que « l’être-social du peuple n’est plus réduit à sa dimension économique ». Le populisme devient ainsi une lutte pour l’émancipation du peuple qui peut prendre plusieurs formes de construction. Elle peut être soit une émancipation des anti- (mondialisation, racisme, sémitisme, etc.) soit une émancipation identitaire ou nationaliste. La construction de chaque émancipation, quelle qu’elle soit, dépend du discours populiste de revendication sociale du peuple construit. De telle sorte que l’émancipation devient une construction logique d’articulation du discours politique d’une lutte contre un sujet spécifique donné. Toute émancipation est une opposition et un appel au peuple à une construction. On comprend dès lors la définition du populisme comme un appel au peuple à l’émancipation. Car l’émancipation est cette forme universelle et non particulière « par lequel l’homme tente de se détacher de ses racines temporelles et spatiales, de ses obligations communautaires, des hiérarchies qui le tenaient dans un orbite étroit ».

LA CRISE DE LA DÉMOCRATIE LIBÉRALE

   Le populisme traduit, donc, une crise de la représentation dans les démocraties libérales, nourrie par l’affaiblissement du clivage entre la droite et la gauche. […] Les causes profondes de l’essor de ces mouvements sont l’échelle et la rapidité des changements qui transforment nos sociétés depuis déjà plusieurs décennies. Ils sont, à la fois, économiques et culturels. Économiques, avec les mutations qui affectent l’emploi et le marché du travail, et l’extension du précariat notamment, et avec les fractures territoriales qui en résultent dans tous les pays. Culturels et religieux, avec les influences de la mondialisation qui rend le monde plus présent dans nos sociétés et érodent les liens sociaux. Il n’est pas certain que ce constat largement répandu et assumé de la crise de la démocratie se situe au véritable niveau de celle-ci. L’analyse classique de la crise des démocraties contemporaines interprète en effet cette crise comme une crise de la « représentation ». Ce qui serait en crise dans la démocratie, ce ne serait pas le démos mais le cratos : un gouvernement représentatif insuffisamment légitime et insuffisamment fidèle aux vœux du peuple. D’où une abondante littérature « critique » sur le perfectionnement nécessaire des institutions représentatives, se penchant sur leur histoire, afin d’en tirer des leçons et des enseignements pour une meilleure représentation. Le triomphe de la démocratie libérale, exclu toute vision de la politique antérieure, a fait naître une nouvelle « doctrine de la liberté individuelle et de la souveraineté populaire ». Cette doctrine, qui s’inscrit dans une vision de la fin de l’histoire, est comme un horizon imaginaire où vient s’inscrire des revendications qui sont extrêmement disparates. La démocratie fonctionne alors comme un consensus qui cherche à extirper toute image d’antagonisme ou d’opposition qui caractérise le système politique moderne. Pour comprendre le fonctionnement des sociétés libérales démocratiques, il est important de saisir l’articulation qui existe entre la démocratie et le libéralisme qui a été effectué au XIXe siècle. Cette articulation, « à donner naissance, pour Schmitt, à un régime qui n’est pas viable, car il est caractérisé par l’union entre deux politiques absolument hétérogènes » , « qui consiste à articuler l’État de droit et la défense des droits de l’homme à la démocratie comprise comme souveraineté populaire ». Ainsi, cet alliage contre nature de la démocratie, avec le libéralisme que Marcel Gauchet présente comme « une dissociation de la société et de l’État », est la cause profonde de cette crise de la démocratie. « Le libéralisme met la démocratie en crise. » La démocratie libérale associe deux termes qui sont contradictoires. C’est cette contradiction qui menace en général les fondements du politique et en particulier celui de la démocratie. En mettant en péril la démocratie, elle engendre ce qu’on appelle la post-démocratie ou la post-politique. Chantal Mouffe, en parlant de cette relation qui existe entre la démocratie et le libéralisme, montre qu’il n’existe pas de relation nécessaire, mais seulement une articulation historique contingente. Elle le justifie à travers ces termes dans le Paradoxe démocratique : D’une part, la tradition libérale constituée par l’État de droit, la défense des droits de l’homme et le respect des libertés individuelles ; d’autre part, la tradition démocratique dont les idées principales sont celles de l’égalité, de l’identité entre gouvernants et gouvernés, et la souveraineté populaire. Il n’y a aucune relation de nécessaire entre ces deux traditions distinctes : il n’y a qu’une articulation historique contingente. Toujours dans ce sens d’opposer la démocratie du libéralisme, Fukuyama nous fait savoir que : « le libéralisme et la démocratie, quoique étroitement liés, sont des concepts séparés. Le libéralisme politique peut être défini assez simplement comme un système légal qui reconnaît certains droits individuels ou liberté indépendants du contrôle de l’État ». En d’autres termes, libéralisme et démocratie ne sont nullement synonymes ; ce sont des notions qui, dans certains domaines, s’opposent mutuellement. Dès lors ce qui fait l’étroite association des deux est que : « la démocratie est aussi le droit universel de participer au pouvoir politique, c’est-à-dire le droit qu’ont tous les citoyens de voter et de prendre part à la vie politique. Celui peut être considéré comme un autre droit du libéralisme – peut-être le plus important- et c’est la raison pour laquelle le libéralisme a été étroitement associé historiquement avec la démocratie ». La définition formelle de la démocratie, qui consiste à accorder à un peuple le droit de choisir son propre gouvernement par le moyen d’élections périodiques, multipartites et à bulletin secret, sur la base du suffrage universel et égalitaire, ne garantit pas toujours une participation et des droits égaux. Les procédures démocratiques ne reflètent pas toujours la volonté ou l’intérêt véritable du peuple. Le plus souvent, elles sont manipulées par les élites au pouvoir qui font de ces procédures une pratique spécifique caractérisant leurs propres intérêts politiques. Pour rester au pouvoir, les élites manipulent les procédures d’utilisations démocratiques et cherchent à berner le peuple dans ses choix politiques. La démocratie formelle est à la base de toute les critiques démocratiques. Elle est critiquée au nom de la démocratie substantielle qui a pour réalisation le peuple (élément constituant de toute pratique démocratique). Même si le libéralisme et la démocratie marchent habituellement ensemble, cela n’empêche pas qu’en théorie, ils peuvent être séparés. La possibilité pour un pays d’être libéral, sans pour autant être démocratique, est tout à fait possible. Par exemple, comme ce fût le cas en Angleterre au XVIIIe siècle où « un grand nombre de droits, y compris la franchise, étaient parfaitement protégés par une petite élite sociale, mais refusés aux autres ». Inversement, un pays peut être démocratique sans pour autant être libéral, c’est-à-dire que les droits des individus et des minorités ne sont pas du tout respectés ni protégés. L’exemple le plus probant est la République islamique d’Iran que Fukuyama décrit comme étant un bon exemple pour comprendre ce processus démocratique. En ce sens, il écrit dans La fin de l’histoire et le dernier homme qu’ : Un bon exemple [de démocratie non libérale] en est la république Islamique d’Iran, qui a organisé des élections régulières relativement satisfaisantes pour un pays du tiers-monde, assurant au pays une démocratie indiscutablement meilleure que du temps du shah. L’Iran des mollahs n’est pourtant pas un pays libéral : les libertés d’expression, de réunion et par-dessus tout de religion n’y sont pas garanties. Les droits les plus élémentaires des citoyens iraniens ne sont pas protégés par un ensemble de lois et la situation est pire encore pour les minorités ethniques et religieuses du pays. Avec le développement croissant des demandes portées par les opprimés et l’insatisfaction qui en découle, la démocratie est un processus par définition inachevable. Ce processus est en permanence guidé par une lutte hégémonique qui se caractérise par une articulation de multiples visions de la société dans laquelle les individus s’accordent et souhaitent vivre. L’émergence des nouveaux mouvements sociaux, issus du néolibéralisme, constituent, en d’autres termes, des mouvements de revendications démocratiques qui cherchent à intégrer la sphère politique. Par conséquent, la structure de la scène politique se modifie et l’intégration de ses mouvements devient une nécessité pour la construction d’une frontière politique qui est indispensable à la démocratie. Le néolibéralisme, comme le décrit Chantal Mouffe, « est le terme aujourd’hui en vigueur pour désigner cette nouvelle formation hégémonique qui, loin de se cantonner à la sphère économique, présente également une conception globale de la société et de l’individu inspiré de l’individualisme possessif ». Il a montré ses limites avec la crise financière de 2008, qui a engendré une remise en cause de certains aspects du consensus qui ont été établis par la démocratie libérale. Ce revirement de système a mis en place de nouvelles formes de politiques d’austérité aux effets drastiques pour faire face à la crise.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA CONSTRUCTION D’UN PEUPLE POLITIQUE 
CHAPITRE 1 : QU’EST-CE QUE LE POPULISME ?
CHAPITRE 2 : LA CONSTRUCTION DES IDENTITES COLLECTIVES
CHAPITRE 3 : UNE THÉORIE POLITIQUE DE L’ÉMANCIPATION
DEUXIEME PARTIE : LE MOMENT POPULISTE : UNE CRITIQUE « post-démocratique »
CHAPITRE 1 : LA CRISE DE LA DÉMOCRATIE LIBÉRALE
CHAPITRE 2 : REPENSER LA DÉMOCRATIE DANS SA STRUCTURE CONFLICTUELLE
CHAPITRE 3 : LE POPULISME, UNE MANIÈRE DE RADICALISER LA DÉMOCRATIE
TROISIEME PARTIE : LE POPULISME : UN NOUVEL IMAGINAIRE POLITIQUE 
CHAPITRE 1: DU DÉSENCHANTEMENT AU RÉ-ENCHANTEMENT POLITIQUE
CHAPITRE 2 : UNE NOUVELLE ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DU CONFLIT FONDÉE SUR L’HÉGÉMONIE
CHAPITRE 3 : UNE LECTURE PROSPECTIVE DU POPULISME
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

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