La socialisation à l’école : l’enseignant-e
L’enseignant est supposé représenter l’école et donc les valeurs de la République. Valoriser et faire respecter ces valeurs fait partie intégrante de son devoir d’agent de l’Etat. Cependant, il semble qu’il en aille tout autrement dans la plupart des études publiées sur la mixité à l’école, et sur l’école en général. En effet, il semblerait que les enseignants reproduisent, et même amplifient, inconsciemment, les inégalités créées en amont au sein de la famille, comme le signale Nicole Mosconi : « D’où l’ambigüité du rôle de l’école, d’un côté elle se présente comme défendant l’égalité des tâches face aux familles supposées retardataires, et, de l’autre, elle joue sur les compétences produites chez les filles par l’éducation familiale pour faciliter la tâche de l’enseignement » . La chercheuse insiste sur les conséquences de l’attitude du corps enseignant sur les enfants dans sa conclusion : « En définitive, il y a bien un « curriculum caché » , c’est-à-dire une action involontaire, des effets non-voulus qui confortent un système de rapports inégaux entre les sexes » .
C’est ce que « dénoncent » la plupart des chercheurs : l’école se sert de l’éducation donnée par la famille pour faciliter l’enseignement et la vie à l’école. Nous avons noté dans la première partie de cette étude que la famille, (et la société en général), considéraient que le comportement d’une fille ou d’un garçon était « naturel » .
Marie Duru-Bellat explique dans la deuxième partie de sa note de synthèse qu’il en est de même pour les enseignants : « De même qu’ils supposent une certaine division du travail et des responsabilités dans la famille, les maîtres tendent à considérer comme « naturels » certains comportements » . Elle rappelle également que « le poids des stéréotypes amène les enseignants à sur-estimer les différences d’attitudes entre garçons et filles » . Ainsi, les caractéristiques attribuées généralement aux filles (au niveau du comportement), le calme, et aux garçons, l’agitation, sont utilisées dans la gestion quotidienne de la classe par l’enseignant, comme le signalent Marie Duru-Bellat : « L’observation des interactions effectives en classe montre que les maîtres recourent très fréquemment aux oppositions entre garçons et filles, comme technique de « management » de la classe, mobilisant ainsi ce qui est supposé typique des uns et des autres » , et Nicole Mosconi : « la plupart des enseignants se servent de la différence des sexes comme un des instruments de gestion du groupe-classe : l’alternance fille garçon permet de limiter bavardages et décrochages ».
Dans la plupart des études publiées sur la mixité à l’école, les filles apparaissent comme désavantagées par rapport aux garçons tout au long de leur scolarité. Cependant,paradoxalement, elles réussissent en moyenne mieux que les garçons sur le plan scolaire. Elles se retrouvent néanmoins de nouveau désavantagées sur le plan professionnel plus tard (au niveau des salaires ou des promotions par exemple), où elles ne parviennent pas à traduire cette réussite scolaire. Marie Duru-Bellat se concentre essentiellement sur les expériences que vivent les filles à l’école dans sa note de synthèse.
Enfin, les filles souffriraient d’un manque de crédit, que l’enseignant accorderait principalement aux garçons. Ainsi, leurs prises de parole ne seraient pas prises au sérieux par l’enseignant, et le stéréotype des « filles bavardes » n’est pas sans conséquence dans ce cas-là : « Pour certains, les petites filles apprennent vite à s’effacer à l’école, leurs propos étant plus souvent disqualifiés comme relevant du bavardage (Spender, 1980) ».
Les filles et les garçons « vivent [donc] à l’école quelque chose de profondément différent » , comme le signale Leila Acherar, différences qui « tiennent à une multitude de mécanismes quotidiens, parfois très fins, en général inconscients » . Les comportements bien distincts des filles et des garçons, souvent produits de stéréotypes, semblent donc être dus d’abord à l’éducation familiale, mais amplifiés par les enseignants et le personnel éducatif de l’école, qui se servent inconsciemment de ces attitudes stéréotypées dans leurs pratiques enseignantes et les renforcent par la même occasion. L’école apparaît donc comme un lieu où l’égalité des sexes n’est pas favorisées mais au contraire gommée, comme le dénonce également Leila Acherar : « Les inégalités de sexe, perdurent aux côtés des inégalités sociales au sein de l’école.
Dans les faits, la mixité scolaire se traduit par un simple partage de l’espace sans réel effet sur l’égalité dans la prise de décision » . Mais quels sont réellement les comportements des filles et des garçons ? Sont-ils réellement opposés ? C’est ce que nous allons observer dans la partie suivante de cette étude.
Effets d’une socialisation différentiée selon le sexe : des comportements bien distincts et inégaux entre les filles et les garçons, reflets des stéréotypes.
Les conséquences de la socialisation par la famille d’abord, et par l’école ensuite, sur le comportement des filles et des garçons sont évidentes. En effet, on observe des attitudes bien distinctes entre les deux sexes, aussi bien dans le quotidien hors de l’école que dans le milieu scolaire. On attribue ainsi aux filles et aux garçons des caractéristiques spécifiques, et nous entretenons de ce fait, d’une certaine manière, les stéréotypes. I l s’agit, dans cette partie, non pas d’accentuer la prégnance de ces stéréotypes en dépeignant des comportements proprement masculins ou féminins, mais de faire un état des lieux concernant les comportements sexués, afin de les comparer ensuite avec un autre espace, celui de la cour de récréation, où l’adulte a une influence limitée, voire inexistante.
Dans les études publiées sur la mixité de sexe que j’ai consultées, il apparaît clairement que les garçons dominent les filles. Cette domination ne s’exerce évidemment pas dans tous les domaines, mais elle est signifiante dans la majorité des cas, dans l’environnement du quotidien ou scolaire. I l apparaît également que ce qui est connoté féminin est souvent considéré comme négatif par les garçons, phénomène que l’on ne retrouve pas à l’inverse chez les filles. En effet, un garçon qui porte du rose, ou qui fait de la danse, peut faire l’objet de critiques de la part de son entourage, voire d’insultes qui le cibleront en tant qu’ homosexuel, l’accusant de cette manière de ne pas être « un vrai homme ». En revanche, une fille qui porte du bleu, ou qui fait du football, sera peut-être considérée comme un « garçon manqué » , mais il ne sera pas question d’homosexualité. I l est d’ailleurs intéressant de noter qu’il n’existe pas d’équivalent au terme « garçon manqué » pour les garçons. En effet, on ne parle pas de « fille manqué » lorsqu’on parle d’un garçon qui présente des caractéristiques connotées féminines, mais on l’associera immédiatement à l’homosexualité. Les termes « garçon manqué » montrent par ailleurs que les hommes sont la référence à partir de laquelle les comportements des uns et des autres sont pensés.
Marie Duru-Bellat rappelle ce refus de la part des garçons de tout ce qui est connoté féminin, en se référant à des recherches effectuées auprès d’enfants de 3/4 ans : « Nombre de résultats de recherche, par exemple le fait qu’on tolère plus des comportements dits masculins chez les filles que des comportements dits féminins chez les garçons (Maccoby, 1974), illustrent d’ailleurs les conséquences de cette asymétrie entre les sexes (…). Quand on demande, par exemple, à des enfants de 3-4 ans de choisir des jouets (ou des activités) propres à leur sexe, ils expriment des préférences conformes à leur sexe, mais les garçons s’avèrent plus conformes que les filles et à leurs yeux « tout ce qui est du ressort du rôle féminin est codé comme négatif et sans intérêt » (Money et Erhardt, 1972) » . On retrouve également ce phénomène dans l’étude de Sigolène Couchot-Schiex centrée sur l’Éducation Phy sique et Sportive, notamment en gymnatique : « Les garçons refusent de montrer quelques capacités pouvant aller vers la dimension esthétique, apanage des filles » . On constate donc un refus net de la part des garçons de tout ce qui est considéré comme féminin.
Il apparaît aussi très clairement que les filles se sous-estiment, notamment lorsqu’elles sont en contact avec les garçons. En effet, nous avons observé dans les deux premières parties de cette étude que la socialisation par la famille et par l’école poussait les filles à rester en retrait par rapport aux garçons. Cela engendrerait un refus, une peur des filles face aux situations de compétition. Les garçons, en revanche, sont davantage invités à être autonome et à se dépasser : « Selon Parson et Bales (1955) l’orientation à caractère instrumental serait définie schématiquement par l’autonomie individuelle, l’indépendance, le sentiment de maîtrise de l’environnement, la compétition. Cette orientation serait généralement associée aux rôles masculins. L’orientation à caractère expressif serait définie schématiquement autour de caractères comme la communion avec autrui, le désir de liens, la conscience et l’expression de sentiment personnels, caractères associés au sexe féminin. (…) Ainsi, lorsqu’ils se trouvent en présence de pairs du même sexe ou de l’autre sexe, les filles et les garçons réactivent des comportements liés à ces schématisations. La force des stéréotypes est notamment puissante dans les situations sociales qui mettent en jeu des interactions entre les individus. Ces situations sociales sont très fréquentes dans l’expérience quotidienne. A ce titre, le contexte scolaire est à considérer comme un lieu propice à l’activation des stéréotypes de sexe par la coprésence des filles et des garçons ». Marie Duru-Bellat insiste dans son article sur le fait que c’est lorsqu’elles sont dans un groupe mixte que les filles s’effacent et perdent confiance en elles : « dans les groupes mixtes, on voit apparaître une « division du travail » entre les sexes, les femmes par exemple modérant leurs comportement de dominance et se retreignant aux seuls comportements expressifs (Erlich et Vinsonneau, 1988). La notion même de comportement féminin ou masculin ne prend donc de sens que dans un contexte mixte. Autrement dit, c’est « dans la comparaison à l’autre groupe que les filles élaborent une image de soi qui adhère fortement à un stéréot ype féminin » (Lorenzi-Cioldi, 1988) ».
Le constat de la mixité à l’école semble négatif sur ce point pour les filles, comme le signale Marie Duru-Bellat : « On observe aussi une moindre estime de soi, en général, chez les filles des écoles mixtes par rapport à celles des écoles non mixtes (Faulkner, 1991) ».
La domination des garçons exercée sur les filles est notable aussi bien sur le plan oral que phy sique, comme le signale Claude Zaidman : « Toutefois l’analy se globale des prises de paroles fait apparaître, chez les garçons, une tentative de domination de l’espace verbal ou sonore (…). Cette dominance masculine contribue à conforter les caractéristiques de genre : chez les filles être discrètes, ne parler qu’à bon escient, en demandant la parole et sans chercher à briller au dépens des autres ; chez les garçons, se mettre en avant, prendre la parole spontanément, chercher à attirer l’attention, s’affirmer » . On retrouve extrêmement souvent, aussi bien dans les études publiées, que dans le quotidien et à l’école, deux portraits stéréotypés des garçons et des filles.Les uns apparaissent comme agités et bagarreurs, les autres comme sages, sérieuses et désireuses de correspondre à ce que l’adulte attend d’elles, et ce dès la maternelle.
Une occupation de l’espace de la cour bien distincte pour les filles et les garçons
Dans la plupart des études publiées sur la mixité dans les cours de récréation, on retrouve une séparation entre les filles et les garçons, et un usage de l’espace de la cour bien distinct. Ainsi, de la même façon que nous l’avons observé dans les parties précédentes de ce mémoire, les garçons domineraient l’espace de la cour. En effet, ces derniers s’adonneraient à des activités plus phy siques que celles des filles, nécessitant de ce fait plus d’espace. C’est ce que nous retrouvons à plusieurs reprises dans les observations de Sophie Ruel réalisées au début des années 2000 en école élémentaire : « les garçons occupent majoritairement l’espace et particulièrement le centre de la cour.
I ls étendent leurs jeux à la totalité de l’espace disponible. S’appropriant un usage non circonscrit de l’espace, les garçons investissent et sillonnent en tout sens la cour » ; « lors de leurs déplacements, ils marchent à grands pas, courent à grandes enjambées au sein de la cour, explorent les espaces en se courant après, en grimpant, en criant. I ls bougent, remuent, se bousculent et fonctionnent en groupes plus larges » . Claude Zaidman a fait le même constat dans les années 90 en école élémentaire : « Le foot, les jeux de ballons collectifs sont avant tout occupation de l’espace. En l’absence de séparation phy sique des espaces de jeu, les garçons étendent leur jeu à l’ensemble de l’espace disponible : ils courent, aux autres de se garer » ; « les jeux et les rencontres laissés à la spontanéité des enfants, s’organisent, malgré quelques exceptions, selon une norme de séparation sexuée qui aboutit à une asymétrie entre les sexes. L’espace de la cour, où la motricité et l’agressivité sont reines (la culture-foot) est dominé par les garçons et fondé sur l’opposition traditionnelle entre l’homme nomade et la femme sédentaire » . On retrouve enfin ce constat dans l’étude de Leila Acherar réalisée quant-à-elle en école maternelle et publiée en 2003 : « Les garçons quant à eux, tendent à utiliser l’ensemble de l’espace « cour » . De façon générale, quelle que soit l’école et la surface de la cour, les garçons tendent à occuper, compte tenu de leurs activités, plus physiques, des terrains de jeux plus grands que ceux utilisés par les filles » . Plus récemment, en 2014, Delphine Joannin et Christine Mennesson ont fait les mêmesconclusions en école élémentaire : « la majorité des garçons privilégient les jeux sportifs, tout particulièrement le football, pratique exclusivement masculine, qui domine l’espace de la cour » . Les termes « nomade » et « sédentaire » utilisés par Claude Zaidman illustrent de façon très pertinente la façon dont les filles et les garçons occupent l’espace de la cour de récréation. En effet, nous avons constaté que les garçons bougent énormément et se réservent de ce fait tout l’espace, mais en revanche, les filles semblent plus calmes et moins mobiles. Elles s’adonnent à des activités beaucoup plus calmes, et jouent plus à des jeux ne nécessitant pas de matériel, comme les jeux de rôles. Ainsi, elles se cantonnent dans les périphéries de la cour, laissant le reste de la place aux garçons. C’est ce qu’explique Sophie Ruel dans son étude : « Les filles utilisent les marges et les recoins de la cour pour jouer calmement et se replient sur les bancs pour discuter. S’appropriant un usage limité de l’espace, elles sont situées le plus souvent à la périphérie de la cour et se réunissent en couples ou en trios » ; « Lors de leurs déplacements, contrairement aux garçons, les filles courent peu. Elles se déplacent majoritairement en dansant, en se balançant ou encore en marchant à petits pas. Elles sepromènent également bras dessus, bras dessous, se tiennent par la main » . Comme nous l’avons vu précédemment, les filles sont plus dans l’expression de sentiments et dans la recherche de l’accompagnement de l’adulte, alors que les garçons évoluent dans la démonstration de force et l’esprit de compétition. C’est ce qu’évoque à nouveau Sophie Ruel : « Enfin, les petits comités de filles se définissent par des conduites de jeuoù la compétition et l’agressivité ne sont pas valorisées ».
Méthodologie
L’objectif de ce mémoire est de confronter les études publiées sur la mixité de sexe dans les cours de récréation, pour la plupart dans les années quatre-vingt-dix ou au début des années 2000, à mon expérience cette année en stage en Grande Section de maternelle. En effet, comme je l’ai signalé précédemment, il s’agira de vérifier ou non les constats qui avaient été faits à l’époque, dans la cour de récréation où mes élèves ont évolué cette année. I l s’agira également d’observer si ces études qui ont été majoritairement effectuées en élémentaire, se vérifient en maternelle. Pour cela, il est important de présenter l’espace de la cour ainsi que ses acteurs, que j’ai observés pour cette étude, et les modalités d’enquêtes que j’ai mis en place.
Présentation du terrain d’enquête
L’école
La cour de récréation que j’ai choisie d’observer est celle d’une école maternelle publique située en région parisienne, où j’effectue mon stage cette année. Cette école se situe au cœur d’une cité, d’une zone pavillonnaire et d’un grand Centre Commercial. Le public de cette école est essentiellement issu de la classe populaire. L’école est composée de neuf classes : quatre classes de Petite section, deux classes de Moyenne Section, et trois classes de Grande Section. L’établissement est composé de deux bâtiments séparés, l’un étant réservé aux élèves de Petite Section, et l’autre à ceux de Moyenne et Grande Section. L’école maternelle et l’école Élémentaire communiquent via la cantine qui fait office de passerelle entre les deux écoles. L’équipe éducative est formée de douze enseignant.es (dont deux stagiaires), de sept ATSEM (Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles), de trois EVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) et d’une psychologue. I l y a en tout 215 élèves dans l’école, dont 132 en Moyenne et Grande Section.
La cour de récréation
L’espace de la cour de récréation de l’école maternelle est assez vaste et s’étend en longueur. Elle est composée d’une balançoire horizontale de quatre places (deux places à une extrémité et deux places à l’autre extrémité), d’une deuxième balançoire horizontale, plus petite, de quatre places également, mais celles-ci sont face à face, ainsi que d’une maison avec un toboggan et un filet à grimper (photo annexe …). I l y a également au sol une marelle classique ainsi qu’une marelle en escargot, et des marquages au sol représentant un parcours de course à pieds (photos annexe …). Enfin, il y a un préfabriqué que l’équipe éducative nomme le « bungalow » , qui servait l’année précédente de salle de classe et qui est cette année une salle de vidéos. En effet, lorsqu’il pleut à l’heure du déjeuner, une partie des enfants est installée dans le bungalow pour visionner une vidéo ou pour faire d’autres activités.
Présentation des techniques et modalités d’enquête
J’ai choisi de confronter les études publiées sur la mixité de sexe dans les années quatre-vingt-dix et au début des années 2000 à mon expérience cette année en stage pour plusieurs raisons, qui présentent à la fois des avantages et des inconvénients. Posture de l’enquêtrice : avantages et inconvénients
J’ai fait le choix d’observer les élèves dans la cour de récréation où j’effectue mon stage, d’abord pour des raisons de facilité. Etant présente dans l’établissement deux à trois fois par semaine, cela m’a permis d’observer régulièrement ce moment de récréation. De plus, je connaissais les élèves que j’ai observés, et j’ai pu ainsi utiliser cette familiarité avec mon terrain pour mettre certaines situations étudiées dans les recherches en relation avec ces enfants et leurs caractéristiques. Ainsi, par exemple, j’ai pu observer comment évoluaient des enfants qui n’étaient pas très bien intégrés dans le groupe classe ou parmi leurs pairs de même sexe, dans la cour de récréation. J’ai pu constater si effectivement, ils jouaient ou non avec des enfants de l’autre sexe.
Cependant, cette connaissance des élèves a également représenté un inconvénient, et c’est bien là la limite de mes observations. En effet, je connaissais les élèves, mais ils me connaissaient également, et de ce fait, ils me sollicitaient dans la cour de récréation pour plusieurs raisons : d’abord, me voyant avec ma feuille de papier et mon crayon, ils se demandaient ce que je faisais. J’ai bien souvent entendu les questions suivantes : « qu’est-ce que tu fais maîtresse ? » , « qu’est-ce que tu écris maîtresse ? » , « t’es de service maîtresse ? » , « pourquoi tu nous regardes ? » . Les enfants venaient également me voir pour me signaler un « problème » ou pour me rapporter des informations, car ils pensaient que j’étais de service pour surveiller la cour. I l m’était donc très difficile d’observer des enfants pendant plusieurs minutes car j’étais très régulièrement interrompue par d’autres qui me signalaient que certains arrachaient les fleurs des arbustes, que d’autres avaient des bonbons dans leurs poches, ou par des histoires de bagarres. Enfin, les élèves de ma classe venaient souvent me voir pour me donner la main, ou pour que je les regarde faire la course par exemple.
Tous ces éléments ont donc posé de réelles limites à mes observations, car les enfants m’empêchaient d’observer en me sollicitant, et beaucoup d’entre eux arrêtaient de jouer lorsque je les observais. Sébastien Chauvin et Nicolas Jounin exposent cette difficulté dans leur ouvrage L’observation directe. En effet, selon ces chercheurs, « l’observateur n’est jamais ni invisible ni inactif dans le milieu qu’il étudie : d’une part, il doit négocier sa place ; d’autre part, sa présence est susceptible d’influer sur les comportements des enquêtés » . Mes élèves semblaient en effet perturbés quant à ma prise de notes. I ls ne se posaient pas de questions quant à ma présence, mais comme je l’ai déjà signalé, c’est ma feuille de papier et mon crayon qui a soulevé beaucoup de questions. Lorsque je leur disais que je « regardais juste » à quoi ils jouaient, ils essayaient de deviner ce que j’écrivais, ce qui est également signalé par Sébastien Chauvin et Nicolas Jounin : « En particulier, ne prenant pas des notes à tout instant, il incite les acteurs à tenter de deviner quels sont les éléments qui ont fait l’objet d’une prise de notes et à orienter leur comportement en fonction des intérêts supposés de l’enquêteur » . I l est vrai que beaucoup d’enfants m’interpelaient pour me dire « regarde maîtresse, là je joue à chat ! » , ou encore « tu peux écrire maîtresse que là on va jouer à la voiture avec Elsa et Geoffrey s’il te plait » .
Résultats et analyse des résultats
Différences et similitudes avec les études précédentes
Dans la première partie de ce mémoire consacrée aux études sur la mixité de sexe dans les cours de récréation effectuées majoritairement dans les années quatre vingt-dix et au début des années 2000, plusieurs points ont été soulevés : l’occupation bien distincte entre les filles et les garçons de l’espace de la cour, la séparation entre les filles et les garçons, ou au contraire le rapprochement que génèrent les jeux, l’affirmation de son identité sexuée favorisée par l’esprit de groupe notamment, et enfin l’égalité des sexes. En observant les élèves de Grande et de Moyenne Section dans l’école où j’effectue mon stage, j’ai pu confronter ces constats qui avaient été fait s précédemment, pour la plupart dans des écoles élémentaires, à mes résultats d’enquête. De manière globale, j’ai retrouvé les mêmes attitudes, même si certains points diffèrent.
L’occupation de l’espace
La plupart des études que j’ai consultées pour réaliser ce mémoire remarquaient une occupation bien distincte de l’espace de la cour, entre les filles et les garçons. À première vue, dans la cour de récréation de mon école, la répartition des espaces étai t totalement identique : les filles, en petits groupes, étaient assez immobiles ou du moins, évoluaient très lentement dans des petits coins de la cour, et les garçons, en grands groupes, étaient très actifs surtout au centre de la cour, mais également dans les périphéries. Ce constat est également apparu dans les propos de mes collègues. En effet, lorsque je leur ai demandé comment elles percevaient l’occupation de l’espace de la cour entre les filles et les garçons, elles m’ont répondu : « Eh bien c’est simple, les garçons courent partout et jouent à la bagarre, alors que les filles sont plus calmes, elles restent dans les petits coins de la cour » . En effet, les premiers mots qui apparaissent dans mes premières observations vérifient ces propos. J’avais noté que les garçons couraient partout dans la cour, alors que les filles marchaient en chantant le long des grillages qui délimitent la cour, ou elles étaient assises et discutaient.
Cependant, je me suis aperçue que cette répartition n’était pas toujours la même. En effet, au début de la récréation je ne voyais pas de filles au centre de la cour, mais au bout de quelques minutes, je pouvais observer plusieurs groupes de filles courir et jouer au centre de la cour. Peut-être attendaient-elles que la place soit libérée par les garçons ?
En effet, j’ai eu l’impression que les garçons étaient maîtres de l’occupation des différents espaces : les filles se placent d’abord dans les recoins en attendant de voir comment les garçons envahissent l’espace, et elles se faufilent ensuite dans les espaces laissés libres par les garçons. J’ai également remarqué au cour de mes observations, que beaucoup de petits groupes de garçons jouaient le long des grillages. J’ai même vu à plusieurs reprises des garçons marcher seuls dans les périphéries de la cour. Ces petits espaces de la cour n’étaient donc pas investis seulement par les filles, mais également par les garçons. Le centre de la cour, bien qu’il était souvent occupé par les garçons,était également investi pas les filles.
Ce constat apparait peut-être différemment dans mes observations car les jeux et les activités menés dans la cour de récréation de mon école sont différents de ceux relevés dans les études publiées sur la mixité dans les cours de récréation. En effet, le football, souvent cité dans les études et très pratiqué en école élémentaire, est interdit dans la cour de récréation de mon école. Cette pratique nécessite de la place et justifie sûrement l’occupation d’une grande partie de l’espace de la cour par certains garçons qui se focalisent sur elle, contrairement à ce que j’ai observé dans mon établissement. Le jeu apparait dans les études que j’ai consultées comme une cause de séparation des garçons et des filles, et d’inégalités dans la répartition de l’espace, malgré quelques exceptions.
Cependant, bien que j’aie pu observer des filles investir le centre de la cour, cet espace reste majoritairement occupé par les garçons. En effet, leurs jeux (même s’il ne s’agit pas de football), nécessitent plus de place et de déplacements que ceux des filles de manière générale. En réalité, les filles qui se sont placées au centre de la cour lors de mes observations ne sont pas restées longtemps dans cet espace, car les garçons, bien souvent, interrompaient leurs jeux en courant au milieu de leurs rondes par exemple.
J’ai pu alors remarqué que les garçons ne semblent pas respecter l’espace de jeux des filles, ce que ces dernières ne font pas. Face au caractère très aléatoire de l’occupation de la cour en général, je me suis focalisée sur la fréquentation des structures de jeux de la cour de récréation de mon école, ainsi que sur les jeux libres proposés par les enfants eux-mêmes.
Les jeux : cause de séparation entre les filles et les garçons ?
Le jeu m’est apparu effectivement comme un moteur de séparation entre les filles et les garçons dans la cour de récréation. Bien évidemment, j’ai pu observer quelques exceptions, mais en règle générale les garçons et les filles ne jouent pas ensemble. C’est d’ailleurs ce qui est ressorti dans les propos de mes collègues : « Les garçons jouent avec les garçons, et les filles jouent avec les filles, c’est toujours comme ça » . Les exceptions que j’ai pu noter se sont surtout concentrées dans les structures de jeux de la cour de récréation de mon école. Pour illustrer ce constat, je présenterai d’abord trois résultats de mes observations ciblées sur les structures de jeux de la cour de récréation de mon école :
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Table des matières
Introduction
1. La mixité à l’école : les différentes attitudes des garçons et des filles, héritage transmis par l’adulte ?
1.1 La socialisation par la famille
1.2 La socialisation à l’école : l’enseignant- e
1.3 Effets d’une socialisation différentiée selon le sexe : des comportements bien distincts et inégaux entre les filles et les garçons, reflets des stéréotypes
2. Le poids de la socialisation par la famille et par l’école : trop lourd pour s’en défaire même lors des moments de liberté tels que la récréation ?
2.1 Occupation de l’espace de la cour : bien distincte entre les filles et les garçons
2.2 Le jeu : source à la fois de séparation et de rassemblement entre les filles et les garçons ?
2.3 La cour de récréation : lieu d’affirmation de son identité sexuée
3. Méthodologie
3.1 Présentation du terrain d’enquête
3.2 Présentation des techniques et modalités d’enquête
4. Résultats et analyse des résultats
4.1 Différences et similitudes avec les études précédentes
4.2 Limites et apports de l’étude
Conclusion
Bibliographie