Les polymères stimulables sont actuellement l’objet de nombreux travaux fondamentaux et appliqués en raison de leur important potentiel en terme de concept et d’élaboration de matériaux ou dispositifs adaptatifs. En milieu solvant, l’eau en l’occurrence, l’objectif est d’organiser ou de structurer la matière molle au niveau moléculaire de manière à en contrôler les propriétés macroscopiques. Ces propriétés peuvent être très variées et hautement spécifiques et on peut donner en exemple le contrôle de la porosité ou de la perméabilité des membranes, le contrôle du volume de nano-objets et du relargage de leur contenu, le contrôle des assemblages macromoléculaires en solution avec la formation de gels physiques en milieu semi dilué, la modification des propriétés de surface avec tout ce qui concerne les phénomènes d’adhésion ou d’adsorption spécifique. Outre le contrôle des propriétés dans un environnement donné, on attend bien entendu des polymères stimulables qu’ils agissent comme déclencheurs moléculaires de transitions macroscopiques et qu’ils permettent de modifier de manière conséquente une propriété physique en réponse à un faible changement des conditions environnementales. Le concept de polymère adaptatif prend donc toute sa signification avec la possibilité de contrôler au niveau structural le comportement du matériau (sélection ou extinction d’une propriété). Les polymères stimulables sont en effet capables de répondre à différents types de stimuli (lumière, champ électrique ou magnétique, pH, force ionique, température …) et toutes les transitions ainsi induites sont réversibles par nature. Ces systèmes font ainsi l’objet de recherches intensives en raison de leurs applications potentielles dans de nombreux secteurs : fluides complexes, biotechnologies, domaine médical (ingénierie tissulaire et délivrance contrôlée de principes actifs), environnement (dépollution de l’eau)…
Le poly(N-isopropylacrylamide) (PNIPAM), polymère sensible à la température est connu depuis plus de 40 ans. Il reste toutefois un sujet très étudié aussi bien dans le domaine académique qu’industriel car il est très prometteur pour de nombreuses applications. De nombreuses revues sur ce polymère ou sur les polymères thermostimulables montrent cet engouement . Les propriétés spécifiques du PNIPAM observées aux alentours de 30°C, alliées à une synthèse aisée par voie radicalaire, ont fait en peu d’années du PNIPAM un polymère incontournable dans l’élaboration des assemblages stimulables et autres systèmes adaptatifs. Cependant, le développement de dispositifs à base de PNIPAM nécessite une bonne connaissance de ses propriétés afin de régler finement les systèmes. Afin de préciser les idées maîtresses qui ont guidé notre projet sur les interactions stimulables, l’objectif de ce chapitre est d’apporter un éclairage assez général sur les caractéristiques et les propriétés très spécifiques du PNIPAM. Ainsi, après avoir décrit son comportement thermodynamique en milieu aqueux, ainsi que les outils pouvant être utilisés pour modifier ses propriétés en solution, nous terminerons par quelques exemples d’applications permettant de mettre en relief les aspects originaux développés dans notre travail.
ASPECTS THERMODYNAMIQUES DE LA SEPARATION DE PHASE
Détermination expérimentale de la transition de phase des mélanges PNIPAM/H2O
Le PNIPAM est un polymère neutre qui possède une température critique inférieure de solubilité (LCST) en milieu aqueux : il est donc soluble dans l’eau à température ambiante et précipite par chauffage. Différentes méthodes peuvent être utilisées pour déterminer la température de séparation de phase des solutions aqueuses de PNIPAM. La plus répandue est la mesure du point de trouble (ou turbidimétrie) par spectrométrie UV-visible6 mais il existe bien d’autres techniques globales ou moléculaires telles que la calorimétrie7- 10, la viscosimétrie11-13, la diffusion de la lumière14-17, l’analyse spectroscopique de sondes de fluorescence18,19 ou du PNIPAM lui-même par IR20-22 ou RMN23-25. Ces techniques variées, résumées ci dessous, considèrent chacune l’évolution d’une propriété ou d’une caractéristique spécifique du système au cours du processus de séparation de phase. La diffusion de lumière permet d’étudier et de suivre la conformation d’une chaîne de PNIPAM en fonction de la qualité de solvatation. Kubota15 a ainsi montré que l’eau à 20°C était un bon solvant du PNIPAM et que les chaînes de polymère étaient alors gonflées avec des répulsions de type volume exclu. Lors de la transition de phase, la chaîne de PNIPAM subit une brusque réduction de son rayon de giration au voisinage de 31-32°C correspondant à l’augmentation des interactions monomère-monomère au détriment des contacts monomère-solvant14. Il a ainsi été montré qu’un état globulaire très compact, pouvant être décrit en utilisant un modèle de type sphère dure, était finalement atteint au-dessus de la température de transition. Wang et al17 ont montré que la transition conformationnelle subit par la chaîne était considérable avec une diminution du rayon de giration d’un facteur 10 (variation de volume d’un facteur 1000) lors de la transition (Figure 1).
En calorimétrie différentielle à balayage (DSC), la démixtion du PNIPAM dans l’eau, associée à une redistribution des liaisons hydrogène entre le polymère et le solvant, s’accompagne d’un effet endothermique notable. Cette technique permet donc de déterminer précisément la température à laquelle débute le phénomène de séparation de phase ainsi que le bilan énergétique du processus .
Les valeurs d’enthalpie mesurées varient donc globalement entre 4,6 et 7,1 kJ.mol-1 d’unités NIPAM. Notons que pour une masse molaire de l’ordre de 10 kg.mol-1 (valeur proche de celles des oligomères PNIPAM que nous avons synthétisés), les enthalpies de transition sont généralement comprises entre 4,8 et 5,9 kJ.mol-1 d’unités NIPAM7,26,27. En rhéologie, le renforcement des interactions monomère-monomère au détriment des interactions monomère-solvant provoque une diminution progressive du volume exclu qui passe de positif à basse température (répulsions prédominantes) à négatif (attractions prédominantes) au-dessus de la température de transition. En régime dilué, les interactions monomère-monomère sont très majoritairement intra-chaînes et on assiste au cours du chauffage à une contraction progressive des macromolécules sur elles-mêmes et à une diminution de la viscosité de la solution de PNIPAM28. En revanche, en milieu semi-dilué, la formation d’interactions intermoléculaires induites par chauffage provoque la formation d’un réseau physique, « stabilisée » par la vitrification des domaines concentrés en PNIPAM (Figure 3). On notera que le réseau transitoire (transition sol/gel), généralement observé avec des solutions au repos, peut être détruit sous cisaillement.
En spectroscopies RMN, IR et fluorescence, la diminution de mobilité concerne plus particulièrement les atomes des groupements isopropyle qui tendent à se regrouper au sein de régions de faible polarité et donc peu ou pas solvatées. En RMN 1H, la transition se traduit par une diminution importante du signal des protons audessus de la LCST ainsi que par une augmentation de la largeur des pics.
D’une manière générale, les différentes techniques utilisées pour étudier le processus de séparation de phase permettent de déterminer des caractéristiques moléculaires ou des propriétés macromoléculaires qui sont souvent complémentaires. Bien que la sensibilité de chaque technique au phénomène de transition de phase soit étroitement associée à la nature de la caractéristique physique étudiée (mobilité, polarité, hydratation, conformation), les températures de transition mesurées sont généralement peu différentes .
Dans le cadre de notre étude, nous utiliserons plus particulièrement la calorimétrie différentielle à balayage, la rhéologie ainsi que la diffusion de neutrons pour caractériser la transition de phase des polymères en solution.
Analyse phénoménologique du système PNIPAM/H2O
Le PNIPAM, comme le poly(oxyde d’éthylène), le poly(vinyle méthyle éther), les alkylcelluloses, présente dans l’eau un comportement opposé à celui décrit par la théorie de Flory-Huggins avec l’existence d’une température critique inférieure de solubilité (LCST). Au niveau moléculaire, le mécanisme de séparation de phases du PNIPAM reflète le bilan des interactions solvant-solvant , monomère-monomère et solvant-monomère . Dans le cas de l’eau, les interactions solvant-solvant sont particulièrement fortes et se manifestent dans une structure partiellement ordonnée35. La réponse à la température du PNIPAM en solution aqueuse a une origine à la fois enthalpique et entropique1. A basse température (T < LCST), la solubilité du PNIPAM dans l’eau est attribuée à la formation de liaisons hydrogène entre la partie polaire (amide) du PNIPAM et les molécules d’eau (Figure 9). Cette interaction conduit à une variation d’enthalpie de mélange exothermique.
Les molécules d’eau ne peuvent pas créer de liaisons hydrogène avec les groupements isopropyle apolaires du PNIPAM et doivent se réorganiser autour de ces derniers au sein d’une structure figée de type cage appelée clathrate. Ce phénomène, connu sous le nom d’effet hydrophobe ou de solvatation hydrophobe35 impose une diminution de l’entropie de mélange. Le terme SEx, ignoré dans le cas des solutions régulières, intervient alors et impose un bilan entropique très défavorable au mélange (SEx < 0). Contrairement aux mélanges endothermiques précédents, l’enthalpie de mélange fortement négative l’emporte sur la réduction de l’entropie et permet la solubilité des chaînes de PNIPAM dans l’eau à basse température (T < LCST). Cependant, pour des températures supérieures à la LCST, la perte d’entropie devient prépondérante et conduit à la séparation de phase du mélange (Figure 9). L’impact de la balance « hydrophile-hydrophobe » sur la solubilité de la chaîne macromoléculaire dans l’eau peut être mise en évidence en comparant le comportement en solution aqueuse de dérivés (méth)acrylamide N-substitués.
On note que les propriétés en solution aqueuse des différents polymères varient de manière importante en fonction de la nature de leurs substituants :
– l’augmentation de la taille du substituant (donc de son caractère hydrophobe) permet de passer de composés solubles dans l’eau à insolubles tout en ayant une large gamme de systèmes à LCST,
– pour un nombre fixé d’atomes de carbone, le point de trouble est plus faible pour des composés linéaires que cycliques,
– avec le même substituant, un poly(méthacrylamide N-substitué) présente un point de trouble plus élevé que le poly(acrylamide N-substitué) correspondant (la LCST du poly(N-isopropylméthacrylamide est de 44°C).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : LE PNIPAM, UN MOTEUR MACROMOLECULAIRE POUR L’ELABORATION DE SYSTEMES STIMULABLES
1. ASPECTS THERMODYNAMIQUES DE LA SEPARATION DE PHASE
1.1. Détermination expérimentale de la transition de phase des mélanges PNIPAM/H2O
1.2. Diagramme de phase du mélange binaire PNIPAM/H2O
1.3. Aspects thermodynamiques de la séparation de phase du système PNIPAM/H2O
1.3.1. Rappels sur la théorie de Flory-Huggins
1.3.2. Analyse phénoménologique du système PNIPAM/H2O
1.3.3. Modélisation thermodynamique de la séparation de phase du PNIPAM
2. INFLUENCE DE DIVERS PARAMETRES SUR LA SEPARATION DE PHASE
2.1. Paramètres intrinsèques
2.1.1. Influence de la masse et de la concentration
2.1.2. Influence de la nature de la chaîne
2.1.3. Influence de la micro-structure sur le processus d’auto-assemblage
2.1.4. Autres paramètres intrinsèques pertinents
2.2. Influence de l’ajout d’un composé sur la séparation de phase
2.2.1. Effet du sel
2.2.2. Addition de solutés neutres
2.2.3. Addition de tensioactifs
3. APPLICATIONS POTENTIELLES
4. CONCLUSION
RÉFÉRENCES
CHAPITRE 2 : SYNTHESE ET CARACTERISATION DE GREFFONS ET COPOLYMERES EN PEIGNE
1. SYNTHESE DES GREFFONS
1.1. Télomérisation du NIPAM
1.1.1. Mode opératoire de la télomérisation
1.1.2. Caractérisation des homopolymères synthétisés
1.2. Synthèse de copolymères ionisables
1.2.1. Choix du pH de synthèse
1.2.2. Mode opératoire de la cotélomérisation
1.2.3. Caractérisation des cotélomères
1.2.4. Titrage des polymères
1.3. Etude de la solubilité des télomères et cotélomères
1.3.1. Détermination de la température de début d’association
1.3.2. Effet du pH sur les greffons PNIPAM
1.3.3. Influence du taux de motifs ionisables
1.3.4. Effet du pH sur les motifs ionisables des cotélomères
1.3.5. Mélange de cotélomères ionisables
2. SYNTHESE DES POLYMERES EN PEIGNE
2.1. Polymère en peigne PNIPAM
2.1.1. Synthèse du macromonomère
2.1.2. Copolymérisation du macromonomère avec l’acrylamide
2.2. Polymères en peigne ionisables
2.2.1. Synthèse des macromonomères
2.2.2. Copolymérisation des macromonomères avec l’acrylamide
SOMMAIRE
3. CONCLUSION
RÉFÉRENCES
CHAPITRE 3 : SYNTHESE DES BROSSES DE POLYMERE
1. CHOIX DES SUBSTRATS
2. SYNTHESE PAR GRAFTING ONTO
2.1. Principe
2.2. Silanisation
2.3. Brosses de PNIPAM
2.4. Brosses de PAA
2.4.1. Brosses de PtBuA
2.4.2. Hydrolyse du PtBuA
2.4.3. Pyrolyse des brosses de PtBuA
2.4.4. Conclusion
3. SYNTHESE PAR GRAFTING FROM
3.1. Principe
3.2. Choix de la polymérisation et du système
3.2.1. Polymérisations radicalaires contrôlées
3.2.2. Polymérisation par RAFT
3.2.3. Synthèse de brosses par RAFT
3.3. Synthèse de l’amorceur RAFT (TTC-OH)
3.4. Polymérisations RAFT en solution
3.5. Synthèse des brosses
3.5.1. Greffage de l’amorceur
3.5.2. Polymérisation RAFT
4. CONCLUSION
RÉFÉRENCES
CHAPITRE 4 : PROPRIETES D’ASSOCIATION EN SOLUTION
1. MISE EN EVIDENCE DU PHENOMENE D’ASSOCIATION
1.1. Détermination de C* et Ce
1.2. Mise en évidence de la transition
1.2.1. Rhéologie
1.2.2. Micro-DSC
1.2.3. Diffusion de neutrons aux petits angles
1.3. Réversibilité du phénomène de thermo-association
1.4. Influence de différents paramètres sur l’association
1.4.4. Influence de la concentration de polymère
1.4.5. Influence du pH
2. POLYMERE EN PEIGNE CHARGE
2.1. Influence du comonomère introduit dans les greffons
2.2. Influence de la concentration
2.3. Influence du pH
2.4. Influence du sel
3. MELANGE DE POLYMERE EN PEIGNE ET GREFFONS CHARGES
3.1. Peigne neutre et greffons chargés
3.2. Peigne chargé et greffons de charges opposées
3.2.1. Influence de la quantité de greffons libres ajoutés
3.2.2. Influence du pH
4. CONCLUSION
CONCLUSION GENERALE