Le plasma et ses applications
Au milieu du 19ème siècle, le physiologiste tchèque Jan Evangelista Purkinje a utilisé le mot plasma, du grec signifiant « modelé », pour parler du liquide transparent qui reste une fois les composants du sang retirés. En 1922, le scientifique américain Irving Langmuir a pour la première fois employé le mot plasma pour parler de gaz ionisé, ce dernier transportant les ions et électrons de la même façon que le plasma sanguin transporte les globules blancs et rouges. Avant de rentrer dans les détails du plasma en médecine, il convient de définir ce qu’est un plasma, ce qui sera le but de ce chapitre. Le plasma est communément appelé « 4ème état de la matière », après les états solides, liquides et gazeux. Bien que peu présent naturellement sur Terre, il compose 99% de l’univers (les aurores boréales et les étoiles en sont des exemples). Ce chapitre abordera la physique des plasmas puis détaillera quelques applications industrielles et biomédicales pour finir sur les jets de plasma froid à pression atmosphérique.
Physique des plasmas
Généralité sur les plasmas
Contrairement au plasma sanguin, il n’y a pas de fluide transportant les ions et électrons dans un gaz ionisé. Ce dernier est donc composé d’électrons, d’ions, mais aussi de molécules et atomes excités. Afin de pouvoir ioniser un atome ou une molécule, il faut lui apporter de l’énergie de façon à faire quitter un électron de sa couche électronique pour qu’il devienne électron libre. Cette énergie peut être apportée de façon thermique, électrique, radiative, chimique ou mécanique. Il est donc possible de générer des plasmas en laboratoire grâce à ces diverses sources d’énergie.
Création et entretien de la décharge
De multiples décharges électriques permettent de générer des plasmas avec des paramètres pouvant être modulés (température, densité des espèces, etc.). On reconnait par exemple les décharges thermiques (arc), non thermiques (décharges luminescentes), haute pression (coronas, Décharges à Barrière Diélectrique DBD), basse pression, radiofréquence et micro-ondes et décharge en courant continu. Chacune de ces sources plasma aura une application technologique particulière.
Courbes de Paschen
C’est dès 1901 que Sir J. Townsend démontre que la tension de claquage d’une décharge auto-entretenue dépend du produit « distance x pression » après que Friedrich Paschen ait découvert de façon empirique cette loi en 1889. En effet, pour amorcer un plasma dans un gaz, il faut que la tension entre les électrodes soit suffisante. Cette tension de claquage est une tension seuil à partir de laquelle le gaz devient conducteur. Si le champ extérieur est maintenu, la décharge est dite auto-entretenue.
Chaque courbe présente un minimum qui correspond à un produit ?? optimal. Si la tension appliquée est inférieure à ce minimum, le plasma ne peut pas s’amorcer car le claquage du gaz n’a pas lieu. Si le produit ?? est faible, la probabilité de collision conduisant à l’ionisation est faible. Ceci est dû à deux phénomènes : d’une part au grand libre parcours moyen des électrons à cause de la faible pression et d’autre part à la faible probabilité d’avoir des collisions ionisantes à faible distance ?. Pour augmenter la probabilité de collision d’un électron avec les autres particules, il faut donc augmenter la tension. Si le produit ?? est élevé, le libre parcours moyen des électrons est cette fois très faible, les empêchant d’acquérir l’énergie nécessaire pour ioniser le gaz. Il faut donc augmenter la tension pour leur fournir l’énergie nécessaire.
Ces courbes montrent également que les gaz les plus faciles à ioniser sont les gaz rares tels que le néon, l’argon et l’hélium comparés à l’air qui nécessite un champ électrique de 30 kV/cm.
Processus physico-chimiques élémentaires du plasma
Lors de la phase de décharge, plusieurs phénomènes se produisent (ionisation, excitation, dissociation …) entrainant ainsi la création et la propagation du plasma. Dans ce paragraphe les principaux processus physico-chimiques qui se produisent durant la phase décharge sont décrits.
Processus d’ionisation
L’ionisation est un processus élémentaire lors de la création d’un plasma, appartenant à la catégorie des collisions inélastiques, pour lesquelles l’énergie cinétique des espèces entrant en collision est convertie en énergie interne .
Ils existent plusieurs mécanismes d’ionisation , dont les principaux sont :
▪ Ionisation directe par impact électronique : un électron avec suffisamment d’énergie va ioniser une espèce lors d’une collision. Cet électron libre va interagir avec un électron de valence de l’espèce impactée. Si l’énergie est supérieure au potentiel d’ionisation, l’ionisation peut avoir lieu. Ce mécanisme est le principal processus dans les plasmas froids puisque les électrons ont une énergie élevée.
▪ Ionisation par collision entre particules lourdes : cette ionisation concerne les collisions ion-molécule, ion-atome et collisions d’espèces excitées lorsque l’énergie des deux espèces impliquées dans la collision est supérieure au potentiel d’ionisation. Contrairement à l’électron, même si l’énergie cinétique des atomes ou ions est légèrement plus élevée que le potentiel d’ionisation, l’ionisation n’a pas lieu. Ceci est dû au fait que la vélocité des atomes ou ions est plus faible que celle des électrons et donc ils ne peuvent pas transférer leur énergie à un électron dans un atome. Cependant, l’ionisation Penning intervient lorsque l’énergie électronique d’un atome métastable ?∗ est supérieur au potentiel d’interaction d’un autre atome ?. Ionisation Penning : ?∗ + ? → ? + ?+ + ? .
Applications du plasma
Un plasma contient donc des espèces capables d’interagir avec une surface. En choisissant la composition du gaz, la puissance, la pression, etc. il est possible de régler et spécifier les effets d’un traitement par plasma. Son habilité à traiter des objets 3D complexes, des matériaux thermosensitifs, conducteurs, semi-conducteurs et isolants lui confère un grand intérêt pour de nombreuses applications industrielles (Figure 1-2), telles que le traitement de surface, la fabrication de composants micro-électroniques ou le traitement de déchets et pollution. Cette partie survolera les applications industrielles du plasma et donnera un aperçu de son application dans le biomédical.
Traitement de surface
Dans un premier temps, l’activation de surface va permettre la production de groupes fonctionnels qui vont faciliter la liaison d’adhésifs et revêtements (ex : encre, peinture, colle). L’oxygène est souvent utilisé comme gaz. Cependant l’activation peut aussi se faire avec l’air. Les espèces actives de l’oxygène (radicaux) du plasma vont se lier au matériau créant une surface hautement active pour les agents liants. Les surfaces traitées peuvent rester actives de quelques minutes à plusieurs mois en fonction du matériau traité. Le plasma peut servir également pour nettoyer une surface en retirant des couches non voulues (ex : trace de moule, adhésifs, huiles et graisses). Le nettoyage avec des plasmas d’oxygène élimine les huiles et graisses à l’échelle nanométrique et réduit la contamination nettement plus efficacement que les méthodes traditionnelles de nettoyage. Les ultra-violets sont généralement utilisés en amont pour casser les liens des contaminants organiques avant l’action des espèces oxygénées. Ces dernières vont réagir avec les composants organiques pour former majoritairement de l’eau et du dioxyde de carbone qui est ensuite enlevé par un système de pompage durant le procédé. Pour les matériaux s’oxydant rapidement tels que le cuivre ou l’argent, les gaz inertes sont utilisés à la place (argon, hélium).
Le plasma peut aussi être utilisé pour enrober ou déposer sur une surface («coating») en y appliquant une couche barrière et protectrice (ex : hydrophyle/phobe). Le dépôt plasma offre un potentiel énorme d’amélioration des propriétés de matériaux pour une grande variété d’applications. Une couche de polymère d’épaisseur nanométrique est formée sur l’entière surface d’un objet placé au milieu du plasma. Ce procédé de dépôt ne prend généralement que quelques minutes pour déposer une couche nanométrique permanente. Les monomères sont introduits en même temps que le flux de gaz plasma. Ces monomères sont des petites molécules qui, sous les bonnes conditions, se lient entres elles pour former des polymères. Le plasma crée les conditions adéquates sur la surface du matériau pour un procédé rapide et efficace. Le choix du monomère va influer sur les propriétés finales du matériau, notamment en termes d’hydrophilie et hydrophobie.
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Table des matières
Introduction
Partie I : Contexte de l’étude
Chapitre 1 – Le plasma et ses applications
1.1 Physique des plasmas
1.1.1 Généralité sur les plasmas
1.1.2 Création et entretien de la décharge
1.2 Processus physico-chimiques élémentaires du plasma
1.2.1 Processus d’ionisation
1.2.2 Mécanismes de recombinaison électron-ion
1.2.3 Attachement et détachement électronique
1.3 Applications du plasma
1.4 Les dispositifs de plasma froid
1.5 Conclusion
Chapitre 2 – Le plasma en oncologie
2.1 Le cancer
2.1.1 Fonctionnement de la cellule
2.1.2 Caractéristiques d’une cellule tumorale
2.2 Les deux types de traitement au plasma : indirect vs direct
2.3 Objectifs de la thèse
Partie II : Matériels & Méthodes
Chapitre 3 – Caractérisation du jet plasma d’hélium
3.1 Configuration du jet d’hélium
3.2 Outils de diagnostic
3.2.1 Diagnostics électriques
3.2.2 Diagnostics optiques
Chapitre 4 – Caractérisation des milieux activés par plasma
4.1 Résonnance Paramagnétique Électronique (RPE)
4.1.1 Principe de la résonnance paramagnétique électronique
4.1.2 Utilisation de piégeurs
4.2 Fluorescence
4.2.1 Principe de fluorescence
4.2.2 Dosage du peroxyde d’hydrogène
4.3 Colorimétrie
4.3.1 Principe de la colorimétrie
4.3.2 Dosage des nitrites/nitrates
4.4 Chromatographie en phase liquide et spectrométrie de masse (LC/MS)
4.4.1 Principe de la LC/MS
4.4.2 Analyse de la dégradation des acides aminés par LC/MS
Chapitre 5 – Supports biologiques in vitro et in vivo
5.1 Lignées cellulaires
5.1.1 Cellules issues d’un cancer colorectal humain : lignée HCT-116
5.1.2 Cellules issues d’un cancer tête et cou humain : lignée FaDu
5.2 Culture cellulaire
5.3 Culture cellulaire en 3D : sphéroïdes tumoraux
5.4 Activation du milieu par jet plasma et traitement cellulaire
5.5 Analyses biologiques in vitro
5.5.1 Suivi de volume (courbe de croissance)
5.5.2 Viabilité cellulaire
5.5.3 Caractérisation de l’intégrité de la membrane plasmique
5.5.4 Détection de la mort cellulaire par apoptose : observation de l’activation des caspases
5.5.5 Analyses statistiques in vitro
5.6 Expérimentations biologiques in vivo
5.6.1 Éthique
5.6.2 Modèle murin : la souris nude
5.6.3 Implantation et traitement des tumeurs humaines dans un modèle murin
5.6.4 Suivi de la croissance tumorale
5.6.5 Analyse statistique in vivo
5.7 Conclusion
Partie III : Résultats expérimentaux – Caractérisation du jet plasma & Interactions avec une cible liquide
Chapitre 6 – Caractérisation du jet plasma d’hélium
6.1 Caractérisation électrique
6.2 Etude de la dynamique du jet du plasma
6.2.1 Jet libre
6.2.2 Cible de DMEM à 2 cm
6.2.3 Vitesse de propagation
6.3 Analyse par spectroscopie d’émission
6.4 Conclusion
Chapitre 7 – Interaction plasma/milieux : caractérisation physico-chimique
7.1 Analyse du pH et de l’osmolarité après exposition au plasma
7.2 Analyse du radical hydroxyle ●OH
7.3 Formation de l’anion superoxyde O2●-
7.4 Quantification de la concentration du peroxyde d’hydrogène H2O2
7.5 Production d’oxygène singulet 1O2
7.6 Production du radical hydrogène ●H
7.7 Formation d’oxyde nitrique ●NO
7.8 Anions nitrite NO2- et nitrate NO3-
7.9 Traitement plasma des acides aminés en milieu aqueux
7.10 Conclusion
Conclusion