En 1975, J. C. Collins et M. J. Perry évoquent pour la première fois le Plasma de Quarks et Gluons [1]. A très haute densité, les hadrons se recouvrent ce qui entraîne une perte de leur individualité. La matière devient donc, selon leur termes, une « soupe de quarks ». D’après eux, cette haute densité de matière pourrait être atteinte dans le coeur des étoiles à neutron, les explosions de trous noirs ou encore l’univers primordial. L’un des points important souligné par l’article est l’émergence d’une théorie asymptotiquement libre pour l’interaction forte. Les cas de hautes densités de matière hadronique vont pouvoir être traités par calcul perturbatif. Aujourd’hui l’étude du plasma créé dans les collisions d’ions lourds est un pan entier de la physique des particules et non un simple cas particulier de la QCD. Les méthodes/théories/modèles utilisés pour l’étude de ce nouvel état de la matière sortent du cadre seul de la QCD. Pour commencer, les particules présentes à un temps t dans le plasma n’obéissent pas toutes à l’interaction forte (tels les photons). Ensuite, le grand nombre de particules en présence nécessitera par exemple l’usage de modèles thermodynamiques/hydrodynamiques. On peut encore citer le fait qu’il faudra ajouter des ingrédients pour pouvoir décrire des phénomènes tels que le shadowing dans la matière froide (le noyau, par opposition à la matière chaude : le plasma).
Le Plasma de Quarks et gluons (QGP)
Dans les collisionneurs, on parle de la création d’un plasma lorsque l’on passe de la matière hadronique à un milieu dans lequel les quarks sont déconfinés. Ce déconfinement est la conséquence d’un écrantage de l’interaction lié à la grande densité de matière hadronique. (le même phénomène existe pour l’interaction électromagnétique). Ainsi une charge de couleur peut se déplacer plus ou moins librement dans le milieu.
Plusieurs observables peuvent être utilisées pour détecter la formation de ce plasma. Pour commencer, on peut essayer de mesurer sa température par le biais des photons thermiques produit par le milieu. La température (moyennée sur un intervalle de temps) mesurée au LHC est d’environ 300 MeV tandis que celle au RHIC est de 220 MeV [4]. La QCD sur réseau prédit une température critique Tc ∈ [170, 200] MeV [5], température à laquelle la transition de phase a lieu. La phase de QGP semble donc atteinte au LHC ainsi qu’au RHIC. Il faut cependant garder en tête que cette température critique est évaluée par la QCD sur réseau pour un plasma statique et en équilibre thermodynamique global. Dans les expériences du LHC il n’est même pas certain qu’un équilibre local soit atteint et le milieu est en rapide expansion.
L’écrantage de couleur demandant une densité et un nombre de particules important, on s’attend à des comportements collectifs en présence d’un plasma. Des observables typiques de ce comportement collectif sont les vi avec i ∈ [1, +∞].
L’interprétation de ces corrélations dans l’état final est la suivante. Si il y a une anisotropie dans la distribution initiale de matière, il y aura alors un gradient de pression. Cela va donner naissance à un flow anisotropiques et cette asymétrie se retrouvera dans les spectres finaux de particules. Le v2, aussi appelé flow elliptique correspond à une distribution initial de matière en forme d’amende. Le v3 correspond à une forme triangulaire etc…
Finalement, un autre moyen d’étudier le plasma est l’utilisation de sondes dures (hard probes). Les sondes dures sont des particules très énergétiques crées lors de la collision de deux partons provenant des hadrons incidents. La probabilité pour ces particules d’être crées dans le plasma est négligeable, car trop énergétiques. On peut distinguer deux types de sondes dures :
1. Celles qui portent une charge de couleur : charms, bottoms, gluons de haut pt
2. Celles qui ne portent pas de charge de couleur : photons .
Si un plasma est créé, les sondes dures chargées, ainsi que les particules associées, vont traverser ce milieu dense et y perdre de l’énergie. Les interactions avec ce milieu vont modifier les spectres obtenus dans le cas d’une production dans le vide. Ainsi, en comparant les spectres obtenus pour une collision AB avec ceux des collisions pp (dans lesquelles on suppose qu’il n y a pas création d’un milieu, ce qui n’est peut être pas exacte) on peut voir s’il y a eu création d’un milieu. En utilisant des modèles que l’on compare aux spectres obtenu dans la collision AB, il est possible d’extraire certaines propriétés de ce milieu telle que sa température.
Objectifs de la thèse et travail effectué
La volonté d’EPOS est d’avoir une description complète et unifiée des collisions pp, pA et AA dans le but d’étudier le plasma de façon cohérente. Un code hydrodynamique est implémenté, permettant de reproduire les comportements collectifs. Ce générateur d’événements a déjà démontré ça capacité à reproduire différents types d’observables , et il est clair qu’un des ingrédients manquant était la production de sondes dures. L’objectif principal de ma thèse est l’implémentation des sondes dures dans EPOS, le but étant de les utilisées ultérieurement pour l’étude des collisions pA et AA. Mais l’implémentation de ce type de particules peut être utile également pour d’autres études. Par exemple on peut les utiliser pour étudier les PDFs ou la matière froide. Plus de détails seront données dans le chapitre sur les sondes dures. Le travail de ma thèse peut être divisé en plusieurs étapes :
1. Implémentation des sondes dures et comparaison à la distribution charm vs pt faite par Matteo Cacciari [18].
2. Comparaison aux données en pp pour vérifier qu’il n’y a pas de problème + modifications nécessaires
3. Utilisation des sondes dures en pp : études des interactions multiples et des corrélations de quarks lourds.
Je vais tenter d’éclaircir les points précédents. Quand j’ai commencé la thèse, il y avait déjà un squelette pour le charm dans EPOS. La comparaison avec les données était mauvaise, ce qui est normal puisque personne n’avait encore vraiment travaillé dessus. D’où l’étape 1, où il m’a fallu comprendre ce qui était déjà implémenté, voir si c’était pertinent et réfléchir à d’éventuels ajouts. Pour comprendre certains choix, il est nécessaire de préciser le contexte. EPOS étant un code en construction, les commentaires sont rares. De plus la personne ayant implémenté le squelette pour le charm et plus globalement la partie pQCD du code n’était pas vraiment disponible pour répondre aux questions. L’étape 1 a donc été assez longue puisque qu’il m’a fallut comprendre le code avec l’aide des quelques commentaires et des connaissances générales de Klaus sur cette partie. Une partie de mon travail a donc été un travail d’éclaircissement. Il y a aussi des morceaux de code (pour le charm) dont je n’ai jamais compris la raison d’être. Par exemple, les saveurs légères et le charm n’étaient pas traités de la même façon pour des raisons que je ne comprenais pas. Dans ces cas, j’ai fais le choix de tout simplement supprimer ces morceaux. Le but était d’avoir un code plus unifié, plus simple et que je comprenais entièrement, quitte à devoir de nouveau le complexifier par la suite. Finalement cette première étape de vérification/compréhension m’a également demandé un travail sur le traitement des interactions multiples dans EPOS.
Une fois la comparaison avec le spectre en pt devenue acceptable (moins d’un facteur 2 de différence, sauf pour les bas pt), on a commencé à regarder plus d’observables (mésons D, multiplicité) dans le but de vérifier que tout allait bien. Il est important de préciser que dans ce cas, reproduire les observables était le but en soit, et non pas de faire des conclusions physiques. Une trop grande différence avec les observables « basiques » permettant de détecter une erreur d’implémentation.
Finalement, la dernière étape consiste à faire des études plus détaillées sur la production du charm. Cette fois, on peut commencer à commenter la physique et les modèles utilisés.
Modèle des partons, chromodynamique quantique et autres théories pour la physique des collisionneurs
Petit historique de l’interaction forte
Remarque : pour cette introduction historique je me suis entre autre inspiré du document de P.Aurenche[10]. En 1932, James Chadwick confirme l’existence du neutron. Dans le début des années 30, l’état des connaissances est donc que le noyau est composé de protons et de neutrons qui sont considérés, avec l’électron et le photon, comme des particules élémentaires. La question de la stabilité du noyau se pose car il devrait être désintégré par la répulsion coulombienne des protons. Les physiciens sont donc obligés de conclure à l’existence d’une interaction qu’ils nommeront interaction forte. Les années 1950 voient le développement des accélérateurs de particules et au début des années 1960, une centaine de particules sensibles à l’interaction forte, appelées hadrons, ont été découvertes dans les accélérateurs. Certaines sont aussi découvertes dans les rayons cosmiques comme les mésons K.
Les hadrons peuvent être séparés en 2 groupes : les mésons, de spin entier et les baryons, de spin demi-entier. En 1961, cherchant une explication plus fondamentale à cette quantité de hadrons découverts, M.Gell-Mann et Y.Ne’eman vont réussir à décrire le spectre de particules observées à partir du groupe SU(3) (groupe des matrices unitaires et de déterminant 1). Les baryons sont membres des représentations octets (dimension 8) et décuplets (dimension 10) du groupe SU(3) tandis que les mesons sont membres des représentations octets et singlet (dimension 1). Ce modèle appelé eighfold way permit la prédiction du baryon Ω− (il manquait cette particule pour compléter un des décuplets) qui fut découverte en 1964 au Brookhaven National Laboratory par N.Samios et son groupe. Mais aucune particule appartenant à la représentation fondamentale de SU(3), appelée triplet, ne fut découverte. En 1964, M.Gell-Mann et indépendamment S.Zweig proposent le modèle des quarks. Dans ce modèle, les hadrons sont des particules composites et non plus des particules élémentaires. Ils sont composés de particules élémentaires , appelées quarks, qui appartiennent à la représentation fondamentale de SU(3). Les mesons, composés d’un quark et d’un anti-quark appartiennent aux représentation irréductibles du produit direct du triplet et de l’anti-triplet :
3 ⊗ 3 = 8 ⊕ 1 (I.1)
tandis que pour les baryons composés de 3 quarks on a :
3 ⊗ 3 ⊗ 3 = 10 ⊕ 8 ⊕ 8 ⊕ 1 (I.2)
Excepté pour le singlet de baryon, le modèle des quarks est en accord avec le modèle eightfold way : les mesons appartiennent aux représentations singlets et octets tandis que les baryons appartiennent aux représentations octets et décuplets. Le proton correspond à l’état lié uud tandis que pour le neutron on a l’état lié udd. Pour reproduire les spins et charges des hadrons, les quarks doivent être des fermions avec une charge électrique fractionnaire de celle de l’électron. En plus des quarks up, down et strange, 3 autres seront nécessaires suite à la découverte de nouvelles particules.
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Table des matières
Introduction générale
1 Le Plasma de Quarks et gluons (QGP)
2 Objectifs de la thèse et travail effectué
I Modèle des partons, chromodynamique quantique et autres théories pour la physique des collisionneurs
1 Petit historique de l’interaction forte
2 Modèle des partons
3 QCD et le modèle des partons amélioré
3.1 Violation de la propriété d’échelle de Björken et les équations DGLAP
3.2 Liberté asymptotique
4 Cascades partoniques : Initial State Radiation (ISR) et Final State Radiation (FSR)
4.1 Cascade spacelike
4.2 Cascade timelike
4.3 Cohérence et ordonnancement angulaire
4.4 Dead cone effect
5 Physique des petits x et interactions multiples
5.1 La théorie de Regge
5.2 Théorie de Gribbov-Regge et nécessité théorique des interactions multiples
5.3 Évolution vers les petits x, équation BFKL et échelle de saturation
II EPOS : Fonctionnement
1 Philosophie d’EPOS
2 Interactions élémentaires (partoniques)
3 Interactions multiples et saturation
4 Coeur et couronne / hydrodynamique et jets
5 Quelques résultats
III Implémentation des pomerons semi-durs
1 Fonction de profil pour les pomerons élémentaires
2 Monte-Carlo
2.1 Problème rencontré
IV Charm
1 Intérêt des saveurs lourdes
2 Production du charm
2.1 Cascade spacelike
2.2 Processus de born
2.3 Cascade timelike
3 Comparaison aux données expérimentales
V Photons prompts
1 Intérêts
2 Photons isolés et expériences
3 Implémentation
3.1 Photons prompts
3.2 Subroutines d’analyse
4 Comparaison aux expériences
VI Cascade timelike : approfondissement et améliorations
1 Structure et variables
2 timsho : une version expérimentale
3 Remarques et perspectives
Conclusion générale