Le Plasma de Quarks et de Gluonsย
Les collisions dโions lourds ultra-relativistes permettent dโรฉtendre nos connaissances sur la matiรจre dans des domaines dโรฉnergie et de densitรฉ trรจs รฉlevรฉs. Ces conditions ont รฉtรฉ celles de lโUnivers peu de temps aprรจs sa formation, alors que son รขge รฉtait infรฉrieur ร 10โปโต seconde. Il est trรจs intรฉressant de pouvoir รฉtudier ces premiers instants de lโUnivers. Les rรฉponses ร des questions fondamentales sur lโinteraction forte, la nature du vide, la brisure de symรฉtrie chirale et lโorigine des masses pourraient venir de cette recherche. Elle permet en particulier de confronter les rรฉsultats de la thรฉorie actuelle qui dรฉcrit lโinteraction forte, la Chromodynamique quantique, avec des observations expรฉrimentales. Elle รฉlargit donc par cet intermรฉdiaire notre comprรฉhension de la thรฉorie dans des conditions de tempรฉratures et de densitรฉs oรน son application est difficile. Ce chapitre retracera dans une premiรจre partie les diffรฉrentes รฉtapes qui ont conduits jusquโaux thรฉories actuelles sur la matiรจre, et en particulier jusquโร la Chromodynamique quantique. Nous pourrons alors donner dans la deuxiรจme partie les รฉlรฉments qui permettent de supposer lโexistence dโun รฉtat dรฉconfinรฉ de la matiรจre, le plasma de quarks et de gluons, et qui dรฉfinissent ses propriรฉtรฉs hypothรฉtiques. Cet รฉtat sera รฉgalement appelรฉ selon son acronyme anglais QGP, pour Quark Gluon Plasma. De fait, lโรฉtude du plasma de quarks et de gluons est liรฉe ร lโรฉtude des collisions dโions lourds ultra-relativistes et a fortement motivรฉ celles-ci. Ces collisions seraient en effet le seul moyen permettant de reproduire et dโobserver cet รฉtat. La fin de ce chapitre sera donc consacrรฉe ร ces collisions.
La matiรจre ยซ ordinaire ยปย
Histoire du modรจle atomique
Lโidรฉe que la matiรจre est composรฉe de briques รฉlรฉmentaires existe depuis les philosophes grecs de lโantiquitรฉ. Leucippe est le premier ร croire que la matiรจre est discontinue et formรฉe de particules extrรชmement petites et indivisibles. Il leur donne le nom โatomosโ, ce qui signifie en grec โqui ne peut รชtre coupรฉโ. Son disciple Dรฉmocrite (460 – 370 avant J.C.) reprend cette idรฉe et propose la thรฉorie atomiste. Selon celle-ci, la matiรจre est discontinue, composรฉe dโatomes รฉternels se dรฉplaรงant dans le vide et dont les multiples combinaisons engendrent tous les corps. Malgrรฉ lโรฉtonnante justesse de cette vision, elle est critiquรฉe par Aristote (384 – 322 av. J.C.). Aristote dรฉfend lโidรฉe que la matiรจre est continue et est composรฉe des quatre รฉlรฉments : la terre, lโeau, lโair et le feu. Lโinfluence dโAristote sur le savoir de cette รฉpoque fait que sa thรฉorie prรฉvaut durant les 2000 ans qui vont suivre. Ce nโest quโau XIXe siรจcle que la thรฉorie de Dรฉmocrite est reprise par le chimiste et physicien John Dalton (1766 – 1844). Grรขce ร ses travaux sur les gaz, Dalton est amenรฉ ร formuler lโhypothรจse atomique quโil publie en 1808. Elle stipule que la matiรจre est composรฉe de particules extrรชmement petites et indivisibles appelรฉes atomes. Tous les atomes dโun mรชme รฉlรฉment sont identiques et possรจdent les mรชmes propriรฉtรฉs et la mรชme masse. Les atomes dโรฉlรฉments diffรฉrents ont des propriรฉtรฉs et des masses diffรฉrentes. Ils se combinent dans les rรฉactions chimiques dans des rapports simples pour former de nouveaux composรฉs. Cette thรฉorie est correcte, ร part le caractรจre indivisible de lโatome qui y est vu comme une boule de billard. Ceci sera ensuite remis en cause dโabord par Joseph John Thomson (1856 – 1940) qui dรฉcouvre les รฉlectrons et le dรฉplacement de charges positives dans un tube de Crookes (dont le principe est identique ร celui des tubes cathodiques). Il propose alors un atome formรฉ par des รฉlectrons, chargรฉs nรฉgativement, rรฉpartis sur une sphรจre uniforme et positive de sorte que lโatome est รฉlectriquement neutre. Ernest Rutherford (1871 – 1937) contredit ce modรจle en 1907 par une expรฉrience oรน des rayons ฮฑ bombardent une feuille dโor. Il observe quโun petit nombre de rayons rebondissent sur la feuille et repartent en sens inverse. Quelques ฮฑ sont lรฉgรจrement dรฉviรฉs et leur grande majoritรฉ la traverse sans dรฉviation. La forte dรฉviation de particules ฮฑ positives ne sโexplique que par la prรฉsence dโun corps chargรฉ. La force รฉlectrostatique nรฉcessaire pour contre balancer leur รฉnergie cinรฉtique ne peut quโรชtre produite par une sphรจre chargรฉe dont le rayon est bien plus petit que celui de lโatome. De plus, la majoritรฉ des particules ฮฑ ne sont pas dรฉviรฉes, ce qui indique que la majeure partie des atomes est vide. Rutherford propose alors son modรจle atomique en 1911 qui est appelรฉ modรจle planรฉtaire. Dans ce modรจle, la charge positive est regroupรฉe dans un noyau dense et central, autour duquel les รฉlectrons gravitent sur des orbites dont le rayon est trรจs supรฉrieur ร celui du noyau. Niels Bohr amรฉliore en 1914 le modรจle de Rutherford en expliquant le comportement et la distribution des รฉlectrons autour du noyau (sous la forme de couches รฉlectroniques). Erwin Schrรถdinger รฉlabore ensuite en 1926 les principes de la mรฉcanique ondulatoire selon lesquels la position et la vitesse des รฉlectrons autour du noyau ne peuvent pas รชtre dรฉfinies classiquement. ร la place, les รฉlectrons sont rรฉpartis selon des densitรฉs รฉlectroniques satisfaisant lโรฉquation de Schrรถdinger. Enfin la stabilitรฉ du noyau est expliquรฉe par la dรฉcouverte du neutron en 1932 par James Chadwick. Cette particule, de charge nulle et de masse proche de celle du proton, semble provenir dโatomes de bรฉryllium bombardรฉs par des ฮฑ. Prรฉsents dans le noyau, ces neutrons permettent dโassurer la cohรฉsion avec les protons, qui autrement se repousseraient ร cause de leur charge positive.
Les particules รฉlรฉmentaires et le modรจle standard
Nous savons donc dรฉsormais que la matiรจre perceptible est composรฉe dโatomes dont la taille est de lโordre dโun ร ngstrรถm (10โปยนโฐm). Tous les composรฉs chimiques rรฉpertoriรฉs dans le tableau de classification pรฉriodique de Mendeleรฏev sont dรฉfinis par la charge รฉlectrique du noyau de lโatome correspondant et donc par son nombre de protons. Cette charge rรจgle les propriรฉtรฉs du nuage รฉlectronique et par cet intermรฉdiaire les propriรฉtรฉs chimiques de lโรฉlรฉment. Cependant lโatome moderne nโest pas une brique รฉlรฉmentaire de la matiรจre dans le sens oรน il nโest pas indivisible. Il ne constitue donc pas le maillon de construction le plus petit ร partir duquel la matiรจre est construite.
Lโatome est composรฉ des particules que sont les nuclรฉons du noyau (neutrons et protons) et les รฉlectrons de son nuage รฉlectronique. ร partir des annรฉes 1950, les expรฉriences auprรจs des accรฉlรฉrateurs de particules et lโobservation des rayonnements cosmiques vont mettre en รฉvidence beaucoup dโautres particules. La question se pose alors si toutes ces particules sont vraiment รฉlรฉmentaires. La rรฉponse viendra dโabord par Gell-Mann et Zweig en 1964 qui prรฉdisent lโexistence des quarks, des briques รฉlรฉmentaires qui sโassocient pour former lโensemble des hadrons observรฉs. Cette prรฉdiction sera finalement confirmรฉe par lโobservation expรฉrimentale dโune sous-structure du proton en 1969.
Le modรจle de Gell-Man a depuis รฉtรฉ approfondi et est devenu ce que lโon appelle le modรจle Standard. Ce modรจle est la thรฉorie actuelle qui rรฉpertorie les constituants les plus fondamentaux de la matiรจre et dรฉcrit leurs interactions.ย Celui ci prรฉvoit รฉgalement que pour chaque particule il existe une anti-particule de mรชme masse mais de charge et de paritรฉ opposรฉes. Les particules de matiรจre sont regroupรฉes en 3 familles de masses croissantes. La matiรจre stable est composรฉe des particules de la premiรจre famille dont les membres sont les plus lรฉgers. Ainsi les atomes contiennent les รฉlectrons du nuage รฉlectronique, les neutrons composรฉs de 3 quarks udd et les protons composรฉs de 3 quarks uud. Tous les constituants รฉlรฉmentaires du modรจle standard sont des particules ponctuelles (jusquโร au moins 10โปยนโทm) qui ne donnent une dimension spatiale ร la matiรจre que grรขce ร leurs interactions.
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Table des matiรจres
Introduction
1 Le Plasma de Quarks et de Gluons
1.1 La matiรจre ยซ ordinaire ยป
1.1.1 Histoire du modรจle atomique
1.1.2 Les particules รฉlรฉmentaires et le modรจle standard
1.1.3 Confinement des quarks
1.1.4 Brisure de la symรฉtrie chirale
1.2 Dรฉconfinement et plasma de quarks et de gluons
1.2.1 Estimations thermodynamiques
1.2.2 Prรฉdictions de la Chromodynamique Quantique
1.3 Les collisions dโions lourds ultra-relativistes
1.3.1 Gรฉomรฉtrie de la collision
1.3.2 รvolution spatio-temporelle
1.3.3 Comportement collectif
1.4 Les observations expรฉrimentales et leurs interprรฉtations
1.4.1 La recherche des signatures du QGP
1.4.2 La suppression du J/ฯ
1.4.3 Lโaugmentation de lโรฉtrangetรฉ
1.4.4 Du SPS au RHIC
1.4.5 Suppression des particules de hauts pT et corrรฉlations azimutales
1.4.6 Les observations ร venir
1.5 Conclusion
2 Les rรฉsonances dans les collisions dโions lourds
2.1 Hadronisation du systรจme
2.2 Apparente sous production des ฮ(1520) et son interprรฉtation
2.3 Mesure de T au freeze-out chimique et de โt entre les deux freeze-out
2.4 รtude de lโรฉtape de diffusion hadronique
2.5 Sonder les premiers instants de la collision
2.5.1 Modification des propriรฉtรฉs des rรฉsonances
2.5.2 Flot elliptique des rรฉsonances
2.6 Conclusion
3 Le RHIC โฒ Relativistic Heavy Ion Collider
3.1 Production et accรฉlรฉration des ions
3.1.1 Le tandem Van de Graaf et la production des ions lourds
3.1.2 Le Linac et la production des protons
3.1.3 Le Booster et lโAGS
3.1.4 Le RHIC
3.1.5 Performances du RHIC pour diffรฉrents systรจmes accรฉlรฉrables
3.2 Les diffรฉrents sites expรฉrimentaux du RHIC
3.2.1 BRAHMS
3.2.2 PHOBOS
3.2.3 PHENIX
3.2.4 STAR
4 STAR โฒ Solenoidal Tracker at RHIC
4.1 Les Dรฉtecteurs de dรฉclenchement
4.1.1 Les ZDC
4.1.2 Le CTB
4.1.3 Les BBC
4.1.4 Les autres dรฉtecteurs de dรฉclenchement
4.2 Les dispositifs de trajectographie et dโidentification
4.2.1 Courbure des trajectoires par un aimant
4.2.2 Dรฉtection dans la Chambre ร Projection Temporelle
4.2.3 Autres dรฉtecteurs
4.3 La reconstruction des รฉvรฉnements dans STAR
4.3.1 Corrections ~E โง~B des variations des champs magnรฉtique et รฉlectrique
4.3.2 Trajectographie dans la TPC
4.3.3 Reconstruction du vertex primaire et dรฉfinitions des traces globales et primaires
4.3.4 Mesure de la perte dโรฉnergie et identification des particules
5 Reconstruction des rรฉsonances dans STAR
5.1 Reconstruction des hypรฉrons รฉtranges et des rรฉsonances
5.2 La technique des รฉvรฉnements mรฉlangรฉs
5.2.1 Principe
5.2.2 Traitement รฉvรฉnement par รฉvรฉnement et mรฉlange
5.2.3 Obtention du spectre en masse invariante
5.3 Effet de lโasymรฉtrie azimutale et corrections
5.3.1 Observation de lโeffet sur un spectre en masse invariante
5.3.2 Origine venant du mรฉlange dโรฉvรฉnements avec une รฉmission anisotrope de particules
5.3.3 Modรฉlisation grรขce ร la dรฉcomposition de Fourier de lโexpansion azimutale
5.3.4 Correction
6 Analyse de la production de ฮ(1520) ร RHIC
Conclusion