Le plan de déplacements urbains une politique locale en prise avec la concertation

A l’aube du XXIème siècle, le faible taux de syndicalisation, la montée des mouvements sociaux autonomes, le discrédit de la classe politique, le manque de confiance dans les décisions prises par le gouvernement et pensées comme aptes à réduire la crise, ou encore les brusques irruptions de violences dans des institutions comme l’école et dans des territoires qui échappent à tout contrôle public, sont des faits qui témoignent d’une certaine remise en cause du système représentatif. Une remise en cause corroborée par l’attitude de nos élus, de nos législateurs, de nos autorités qui s’empressent de mettre en place des formes nouvelles de démocratie en privilégiant l’échelle locale.

Dans un article sur la démocratie dans les villes françaises, Gérald Orange identifie trois raisons de l’insistance récente à développer des formes nouvelles de démocratie locale : « La première fait écho à l’espoir de réélection des élus. Le débat public sur les décisions des collectivités territoriales ne serait que le prolongement ou l’anticipation des campagnes électorales […] La seconde raison part du constat que le centre ne parvient plus à maîtriser la complexité des situations économiques, sociales ou culturelle que l’évolution des sociétés crée d’une façon inéluctable. Par toutes les formes de délégation, de déconcentration, de décentralisation ou de dévolution – les quatre D, le pouvoir central répartit des compétences à de multiples niveaux territoriaux. La prise de décision se rapproche de son terrain d’action. Il est alors logique que les citoyens, plus instruits et mieux informés, souhaitent prendre une plus grande part aux décisions qui les concernent. Une troisième raison corrobore la seconde, bien qu’elle puisse apparaître paradoxale. Les forces économiques conduisent à une inévitable concentration des pouvoirs – que la mondialisation atteste – ce qui crée de nouveaux problèmes que seules la négociation et la concertation peuvent régler pacifiquement […] le citoyen est inquiet des bouleversements que cette mondialisation induit (risques technologiques ou sanitaires, dégradation de l’environnement…) et aspire à en contrôler les conséquences au niveau local ».

Bref, que ce soit dans l’espoir de gagner la confiance des citoyens, parce que la décentralisation confronte le local à des compétences qu’il ne sait pas appréhender traditionnellement, ou encore parce que les implications de la mondialisation sont ressenties localement, la concertation vient au secours d’une démocratie représentative sinon en crise du moins en ballottage.

Afin d’appréhender la réalité de cette concertation, nous essaierons de répondre à deux questions : D’où vient la concertation ? Qui sont les concertés ? Pour ce faire, d’une part, nous montrerons que même dans une démocratie locale dite participative la concertation reste avant tout le fruit d’un dialogue offert par l’autorité qui, par voie de conséquence, en fixe les règles, et d’autre part, nous verrons que pour conserver une certaine maîtrise de la situation l’autorité préfère associer une population disposant d’un statut repérable plutôt que des individus isolés souvent assimilés au syndrome Nimby (Not In My Back Yard : Pas dans mon jardin).

La concertation : une démocratisation du processus décisionnel contrôlée par une autorité locale en quête de légitimité

« Oyez ! Oyez ! Braves gens ! Venez dorénavant participer ardemment aux choix politiques de votre nation, de votre pays, de votre région, de votre ville, de votre quartier… » Voilà ce qu’au commencement du troisième millénaire nos élus relayés par leurs techniciens clament de plus en plus souvent sur la place publique. Un seul mot d’ordre en matière de décision publique : la concertation. L’an 2000 marque-t-il pour autant un revirement catégorique de position ? Une simple relecture des deux textes qui fondent les droits de l’homme et du citoyen semble au contraire montrer que nos récentes lois et/ou pratiques décisionnelles ne font qu’appliquer de «vieilles» proclamations. Dans la Déclaration française de 1789, article XIV : « Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée » et dans la Déclaration universelle de 1948, article 21, §1 : « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ».

Acté depuis plus de deux siècles, si le droit à l’intervention directe des citoyens dans la vie politique n’est pas une nouveauté, son application devient quant à elle, quasi systématique et ce d’autant plus que l’échelle politique est locale. Néanmoins, cet appel à la participation lancé par l’autorité ne se veut pas non plus être une délégation décisionnelle.

De la bonne conscience démocratique à la bonne pratique managériale 

La concertation : une préoccupation législative croissante 

Le droit français relatif à l’aménagement du territoire intègre pour la première fois la notion de concertation en 1967 avec la loi d’orientation foncière (LOF). Mais, outre une relance isolée le 14 mai 1976 via la directive sur l’information du public et l’organisation des enquêtes publiques, cette notion est mise en veille pendant près de quinze ans. Cependant, il semble que nos législateurs aient suivi la règle du « reculer pour mieux sauter ». Dès le début des années 1980, ils font preuve d’une boulimie participative qui se traduit par une succession de lois, de décrets, de circulaires, de directives, etc. tous plus exigeants quant à l’implication ou la prise en compte des administrés : la circulaire du 31 juillet 1982 relative à l’amélioration apportée à la publicité des études d’impact et à la procédure des enquêtes publiques ; la loi du 12 juillet 1983, dite Bouchardeau, réformant très profondément le droit des enquêtes publiques ; l’obligation juridique de concertation imposée pour certains documents d’urbanisme et un certain nombre d’opérations par la loi de 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’aménagement ; les procédures Bianco et Billardon relevant cette fois de simples circulaires en décembre 1992 et février 1993 relatives à la conduite des grands projets nationaux d’infrastructures ; l’introduction du référendum local par la loi Joxe de 1992 dont le régime et le champ d’application ont été modifiés trois ans plus tard par la loi Pasqua pour introduire une initiative dite populaire et en autoriser expressément la mise en œuvre pour les opérations d’aménagement ; la loi du 2 février 1995, dite Barnier, relative au renforcement de la protection de l’environnement avec la création de la Commission Nationale du Débat Public et d’une procédure réservée aux seules grandes opérations publiques d’aménagement d’intérêt national ; la publication et la diffusion d’une charte de la concertation en 1996 par le Ministère de l’Environnement ; ou encore la directive du Conseil des Communautés européennes du 7 juin 1990 concernant la liberté d’accès à l’information en matière d’environnement, la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la  justice en matière d’environnement dite convention d’Aarhus du 23-25 juin 1998 ; jusqu’à la loi relative à la démocratie de proximité du 27 février 2002 instituant notamment la mise en place des Conseils de quartier qui peuvent faire des propositions aux élus sur les questions intéressant leur quartier.

Cette effervescence textuelle, qui caractérise bien sinon la volonté du moins l’enjeu politique croissant sur le front de l’association du public aux décisions d’aménagement, peut être mise en parallèle avec le grand chantier de la décentralisation lancé en 1982. Le local devient par excellence l’espace de l’accomplissement des politiques publiques et, par ce fait, ces dernières se trouvent d’autant plus rapprochées de leurs administrés. Dans un article sur les perspectives d’action publique, avec au premier chef celles de la recomposition récente de l’espace local et d’un développement local autonome, Albert Mabileau montre que le local est  parfaitement fonctionnel comme niveau de traitement des relations sociales « parce qu’il est reconsidéré comme niveau privilégié de la pratique démocratique en tant qu’administration de proximité ; parce qu’il permet de prendre en compte le contrôle social communautaire – le community control des Anglo-Saxons – à partir des besoins exprimés par les unités différenciées et les groupes réduits de la population ; parce qu’il est devenu le lieu et l’instrument de distribution des biens et des services. En bref le local serait à l’avant-scène du traitement des problèmes sociaux ». Par ailleurs, si local rime plus que jamais avec décision publique concertée, c’est aussi une source de la représentation politique, notamment avec le cumul des mandats, que nos élus n’ont pas manqué de considérer.

En matière de décision publique liée à l’aménagement, la concertation n’est donc plus une pratique à défendre. D’une part, la décentralisation a transféré aux Régions, aux départements, aux communes et demain à des structures intermédiaires des pouvoirs de décisions qui, en se rapprochant du terrain, rendent la concertation plus systématique. D’autre part, le vaste mouvement vers l’intercommunalité implique un dialogue, un partage de compromis, une vision commune qui incite à la concertation. Enfin, les trois dernières lois qui règlent aujourd’hui le développement territorial prennent pour élément constitutif la participation des citoyens. Dorénavant omniprésente, parfois même évidente, l’association de la population est cependant allée crescendo avec une crise grandissante de la légitimité décisionnelle.

La concertation au service de la légitimité 

La légitimité est définie par les dictionnaires comme un attribut essentiel du pouvoir démocratique. Dès lors que la décision est prise par le détenteur du pouvoir, la décision se doit d’être légitime. Peut-être simpliste, ce raisonnement a le mérite de poser clairement un des enjeux majeurs du pouvoir : sa légitimité. Une légitimité garante de tout acte fondé en droit, en justice et en équité. « La légitimité d’une institution résulte en effet, pour partie, de la capacité de ses membres à pouvoir se référer (de manière à pouvoir justifier leurs actes et leurs paroles) à des objectifs précis et valides, dont l’origine (mais aussi la perspective) dépasse souvent leur horizon temporel individuel. Une organisation dont les objectifs sont sans cesse renégociés, soumis à contestation et dénégation ou encore flous et instables, n’a pas la même légitimité qu’une organisation dont les objectifs ont été formellement définis, confirmés par d’autres instances et sont relativement stables sur le moyen-long terme ». Ainsi, la légitimité s’avère d’autant plus présente que l’on n’en parle pas et d’autant moins effective que l’on commence à en débattre. Or, que l’on en discute aujourd’hui de cette légitimité !

La décentralisation et la médiatisation croissante des politiques se sont accompagnées d’une mise sur l’agenda régulière de la légitimité décisionnelle. C’est, depuis le début des années 1980, l’exemple criant des élus locaux qui ont certes hérité d’un pouvoir plus conséquent mais également d’une transparence de décision les exposant à la censure de l’opinion. Leurs propos tout comme leurs agissements font de plus en plus souvent l’objet de contestations et l’accueil de leur décision ne bénéficie d’aucune garantie préalable. Face à cette situation d’incertitude, ils multiplient les tentatives d’information, de discussions, de délibération, de consultation, de négociation, bref, de concertation. En d’autres termes, la montée en puissance de l’appel à l’opinion publique à laquelle on assiste depuis les années 1960-1970, et qui se cristallise depuis les lois de décentralisation, se fait l’écho d’une crise de la légitimité décisionnelle.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I LE PLAN DE DEPLACEMENTS URBAINS : UNE POLITIQUE LOCALE EN PRISE AVEC LA CONCERTATION
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
1.1 DEMOCRATIE LOCALE ET PARTICIPATION
1.2 LE PLAN DE DEPLACEMENTS URBAINS : UNE DEMARCHE VOUEE A LA CONCERTATION
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
PARTIE II LE PROCESSUS DE PRODUCTION DES PLANS DE DEPLACEMENTS URBAINS
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
2.1 AIX-EN-PROVENCE : L’AJOURNEMENT D’UNE POLITIQUE TROP AMBITIEUSE DANS LA VILLE DE
LA SUR-MOTORISATION
2.2 CAEN : DU TVR TECHNOLOGIQUE AU TRAMWAY ENVIRONNEMENTAL
2.3 MULHOUSE : DU TECHNIQUE AU POLITIQUE
2.4 NIMES : L’APPRENTISSAGE DE L’INTERCOMMUNALITE
2.5 NICE : UNE OBLIGATION LEGALE A LA CHARGE DU TRAMWAY
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
PARTIE III OUVERTURE DU SYSTEME DECISIONNEL PDU ET MODIFICATION DU CONTENU
INTRODUCTION DE LA TROISIEME PARTIE
3.1 DISPOSITIFS FORMELS DE CONCERTATION ET OUVERTURE DE LA PROCEDURE PDU
3.2 PHASAGE PROCEDURAL ET CONCERTATION PRODUCTIVE
3.3 LES ASSOCIATIONS : QUEL PORTAGE SUBSTANTIEL ?
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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