Le plafond de verre dans les cabinets d’audit

Si, en France, la recherche en comptabilité est restée plus que discrète sur le thème des questions de « genre », la recherche comptable anglo-saxonne s’y intéresse depuis déjà une vingtaine d’années. En France, seule Comptabilité-Contrôle-Audit a publié un article en 1998 , alors qu’en Grande-Bretagne, les premiers articles ont paru en 1987, regroupés dans un numéro spécial d’Accounting, Organizations and Society. Aujourd’hui, le corpus dans des revues comptables peut être évalué à environ quatre-vingt articles traitant des questions de genre. Cette absence d’engouement pour le sujet de la part de la communauté académique française en comptabilité ne peut pourtant pas s’expliquer par une hypothèse « culturelle ». En effet, dans d’autres champs tels que la sociologie, la recherche hexagonale sur ce sujet est particulièrement dynamique. Dès 1984, « Le Sexe du travail », un ouvrage collectif du MAGE, marquait un jalon décisif dans la visibilité et la légitimité de cet objet de connaissance que peut représenter le travail féminin. L’ambition était alors modeste, au moins nous semble-t-elle ainsi aujourd’hui, puisqu’il s’agissait d’affirmer que le « travail avait un sexe ». Aujourd’hui, le fait semble acquis. Vingt ans plus tard, les travaux sur le genre «constituent désormais un outil de production de connaissance et de renouvellement des savoirs à part entière » (Laufer, Marry et Maruani, 2003). Plusieurs revues dédiées à l’étude des problématiques du genre font désormais partie du paysage académique (Clio HFS ; Les Cahiers du Genre ; Travail, Genre et Sociétés…), et des articles paraissent régulièrement par ailleurs dans des revues académiques non dédiées. De plus, les théoriciens français ont largement inspiré les études sur le genre : Hélène Cixous, Luce Irigaray, Julia Kristeva, mais aussi Michel Foucault ou Jacques Derrida.

L’existence d’un corpus anglo-saxon en comptabilité relativement développé ainsi que de recherches françaises dans des disciplines connexes comme l’histoire ou la sociologie amène à s’interroger sur les raisons de l’absence du genre dans les problématiques des chercheurs en comptabilité en France. Ce, d’autant plus que, comme le souligne Hopwood (1987), « le prisme du “genre” peut être un outil particulièrement utile à celui ou celle qui souhaite analyser la comptabilité au-delà de sa dimension technique ». Outre la mise en lumière de la composition sexuée de la profession comptable et de l’évolution de cette composition, aborder la comptabilité par le prisme du genre contribue à déconstruire les postulats implicites de la comptabilité (i.e. les conceptions de l’ordre et de la régulation, le processus d’objectivation et le principe de neutralité) et à refléter les évolutions de ces postulats et de leurs fondements intellectuels (Hopwood, 1987, p.65).

TYPOLOGIE DES CADRES THEORIQUES

Trois cadres théoriques féministes sont classiquement identifiés : le féminisme libéral, le féminisme marxiste et le féminisme patriarcal. Ces trois cadres s’opposent tout en étant liés les uns aux autres.

Les féminismes libéral, marxiste et patriarcal

Comme le rappelle Gallhofer (1998), la plupart des recherches sur la place des femmes dans la profession comptable s’inscrivent dans une perspective féministe libérale . Les travaux relevant de cette perspective visent à mettre en lumière les inégalités entre les hommes et les femmes comptables dans leur profession. Ils partent du principe qu’il existe des valeurs spécifiques masculines et féminines et qu’il faut valoriser chacune d’elles. Des comportements typiquement féminins, des styles de management féminins existent donc mais sont étouffés par une prééminence du « masculin ». En ce qui concerne le courant marxiste féministe, également qualifié de capitaliste ou socialiste, il considère l’exploitation des femmes comme une sous-catégorie de l’aliénation capitaliste. Les pratiques discriminatoires à l’encontre des femmes sont constamment rétablies au gré des crises sociales et économiques, préservant ainsi les intérêts d’autres groupes (Lehman, 1992; French et Meredith, 1994). Deux phénomènes majeurs conduisent à la subordination des femmes ; dans un contexte de sous-production, elles servent d’armée de réserve industrielle dans le processus de production et dans un contexte de surproduction, elles se voient assigner le rôle de consommatrices et doivent absorber le surplus de valeur ajoutée. Ces deux éléments émanent des relations sociales capitalistes (Tinker et Neimark, 1987). La fin du capitalisme, en supprimant toute aliénation, mènera à l’émancipation des femmes ainsi qu’à l’égalité hommes / femmes. Enfin, selon le courant patriarcal (ou radical) , les femmes constituent une classe séparée, elles sont unies par l’oppression qu’elles subissent de la part des hommes, et ceci quelle que soit l’appartenance sociale de leur compagnon. Dans cette perspective, la structure patriarcale primerait donc sur le capital. Lerner (in Hull et Umansky, 1997) définit le patriarcat comme « la manifestation et l’institutionnalisation de la domination masculine sur les femmes et les enfants dans la famille, et l’extension de cette domination dans la société en général ». Les défenseurs de cette thèse ne nient pas l’asymétrie biologique entre hommes et femmes mais soutiennent que les différences entre sexes et les inégalités professionnelles sont le résultat d’une construction sociale, culturelle et historique.

A partir de la revue typologique de Lehman (1992), nous proposons un tableau de synthèse qui présente ces trois cadres théoriques selon les critères suivants : origine des inégalités, type de vision, différences et points communs. Par ailleurs, l’analyse systématique de la littérature nous permet de classer les articles pouvant être clairement rattachés à un de ces cadres théoriques en particulier.

Dialectique ou complémentarité des cadres théoriques

Le positionnement des trois cadres les uns par rapport aux autres est complexe. Ils sont parfois utilisés de manière complémentaire, mais le plus souvent, ils sont présentés comme étant en conflit. Les auteurs cherchent alors à démontrer la suprématie d’une problématique sur une autre. Les analyses sociologiques et historiques de l’exclusion des femmes des professions, dans le cas de la profession comptable, fournissent un bon exemple de la compétition que peuvent se livrer les explications marxistes et patriarcales. L’arrivée des femmes peut constituer une menace pour le statut d’une profession. Soit les hommes luttent pour maintenir leurs privilèges et rejettent l’arrivée des femmes (suprématie de l’explication patriarcale), soit ils acceptent l’entrée des femmes et luttent pour maintenir le statut de tous les professionnels, femmes incluses (suprématie de l’explication marxiste). Pour les patriarcaux, le capitalisme ne permet pas d’expliquer rationnellement l’exclusion des femmes. En effet, les femmes ont acquis des qualifications coûteuses et détiennent donc des ressources intellectuelles de valeur (Crompton, 1987). En revanche, cette exclusion est rationnelle au regard du patriarcat (exclure les femmes des hautes positions professionnelles équivaut à maintenir un statut masculin privilégié). Pour les marxistes, lorsqu’une profession se développe et que le capital exige une main d’œuvre plus grande, le besoin de main d’œuvre est « prioritaire » sur les fondements sociaux. Ce besoin permet à des groupes subordonnés (tel celui des femmes) de rejoindre des professions jusqu’alors fermées et de gagner en poids politique et juridique (Tinker et Neimark, 1987; French et Meredith, 1994).

Le cadre féministe libéral est critiqué à la fois par les tenants des approches patriarcales (Ciancanelli, 1998) et marxistes (Gallhofer, 1998). Dans la perspective libérale, les femmes semblent totalement libres de leurs choix professionnels. Cette hypothèse est largement critiquable car elle néglige voire ignore les structures sociales de pouvoir. Or, la famille patriarcale a un impact sur les rôles privés et professionnels des femmes (Roberts et Coutts, 1992). Les recherches libérales amalgament les choix de vie délibérés et les choix de vie socialement construits (Ciancanelli, 1998). Un autre reproche formulé à l’encontre de ce courant est qu’il considère les femmes comme une catégorie unifiée (Gallhofer, 1998). Les femmes au centre des recherches féministes libérales ont un contrat de travail avec un cabinet comptable. Elles possèdent des diplômes universitaires ou sont en passe de les obtenir. Elles font toutes partie de ce qu’on appelle la classe moyenne, occupant un poste dans le domaine comptable ou aspirant à en occuper un. La problématique libérale ignore les problèmes rencontrés par les femmes des classes socio-économiques inférieures ou les confond avec ceux des femmes des classes moyennes. Pour les femmes des classes sociales inférieures, la conquête de l’égalité revêt d’autres problèmes, en premier lieu comme celui d’intégrer une profession de classes moyennes. En somme, le courant de recherche féministe libéral tend au conservatisme et échoue à mettre en cause des structures sociales marquées par le patriarcat (Gallhofer, 1998).

A partir des années 90, les auteurs étudiés adoptent de plus en plus des points de vue théoriques mixtes tels que l’approche « dual segmented » (théorie de la segmentation) selon laquelle marxisme et patriarcat se renforcent l’un l’autre (Kirkham, 1992; Roberts et Coutts, 1992; Thane, 1992). Roberts et Coutts (1992) rappellent que le capital peut avoir un intérêt à définir certains emplois comme peu qualifiés, soit pour y maintenir des salaires bas, soit pour affaiblir les résistances potentielles en y confinant des groupes marginaux (ex : les femmes). Les intérêts du capital recoupent ceux des hommes qui cherchent à conserver un statut supérieur à celui des femmes. Dans cette optique, le capitalisme et les structures patriarcales se renforcent mutuellement, œuvrant tous deux à la subordination des femmes. Cette approche mixte est parfois critiquée pour son incapacité à distinguer l’intérêt général du capital de l’intérêt de capitalistes particuliers (employeur individuel) (Humphries in Tinker et Neimark, 1987). Cependant elle témoigne d’une tendance croissante à considérer les complémentarités des perspectives théoriques plutôt qu’à les opposer strictement. Dans cet esprit, Thane (1992) note une tendance croissante à la sollicitation simultanée des féminismes marxiste et patriarcal et soutient qu’aucune théorie féministe prise individuellement n’est suffisante pour expliquer les changements historiques concernant la place des femmes dans la profession comptable. Ce n’est donc pas à travers une seule théorie mais en combinant les apports de plusieurs que l’on peut mieux comprendre les stratégies d’exclusion conscientes ou implicites à l’encontre des femmes, et peut-être ainsi, stimuler le changement.

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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