Le phénotypage numérique

La schizophrénie, qui touche entre 0,7 et 1% de la population mondiale, est une pathologie ayant un lourd retentissement en termes de souffrance, de handicap et à l’origine d’un impact économique important. Bien que les connaissances se développent concernant les bases neurobiologiques de cette pathologie, la prise en charge clinique reste difficile, marquée par des périodes de rémissions et de rechutes

Les rechutes aggravent l’évolution de la maladie avec une détérioration du fonctionnement social et professionnel, de la qualité de vie et entrainent une augmentation des symptômes résiduels et de la résistance au traitement. Elles sont corrélées à une majoration des risques de passages à l’acte autoagressifs et hétéroagressifs, ainsi qu’à un risque de déclin cognitif.

Le phénotypage numérique

Définitions / Présentation / Généralités / Historique

Le phénotypage numérique est un domaine scientifique multidisciplinaire, qui a été défini initialement dans un article publié en 2016 dans la revue médicale JMIR Mental Health. Cet article a été rédigé par John Torous, Mathew Kiang, Jeanette Lorme et Jukka-Pekka Onnela et définit le phénotypage numérique comme étant « La quantification moment par moment du phénotype humain au niveau individuel in situ à l’aide de données provenant d’appareils numériques personnels ».

Les appareils numériques tels que les téléphones mobiles et les objets connectés constituent une nouvelle catégorie d’outils de dépistage et de thérapeutique. Ils occupent une place de plus en plus importante dans le paysage de la santé mentale depuis près d’une dizaine d’années (Torous et al., 2021). Il y a plus de quinze ans, une étude pionnière ITAREPS a mis en évidence la faisabilité d’une plateforme de messages sur téléphone portable afin d’identifier les premiers symptômes de rechute dans la schizophrénie. Cette étude a identifié l’inobservance auto-déclarée du traitement médicamenteux comme un facteur de risque significatif d’hospitalisation et a permis de démontrer la faisabilité d’un suivi numérique avec seulement 10% des 45 sujets qui ont abandonné l’étude sur une période d’un an (Barnett et al., 2018). Les données provenant d’appareils numériques personnels qui sont collectées peuvent être divisées en deux grandes catégories que sont les données passives et les données actives. Les données passives sont collectées sans que l’utilisateur n’ait besoin de participer activement. Ces données peuvent être collectées par le téléphone ou bien par des capteurs. Les smartphones peuvent ainsi être configurés pour récupérer automatiquement ces données passives, avec l’accord du patient mais sans que celuici ne participe directement à la collecte des données.

Les données actives nécessitent à l’inverse une participation de l’utilisateur afin d’être générées. Ces données actives sont collectées par exemple par le biais d’enquêtes sur les symptômes que le patient remplit sur le support numérique. Le smartphone invite le patient à évaluer ses symptômes à travers des questionnaires. Les données ne sont générées que si le patient accepte de participer à l’enquête. Les données actives s’apparentent à l’EMA (évaluation écologique momentanée). En plus de la collecte de données passives et des évaluations des symptômes par l’EMA, les smartphones peuvent également permettre des interventions telles que des thérapies et des traitements d’appoint pour les patients souffrant de troubles psychotiques. Dans le cadre du phénotypage numérique, ces outils d’intervention basés sur des applications sont appelés EMI (interventions écologiques momentanées) et donnent accès à une forme d’autogestion centrée sur les besoins des patients en dehors des consultations ou des hospitalisations. Il existe un autre concept appelé le Machine Learning (« Apprentissage automatique ») qui se définit comme une forme d’intelligence artificielle permettant aux outils informatiques de tirer des conclusions à partir de données, sans avoir été explicitement programmés à cet effet, afin de développer des programmes pouvant changer en cas d’expositions à de nouvelles données. Le phénotypage numérique a pour principe de fournir une mesure objective s’intégrant dans le contexte de l’expérience vécue par le patient et ainsi de mettre en valeur la façon dont le patient fonctionne dans son environnement, pas uniquement dans le cadre des consultations ou des hospitalisations. Les dispositifs de phénotypage numérique peuvent aider les patients à suivre un traitement, effectuer des contrôles entre les consultations ou promouvoir un changement de comportement. Ces outils numériques permettent donc d’obtenir des données sur les comportements et sur les symptômes ne nécessitant qu’une participation active minimale, voire aucune participation de la part des patients. Les données recueillies en temps réel dans l’environnement du patient ont pour objectif de minimiser les biais de rappel et d’accéder à des évaluations plus précises.

Les biomarqueurs numériques occupent une place grandissante comme outils pratiques et évolutifs dans la prise en charge en psychiatrie, en tant que dispositifs permettant de capturer en temps réel, in vivo, les comportements et symptômes longitudinaux en santé mentale. Cet intérêt croissant pour les biomarqueurs numériques est lié à la possession de plus en plus importante de smartphones en population générale mais également chez les patients souffrant de troubles psychotiques, ainsi que l’augmentation des progrès techniques et des fonctionnalités proposés par ces appareils (Torous, Onnela, et al., 2017). Les applications de phénotypage numérique utilisent les progrès technologiques actuels des smartphones notamment la rapidité des processeurs ainsi que le transfert de données par internet, permettant aux cliniciens et aux chercheurs de recueillir et de centraliser les informations sur des systèmes informatiques, ceci étant par ailleurs combiné aux progrès dans l’analyse des données, le clinicien peut alors être averti au moment opportun lorsque le patient nécessite une intervention. Alors que par le passé on a pu considérer que les patients souffrant de pathologies psychiatriques ne possédaient pas d’appareils numériques ou n’étaient pas intéressées par leur utilisation, les données récentes ont prouvé qu’ils possèdent des smartphones et sont désireux d’utiliser des applications de santé. Les différents travaux de recherche démontrent que les personnes atteintes de troubles psychotiques utilisent les smartphones, les applications numériques et les médias sociaux de manière comparable au reste de la population générale (Torous et al., 2014). Les patients souffrant de schizophrénie présentent un intérêt et sont désireux d’utiliser des outils innovants pour améliorer leurs soins et leurs rétablissements (Torous et al., 2021) (Firth et al., 2016).

Bien que les taux de possession des smartphones soient variables selon différents facteurs comme l’origine, l’ethnie, le niveau d’éducation et de revenus, les applications de santé suscitent donc un intérêt malgré ces frontières socio-économiques (Ramirez et al., 2016). De plus, les patients les plus jeunes, notamment ceux atteints d’un premier épisode psychotique sont particulièrement intéressés par l’utilisation des technologies numériques (Torous, Firth, et al., 2017). Au regard de ces évolutions et de cette généralisation de la possession des smartphones, l’idée d’une « fracture numérique » semble s’estomper.

Certaines études suggèrent que les patients peuvent développer des formes de relations thérapeutiques avec des outils numériques, appelées « alliance thérapeutique numérique ». Notamment, certains patients se sentiraient plus à l’aise pour dialoguer de façon anonyme avec des agents conversationnels numériques ou « chatbots » plutôt que d’avoir un contact relationnel direct (Torous et al., 2021). Le smartphone peut donc collecter des données permettant d’établir des modèles dynamiques des comportements en temps réel, en prenant en considération des  acteurs environnementaux, sociaux et intrapersonnels fluctuants, de manière objective et écologique.

La majeure partie des applications sont développées afin d’être utilisées en complément d’une prise en charge spécialisée, mais les bénéfices possibles sont multiples, par la richesse des informations collectées, la possibilité de personnaliser les aides mises en places et l’opportunité d’atteindre des patients qui ont un accès plus limité aux soins. Ces outils numériques, combinés à des méthodes statistiques appropriées, pourront permettre d’identifier de nouveaux marqueurs comportementaux dans la schizophrénie, des nouveaux « phénotypes numériques ».

Données passives

Définitions / Revue de la littérature

Les données passives sont collectées automatiquement par les dispositifs numériques sans la participation active du patient. Il peut s’agir de données de mobilité, d’accélérométrie et de géolocalisation GPS des téléphones mobiles pour évaluer le degré d’activité et de déplacement des patients. Il peut également s’agir de la surveillance des journaux d’appels et des messages afin d’avoir des informations sur la sociabilité des patients. Des données physiologiques comme la fréquence cardiaque ou les habitudes de sommeil peuvent également être recueillies par des capteurs portables et les smartphones. Le timbre et les modulations de la voix peuvent être enregistrés via le microphone du téléphone portable, ainsi que les variations des expressions faciales par la caméra du téléphone. Ces données passives sont recueillies en continue dans la vie quotidienne du sujet, afin de déduire des informations sur les comportements de santé du patient dans son environnement. Elles aident à la compréhension des expériences vécues par les patients dans leurs contextes. Les travaux de recherche portant sur les données passives sont encore relativement récents, mais ils accordent une certaine valeur aux mesures provenant des capteurs des smartphones pour évaluer le phénotype des patients atteints de troubles psychotiques. Notamment dans une étude portant sur des sujets sains et des patients atteints de schizophrénie, les individus ayant subi une rechute clinique présentaient un taux plus élevé de 71% d’anomalies détectées dans les données passives deux semaines avant la rechute, comparé au taux d’anomalies détectées à des dates plus éloignées de rechute. Ces anomalies concernaient des données de mobilité pour lesquels les patients ont passé moins de temps au domicile qu’habituellement, des données de sociabilité pour lesquels les sujets ont augmenté leur quantité d’appels téléphoniques au cours de la période ayant précédée la rechute. Ces résultats mettent en avant des associations prometteuses entre les comportements des personnes atteintes de schizophrénies et les rechutes cliniques de leur pathologie. (Marsch, 2018) .

Les perturbations dans les relations sociales constituent une dimension importante dans la schizophrénie et peuvent être utilisées pour identifier les rechutes psychotiques. Notamment les périodes d’isolement social sont des périodes à risque de rechutes. Les relations sociales peuvent être estimées à partir des journaux d’appels et de textos, notamment par la fréquence de ces appels ou textos ou bien par la vitesse à laquelle un appel manqué est retourné. La diminution du nombre d’appels sortants et la diminution de la durée des appels sortants sont associées à des rechutes. Ces altérations sur le plan social ont été retrouvées deux semaines avant la rechute (Abdul Rashid et al., 2021). La façon d’utiliser les médias sociaux peut également servir à détecter l’aggravation de symptômes en santé mentale, par exemple des modifications dans le contenu et le style des messages postés sur les réseaux sociaux peuvent constituer un signal d’alerte précoce de rechute chez les patients atteints de schizophrénie (Torous et al., 2021). Au cours d’une étude portant sur 17 patients atteints de troubles psychotiques, une application de surveillance passive ayant été installée sur leurs smartphones sur une période allant jusqu’à trois mois, il a été retrouvé des modifications dans les schémas de mobilité, dans les comportements sociaux en fonction du nombre d’appels et de SMS, ainsi que concernant le temps passé sur l’écran du téléphone et la durée de sommeil au cours des deux semaines précédant la rechute, avec des résultats variables d’un patient à l’autre mais qui témoignaient d’une rupture avec l’état antérieur des patients. Une étude similaire portant sur 83 patients atteints de troubles psychotiques et collectant des données passives a donné des résultats comparables. (Henson et al., 2021) (Barnett et al., 2018) Des changements dans les données d’activité physique, dans la durée d’utilisation de smartphone notamment le temps passé sur l’écran ainsi que la fréquence et la durée de la parole chez des patients atteints de psychose ont également été observés dans les jours précédent une rechute (Ben-Zeev et al., 2017).

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Table des matières

I. Introduction
II. Le phénotypage numérique
1. Définitions / Présentation / Généralités / Historique
2. Données passives
1. Définitions / Revue de la littérature
2. Exemples d’applications concernant les données passives
3. Données actives
1. Définitions / Revue de la littérature
2. Exemples d’applications concernant les EMA
4. Interventions écologiques momentanées
1. Définitions / Revue de la littérature
2. Exemples d’applications concernant les EMI
5. Exemples d’applications combinant différents types de phénotypage numérique
III. Intérêts, limites et perspectives du phénotypage numérique
1. Intérêts du phénotypage numérique
2. Limites du phénotypage numérique
3. Réticences des patients et des médecins au phénotypage numérique
4. Enjeux éthiques
5. Faciliter l’accès au phénotypage numérique en tenant compte des inégalités
IV. Dispositif numérique d’auto-évaluation des hallucinations auditives : MIMO
1. Introduction
2. Matériels et méthodes
3. Résultats
4. Discussion
V. Conclusion

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