De façon générale, un phénomène, « est une chose que l’on observe ou constate par l’expérience et qui est susceptible de se répéter ou d’être reproduit et d’acquérir une valeur objective, universelle » . Il trouve son origine dans le terme latin phaenomenon, qui découle d’un concept grec. La notion fait référence à quelque chose qui se manifeste dans le temps ou dans l’espace et est un objet d’expérience .En droit, on parle de phénomène lorsqu’on est en présence d’une situation juridique. À cet effet, « le droit ou l’un de ses éléments constructifs, pris en tant que contenu d’une convenance humaine, s’appelle phénomène juridique. La description des phénomènes juridiques s’appelle phénoménologie du droit. La description de tous ces phénomènes dans leur ensemble constitue le système de la phénoménologie du droit » .Dans le domaine du droit de l’aide au développement, la notion de phénomène est souvent utilisée de façon stricte, faisant allusion, dans la plupart des cas, à la régulation juridique de l’aide publique au développement, laquelle renvoie avant tout, à identifier l’essence eidétique du droit au développement. Cependant dans le cadre précis de notre étude, nous choisirons d’utiliser le terme dans son sens le plus large, ce qui englobe aussi bien ses dimensions sociohistoriques et ses dimensions éthiques et idéologiques. Ce sont là, les conséquences les plus importantes de l’approche phénoménologique du droit du financement public de l’aide au développement. En effet, le droit du financement public de l’aide au développement est « un droit régulateur des rapports d’assistance, en d’autres termes la somme des normes juridiques de régulation ayant vocation à résorber les inégalités de développement entre un État bailleur de l’aide et son récipiendaire » .
Cette notion s’est dégagée progressivement de la pratique disparate des Etats et des organisations internationales. À l’origine, on parlait surtout d’un droit de l’aide. Il ne s’agissait alors que d’un ensemble de mesures éparpillées destinées à permettre aux pays qualifiés de « sous-développés » d’accéder aux avantages présumés du développement. Par la suite, les pays en développement ont entendu prendre eux-mêmes en main la responsabilité de leur développement. Au droit de l’aide s’est alors ajouté un droit de l’indépendance économique . Or, en matière de rapports d’assistance entre États, dès lors qu’ils auraient vocation à renforcer les capacités du pays en développement à gagner son indépendance économique, cette appréciation ne vaut pas seulement en cette matière mais aussi pour une multitude d’autres. C’est sans doute la portée du terme d’assistance entendu au sens premier et étant donné qu’elle vaut aussi dans les domaines, culturel, judiciaire, militaire et même économique et commercial .
Par conséquent, il est permis de penser que les rapports d’assistance entre États, quel qu’en soit l’objet (économique y compris), sont mis en œuvre sous couvert d’un ensemble de règles de droit international du développement et dont l’objet, exclusif de tout autre, vise à la résorption des inégalités de développement entre États. La seconde remarque serait de considérer que s’agissant de rapports d’assistance entre États dont l’objet serait de résorber leurs inégalités, ces développements ramènent la matière politique dans le jeu avec, dans son sillon, le principe d’égalité souveraine. En effet, à partir du moment où il est question de renforcer les capacités institutionnelles – d’un pays en développement, assisté – à se développer et à garantir la pérennité de son développement, immanquablement, la question de sa souveraineté se pose. Ainsi, si l’on admet que lesdits rapports d’assistance visent exclusivement à « parfaire l’indépendance » économique, commerciale, culturelle, judiciaire.., alors l’on admet que c’est en réalité l’indépendance du pays en développement qui pose question.
Dans ce cas de figure, les politiques juridiques menées par les pays en voie de développement visant à canaliser l’aide extérieure qu’ils reçoivent sont tangibles et présentent l’immense avantage de ne pas se diluer dans un agglomérat de travaux rédigés par des institutions trop nombreuses visant à servir telle ou telle stratégie gouvernementale étrangère à la problématique du développement. L’exemple des politiques de voisinage menant à l’établissement d’un « statut avancé » est révélateur de cette détermination et de ce dynamisme dont font preuve les pays en voie de « parfaire leur indépendance économique » . Faut-il rappeler qu’en même temps que l’instabilité géopolitique n’a jamais été aussi grande, les techniques s’affinent, des principes émergents, donnant lieu à des modes de rapprochement politico-juridiques inédits en ce qu’ils invitent les États à une régulation internationale plus appuyée de leurs rapports d’assistance.
Dès lors, il n’est pas tant question de porter une critique (souvent fait) à l’endroit du politique condamné à protéger sa souveraineté économique et à renforcer son influence sur la scène internationale. Ainsi, il faut alors d’un véritable processus d’observation avant de se lancer dans l’étude des mécanismes visant à résorber les inégalités de développement entre États riches, autrement appelés les bailleurs, et les États en développement, les bénéficiaires. À la lecture de ce dessein, une rapide évaluation quantitative des textes devant servir à une démonstration exhaustive de ce que seraient ces rapports d’assistance oblige à reconsidérer le périmètre de recherche. Il convient alors de s’atteler à l’analyse de l’ensemble des politiques internes et externes de l’ensemble des État prétendant entretenir des rapports d’assistance, soit qu’il est l’État qui délivre cette assistance, soit qu’il est celui qui la reçoit. Dans notre cas d’espèce, il a été fait le choix de raison, assumé, de mettre les politiques d’aide extérieure de la France en première ligne.
L’objectif principal que nous poursuivons dans cette étude, en nous penchant sur un aspect récent et important des relations économiques internationales, est de faire connaitre le système du financement public de l’aide au développement ou les investissements publics internationaux, d’autant plus que la notion même de ce système ou de ces investissements présentait l’inconvénient d’être mal ou peu définie sur le plan de la théorie juridique.
LE SYSTEME DU FINANCEMENT PUBLIC DE L’AIDE AU DEVELOPPEMENT
Au cours de l’introduction, nous avons élucidé la notion du financement public de l’aide au développement. Nous avons vu qu’il est devenu d’un phénomène récent. Toutefois, trois quarts de siècle est passés, il est devenu un « système », qu’on peut étudier en tant que tel. Or, tout système juridique est production d’une histoire et d’une culture politique déterminée, qui lui ont donné une organisation spécifique. À cet égard, parler du système peut s’entendre en plusieurs sens, qui interagissent. Tout d’abord, un système est un ensemble d’éléments interdépendant ou interagissant entre eux selon certains principes ou règles. De plus, un système est un ensemble d’éléments divers formant un tout dont toutes les parties sont liées. C’est-àdire, la combinaison de parties qui se coordonnent pour former un ensemble . Selon Pierre MOOR, « ce qui caractérise un système est son autoréférentialité et ses modes de clôture (qui permettent de rester identique à lui-même) et ses modes d’ouverture (qui permettent les échanges avec son environnement) » . Sous cet angle, analyser le financement public de l’aide au développement comme un système revient donc à montrer les liens qui existent entre ses différentes composantes, à étudier l’interdépendance entre les différents acteurs, notamment entre les États. En effet, « trois pôles (États-Unis, Japon et Union européenne) qui représentent les membres les plus importants du CAD dominent l’économie mondiale. Ils constituent la Triade qui représente 70% à 80% du commerce mondial. Cette dernière (Triade) domine économiquement d’autres espaces, qui dépendent étroitement d’elle » . En termes de financement public de l’APD, on note le rôle prépondérant des pays membres du CAD . En effet, « depuis le début des années 1990, au regard des statistiques disponibles, plus de 87% de l’APD mondiale est financée par les vingt-huit pays membres du CAD » . Ces États qui sont pour la plupart « riches » et développés » fonctionnent entre eux en réseau et concentrent les fonctions stratégiques, on les appelle « les pays donateurs ».
En outre, à l’exception de la Triade ou plus concrètement les membres du CAD, tous les autres État du monde sont en situation de dépendance, la nature et le degré de celle-ci expliquent la diversité des périphéries qui sont principalement de deux ordres.
La première « est constituée des État bénéficiant d’une dynamique de développement liée à la proximité géographique des grands pôles (Mexique) ou au transfert de technologie de l’un d’entre eux (les Tigres asiatiques). Certains ont bénéficié de la manne pétrolière (Pays de l’OPEP). Leur croissance est forte et leur niveau de vie s’apparente de celui de la Triade : on les appelle [pays émergents] ».
La deuxième « est constituée par les pays pauvres avec une diversité de situations. La manière de désigner ces pays change selon l’angle sous lequel on les aborde et selon les solutions envisagées pour remédier à leurs problèmes. Qu’il s’appelle [Pays du tiers monde ], [Pays en voie de développement], [Pays les moins avancés ], [ Pays pauvres très endetté ], ils sont tous caractérisés par la faiblesse de leurs revenus intérieurs bruts par habitants et leur faible part dans le commerce mondial » . Cependant, aujourd’hui, du fait de la mondialisation, aucun État ne peut vivre en vase clos. Aussi, du point de vue de la société humaine, il n’est pas possible pour un État de vivre en vase clos. C’est vrai non seulement sur la base des droits fondamentaux des droits humains mais aussi en droit et en moral, les États forment un tout cohérent. En effet, les pays de la Triade sont à la fois partenaires et concurrents. Ils ont une dépendance vis-à-vis des autres pays notamment en matières premières. Ainsi, le système de financement de l’APD est caractérisé par une hiérarchie et une interdépendance croissante entre les différents États. L’inégale répartition des richesses donne lieu à des échanges de diverses natures dans un monde globalisé.
Le but de ce titre est précisément d’étudier le système de financement public de l’aide au développement du point de vue critique de la réalité sociale et politique en mouvement. En effet, si l’écart devient très grand entre le système établi selon certaines données et la réalité : ce sera la crise. Par conséquent, notre but n’est pas de traiter descriptivement le système du financement, mais de l’étudier dans ses aspects confrontés avec les exigences de la réalité, notamment faire le lien entre l’APD et la solidarité internationale. En effet, l’APD est l’ensemble des apports financiers ayant pour principal objectif la promotion du développement économique et social d’un pays sous-développé bénéficiaire . Dans cet esprit, elle se construit sur l’exigence de solidarité entendue au sens des textes internationaux traditionnels portant sur la problématique du développement. À partir des années 2000, à cette exigence de solidarité s’est imposé un critère d’interdépendance qu’aujourd’hui aucun État ne conteste sur la scène internationale . Dans ce cas de figure, on peut aisément interpréter l’APD comme étant l’embryon d’un mécanisme distributif de solidarité mondiale. Ce qui signifie que « le motif du financement public de l’aide au développement est celui de la solidarité et, dans une certaine mesure, de la sécurité collective. Par ce motif, l’auteur du financement public de l’aide au développement marque son appartenance à la communauté internationale » .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LE PHENONEME JURIDIQUE DU FINANCEMENT PUBLIC DE L’AIDE AU DEVELOPPEMENT
TITRE 1 : LE SYSTÈME DU FINANCEMENT PUBLIC DE L’AIDE AU DEVELOPPEMENT
CHAPITRE 1 : Les acteurs du financement public de l’aide au développement
CHAPITRE 2 : Les sources du financement public de l’aide au développement
TITRE 2 : LES GESTIONNAIRES DU FINANCEMENT PUBLIC DE L’AIDE AU DEVELOPPEMENT
CHAPITRE 1 : Les États : gestionnaires de l’aide bilatérale
CHAPITRE 2 : Les organisations internationales : gestionnaires de l’aide multilatérale
DEUXIEME PARTIE : LE CADRE NORMATIF DU FINANCEMENT PUBLIC DE L’AIDE AU DEVELOPPEMENT
TITRE 1 : LES INSTRUMENTS JURIDIQUES DU FINANCEMENT PUBLIC DE L’AIDE AU DEVELOPPEMENT
CHAPITRE 1 : Les instruments conventionnels du financement public de l’aide au développement
CHAPITRE 2 : La révision des fondements juridiques constitutifs des rapports d’assistance entre États
TITRE 2 : UNE NORMALISATION ACCRUE DES RAPPORTS D’ASSISTANCE EN MATIERE D’AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT
CHAPITRE 1 : La recherche de l’efficacité de l’aide publique au développement
CHAPITRE 2 : Le contrôle et l’evaluation du système de financement public au développement
CONCLUSION