Le personnage féminin, victime de violences
Durant les guerres civiles africaines en général, au Libéria, en Sierra- Leone et au Congo-Brazzaville en particulier, les combattants exercent de la violence sur les femmes et sur les jeunes filles. Dans Ce Que font les femmes en temps de guerre : genre et conflit en Afrique, Meredeth Turshen et Clotilde Twagiramariya réfléchissant sur les différentes crises ethniques qui ont secoué certains pays africains, soutiennent que : « Il est important de considérer les femmes comme victimes premières et non secondes, car elles ont souffert directement. » (Twagiramariya et Turshen, 2001 :47-48).
Dans Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma (Libéria et Sierra- Leone) ainsi que dans Johnny chien méchant d’Emmanuel Dongala (Congo-Brazzaville), le personnage féminin est victime d’agressions de toutes sortes, consécutives aux affrontements marquant les guerres civiles. La plupart des personnages féminins, dans les récits de Kourouma et de Dongala, subissent des violences physiques, sexuelles et psychologiques sans distinction d’âge ni de rang social. Nous consacrerons le premier chapitre de cette partie à l’analyse des violences physiques. Dans le chapitre deux, nous nous pencherons à l’étude des violences sexuelles et psychologiques.
les violences physiques
Dans son article « violence et terreur dans les médias » George Gerbner définit la violence comme une action physique qui vise ouvertement à blesser ou qui menace de le faire. (Gerbner, 1989 :4). Si nous partons de cette définition de Gerbner, nous dirons que les violences physiques sont des formes d’agression et d’abus impliquant un contact sur le corps humain causant des blessures, des douleurs et parfois la mort. Tout au long des guerres civiles, des violences physiques sont faites aux populations de sexe féminin par les soldats et même parfois par les enfants soldats qui exécutent les ordres donnés par leurs chefs de guerre. Le personnage féminin, souvent considéré comme un être faible, n’échappe pas à la cruauté des miliciens pendant les conflits armés. C’est ce que semble soutenir Germain-Arsène Kadi dans son ouvrage critique qu’il intitule De Johnny chien méchant d’Emmanuel Dongala à Johnny Mad Dog De Jean Stéphane Sauvaire : « les enfants, les femmes, les personnes âgées ou encore handicapées sont les populations fragiles les plus affectées par les conflits armés. (Kadi, 2013 :63) .
Dans les récits de guerre, les violences physiques faites aux personnages féminins conduisent à la mort certaines victimes ou créent un handicap chez elles. Ces femmes sont violentées parfois parce qu’elles essaient de sauver la vie des membres de leurs familles, face à la brutalité des soldats. Ces derniers s’insurgent contre toute personne qui se met en travers de leur chemin ou toute personne soupçonnée de vouloir contrecarrer leur projet diabolique. Ils commencent par agresser la femme mère et protectrice de la famille. C’est le cas de la mère de Laokolé dans le récit de Dongala. Cette dernière, au début de la guerre civile au Congo-Brazzaville, a été brutalisée par les miliciens qui lui ont donné des coups de crosse, lui faisant perdre l’usage de ses jambes en présence de son fils et de son mari. Cette femme, au moment où elle essayait de cacher un sac de riz avant l’arrivée des soldats dans leur demeure, a été finalement surprise par un soldat qui n’avait pas tardé à lui arracher son pagne. L’intervention du mari dans le but de défendre son épouse, a donc poussé à bout le chef du commando qui a agressé cette mère de famille. Laokolé, la voix féminine du roman rapporte les faits en ces termes :
« Le chef du commando s’était relevé survolté, fou de colère, et avait assené deux violents coups de crosse qui avaient fracassé les deux jambes de Maman. Il s’était mis ensuite à la déshabiller rien que pour l’humilier, pour l’exhiber nue devant ses soldats » (Dongala, 2002 :59) .
Dans Allah n’est pas obligé, les seigneurs de guerre exercent des violences inouïes sur les personnages féminins, en particulier sur les jeunes filles abandonnées par leurs parents. Elles sont enrôlées dans des troupes constituées d’enfants-soldats, où elles sont entraînées à piller et à tuer des innocents. Si certaines rejoignent les seigneurs de guerre, c’est parce qu’elles n’ont plus de parents pour les protéger dans ces milieux ravagés par les conflits tribaux. D’autres filles abandonnées, rejoignent les miliciens parce que leurs parents ont été tués ou ont fui dans les forêts pour se mettre à l’abri. Ces filles abandonnées deviennent des enfants de la rue avant de rejoindre les soldats. Bien que recrutées dans ces troupes, cela ne signifie pas qu’elles soient à l’abri du danger. Elles sont tuées par leurs compagnons de guerre, sans hésitation car les bandes, armées illégalement par les leaders politiques, n’éprouvent ni compassion ni remord en regardant les gens qu’ils ont tués. Plusieurs filles succombant pendant les confrontations ou en cours de route, sont laissées à la merci des animaux carnivores. C’est l’exemple de la jeune fille nommée Sarah dans Allah n’est pas obligé. Elle est une fille unique, dans le groupe de Birahima. Lorsque leur groupe quittait le NPFL (Front national patriotique du Libéria) le mouvement de Taylor, pour l’ULIMO(le Mouvement uni pour la libération) d’El hadji Koroma, elle est fusillée par son compagnon Jean Tai alias Tête brûlée. La fille, sous l’effet de la drogue, a déclenché la scène de violence qui a provoqué sa perte. Le narrateur décrit la scène ainsi :
« Elle a vidé son chargeur sur Tête brulée. Heureusement elle était dingue et ne voyait plus rien. Tête brulée, dans un instant de colère, a répliqué. Il lui a envoyé une rafale dans les jambes et l’a désarmée. Elle a hurlée comme un veau, comme un cochon qu’on égorge (…) Nous devions la laisser seule, nous devions l’abandonner seule à son triste sort. » (Kourouma, 2000 :87) .
Dans les textes consacrés aux guerres civiles, il est fréquent de rencontrer des passages où le personnage féminin est tué à coups de fusil. Avec la kalachnikov, arme principale et compagnon inséparable des enfants soldats de ces récits : Birahima et Chien méchant, les soldats de ces conflits tribaux, ont éliminé plusieurs femmes, des jeunes filles pour la plupart. Certains miliciens éprouvent un sentiment de plaisir à voir une victime criblée par les balles de la kalachnikov. Ce qui relève de la cruauté et de la méchanceté gratuite. Dans Johnny chien méchant, la jeune fille du nom de Lovelita a reçu plusieurs coups de kalachnikov dans son corps au moment où elle se trouvait dans le quartier d’où est originaire son compagnon Chien méchant, malgré qu’elle fût sous la protection de ce dernier. Selon une règle tacite de la guerre tribale, chaque ethnie doit rester dans son quartier et éviter celui de l’ennemi : « Dans les guerres tribales, on ne veut pas les hommes d’une autre tribu différente de notre tribu » (Kourouma, 2000 :71 ». Or la fille a franchi ce seuil et s’est aventurée dans le quartier où son ethnie Mayi-Dogo est détestée. Une bagarre a opposé alors Lovelita à une fille d’une ethnie rivale. Les gens de cette ethnie, qui ne voulaient pas voir s’aventurer chez eux quelqu’un qui n’était pas des leurs, ont riposté et tué Lovelita. Chien méchant raconte la violence faite à sa compagne :
« Elles avaient débouché sur l’esplanade. J’avais entendu des cris et plusieurs coups de feu. Ce n’était pas Lovelita qui tirait. Lorsque j’avais débouché sur l’esplanade, retenant mon pantalon, essoufflé, j’avais vu son corps dans la poussière, criblé de plusieurs balles. » (Dongala, 2002 :378) .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE Le personnage féminin, victime de violences
chapitre 1: les violences physiques
Chapitre 2 : les violences sexuelles et les violences psychologiques
DEUXIEME PARTIE:Une victime, au secours d’autres victimes
Chapitre 1 : le rôle des femmes religieuses et des femmes humanitaires
Chapitre 2 : le rôle des femmes, chefs de famille
TROISIEME PARTIE:Le personnage féminin, auteur de violences
Chapitre 1 : les filles enfants- soldats
Chapitre 2 : les femmes combattantes
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE