LE PAYSAGE : UN CONCEPT DIFFICILE A APPREHENDER
Les différentes approches du paysage
En Europe, l’émergence du concept de paysage naît à la Renaissance. Après avoir été délaissé au cours de la première moitié du XXe siècle, le paysage connaît un renouveau depuis une vingtaine d’années, induisant un nombre considérable de sens et de définitions. Cet engouement pour le paysage répond à de nouvelles attentes : « les paysages urbains et ruraux, qu’ils soient remarquables ou quotidiens, sont aujourd’hui sujets de préoccupation pour l’ensemble des Français » (ministère de l’Environnement, 1999 ; Gamache, 2005). Il découle de la maniabilité du concept à la croisée des disciplines. En effet, la notion de paysage intègre, d’une part, les données sur les conditions physiques des milieux et, d’autre part, les données culturelles des sociétés et les processus sociaux qui l’encadrent. Le concept de paysage peut donc être tantôt abordé en tant que paysage-objet (par ses traits concrets), paysage-sujet (où la subjectivité des individus est retenue) ou à la fois objet et sujet. (Gamache, 2005)
Le paysage objet
Le paysage-objet s’intéresse d’abord au domaine végétal (typologie des formations végétales et perception immédiate du paysage). Par la suite, la vision du paysage-objet s’élargit pour intégrer toutes les dimensions physiques de l’environnement (morphologie, climat, hydrographie, etc.) afin d’intégrer aux connaissances du paysage les contraintes du milieu. Cette approche a ses limites : elle ne considère le paysage que dans un cadre morphologique et tend partiellement à écarter l’homme et le territoire pour mettre l’accent sur l’espace physique.
Le paysage sujet
L’approche paysage sujet s’intéresse au pôle subjectif du paysage, considérant la représentation que s’en font les individus et mettant en exergue leurs attaches intimes et socioculturelles. Les composantes objectives sont secondaires. Le recours aux enquêtes de terrain dans l’approche paysage-sujet est privilégié dans la connaissance des perceptions de manière à rendre compte de la double artialisation dont le paysage relève. Ces études peuvent s’intéresser aux préférences de paysage et les associer à des valeurs environnementales, permettant de mieux saisir les façons dont ces valeurs se constituent : soit à partir des données socioculturelles, soit à partir de l’expérience propre à chaque individu.
Le paysage sujet-objet
L’approche liant sujet-objet s’intéresse aux relations entre un type concret de paysage et les représentations qu’il suscite. Elle se décompose en trois étapes principales :
➤ une analyse classique du paysage-objet,
➤ un inventaire des différentes perceptions à l’égard du paysage
➤ une synthèse des données rassemblées lors des deux premières phases pour mettre en évidence les différentes unités paysagères issues de l’interaction sujet-objet. Cette acception du paysage sous-tend différents courants qui privilégient tantôt les perceptions et les signes, tantôt le cadre physique et spatial.
Le paysage en tant que ressource
Dans ce cadre, J.D. Gerber (2005) définit ainsi le paysage comme étant « une relation entre un groupe d’observateurs (« usagers ») et leur environnement. Le paysage est le résultat d’une double interaction, premièrement, entre des éléments de l’environnement (ressources primaires naturelles et culturelles telles que le sol, la forêt, l’eau, le patrimoine bâti…) constituant les composantes factuelles de l’environnement, arrangées en une configuration spatiale particulière (« matérialité du paysage »), et, deuxièmement, entre cette base matérielle du paysage et un ensemble socialement constitué d’observateurs qui lui confèrent du sens en puisant dans leur capital culturel (par exemple : repères servant d’appuis à leur orientation spatiale, temporelle, sociale…). Par ce processus, les observateurs « utilisent » la ressource culturelle qu’est le paysage en profitant des services paysagers qu’elle fournit. […] L’articulation entre les ressources primaires et le processus de construction mentale d’un sens et d’une réalité propre à la combinaison de différentes ressources primaires correspond au « plus » qui fait que le paysage n’est pas égal à la somme de ses parties, c’est-à-dire la juxtaposition des ressources primaires. » .
L’interaction première se fait entre les ressources primaires qui caractérisent un territoire particulier. Une infinité d’interactions sont théoriquement possibles, générant une infinité de combinaisons imaginables. Le deuxième type d’interaction fait référence au tri que fait l’observateur. En fonction de ses attentes, de la mode, de l’époque dans laquelle il vit, de son appartenance culturelle, il sélectionne des combinaisons particulières qui l’interpellent et auxquelles il confère un sens en tant que tel. En insistant sur le rôle de l’observateur qui donne du sens au paysage qu’il perçoit, l’accent est mis sur le construit social que représente le paysage. La signification donnée au paysage est par conséquent susceptible de varier et d’évoluer avec les époques et les peuples.
LA MUTATION DES CAMPAGNES
La déprise agricole
La déprise marque la fin de l’emprise intellectuelle, morale ou matérielle de quelqu’un ou quelque chose (une activité) dans un espace. Ces changements font référence à des états antérieurs de l’espace et sont jugés comme une régression par rapport à une occupation plus complète de l’espace agricole. Elle ne correspond pas à un mode de gestion, mais plutôt à un laisser-faire. Il ne faut toutefois pas confondre déprise agricole et déprise rurale, même si la première, par la disparition des activités agricoles et des agriculteurs, peut participer à la seconde et au dépeuplement plus général des campagnes. Ces changements sont le fait d’ajustements structuraux du secteur agricole, ils ont mené à de profondes transformations dans la composition du secteur : déclin du nombre d’exploitations, augmentation de la taille moyenne des exploitations, polarisation de la communauté agricole au sein de grandes exploitations, spécialisées et à haut rendement. Une tendance révélatrice des phénomènes de concentration ou d’intensification, d’une part, et de déprise agricole, d’autre part, porte sur la spécialisation des terroirs et la marginalisation de pans entiers de territoires. Les espaces sont effectivement caractérisés par la friche, forme de reboisement spontané, par un abandon plus ou moins marqué de l’utilisation du sol, par moins d’entretien des haies privées en région de bocage et, de manière générale, par une simplification de la structure paysagère. La déprise agricole est toutefois à relativiser lorsque l’on intègre la composante «emprise intellectuelle et morale », voire même « matérielle ». Si le caractère démographique de la déprise et celui de l’utilisation du sol sont indéniables, quelques indicateurs prouvent que le milieu agricole demeure, d’une part, une composante influente moralement et, d’autre part, incontournable par ses pratiques de gestion ou d’utilisation des espaces ruraux. En effet, la gestion des collectivités et les orientations en matière de paysage sont encore largement conditionnées aux choix des agriculteurs. Qui plus est, ces derniers (et les propriétaires fonciers) gardent, par leurs pratiques, un rôle clé dans l’aménagement du territoire. (Gamache, 2005) .
La recomposition socio-démographique
Ces phénomènes de changements dans ce secteur se déroulent en parallèle à des processus de recomposition socio-démographique des populations des espaces ruraux. Ces processus, différenciés selon l’intérêt porté à ces espaces marqués par des changements démographiques (dans la structure sociale des populations ou dans leur nombre), invitent à penser la nécessité publique et le désir individuel de repeuplement des communes rurales (Farinelli, 2001) pour les espaces en déprise. De nouvelles donnes laissent donc présager une nouvelle réflexion sur le système de gestion du monde rural par ces phénomènes de recomposition des populations. La nature de la recomposition socio-démographique comporte deux volets : d’une part, un volet quantitatif concernant la croissance ou la décroissance des effectifs démographiques des territoires, d’autre part, un volet qualitatif définissant la (re-)composition de ces effectifs. Considérés dans leur ensemble, les milieux ruraux constatent une reprise démographique depuis quelques années mais masque des disparités entre trois types d’espaces (Kayser, 1993) :
➤ les espaces périurbains ont un fort accroissement démographique.
➤ les espaces moyens, intermédiaires, que Kayser qualifie de « campagnes vivantes ». Leur démographie se stabilise ou se redresse grâce à l’arrivée de citadins actifs ou de retraités, de « néo-ruraux ».
➤ Les espaces dépeuplés marginalisés dont la population diminue et qui sont marqués à terme par l’abandon des villages et des terres.
Quel que soit le type d’espace rural considéré, il existe une variable commune: les actifs agricoles sont de moins en moins nombreux et le profil au niveau de l’activité professionnelle des habitants tend à se rapprocher singulièrement de celui des villes. La vocation agricole de ces territoires n’est plus exclusive et participe d’ailleurs à cette recomposition sociodémographique. Ainsi les tendances contemporaines (facteurs économiques de productivisme, accroissement des mobilités, mode de vie davantage urbain, attrait pour la campagne « naturelle » à proximité de la ville, etc.) se traduisent par une dichotomie de l’espace rural et des modifications structurelles profondes (intensification ou marginalisation). Les milieux ruraux voient les paysages se transformer à grande vitesse avec la perte des éléments paysagers et des repères identitaires. (Gamache, 2005) Ainsi, les grandes mutations sociales et culturelles des cinquante dernières années ont modifié les fonctions du milieu rural. Ces espaces servent aujourd’hui de support à des fonctions économique (production et tourisme), résidentielle (habitat permanent ou temporaire), écologique (conservation du patrimoine naturel) et culturelle (conservation du patrimoine rural bâti ou paysager). Ces fonctionnalités multiples induisent des modalités d’usage concurrentes de l’espace, sont sources de tensions entre les usagers des espaces ruraux.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1. PRESENTATION DE LA RECHERCHE
Chapitre 1. Éclairage sur les notions clés
A. Paysage et espace rural
A.1. Le paysage : un concept difficile à appréhender
A.1.1. Les différentes approches du paysage
A.1.1.1. Le paysage objet
A.1.1.2. Le paysage sujet
A.1.1.3. Le paysage sujet-objet
A.1.2. Le paysage en tant que ressource
A.2. La mutation des campagnes
A.2.1. La déprise agricole
A.2.2. La recomposition socio-démographique
A.3. Les différentes figures de l’espace rural
A.3.1. La campagne ressource
A.3.2. La campagne cadre de vie
A.3.3. La nature
A.3.4. La rencontre des trois campagnes
B. Paysage et territoire
C. Notions de conflits et Rivalites d’usage
C.1. Les conflits d’usages
C.2. Les rivalités d’usages
D. Les modes de régulation
D.1. Les Politiques publiques paysagères
D.2. Le Droit civil
D.3. Le régimes institutionnel de ressources naturelles
Chapitre 2. Présentation de l’objet de la recherche
A. Problématique
B. Hypothèse
C. Terrain d’étude
D. Méthode de recherche
PARTIE 2. ETUDES DE CAS
Chapitre 1. Le Véron, un territoire reconnu pour ses qualités paysagères
A. Présentation générale du Véron
A.1. Localisation du Véron
A.2. Découpage administratif
A.3. Les entités paysagères
A.4. Un territoire inscrit dans un PNR
B. Le bocage véronais, un espace à fort intérêt écologique et patrimonial
B.1. Définition du bocage
B.2. Un territoire soumis aux caprices de la Vienne
B.3. Les composantes du bocage Véronais
B.3.1. Les prairies inondables
B.3.2. Le bois
B.3.2.4. Les haies
B.3.2.5. Les peupleraies
B.3.2.6. Les friches
B.3.3. L’eau
B.3.3.1. La Vienne
B.3.3.2. Les fossés
B.3.3.3. Les trous d’eau
B.4. Un site inscrit dans le réseau NATURA 2000
Chapitre 2. Le Véron, un territoire aux usages évolutifs, au cœur de nouvelles rivalités
A. Bref historique et évolution des paysages du Véron
A.1. De l’époque féodale au début du XIXe siècle
A.2. Du début du XIX au milieu du XXe siècle
A.3. Du milieu du XXe siècle a aujourd’hui
A.3.1. Les conséquences du développement industriel et les politiques agricoles sur le bocage du Véron
A.3.2. L’implantation de la centrale nucléaire et les externalités induites
B. Les usagers actuels des ressources primaires et paysage du bocage Véronais
B.1. Les usagers des ressources primaires
B.1.1. Les usagers du sol
B.1.1.1. Les éleveurs
B.1.1.2. Les populiculteurs
B.1.1.3. Le Conservatoire du patrimoine naturel de la région Centre
B.1.2. Les usagers de la biodiversité
B.1.2.1. Les chasseurs
B.1.2.2. Les pêcheurs
B.1.2.3. Les cueilleurs
B.2. Les aménagements et usagers de l’espace et du paysage
B.2.1. Les Aménagements touristiques
B.2.1.1. L’écomusée du Véron
B.2.1.2. Les sentiers pédestre et d’interprétation
B.2.1.3. La Loire à vélo
B.2.1.4. Le Camping « La Fritillaire »
B.2.1.5. Les structures d’accueil et d’hébergement
B.2.2. Les usagers de l’espace et du paysage
C. Spécificités et problématiques du bocage véronais selon
C.1. Le Conseil général d’Indre et Loire
C.2. Les élus
C.2.1. Le maire de Savigny-en-Véron
C.2.2. Le maire de Beaumont-en-Véron
C.3. L’écomusée du Véron
C.4. Le parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine
C.5. Le centre permanent d’initiative pour l’environnement (CPIE)
C.6. Le Conservatoire du Patrimoine naturel de la Région Centre
C.7. La chambre d’agriculture d’Indre et Loire
C.8. Le Comité Départementale du Tourisme en Touraine (CDT)
D. Les services paysagers
E. Identification des rivalités d’usages
E.1. Points de vue des usagers
E.1.3. Les agriculteurs
E.1.4. L’APPMA
E.1.5. Le Syndicat de chasse
E.1.6. Les défenseurs de la nature
E.2. Points de vue des institutions
E.2.1. Les municipalités
E.2.2. L’écomusée du Véron
E.2.3. Le Parc Naturel Régional Loire-Anjou-Touraine
E.2.4. Le centre permanent d’initiative pour l’environnement (CPIE)
E.2.5. La chambre d’agriculture d’Indre et Loire
E.2.6. Le CDT/ L’office de tourisme du Pays de Chinon
E.3. Tableau de synthèse des rivalités d’usages
Chapitre 3. Les Modes de régulation
A. Rappel des rivalités d’usages et modes de régulation existants
B. Les droits de propriété et d’usages
B.1. La propriété
B.1.1. Principes généraux de La propriété privé
B.1.1.1. Le caractère absolu du droit de propriété
B.1.1.2. Le caractère exclusif du droit de propriété privée
B.1.1.3. Le caractère perpétuel du droit de propriété privée
B.1.2. Les autres formes de propriété
B.1.3. Les différents cas de figures sur le terrain d’études
B.1.3.1. La propriété privé
B.1.3.2. La propriété publique
B.1.3.3. Les biens sectionnaux ou communaux
B.1.3.4. Les limites au droit de propriété
B.2. Les droits d’usages
B.2.1. Les droits des usagers de la ressource sol
B.2.2. Les droits d’accès des usagers de la ressource paysage…
B.2.2.1. … aux sentiers de randonnées
B.2.2.1. … aux propriétés privés
B.2.2.2. … aux espaces naturels
B.2.2.3. … sur les zones inondables
C. Les différentes actions publiques menées sur le bocage du Véron
C.1. Les actions de valorisation touristique par…
C.1.1. L’office du tourisme du pays de Chinon
C.1.2. Le Parc Naturel Régional Loire Anjou Touraine
C.1.1. L’écomusée du Véron
C.1.2. Le Centre Permanent d’Initiative pour l’Environnement (CPIE)
C.2. Les actions de protection du milieu
C.2.1. Les documents d’urbanisme
C.2.1.1. Le Plan de Protection aux Risques d’Inondations (PPRI)
C.2.1.2. Les documents d’urbanisme communaux
C.2.1. Les outils de protection de la nature
C.2.1.1. Les zonages
C.2.1.2. Les mesures
C.2.1.3. La Maîtrise foncière
C.3. Les actions de valorisation paysagère par
C.3.2. Le Parc naturel régional Loire-Anjou-Touraine
C.3.3. Les communes et la communauté de communes
Chapitre 4. Discussion des résultats
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Télécharger le rapport complet