Le passif lexical en innu 38
Contexte linguistique et géographique
Anciennement connue sous le nom de montagnais, la langue innue appartient à la branche algonquienne de la famille algique. Au Québec, la famille linguistique algonquienne regroupe les autres langues suivantes : le cri, l’algonquin, l’atikamekw, le naskapi, le micmac, l’abénaki ainsi que le malécite. Mais cette dernière n’est toutefois plus parlée aujourd’hui au Québec : elle l’est cependant encore au Nouveau-Brunswick. Plus spécifiquement, l’innu fait partie des langues algonquiennes du Centre, un sous-groupe linguistique très étendu géographiquement. Pour le cas de l’innu, sa situation géographique inclut le Labrador ainsi que la région de la (Basse) Côte-Nord au Québec. L’innu comprend tous les dialectes parlés par les Innus et s’insère dans un continuum dialectal avec le cri de l’Est et le naskapi. Les locuteurs de l’innu sont au nombre d’environ 10 000 au Québec et se répartissent en neuf communautés le long de la côte. Ces communautés sont Mashteuiatsh (Pointe Bleue) et Pessamit (Betsiamites). Celles-ci forment le groupe dialectal de l’Ouest. Uashat mak Mani-utenam (Sept-Îles) ; Matimekush (Shefferville) ; Mamit (la Basse Côte-Nord) ; Ekuanitshit (Mingan) ; Nutashkuan (Natashquan) ; Unaman-shipu (La Romaine) ; Pakut-shipu (Saint- Augustin) et Sheshatshit (North West River, NL) qui forment le groupe de l’Est ou dialectes dits de Mamit (Drapeau, 2014 : 1-5). La carte présentée ci-après (Figure 1.1) permet de visualiser la situation géographique de ces communautés en fonction de leur appartenance dialectale : Cette carte présente les différents dialectes cris encore parlés au Québec aujourd’hui. En beige figure la répartition dialectale de l’innu de l’Est et en brun, le groupe de l’Ouest. Ces deux groupes se distinguent par plusieurs spécificités dialectales et phonologiques, la plus caractéristique étant la prononciation du /l/ proto-algonquin. Ainsi, le groupe de l’Ouest comprend les dialectes en /l/ 2 et le groupe de l’Est comprend les dialectes en /n/. Sinon, en vert figure la zone linguistique naskapie ; en bleu, la zone du cri de l’Est et en violet, l’aire linguistique atikamekw.
Contexte démolinguistique et sociolinguistique
Parmi le nombre de langues indigènes encore parlées en Amérique du Nord de nos jours, le Québec en compte une dizaine sur l’entier de son territoire. Selon le recensement de population mené par Statistique Canada en 2011, le 20,9% de l’ensemble des locuteurs de langue maternelle autochtone du Canada se trouve dans la province du Québec, ce qui fait d’elle la province à la tête du classement 3. Les dix langues autochtones de cette province se regroupent en trois grandes familles linguistiques à savoir la famille algonquienne, comme nous l’avons vu précédemment ; la famille iroquoienne qui comprend le mohawk et le huron-wendat qui n’est cependant plus du tout parlée 4 et enfin la famille esquimau-aléoute qui comporte l’inuktitut. La Figure 1.2 permet de situer géographiquement ces langues en fonction de leur appartenance communautaire respective. D’après les statistiques de populations autochtones du Québec menées en 2015, la nation innue compte une population de près de 20 000 individus, résidents et non-résidents des différentes communautés 5. Ce chiffre n’inclut par contre pas la population innue du Labrador. La Figure 1.2 illustre la situation géographique des communautés innues du Québec se répartissant le long de la Côte-Nord et de la Basse Côte-Nord. D’un point de vue linguistique, l’innu est donc la langue maternelle et la langue d’usage de près de la moitié de la population innue, bien que celle-ci soit aujourd’hui presque complètement bilingue (innu-français et innu-anglais pour les Innus du Labrador et de Pakuashipi) 6.
En effet, selon Statistique Canada 2011, la population autochtone de langue maternelle innue au Québec et au Labrador s’élève à près de 11 000 individus. Le terme de langue maternelle est défini par Statistique Canada comme la première langue apprise à la maison dans l’enfance et encore comprise par le recensé au moment du recensement 7. De plus, 88,6% de la population recensée a déclaré que l’innu est la langue la plus souvent parlée à la maison et 6,7% a déclaré parler régulièrement innu à la maison 8. L’innu est de ce fait considéré comme une langue viable, mais fragile (Baraby, 2011 : 51). Mais bien que, par rapport au reste du Canada, les langues autochtones du Québec soient encore les mieux préservées depuis une vingtaine d’années, leur situation sociolinguistique change et n’est pas comparable à celle des langues majoritaires comme l’anglais ou le français qui jouissent d’un grand dynamisme. À ce propos, Drapeau (2011 : 9-10) dresse un portrait de la situation sociolinguistique qui caractérise les langues autochtones du Québec en identifiant les facteurs principaux qui rendent difficile la survie de celles-ci. En effet, chaque langue est d’abord parlée par un nombre restreint de locuteurs vivant dans de petites communautés éloignées les unes des autres et passablement isolées.
Ensuite, ces langues sont de tradition orale. Jusqu’à récemment, elles ne possédaient pas de corpus écrit ni de système d’écriture uniformisé. L’écrit occupe de ce fait une place marginale au sein des communautés. De plus, le statut minoritaire des langues autochtones contraint les locuteurs à devenir bilingues. Le bilinguisme langue majoritaire/langue autochtone devient par conséquent en cours de généralisation auprès des locuteurs de ces langues minoritaires, d’une part au travers de la scolarisation et de l’usage des médias de masse et d’autre part, au travers de la communication avec les Allochtones (les non-Autochtones). Par ailleurs, ce bilinguisme généralisé entraîne alors un état de diglossie au sein des communautés : la langue autochtone est parlée dans les situations informelles et la langue majoritaire est utilisée dans les situations formelles et écrites. Enfin, le bilinguisme a également pour effet, à long terme, l’abandon progressif de la langue ancestrale au profit du français ou de l’anglais. Ainsi, d’une manière générale, plus les locuteurs sont âgés, plus ils maîtrisent la langue et plus ils sont jeunes, moins ils la maîtrisent.
Dans un tel contexte, le maintien de la langue innue a été favorisé par l’isolement géographique des communautés ainsi que par la scolarisation tardive de ses locuteurs comparativement aux autres nations autochtones du Canada ou des États-Unis. En effet, bien que la Loi sur les Indiens de 1919 rende obligatoire la fréquentation de l’école pour les Autochtones, elle n’est appliquée aux Innus qu’à partir des années 1950. Traditionnellement chasseurs et pêcheurs nomades, vivant également de trappe, les Innus ont alors, à cette époque-là, connu une sédentarisation rapide en raison d’une telle mesure. La scolarisation d’alors se fait en français et bannit l’usage de la langue première des enfants (Baraby, 2011 : 54). Cependant, la publication de La maîtrise indienne de l’éducation indienne en 1972 par la Fraternité des Indiens du Canada marque un tournant pour la scolarisation des peuples autochtones. Suite à la publication de ce document, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien met en oeuvre le Projet d’amérindianisation des écoles amérindiennes avec pour objectif, entre autres, d’implanter l’enseignement des langues indigènes dans les écoles. À ce moment-là, l’innu devient une matière scolaire enseignée à l’école à raison d’une heure par semaine voire plus selon les établissements (Baraby, 2011 : 55). Ainsi, dès les années 1970, l’éducation autochtone est sous contrôle autochtone et au Québec, dès 1976 sont ouvertes les premières écoles de bande par le Ministère de l’Éducation du Québec (Hot et Terraza, 2011 : 29). L’école innue à Pessamit en est un exemple. À cette époque, des cours de langue innue sont introduits à l’école primaire à raison de moins d’une heure par semaine (2011 : 33).
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Table des matières
Résumé
Abstract
Table des matières
Liste des abréviations
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Introduction
1 L’innu et les langues algonquiennes
1.1 Introduction
1.2 Contexte linguistique et géographique
1.3 Contexte démolinguistique et sociolinguistique
1.3.1 Résistance culturelle
1.3.2 An Antane Kapesh
1.4 Caractéristiques typologiques
1.4.1 L’analyse « polysynthétique »
1.4.2 Le genre
1.4.3 Marquage sur la tête
1.4.4 L’obviation et la hiérarchie des personnes
1.4.5 Morphologie verbale
1.4.5.1 La formation des verbes
1.4.5.2 Les différents types de verbes intransitifs
1.4.6 Système direct et système inverse
1.4.7 La voix passive
1.4.7.1 Les passifs transitifs
1.4.7.2 Les passifs intransitifs
1.4.7.3 Les médio-passifs
1.4.8 Le passif lexical
1.4.8.1 En innu
1.4.8.2 En ojibwé
1.4.8.3 En cri
1.5 Remarques conclusives
2 Cadre théorique
2.1 Introduction
2.2 La voix passive
2.2.1 Description générale
2.2.2 Dans les langues algonquiennes
2.3 L’aspect
2.3.1 Description générale
2.3.2 Dans les langues algonquiennes
2.4 L’aspect et la voix passive
2.4.1 Description générale
2.4.2 En innu
2.5 Remarques conclusives
3 Le passif lexical en innu 38
3.1 Introduction
3.2 Le corpus
3.2.1 Données écrites
3.2.2 Étude de cas
3.2.2.1 Méthodologie
3.2.2.2 Résultats attendus
3.2.2.3 Résultats obtenus
3.3 Forme et sémantique des suffixes passifs
3.4 Catégorisation sémantique des données .
3.4.1 Types de situation
3.4.1.1 Accomplissement
3.4.1.2 Achèvement
3.4.2 « Grams » et types de gram
3.5 Considérations diachroniques
3.6 Considérations syntaxiques
3.7 Considérations pragmatiques
3.8 Considérations translinguistiques
3.9 Passif lexical ou passif lexicalisé ?
3.10 Remarques conclusives
4 Les formes en –(i)kuan/-(i)kushu
4.1 Introduction
4.2 Les relationnels de TA à sujet logique inanimé
4.3 Forme et sémantique des suffixes –(i)kuan / -(i)kushu
4.4 Considérations translinguistiques
4.5 Remarques conclusives
Conclusion
Annexe A Sélection de formes passives transitives issues du dictionnaire innu en ligne
Traduction imperfective
Traduction ambiguë
Traduction impersonnelle
Traduction active transitive
Annexe B Corpus de phrases passives extraites de Eukuan matshimanitu innu-iskueu (Kapesh, 1976) 83
Annexe C Sélection de formes verbales passives issues de l’étude de cas, encodant des images dénotant des états/résultats
C.1 Accomplissements
C.2 Achèvements
Annexe D Sélection de formes en -(i)kuan/-(i)kushu extraites du dictionnaire innu en ligne
Bibliographie
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