Le passage de la tradition orale à la tradition écrite reflète la tradition des modèles et l’évolution des modes de vie. La concrétisation de ce passage requiert pour celui qui en prend l’initiative d’effectuer un voyage. De ce fait, l’homme reste le principal acteur de son voyage. Il y joue une part active de son histoire selon sa situation et ses moyens. Et c’est là que réside tout le pari du voyageur qui justifie sa démarche comme une pérégrination légitime.
Voyager, c’est donc adopter un état d’esprit. Lequel état s’inscrit dans une aventure qui trouve son point de chute vers une terre connue ou inconnue qui peut s’avérer être une terre d’attache à la fois terre de contraste et de douceur. Autrement dit, un voyage où le voyageur reste entièrement disponible et ouvert à l’inattendu ; point d’orgue d’un voyage empreint soit de mélancolie, soit d’espoir. Ce qui se traduit pour le voyageur sous la forme d’un dépouillement, d’une ascèse, d’une délivrance et/ou d’enrichissement voire de métamorphose.
Ici, nous n’aurons pas la prétention de faire ni une étude fondamentale de description, ni une étude de restitution des types de voyage avec tout ce que cela pourrait induire comme techniques de locomotion. Mais, nous nous intéresserons à ces figures historiques de l’homme dans leurs mobilités qui sont, selon Jean-Michel BELORGEY, les « constantes anthropologiques » . Ceci pour dégager ce qu’elles nous enseignent sur le voyage comme retombées ou bénéfices pour elles-mêmes malgré les modalités, les destinations et les objectifs qui ont été à l’origine de leurs mobilités pour bien comprendre l’ «homo peregrinus ». Toutes choses qui nous permettront de déboucher sur les itinéraires de nos modes de voyages actuels et les connotations qu’elles peuvent prendre.
Pour ce faire, définir quelques notions et concepts comme support d’analyse ou grille de lecture nous permettra également de saisir l’essence et les sens de ses différents voyages.
À travers eux, nous sommes appelés à faire la découverte et l’apprentissage de la réalité qui se joue dans l’immigration comme aboutissement et conséquence logique de ces dits voyages. Aussi dans ce même prolongement, pourrions-nous être éclairés et conduits sur quelques pistes de réponses pour cerner la question et les tensions langagières d’une part, et d’autres part, la tension entre un droit cosmopolitique (citoyen du monde) qui fonde le voyage et un droit national économique comme corollaire de ce phénomène d’immigration dans l’application des lois ou politiques dans les pays d’accueil. Or parler de pays de destination ou d’accueil, c’est ouvrir la thématique de l’hospitalité. Et cela a d’autant plus d’importance quand ce sont des voyageurs issus de la tradition orale, un mode de savoirs à part entière qui rencontre un mode nouveau : celui de la scripturalité.
Ce réflexe de lecture nous convoque à des questionnements. Les récits de ces déplacements de voyageurs venus de la culture de l’oralité à la rencontre d’un monde culturel enraciné dans l’écriture n’initient-ils pas une étape nouvelle de leur marche ? Ces déplacements qui sont le plus souvent mis par écrit ne sont-ils pas le témoignage de l’écriture de l’Ailleurs ? A quel titre s’inscrivent tous ces déplacements : voyage de projet, voyage familial, voyage d’affaires ou simplement immigration durable avec la clé peut-être d’un non-retour au pays d’origine ?
Voilà qui n’est pas sans rappeler la France l’un des pays de destination choisi par excellence et le plus prisé de ces voyageurs. Pays, représentatif de la situation de l’immigration africaine de par sa situation géographique, ses liens linguistiques et terre de migration de longue date. Mais avant, ces migrants, une fois parvenus en France, comment vivent-ils cet entredeux culturel quand ils sont pris entre les étaux de l’oralité et de la scripturalité ? Qui sont les précurseurs de ces migrants voyageurs?
Les mondes de « oralité » et de la « scripturalité », semble-t-il, sont des univers différents si l’on s’en tient à leurs principales caractéristiques. Ce d’autant plus que la langue et la culture comportent une forte identité. C’est donc tout naturellement qu’elles peuvent dépeindre sur le comportement de ceux qui y sont issus. Un voyage entre deux traditions, qui impose de faire des choix fondamentaux de vie et de transmission du savoir.
D’un côté, la tradition orale, source d’inspiration de l’africain en général. Et plus spécifiquement, de l’ivoirien. Ainsi pour ce dernier, s’il est un art où la parole compte beaucoup, c’est bien celui de l’art oral. A travers ses œuvres, ses contes, ses mythes, seule la présence de ses protagonistes avec qui, il partage son savoir compte. Autant de valeurs qui fondent le socle de l’éducation, valeurs irréversibles fortement enracinées dans le ferment de l’humanisme et du désintéressement collectif.
De l’autre côté, l’univers de l’écrit. Un univers où la solitude de la « page blanche » vous met face à vous-même. Un monde auquel aspire l’ivoirien. Car l’une des raisons avancées selon lui, tient à une possibilité de créer un monde nouveau, issu d’une pensée nouvelle selon laquelle il est possible de s’enrichir de la culture de l’Autre et y trouver mieux-être. Un passage d’un monde à un autre, loin parfois de la normalité à laquelle il est habitué. Essaie-t-il de nous faire vivre le crépuscule de sa civilisation orale qui cède aux assauts frontaux de l’écriture ?
C’est bien ces différents univers que nous présenterons l’un après l’autre. Entre l’univers de l’oralité et celui de l’écriture, la narration joue le rôle de conciliateur. Une même technique pour deux mondes différents. Cette passerelle qui unit deux langages qui essaient de raconter les mêmes histoires par le biais du récit en nous faisant voyager et diriger l’histoire.
« Le monde de l’oralité » renvoie à une conception traditionnelle africaine de la vie du groupe où les relations sociales sont essentiellement basées sur les échanges oraux. Une manière de faire qui s’apparente aux habitudes, aux valeurs et aux rituels de la société ivoirienne. Autant dire que dans cette société, l’oralité est le socle des relations humaines et des pratiques. Toute chose qui ne peut se faire sans la conjugaison avec la vie du groupe. Une pratique qui, aujourd’hui peut sembler lointaine, mais dont il est nécessaire de rappeler ce qu’elle représente pour tout ivoirien.
Pour l’ivoirien, la tradition orale est une immense culture riche de récits et de sens profond, de toute une mémoire collective de portée universelle transmise de génération en génération par la force de la parole sans l’aide de l’écriture comme la définit Jan VANSINA. « Elle est orale (par opposition à d’autres techniques de communication), elle est transmise (à la différence d’un témoignage oculaire simple), elle se rapporte au passé (ce qui la distingue du passé). » .
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1
I. LES MONDES DE L’ « ORALITE » ET DE LA « SCRIPTURALITE » : EXPERIENCES DE VIE CROISEES
Structure et objectifs du chapitre
1. Du « monde de l’oralité »
2. Du « monde de la scripturalité »
3. De la narration : une technique de transmission pour deux mondes différents
CHAPITRE 2
II. DE LA RECONTEXTUALISATION HISTORIQUE ET IDEOLOGIQUE DU VOYAGE AUX SOURCES DE L’IMMIGRATION
Structure et objectifs du chapitre
1. Les figures historiques de l’homme mobile « l’homo mobilis »
2. Le voyage, symbolisme du rite initiatique et représentations des mondes physique et imaginaire
3. L’écriture ou l’évocation de l’Ailleurs et de l’Autre
4. Voyage et projets
CONCLUSION GENERALE
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