Le partenaire industriel
Le partenaire industriel est une PME québécoise fondée il y a une quarantaine d’année. Le président, actionnaire majoritaire, est aussi le fils du fondateur. L’entreprise oeuvre dans le secteur des télécommunications et ses services sont offerts à travers trois divisions. En 2015, deux des trois divisions représentaient 65% des revenus provenant d’un seul client majeur. L’autre division apportait pour sa part près de 30% du chiffre d’affaires et ses principaux clients sont dans le domaine de la construction ainsi que dans les secteurs publics et parapublics. Au total, l’entreprise emploie une quarantaine de personnes localisées en Mauricie, au Centre-du-Québec et dans la grande région de Montréal. Elle possède aussi un bon réseau spécialisé qui lui permet de desservir les autres régions québécoises où elle n’a pas d’équipe technique sur place. Une étude auprès de la clientèle effectuée en 2015 a démontré un très haut taux de fidélité et de satisfaction de la part des clients interrogés. Les principales forces qui lui sont reconnues sont les courts délais de réponse ainsi que la qualité des conseils et du support offerts dans l’identification des meilleures solutions et ce, avant même l’octroi des mandats. Au fil des ans, l’entreprise s’est donc positionnée comme un expert-conseil dans son domaine; positionnement qui l’a très bien servi au cours des 20 dernières années. Toutefois, des transformations majeures de l’industrie viennent changer la donne et une remise en question du modèle d’affaire et de ses manières de faire s’impose.
Évolution de l’industrie
Tout comme plusieurs secteurs d’activité, l’industrie des télécommunications a connu des bouleversements profonds au cours des dix dernières années. L’évolution technologique du secteur influencée par plusieurs technologies de rupture dont l’internet et la téléphonie mobile, a entraîné des changements majeurs dans la chaîne de valeurs de l’industrie ainsi que dans la manière de consommer des différentes clientèles. Le client principal de l’entreprise est directement touché par ces changements technologiques et selon la lecture de la situation et les prévisions internes, ses activités devraient décroître substantiellement sinon disparaître complètement d’ici les trois à cinq prochaines années, soit d’ici 2018-2020. Parallèlement aux transformations de l’industrie des télécommunications, le marché québécois a également vécu des turbulences suite à des allégations de corruptions et de collusions dans le processus d’approvisionnement public. On se rappellera que le gouvernement du Québec créait en 2011 la Commission Charbonneau, commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction .
Dès sa création, la commission a provoqué des modifications importantes dans les processus d’approvisionnement des organismes et organisations publics et parapublics, avec pour effet un ralentissement marqué dans des projets d’investissement et dans l’octroi des mandats aux différents fournisseurs des ministères. Un des changements majeurs effectués dans la foulé est la centralisation des achats dans un seul département. La politique du plus bas soumissionnaire est devenue prédominante et l’approche de services-conseils qui était une force reconnue et appréciée de l’entreprise, n’a plus autant de valeur dans ces nouvelles politiques.
Culture organisationnelle « Culture is to a groupe what personality or charactere is to a person. » Edgar H. Schein Tout comme le concept de l’innovation, le concept de la culture organisationnelle n’est pas très simple à définir ni à saisir. Une définition souvent citée est celle de Schein (1984) qui dit que la culture organisationnelle : « (…) is the pattern of basic assumptions that a given group has invented, discovered, or developed in learning to cope with its problems of external adaptation and internal integration, and that have worked well enough to be considered valid and, therefore, to be taught to new members as correct way to perceive, think, and feel in relation to those problems. » À la lecture de cette définition, on comprend que, comme l’innovation, la culture organisationnelle est un concept multidimensionnel, subjectif et propre à chaque organisation.
En effet, la culture d’une organisation est influencée et modelée par son environnement externe, son industrie, ses différentes activités ainsi que les individus qui la composent. Selon Schein (1984), la culture est une force tacite, informelle et souvent même inconsciente, qui influence nos façons d’être et de faire, nos valeurs et notre vision des choses. Schein (2010) explique aussi que ce sont les principaux éléments de la culture qui façonnent les stratégies, les objectifs, les processus et procédures, la nature des relations et la façon dont l’entreprise se perçoit dans son environnement. Pour mieux comprendre les principales composantes de la culture, Schein a défini trois niveaux qui sont représentés à la figure suivante : Ces trois niveaux s’influencent l’un et l’autre, mais on ne peut comprendre la culture d’une organisation que si l’on creuse jusqu’au troisième niveau pour essayer de clarifier les présupposés ou postulats de base (« basic assumptions ») présents dans l’organisation. Ces postulats sont les croyances, les pris-pour-acquis et les perceptions sur lesquels sont basés les comportements des individus. Ils sont souvent inconscients et difficiles à identifier clairement. Schein spécifie que sans l’identification et un travail direct sur ces postulats de base, tout changement durable dans une organisation est impossible.
Difficultés et enjeux rencontrés
La principale difficulté rencontrée a été de descendre l’analyse au troisième niveau de la culture et d’identifier les postulats de base. En effet, ce n’est pas une tâche facile pour un consultant puisque nous ne sommes habituellement pas à temps plein dans l’organisation. Ainsi, notre analyse ne peut s’effectuer que partiellement à partir de ce que les gens nous rapportent et de quelques observations dans des cas bien précis d’intervention tels que des rencontres avec ordre du jour et sujets de discussion prédéterminés. Il nous est donc difficile d’avoir accès au quotidien de l’équipe pour bien saisir l’essence même de la culture existante. Nous avons eu la chance d’être invités à travailler plusieurs jours par semaine au sein de l’entreprise ce qui nous a permis d’observer et d’identifier certaines forces à l’oeuvre que nous n’aurions pu voir autrement ou dans un contexte d’interventions ponctuelles. Les éléments identifiés dans ce tableau ont donc été amassés pendant tout le processus d’intervention et colligés à la lumière des connaissances accumulées et développées au cours du projet dans son entier. D’autant plus que les autres interventions effectuées nous ont permis de mieux comprendre la théorie de Schein et son modèle d’analyse. Nous en concluons donc que, pour être en mesure de saisir l’essence de la culture d’une organisation, le consultant doit avoir du temps et se voir offrir la possibilité d’observation et d’interaction avec les membres de l’équipe dans plusieurs situations différentes, ce qui, selon nous, constitue une condition importante dans l’analyse et la compréhension de la culture d’une organisation. Sinon, l’analyse demeurera dans les niveaux 1 et 2 du modèle de Schein et les changements qui seront apportés risques forts de n’être que superficiels.
Analyse et réflexion des résultats
Comme Endlsey le mentionne, plusieurs mécanismes mentaux influencent le processus cognitif d’analyse et d’intégration de l’information reçue et par le fait même de compréhension d’une situation. Ces mécanismes sont entre autres les modèles mentaux et scripts de chacun, ses objectifs ou ce qu’il cherche à atteindre, le focus de son attention, ses mémoires, etc. Ainsi, selon notre compréhension, les associés n’analysent pas la situation en tant qu’associés, mais bien en tant que directeurs des opérations. Les éléments qui alimentent leur processus de SA sont opérationnels et non stratégiques. On peut donc en conclure que dès le Niveau 1 du processus SA, il y a une divergence entre le président et ses associés. Aussi, dans les discussions qui nous ont été rapportées on perçoit certains mécanismes similaires aux basic underlying assumptions de Schein, ainsi qu’au concept de theories-inuse définit par Argyris and Schön (Schein, 2010, p.28). Ainsi, on revient à l’importance de bien identifier ces postulats de base qui forgent les comportements de chacun de nous. Finalement, on reconnaît aussi le phénomène décrit par Schein qui influence et réduit l’impact même d’un bon SA lorsqu’une entreprise a eu du succès par le passé: « If an organization has had a long history of success based on certain assumptions about itself and the environnement, it is unlikely to want to challenge or reexamine those assumptions.
Even if the assumptions are brought to consciousness, the members of the organizations are likely to want to hold on to them because they justify the past and are the source of their pride and self-esteem. Such assumptions now operate as filters that make it difficult for key managers to understand alternatives stratégies for survival and renewal. » (Schein, 2014, p.289) Les commentaires qui nous ont été rapportés par le président ainsi que l’invitation directe qu’on nous a faite de quitter l’organisation et de cesser notre processus d’intervention font état de l’oeuvre de ces mécanismes. Avant même de pouvoir concevoir une vision commune de la situation et d’avoir un SA efficace qui amènera à une prise de décision sur les besoins de changements internes, l’équipe doit identifier et comprendre les principaux modèles mentaux à l’oeuvre qui la retiennent dans le statu quo, mais également les différents rôles et leurs comportements attendus. Ainsi, suite à cette analyse effectuée conjointement avec le président, nous avons statué que nos prochaines interventions devaient adresser ces deux éléments vitaux à un changement organisationnel durable.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 Contexte spécifique de l’intervention
1.1 Le partenaire industriel
1.1.1 Évolution de l’industrie
1.1.2 Diversification par acquisition
1.2 Objectif du partenaire dans l’intervention
1.3 L’auteure
CHAPITRE 2 Revue de littérature
2.1 Introduction
2.2 L’innovation
2.2.1 L’innovation pour notre partenaire industriel
2.3 Culture organisationnelle
2.3.2 Déterminants d’une culture d’innovation
2.4 Effectuer des changements durables dans l’organisation
2.4.1 Single-loop learning et le Model-I
2.4.2 Double-loop learning et le Model-II
CHAPITRE 3 La méthodologie
3.1 Introduction
3.2 Recherche-action
3.2.1 Les spirales d’interactions
3.3 Modèle de Newcomb
CHAPITRE 4 Les modèles théoriques utilisés
4.1 Introduction
4.2 Modèle de Schein : analyser la culture initiale de notre partenaire
4.3 Modèle II – theory-in-use de Argyris : effectuer un changement durable dans l’organisation
4.4 Modèle de Situation Awarness de Endsley : développer une compréhension commune face à la situation et clarifier le niveau d’urgence d’agir
4.5 Modèle Belbin: Améliorer le processus perceptuel ainsi que réduire les erreurs d’attribution relevées entre les associés ainsi que les autres membres de l’équipe de direction
CHAPITRE 5 Les interventions effectuées
5.1 Introduction
5.2 Intervention 1 – définition et analyse de la culture initiale du partenaire
5.2.1 Modèles d’intervention
5.2.2 Résultats de l’intervention
5.3 Intervention 2 : Élaboration de la stratégie de changement par le développement d’une compréhension commune face à la situation et le niveau d’urgence d’agir
5.3.1 Modèle d’intervention
5.3.2 Résultats de l’intervention
5.4 Intervention 3 : Mettre à jour les raisonnements défensifs et les basic underlying assumptions chez les associés afin de favoriser un changement de comportement durable
5.4.1 Modèle d’intervention utilisé
5.4.2 Résultats de l’intervention
5.5 Intervention 4 : Améliorer le processus perceptuel ainsi que réduire les erreurs d’attribution relevées entre les associés ainsi que les autres membres de l’équipe de direction
5.5.1 Modèle d’intervention utilisé
5.5.2 Résultats de l’intervention
5.6 Conclusion
CHAPITRE 6 DISCUSSION
6.1 Transformation vers une culture plus innovante
6.2 Principaux défis à relever dans les prochaines étapes pour le partenaire
6.3 Principaux défis rencontrés par le chercheur
CONCLUSION
ANNEXE I Tableau A-I – Synthèse des Modèles I et II de Argyris and Schön
ANNEXE II Exemple d’Audit d’Auto-perception BELBIN
ANNEXE III Exemple d’Évaluation d’observateur BELBIN
ANNEXE IV Rapport d’équipe BELBIN – Équipe de direction Partenaire
ANNEXE V Rapport d’équipe BELBIN – Équipe des Associés
BIBLIOGRAPHIE
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