La dépénalisation, célébrée lorsqu’elle vise des infractions de droit commun, suscite de nombreuses interrogations quand elle concerne le monde des affaires. En effet, c’est toujours avec une main tremblante que le législateur procède à une modification de la loi pénale appliquée à la vie des affaires dans le sens de la dépénalisation. Les particularités du droit des affaires et le rôle tenu par le droit pénal qui l’accompagne en sont probablement les raisons. La dépénalisation du droit des affaires est paradoxale : elle contribue à favoriser le développement de la vie économique grâce à une amélioration du contentieux des affaires mais elle peut aboutir à créer l’insécurité de la vie des affaires. De ce paradoxe sont nés les vifs et récurrents débats sur le sujet. Praticiens et universitaires, pénalistes et commercialistes sont les principaux acteurs des controverses d’une dépénalisation en droit des affaires.
Les points de vue restent divergents. L’on ne peut pas affirmer que le principe de la dépénalisation est définitivement acquis, ou du moins on peut dire qu’il est admis sous d’importantes réserves. Ces incertitudes produisent des effets négatifs sur le mouvement luimême et sur l’état du droit répressif des affaires ainsi que sur sa mise en œuvre .
Les demandes contradictoires de dépénalisation
Faut-il maintenir un droit pénal des affaires ? Comme le remarque M. DELMAS MARTY « tant que l’on s’interroge pour savoir si le droit pénal a bien sa place en matière économique, et tant que l’on en doute, il est bien évident que le législateur aura beau créer des incriminations, elles ne seront guère utilisées ». Il paraît donc indispensable d’examiner la question plus en profondeur et d’analyser les arguments avancés en faveur de la dépénalisation du droit des affaires. Sont accusés et le législateur (Section 1ère) et le juge (Section 2). Par ailleurs, la dépénalisation a été également présentée comme un des aspects de la modernisation du droit des affaires .
Les critiques à l’endroit du législateur
Il est constaté une surpénalisation au niveau du droit positif, laquelle constituerait une entrave au développement de l’économie. La pénalisation est qualifiée à la fois de déplacée et d’excessive.
Une pénalisation déplacée de la vie des affaires
Le rôle du droit pénal des affaires
Sans doute, le droit pénal des affaires est une réponse à une nécessité sociale : sanctionner les fraudes spécifiques au droit des affaires, étant constaté que les infractions de droit commun n’étaient pas adaptées au monde des affaires et qu’il était difficile d’étendre ces infractions du fait de l’interprétation stricte des lois pénales. Ainsi, la difficulté de qualifier certaines escroqueries fut la cause principale de la création d’un certain nombre d’infractions comme la distribution fictive de dividendes. La création de l’incrimination d’abus de biens sociaux est de la même manière issue des difficultés à appliquer la législation relative à l’abus de confiance . Cette catégorie d’infractions n’a pas été remise en cause. Il s’agit d’une dépénalisation « impossible ». Elles sont, par contre, contestées dans leur mise en œuvre. Très peu d’auteurs ont soutenu une dépénalisation de ces infractions. Mais là n’est pas la seule explication du développement du droit pénal des affaires.
Les dérives de l’utilisation du droit pénal
Le droit pénal des affaires, sans doute imprégné par la matière sur laquelle il porte, a été très tôt instrumentalisé. Le législateur utilise la sanction pénale pour que les obligations essentielles du droit des affaires soient respectées. La peine placée à côté de l’obligation donne à celle-ci une autorité et en garantit l’application. Sont créées des infractions formelles moins pour punir que pour obliger à faire. Bien des dispositions pénales ont pour fonction de renforcer l’effectivité d’une règle à finalité économique, plus rationnelle que morale.
L’« étiquetage » pénal attire l’attention sur l’importance pratique de la solution sans que la sanction soit effective. Un parlementaire français déclarait que « l’intérêt d’un texte pénal n’est pas d’être appliqué mais de constituer une orientation pédagogique visant à transformer les habitudes de nos concitoyens » . L’arme pénale est de fait depuis longtemps utilisée par le législateur comme un moyen de prévention et d’éducation. Instrument de prévention : l’objectif de punition passe au second plan, derrière celui de l’effectivité du droit des affaires – l’idée sous jacente étant que les sanctions pénales étaient considérées comme les plus dissuasives pour assurer le respect des réglementations. Or, il est de moins en moins sûr qu’une bonne exécution du droit des affaires passe par une sanction pénale (il y a des cas où l’entrepreneur préfère payer l’amende plutôt que de s’exécuter… et encore, lorsque l’infraction est poursuivie).
Mais certains auteurs évoquent aujourd’hui l’apparition d’une nouvelle fonction de la loi pénale : une fonction « déclarative » qui s’ajoute aux fonctions traditionnelles (pédagogique, expressive, répressive). La loi aurait même un rôle sédatif : on veut calmer les pressions sociales de certains groupes – peu importe le caractère éventuellement flou de certaines infractions . La sanction pénale a aussi une vertu de valorisation. S’il y a du pénal, c’est que le texte est important. Or, c’est prendre à tort l’effet pour la cause. « Ce n’est pas parce qu’une disposition est pénalement sanctionnée qu’elle est essentielle, mais bien parce qu’elle est essentielle qu’elle doit être pénalement sanctionnée » . La pénalisation « moderne » de la vie des affaires conduit alors à une distinction entre les infractions qui relèvent du domaine traditionnel du droit pénal et celles qui n’ont qu’un rôle d’appui à la mise en œuvre du droit des affaires. Abuser du droit pénal provoque ainsi une dénaturation de ce droit et affaiblit son exemplarité et il faut « redonner son sens » au droit pénal.
Dépénaliser : redonner son sens au droit pénal
Les tenants d’une dépénalisation du droit des affaires affirment que le droit pénal des affaires est devenu un outil économique. Le sénateur Marini dans son rapport sur la modernisation du droit des sociétés en 1996 note que la pénalisation est désastreuse sur le plan des principes car « elle méconnaît le fondement même de la règle pénale qui est la sanction des actes mettant en cause les intérêts fondamentaux de la société ». Sur le plan théorique, les infractions en droit pénal des affaires sont dans leur immense majorité des infractions artificielles . Selon un courant doctrinal , le droit pénal doit réserver ses « foudres » aux crimes graves, c’est-à-dire aux infractions naturelles, celles qui sont contraires aux grandes lois de la morale unanimement admises, celles qui sont commises par de malfaiteurs redoutés et objet de la réprobation générale. « Les délits artificiels n’existent que pour des raisons d’opportunité, ils correspondent à un certain état d’avancement économique et social. Ils ne sont pas réprouvés par la morale car ils ne heurtent pas le sens profond de la justice qui est en chacun de nous » . Les auteurs de ces infractions ne seraient pas ainsi des malfaiteurs, « ils ne manquent pas de sens moral, mais seulement de sens social » .
Il est évident qu’à première vue on ne peut confondre un voyou qui viole une femme avec le dirigeant de société qui oublie de déposer son bilan au moment où il doit le faire. Mais est-ce si sûr que cela ? Les infractions naturelles évoluent parfois fort vite et se dénaturalisent en quelques années. Avant, le sacrilège ou simplement le juron était l’une des plus naturelles parmi les infractions. En quelques temps, il n’était plus qu’une infraction des plus artificielles. Est-on sûr au demeurant que la majorité des infractions du droit pénal des affaires soient tellement artificielles ? On peut alors se demander si l’opposition entre délits artificiels et délits naturels est parfaitement justifiée.
Dans tous les cas, dans le monde des affaires, on ne cesse de réitérer que la sanction pénale ne doit frapper que lorsqu’ aucune autre sanction ne paraît possible, l’un des fondements des sociétés démocratiques étant que la loi ne doit édicter que des sanctions pénales nécessaires et proportionnées . Ne doivent donc être pénalement sanctionnés que les agissements qui remettent en cause les valeurs autour desquelles la société se réunit .
Ainsi, ces auteurs nient que les nombreuses incriminations intéressant la vie des affaires protègent véritablement une valeur sociale importante . Pour eux, l’ineffectivité des lois ne doit pas conduire le législateur à rechercher l’instrument le plus puissant et recourir systématiquement à la sanction pénale. La dénaturation consisterait alors en ce que le droit pénal est devenu le moyen destiné à pallier la défaillance d’ensemble d’un système juridique dépourvu d’efficacité. La dépénalisation à laquelle il est fait appel vise à réduire le champ du droit pénal des affaires à la répression des agissements coupables.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE – LE PARADOXE DE LA DÉPÉNALISATION FACE AUX SPÉCIFICITÉS DU DROIT DES AFFAIRES
TITRE 1ER. LES CONTROVERSES D’UNE DÉPÉNALISATION
Chapitre 1er. Les demandes contradictoires de dépénalisation
Section 1ère. Les critiques à l’endroit du législateur
Section 2. La juridiction pénale accusée
Section 3. La modernisation du droit des affaires
Chapitre 2. Le maintien nécessaire d’un droit pénal en droit des affaires
Section 1ère. Les considérations économiques
Section 2. Les considérations éthiques
Section 3. Les considérations juridiques
TITRE 2. LES IMPACTS SUR LE DROIT RÉPRESSIF DES AFFAIRES
Chapitre 1er. La relativité des tentatives de dépénalisation
Section 1ère. Le caractère spécialisé du mouvement
Section 2. Le mouvement parallèle de pénalisation et de repénalisation
Chapitre 2. Les particularités de la forme de la dépénalisation
Section 1ère. Le maintien de la répression
Section 2. Les dérives de la mise en œuvre
DEUXIÈME PARTIE – LES CONDITIONS D’UNE DÉPÉNALISATION RATIONNELLE
TITRE 1ER. LA RECHERCHE DE L’ÉQUILIBRE PÉNALISATION-DÉPÉNALISATION
Chapitre 1er. Le recentrage critérié du droit pénal des affaires
Section 1ère. La délimitation critériée de la dépénalisation
Section 2. Les infractions dépénalisables
Chapitre 2. Le développement de l’efficacité de la voie pénale
Section 1ère. La reconfiguration nécessaire du domaine pénal
Section 2. Le renforcement de l’efficacité du système pénal
TITRE 2. LA RECHERCHE DE LA SÉCURITE JURIDIQUE DANS LA MISE EN ŒUVRE DES MODES DE SUBSTITUTION
Chapitre 1er. L’opportunité du recours aux modes de substitution
Section 1ère. Le système de prévention des infractions en matière de chèques
Section 2. Les voies préalables à la voie pénale
Section 3. Les sanctions pécuniaires
Section 4. Les sanctions civiles
Chapitre 2. La nécessaire amélioration des modes de substitution
Section 1ère. Un meilleur encadrement des modes de substitution
Section 2. Le dépassement de la dimension répressive de la sanction
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES