Le cancer du pancréas, qui prend la forme d’un adénocarcinome canalaire pancréatique dans 95% des cas, est un cancer diagnostiqué à un stade généralement tardif et reste ainsi un cancer de mauvais pronostic. Sa mortalité est similaire à son incidence. Bien que ce cancer fasse l’objet de beaucoup de travaux de recherche, les progrès relatifs à la précocité de son diagnostic, à la compréhension de ses spécificités, et au développement de nouvelles thérapies efficaces sont lents et ne répondent pas aux besoins des patients. L’adénocarcinome canalaire pancréatique est un cancer particulièrement résistant aux traitements anticancéreux, dont les thérapies ciblées qui ont pourtant offert des bénéfices cliniques significatifs dans la plupart des cancers. Comparé à d’autres cancers dont la compréhension, le diagnostic et la prise en charge ont été révolutionnés par la recherche scientifique, l’adénocarcinome canalaire pancréatique a été qualifié de «devinette emballée dans un mystère, à l’intérieur d’une énigme » . En effet, la prise en charge de certains cancers a été révolutionnée par de nouvelles thérapies, dont l’immunothérapie, type de thérapies stimulant l’élimination du cancer par le système immunitaire du patient. L’immunothérapie s’est établie comme un nouveau pilier de prise en charge thérapeutique dans de nombreux cancers, tels que le mélanome, le cancer du poumon non à petites cellules et les lymphomes. Face aux succès thérapeutiques observés dans d’autres types de cancer, et compte tenu du besoin crucial d’apporter plus de bénéfices cliniques aux patients atteints de ce cancer, il est légitime de se demander comment l’adénocarcinome canalaire pancréatique répond aux immunothérapies et si cette approche thérapeutique peut offrir un nouvel espoir aux patients.
Généralités
Le pancréas sain : anatomie, physiologie et histologie
Le pancréas est un organe de l’appareil digestif délimité par une fine capsule qui peut être systématiquement divisé en : « tête », qui correspond à la portion proximale en contact avec le duodénum, « col », puis « corps » et enfin « queue », qui définit l’extrémité distale du pancréas et qui se situe proche de la rate (figure 1). Le pancréas est une structure lobulaire contenant de nombreux canaux se déversant dans le canal pancréatique principal, appelé canal de Wirsung. Le canal de Wirsung rejoint le canal cholédoque pour former l’ampoule de Vater qui abouche dans le duodénum au niveau du sphincter d’Oddi .
Le pancréas est une glande dite amphicrine c’est-à-dire qu’il possède à la fois une fonction endocrine et une fonction exocrine.
La fonction exocrine du pancréas est liée à la présence de glandes composées de cellules acineuses, qui représentent environ 98% du pancréas, et permettent la production du suc pancréatique par les acini séreux et son écoulement vers le duodénum par les canaux pancréatiques (figure 2). Les cellules acineuses pancréatiques sont des cellules polarisées : le noyau se situe au niveau du pôle basal qui est riche en réticulum endoplasmique et mitochondries, caractéristique d’une forte activité de synthèse protéique, tandis qu’au pôle apical se trouve le produit de la synthèse de ces enzymes sous la forme de grains de zymogènes (figure 3). Le suc pancréatique participe à la digestion. Il est composé de bicarbonates et d’eau sécrétés par les cellules canalaires et d’enzymes digestives sécrétées par les cellules acineuses. Ces enzymes sont protéolytiques (trypsine, chymotrypsine, carboxypeptidases), lipolytiques (lipases), glycolytiques (amylase), et nucléolytiques (ribonucléase, DNase, RNase) .
Les enzymes digestives secrétées par les cellules acineuses aboutissent dans le duodénum grâce à un réseau arborescent de canaux pancréatiques. Les cellules canalaires sécrètent un liquide aqueux riche en bicarbonates qui pousse les enzymes à travers les canaux et joue un rôle capital dans la neutralisation de l’acidité dans l’intestin grêle. Les canaux pancréatiques sont classés en 4 types. Commençant des branches terminales qui s’étendent jusqu’aux acini séreux jusqu’au canal de Wirsung, on distingue :
• Les canaux intercalaires, qui reçoivent directement les secrétions des acini et dont l’épithélium cubique aplati s’étend jusque dans la lumière de l’acinus pour former les cellules centro-acineuses.
• Les canaux intralobulaires, qui reçoivent les secrétions arrivant des canaux intercalaires, qui possèdent un épithélium cubique classique, et qui sont visibles dans les lobules.
• Les canaux interlobulaires, trouvés entre les lobules, dans le tissu conjonctif, qui reçoivent les secrétions des canaux intralobulaires, qui se déversent dans le canal pancréatique principal et dont la taille varie considérablement, les plus fins présentant un épithélium cubique et les plus larges, un épithélium cylindrique.
• Le canal pancréatique principal, aussi appelé canal de Wirsung qui rejoint le canal cholédoque au niveau de l’ampoule de Vater avant de déverser son contenu dans le duodénum.
La fonction endocrine du pancréas est quant à elle liée à la présence d’environ un million d’îlots de Langerhans disséminés entre les acini séreux, représentant environ 1 à 5 % du pancréas . La fonction principale du pancréas endocrine est la régulation de la glycémie.
Les cellules endocrines qui composent les îlots de Langerhans sont de 4 types principaux :
• les cellules β, responsables de la production d’insuline (hormone hypoglycémiante) et situées au centre des îlots de Langerhans, représentant environ 75% des cellules endocrines ;
• les cellules α, en périphérie, produisant du glucagon (hormone hyperglycémiante) et représentant moins de 20% des îlots de Langherans ;
• les cellules δ (< 5%) en charge de la production de somatostatine qui inhibe la sécrétion d’insuline, de glucagon et inhibe la plupart des mécanismes digestifs ;
• les cellules à polypeptide pancréatique (cellules PP) qui sont les plus rares (< 1%) et dont la fonction est de réguler les sécrétions exocrines du pancréas.
La proximité du pancréas avec des structures anatomiques telles que des ganglions lymphatiques, des nerfs et de gros vaisseaux est une des raisons pour lesquelles les tumeurs pancréatiques ont tendance à facilement infiltrer les structures adjacentes.
Cancer : généralités
L’Organisation Mondiale de la Santé définit « cancer » comme « un terme général appliqué à un grand groupe de maladies qui peuvent toucher n’importe quelle partie de l’organisme. L’une de ses caractéristiques est la prolifération rapide de cellules anormales qui peuvent essaimer dans d’autres organes, formant ce qu’on appelle des métastases ».
Compte tenu de la variété de maladies dénommées par le terme « cancer », dessystèmes de classification ont été proposés au fil des années, afin de caractériser plus précisément le cancer de chaque patient. Les cancers sont le plus fréquemment classés en fonction de :
• Leur type histologique, c’est-à-dire en fonction du tissu d’où le cancer prend son origine (site primaire). Suivant la 3e édition de la Classification Internationale des Maladies pour l’Oncologie (ICD-O-3), on définit ainsi 6 catégories principales :
➤ Les carcinomes, néoplasmes malins d’origine épithéliale, qui représentent environ 80–90% des cas de cancer et qui sont divisés en 2 sous-types : les adénocarcinomes (si le cancer se développe dans l’épithélium d’un organe ou une glande) et les carcinomes épidermoïdes (s’il s’agit d’un épithélium squameux).
➤ Les sarcomes, apparaissant dans les tissus conjonctifs, tels que les os, les tendons, les cartilages, les muscles ou encore le tissu adipeux.
➤ Les myélomes, où les cellules cancéreuses sont des plasmocytes, qui se fixent et se multiplient dans la moelle osseuse.
➤ Les leucémies, se caractérisant par la présence de cellules sanguines immatures se multipliant dans le sang.
➤ Les lymphomes, se développant dans le système lymphatique.
➤ Les types mixtes, comprenant par exemple : carcinomes adénosquameux, carcinosarcomes…
• Leur site primaire de développement (cancers du foie, du sein, du rein etc…).
Malgré les différences qui distinguent les catégories de cancer, des caractéristiques communes au processus de cancérogenèse ont été identifiées, bien que l’ordre dans lequel ces propriétés sont acquises et l’importance de leur contribution à la malignité de la tumeur varient d’un cancer à l’autre. Huit caractéristiques permettant de comprendre la complexité des maladies néoplasiques ont ainsi été proposées . Ces 8 traits caractéristiques sont des propriétés biologiques que les cellules cancéreuses acquièrent au cours du processus en plusieurs étapes de leur cancérisation et incluent :
• le maintien des signaux de prolifération cellulaire,
• l’insensibilité aux signaux antiprolifératifs,
• l’évitement de la destruction par le système immunitaire,
• l’immortalité replicative,
• la capacité d’invasion tissulaire et de diffusion métastatique,
• l’induction de l’angiogenèse,
• la résistance à l’apoptose,
• la dérégulation du métabolisme cellulaire.
L’acquisition de ces propriétés est rendue possible d’une part par l’instabilité génétique de ces cellules, et par le développement d’une inflammation favorable à la croissance tumorale .
Les différents types de cancers du pancréas
Les tumeurs du pancréas peuvent se développer dans le pancréas exocrine ou dans le pancréas endocrine. Cependant, l’adénocarcinome canalaire pancréatique, tumeur du pancréas exocrine, est de loin le cancer du pancréas le plus fréquent et représente 90% des cas de cancers du pancréas . Ainsi, par la suite, nous nous concentrerons sur l’adénocarcinome canalaire du pancréas (PDA). Les autres formes de cancer du pancréas, plus rares, sont : le pancréatoblastome (plus fréquent chez les enfants), le carcinome à cellules acineuses, et les tumeurs kystiques (tumeurs intra-canalaire papillaires mucineuses du pancréas « IPMN ») pour ce qui est des cancers du pancréas exocrine ; et les tumeurs neuroendocrines ( environ 7% des cancers du pancréas) pour les cancers du pancréas endocrine (insulinomes, gastrinomes, glucagonomes, somatostatinomes, VIPomes, PPomes, selon les cellules endocrines touchées et les hormones qu’elles produisent en excès) .
|
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 : LE CANCER DU PANCREAS
1.1 Généralités
1.1.1 Le pancréas sain : anatomie, physiologie et histologie
1.1.2 Cancer : généralités
1.2 Les différents types de cancers du pancréas
1.3 Épidémiologie
1.3.1 Incidence et mortalité en France et dans le monde
1.3.2 Facteurs de risques
1.4 Adénocarcinome canalaire du pancréas : pathogenèse
1.5 Adénocarcinome canalaire du pancréas : diagnostic
1.5.1 Dépistage
1.5.2 Diagnostic
1.5.2.1 Stratégie de diagnostic
1.5.2.2 Clinique – Signes d’appels
1.5.2.3 Biologie
1.5.2.4 Imagerie
1.5.2.5 Stadification
1.5.2.6 Résécabilité
1.5.2.7 Analyse anatomopathologique – Biopsie – Grades
1.5.2.8 Etat général – Statut de performance
1.6 Adénocarcinome canalaire du pancréas : prise en charge thérapeutique
1.6.1 Arbre décisionnel
1.6.2 Chirurgie
1.6.2.1 Chirurgie à visée curative
1.6.2.2 Complications et récidives
1.6.2.3 Chirurgie à visée palliative
1.6.3 Chimiothérapie et radio-chimiothérapie
PARTIE 2 : L’IMMUNOTHERAPIE
3.1 Rappels sur le système immunitaire
3.1.1 La réponse immunitaire innée ou naturelle
3.1.2 La réponse immunitaire adaptative ou acquise
3.1.2.1 Les lymphocytes T et la réponse cellulaire
3.1.2.2 Les lymphocytes B et l’immunité à médiation humorale
3.2 Principes de l’immunothérapie en oncologie
3.2.1 L’immunité anti-tumorale
3.2.2 L’inflammation pro-tumorale
3.2.3 Principe de l’immuno-oncologie
3.3 Les immunothérapies utilisées en immuno-oncologie
3.3.1 Les vaccins thérapeutiques
3.3.1.1 Les vaccins à cellules complètes
3.3.1.2 Les vaccins à base de peptides
3.3.1.3 Les vaccins génétiques
3.3.1.4 Effets indésirables des vaccins thérapeutiques
3.3.2 Inhibiteurs de point de contrôle immunitaire (ICI)
3.3.3 Anticorps anti-TAA
3.3.4 Thérapies par transfert adoptif de lymphocytes
PARTIE 3 : REVUE DES ESSAIS CLINIQUES EVALUANT L’IMMUNOTHERAPIE DANS LE PDA
3.1 Objectifs et Méthodes
3.1.1 Objectifs
3.1.2 Méthodes
3.2 Analyse des essais cliniques ayant évalué des immunothérapies dans le PDA
3.2.1 Stratégies basées sur les inhibiteurs de point de contrôle immunitaire ayant été évaluées dans le PDA
3.2.1.1 Ipilimumab
3.2.1.2 Tremelimumab
3.2.1.3 Durvalumab
3.2.1.4 Nivolumab
3.2.1.5 Pembrolizumab
3.2.2 Stratégies basées sur les vaccins thérapeutiques ayant été évaluées dans le PDA
3.2.2.1 GVAX et CRS-207
3.2.2.2 Algenpantucel-L
3.2.2.3 CAP1-6D
3.2.2.4 G17DT
3.2.3 Stratégies basées sur les immunomodulateurs ayant été évaluées dans le PDA
3.2.3.1 PF-04136309 (anti-CCR2)
3.2.3.2 Indoximod
3.2.3.3 CP-870, 873 (agoniste CD40)
3.3 Analyse des succès et des échecs
3.3.1 Analyse des succès de l’immunothérapie dans le PDA
3.3.2 Analyse des échecs et théories explicatives
3.3.2.1 Faible immunogénicité du PDA
3.3.2.2 Faible taux de Lymphocytes Infiltrant la Tumeur (TIL) dans le PDA
3.3.2.3 Le micro-environnement tumoral du PDA
3.4 Stratégies thérapeutiques envisagées pour surmonter les défis que pose le PDA à l’immunothérapie
3.4.1 Association thérapeutiques synergiques contenant des ICI
3.4.2 Essais cliniques en cours évaluant des vaccins thérapeutiques (sans ICI)
3.4.3 Immunothérapies à transfert adoptif de lymphocytes (sans ICI) en cours d’essais cliniques
3.4.4 Autres essais cliniques en cours évaluant des immunothérapies dans le traitement du PDA
3.4.5 Adaptation du design des essais cliniques
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE