Les Bibliothèque Municipales de Genève
Le numérique, une définition
Pour définir ce qu’est le numérique, il est essentiel de revenir à l’origine de ce mot aujourd’hui utilisé pour tout ce qui a trait au monde de l’internet et du virtuel. A l’origine, le numérique est, selon Marcello Vitali-Rosati (2014), un « processus d’échantillonnage et de discrétisation (…) à la base de toutes les technologies électroniques qui fonctionnent à partir de chiffres discrets en base 2, à savoir, à partir d’une série de 0 et de 1 ». Ce principe s’opposait à l’origine au modèle analogique en musique qui permettait de copier sur un support physique un morceau. Le modèle numérique ne copiait pas l’intégralité du morceau mais plutôt plusieurs extraits qui, une fois combinés, rendaient la musique originale avec cependant quelques différences sonores. L’avantage du numérique sur l’analogique, à défaut de rendre un son parfait, permettait de reproduire une musique à l’infini sans perdre la musique originale. En effet, la musique enregistrée sur support physique se détériorait au fil du temps (Vitali-Rosati 2014). A partir du développement d’internet, dans les années 1990, le sens de ce mot a évolué en parallèle des pratiques humaines, économiques et technologiques jusqu’à signifier un espace, un environnement. Il est important aujourd’hui de le distinguer de l’informatique pure qui n’est à l’origine qu’un outil et aujourd’hui une industrie. Le numérique englobe des pratiques, un comportement, des produits, des relations, il ne s’agit donc pas seulement d’une ressource quantifiable, ni même d’une mode, mais bel et bien d’un monde parallèle au monde physique, d’un monde virtuel avec ses règles et ses fonctionnements propres (Doueihi 2013). Dans le cadre des bibliothèques municipales, le mot numérique englobe toutes les pratiques qui se distinguent du prêt traditionnel : prêt de session informatique, prêt de livre numérique, activités en ligne, médiation en ligne, etc.
Le numérique traditionnel en bibliothèque
Il est très important de distinguer les traditions numériques des bibliothèques institutionnelles et universitaires des traditions des bibliothèques publiques. Dans le premier cas, le numérique fait désormais partie intégrante de l’offre traditionnelle non seulement en offrant un dépôt d’articles institutionnels, aujourd’hui indispensables pour les chercheurs, mais également en proposant de nombreux périodiques scientifiques dans leur format numérique. Ces périodiques font d’ailleurs progressivement disparaître leur offre papier afin de mieux correspondre à leur lectorat souvent nomade et avide d’informations instantanées (Buzon 2011). Dans le cadre des bibliothèques publiques, c’est une autre affaire. Une étude sur l’offre numérique à destination des bibliothèques publiques révèle que seul « un pour cent des bibliothèques françaises dispose d’un fond numérique » (IDATE, 2013, cité dans Dillarts, Epron 2014)1. Pourtant, l’offre numérique en matière d’e-books n’est pas pauvre puisque la plupart des éditeurs a pris le virage du numérique, proposant désormais pour un même titre en version matérielle, une version numérique habituellement au prix de la version poche.
Le problème se situe au niveau de l’offre spécifiquement destinée aux bibliothèques. (IDATE, 2013, cité dans Dillarts, Epron 2014) De manière générale, l’expansion du numérique est confirmée par différentes études mais le budget reste un frein plus que conséquent. Une étude réalisée par Vodeclic, fournisseur de formations en ligne, dévoile que dans les bibliothèques qui ont répondu à l’enquête, 47% d’entre elles déclarent disposer d’un budget inférieur à 5000 euros, ce qui, au vu des coûts du numérique, n’est vraiment pas suffisant pour développer une offre étendue et variée. Cependant, toujours, dans cette étude, 81% des bibliothèques répondent avoir un plan numérique pour l’avenir (Texier 2015a). A la difficulté financière s’ajoutent d’autres difficultés comme la gestion des droits digitaux (DRM). En effet, comme le révèle le tableau comparatif des offres d’éditeurs disponible sur le réseau CAREL, il existe autant d’offres que d’éditeurs et s’y retrouver relève parfois du casse-tête. Et c’est sans parler de la structure permettant au livre de rejoindre les rayons virtuels d’une bibliothèque, nommée projet PNB, acronyme pour Prêt Numérique en Bibliothèque.
PNB : le Prêt Numérique en Bibliothèque
PNB se définit comme un « projet national (…) instauré en 2011 autour de trois établissements (…). [Il s’agit d’une] Initiative interprofessionnelle lancée par Dilicom (réseau de livre) et soutenue par le Centre national du livre (CNL) (…). PNB permet notamment de présenter un catalogue de livres numériques attractif, actualisé et développé en fonction de l’évolution des pratiques de lecture. » (Fil du BBF 2014). Le projet PNB se calque sur le modèle de distribution/diffusion physique du livre. Il garde le diffuseur, ainsi que la librairie et remplace le distributeur par une plateforme de correspondance (hub en franglais). Le chemin du livre électronique commence avec l’éditeur qui va fixer les différentes conditions d’obtention de ses ouvrages : le prix, le nombre d’emprunts accordés, la durée des emprunts, etc. Le diffuseur va s’occuper de la communication en ce qui concerne le prix et les différentes conditions des livres. Pour cela, il communique à la société Dilicom la description de l’offre que lui a confiée son éditeur. Ces offres sont intégrées au fichier du FEL (Fichier Exhaustif du Livre) puis diffusées via le hub de la société Dilicom dont « le principe (…) est de proposer un seul accès et une seule interface pour connecter l’ensemble des partenaires » selon Laurent Soual (2015).
Les librairies proposent ensuite ces offres aux collectivités dont les bibliothèques font parties. Les bibliothèques commandent ensuite leur choix au distributeur (Texier 2015a). Ce distributeur peut parfois être une entité à part entière, et donc une étape supplémentaire, qui rassemble une sélection avant de la proposer sous la forme d’abonnement aux bibliothèques intéressées. Cette dernière forme permet de centraliser l’achat et la gestion tout en la délocalisant des bibliothèques, leur enlevant ces activités chronophages. Pour chaque bibliothèque, la librairie partenaire et le distributeur changent. Pour exemple, la bibliothèque de Montpellier a choisi le portail de distribution Ermès, de la société Archimed en partenariat avec la librairie montpelliéraine Sauramps alors que la bibliothèque de Grenoble a choisi la solution BiBook de Marque-Feedbooks en partenariat avec la librairie grenobloise Le Square (Soual 2015).
La gestion des verrous numérique (DRM)
Les DRM ou Digital Rights Management sont un ensemble de mesures techniques mises en place afin de contrôler l’utilisation qui est faite des oeuvres numériques. Ces protections sont appliquées à toutes les formes de supports ou de transmission et ils peuvent avoir différents effets. Le plus connus est le zonage des DVD afin que ceux-ci ne soient visionnables que dans une zone géographique choisie. Les DVD de zone 1 ne sont ainsi lisibles qu’aux Etats-Unis alors que la zone 2 correspond à l’Europe. Cette mesure particulière a pour objectif d’éviter les imports de DVD de l’étranger, les appareils d’une zone géographique donnée étant programmés pour lire les disques de cette zone uniquement (Gestion des droits numériques 2017). Pour les livres numériques, la protection est sensiblement différente. Elle peut bloquer la transmission de l’oeuvre, la lier à un support particulier voire programmer la destruction de l’oeuvre après une certaine période de temps : cela s’appelle la chrono-dégradabilité.
A l’heure actuelle, cette protection est assurée par la société Adobe. Si l’intention première de la pose de ces protections est louable – protéger les droits de l’auteur – ces DRM sont surtout la source de nombreux embarras pour les utilisateurs et pour les fournisseurs de solution de lecture. Le Service après-vente de The Ebook Alternative a utilisé un panel de testeurs afin de mettre à l’épreuve l’anti-fonctionnalité de ces verrous numériques et aucun d’entre eux n’est parvenu sans aide à ouvrir un fichier protégé par un DRM Adobe (Solym 2015). A cela s’ajoute le coût des DRM, qui comptent beaucoup dans le prix des ebooks et la durée de ces protections car si elles sont déjà difficiles à gérer aujourd’hui, elles vieillissent mal : pour qu’un fichier reste lisible, il est obligatoire de le transformer régulièrement dans un format plus récent.
Or les DRM empêchent cela (Les DRM et les ebooks : c’est quoi le problème ? 2015). Figure 2: Logo des lecteurs contre les DRM (Les DRM et les ebooks : c’est quoi le problème ?) Si ces protections peuvent être éliminées aisément (et illégalement), pour peu d’avoir quelques talents informatiques, ce n’est pas la solution. Un nouveau projet a d’ailleurs vu le jour il y a quelques années : LCP ou Lightweight Content Protection, un projet de Readium. Le but serait de simplifier la prise en main et de diminuer les étapes nécessaires pour permettre la lecture sur une tablette, de plus cette solution serait moins coûteuse qu’Adobe. Le projet n’en est pour l’instant qu’à sa phase d’essai (Solym 2015).
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Objectifs
1.2 Méthodologie
2. Axe 1
2.1 Le numérique, une définition
2.2 Le numérique traditionnel en bibliothèque
2.2.1 PNB : le Prêt Numérique en Bibliothèque
2.2.1.1 La gestion des verrous numérique (DRM)
2.2.1.2 Le réseau CAREL
2.2.1.3 Les offres de PNB
2.2.2 En suisse
2.3 Le numérique alternatif, une définition
2.3.1 OEuvres du domaine public
2.3.1.1 Les oeuvres dont la protection a expiré.
2.3.1.2 Les biens communs informationnels essentiels qui ne sont pas couverts par le droit d’auteur
2.3.2 Les produits issus des licences Creative Commons
2.3.3 Autoédition, auto publication et fanfiction
2.3.3.1 Autoédition
2.3.3.2 Auto-publication
2.3.3.3 Fanfiction
2.3.3.4 Droit
2.3.4 Les vidéos hébergées en ligne
2.3.4.1 Les vidéos de podcasteurs
2.3.4.2 Les vidéos de vulgarisation scientifique
2.3.4.3 Les vidéos de tutoriels
2.3.4.4 Les web-séries
2.3.4.5 Un cas éthique, la rediffusion en replay
2.3.4.6 Questions de droit
3. Axe II – Constats et catalogue des pratiques
3.1 Bibliothèque, internet et innovation
3.1.1 Fidéliser son public : un défi
3.1.2 Autonomiser et fidéliser, une approche technologique et marketing
3.1.3 La bibliothèque : un rôle social
3.1.3.1 Qu’est-ce que la fracture numérique
3.1.3.2 Une solution à la fracture : les bibliothèques
3.1.3.3 La médiation numérique
3.1.3.4 Médiation et numérique : rendre visible l’invisible
3.2 Voyage autour du monde : expériences autour du numérique
3.2.1 États-Unis
3.2.1.1 The Boston Public Library
3.2.1.2 The Public Library of Cincinnati and Hamilton County
3.2.1.3 La Bibliothèque publique de Los Angeles
3.2.2 Canada
3.2.2.1 La Bibliothèque publique d’Ottawa
3.2.2.2 The Saskatoon Public Library
3.2.2.3 The Winnipeg Public Library
3.2.3 France
3.2.3.1 La bibliothèque de Cleunay, Rennes
3.2.3.2 La Médiathèque Aragon, Choisy-le-Roi
3.2.3.3 La médiathèque Intercommunale Ouest Provence
3.3 Catalogue de bonnes pratiques
3.3.1 Innover en bibliothèque
3.3.2 Développer des nouveaux services : pousser un concept jusqu’au bout
3.3.3 Faciliter l’accès à l’information
3.3.4 Penser à l’usager
3.3.5 Former l’usager : indépendance ou Co-dépendance
3.3.6 Collaborer avec l’usager
3.3.7 Optimiser son catalogue
3.3.8 En bref
4. Axe III – Les Bibliothèque Municipales de Genève
4.1 Les BM : présentation
4.2 Le numérique dans les Bibliothèques Municipales de Genève
4.2.1 E-books : l’offre e-bibliomedia
4.2.2 La presse à portée de main : Pressreader
4.2.3 Formation à distance : Toutapprendre, Vodeclic et Orthodidacte
4.2.4 Autres offres numériques en site
4.3 Les productions personnelles des Bibliothèques Municipales
4.3.1 Le site internet des BM
4.3.2 Le blog des BM
4.3.3 Le service InterroGE
4.3.4 La chaîne Youtube des BM
4.3.5 Les ateliers numériques de l’été : de parc en parc
4.3.6 Les réseaux sociaux des BM
4.3.6.1 Facebook
4.3.6.2 Flickr et Instagram
4.3.6.3 Soundcloud
4.4 Quelques projets innovants au sein des BM
4.4.1 Le quatrième étage de la Cité, un laboratoire d’expérimentation
4.4.1.1 Qu’en lira-t-on ? la lecture sous toutes ses formes
4.4.1.2 Un laboratoire numérique
4.4.2 Liste de lecture sur iPad, bibliothèque de la Cité
4.4.3 Présentation mensuelle d’application, bibliothèque de la Jonction
4.4.4 Des posters de livres à lire libres, bibliothèque de la Servette
4.4.5 Des fiches de livres audio libres, bibliothèque de la Servette
4.5 Repenser le numérique aux BM : quelques pistes d’amélioration
4.5.1 Du côté des bibliothécaires
4.5.2 Lier le numérique au physique
4.5.3 Le catalogue, un outil indispensable
4.5.4 Gestion des projets : rassembler les équipes
4.5.5 Une analyse en quelques mots
5. Conclusion
Bibliographie
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