Le Nouvelliste de la Sarthe : du discours victimaire au discours offensif

Une opposition directe avec Le Nouvelliste de la Sarthe et le reste de la presse conservatrice et clรฉricale locale

Comme tout bon journal politique et organe propagandiste qui se respecte, il est nรฉcessaire d’attaquer dรจs que possible ses opposants. En ce qui concerne Le Petit Manceau, ses principaux opposants sont les journaux locaux composant la presse clรฉricale et conservatrice. Toujours intรฉressรฉ et au courant des publications de cette derniรจre, mรชme au niveau national, il est un organe local qui monopolise tout de mรชme les attaques : Le Nouvelliste de la Sarthe. Journal nommรฉ et publiรฉ ainsi dรจs l’annรฉe 1888, il s’inscrit cependant dans la lignรฉe journalistique bien plus ancienne du Journal politique et littรฉraire du dรฉpartement de la Sarthe crรฉรฉ en 1812. Le Nouvelliste de la Sarthe reste profondรฉment ancrรฉ dans les rรฉseaux ultra-conservateurs et aristocratiques de la Sarthe, il est notamment subventionnรฉ par le duc de Doudeauville membre de la trรจs ancienne famille nobiliaire franรงaise des De la Rochefoucauld. Ce dernier est notamment connu pour avoir รฉtรฉ dรฉputรฉ sarthois de 1871 ร  1898. Au dรฉpart monarchiste assumรฉ, il glisse ร  la fin des annรฉes 1880 vers le boulangisme dont il devient un vรฉritable adepte et dรฉfenseur. Trรจs actif ร  la Chambre durant ses dรฉputations, il est toujours aux cรดtรฉs ou mรชme suivi par des droites plus ou moins conservatrices. Luttant perpรฉtuellement contre tous les gouvernements ou les projets de loi provenant de la Gauche rรฉpublicaine, le duc de Doudeauville reste un grand conservateur107. Le Petit Manceau, journal rรฉpublicain radical et Le Nouvelliste de la Sarthe, journal conservateur et clรฉrical, รฉtaient donc faits pour s’opposer.

Une affaire abordรฉe prรฉcรฉdemment a particuliรจrement opposรฉ nos deux journaux : la fermeture de l’รฉglise de Courceboeufs. Les confrontations directes commencent dรจs la fin du mois de fรฉvrier 1906 ร  l’occasion d’un article publiรฉ par Le Nouvelliste se rรฉjouissant de la rรฉsistance rรฉalisรฉe par les habitants contre le receveur des finances chargรฉ de rรฉaliser l’inventaire de l’รฉglise.

Pour rรฉsumer les faits, le receveur des finances, aprรจs avoir รฉtรฉ accueilli froidement mais cordialement par le curรฉ, se dirige vers l’รฉglise et entre dans cette derniรจre oรน il retrouve plusieurs dizaines d’habitants chantant des cantiques. Se trouvant dans l’impossibilitรฉ d’avoir le silence et d’ordonner la sortie des fidรจles, le receveur se retire ร  la mairie suivi de chanteurs puis ajourne l’inventaire. Le Nouvelliste, dans son article se rรฉjouit de cette rรฉaction catholique. Le 1er mars, Le Petit Manceau publie alors un petit article qui relรจve une contradiction de la part de ces catholiques : ยซ Quand des catholiques passent outre des recommandations de leur pasteur et refusent de l’รฉcouter, Le Nouvelliste est content. Nous aussi ยป.

Le Petit Manceau ne se contente pas d’attaquer Le Nouvelliste. Les organes clรฉricaux et leurs bpublications sont bien connus du journal rรฉpublicain et vice versa. Une seconde affaire que nous avons abordรฉe plus haut sur la question de la fermeture de l’รฉglise de Courceboeufs provoque une nouvelle prise d’armes entre journalistes. Dรจs le 17 mars, le journal ne manque pas de tacler รฉgalement celui intitulรฉ La Croix du Maine. Cette affaire s’inscrit dans celle dรฉcrite prรฉcรฉdemment concernant le soi disant chantage financier menรฉ par l’รฉvรชque sur la population sarthoise.

Courceboeufs voit son รฉglise fermรฉe par dรฉcision de l’รฉvรชque puis de nouveau ouverte aprรจs perception suffisante. Le journal rรฉpublicain, ne voyant aucun relais de ces รฉvรฉnements par la presse clรฉricale, s’empresse d’accabler le curรฉ local qu’il accuse de mener un train de vie bien trop aisรฉ pour une commune dรฉmunie109. Cette accusation, rรฉalisรฉe initialement par une lettre รฉcrite par un cultivateur de la commune alors relayรฉe par le journal rรฉpublicain, donne lieu ร  un รฉchange de lettres trรจs actif entre journaux clรฉricaux et journaux conservateurs. Le 24 mars, la rรฉponse du curรฉ est publiรฉe dans les colonnes du journal rรฉpublicain. Ce dernier manifeste dรจs lors son mรฉcontentement quant ร  la premiรจre publication de cette lettre dans les journaux conservateurs sarthois (la Sarthe, le Nouvelliste, l’Express): ยซ Il ne devrait pas ignorer que la bonne foi et les convenances lui commandaient d’attendre l’insertion de sa lettre dans nos colonnes pour la livrer aux feuilles de droite ยป. On sent immรฉdiatement que la tension est vive. L’auteur de l’article lance mรชme aux lecteurs que ยซ Ce procรฉdรฉ douteux nous permet de jeter au panier la missive du curรฉ Poisson ยป. Le curรฉ toujours attaquรฉ sur son train de vie et sa fortune fait l’objet d’un calcul rapide additionnant les traitements qu’il va encore recevoir pendant quelques annรฉes et les revenus que le denier du culte va lui fournir.

Cela aboutissant ร  une somme d’argent largement acceptable pour un simple desservant. Le journal rรฉpublicain en profite une fois de plus pour dรฉnoncer et qualifier son discours de victimaire et non avenu. Pour donner un pied de nez aux journaux concurrents l’article se conclue mรชme par un Post Scriptum cynique : ยซ Nous pensons qu’il ne sera pas besoin de faire appel ร  la bonne foi de nos confrรจres la Sarthe, le Nouvelliste et l’Express, et qu’ils s’empresseront de publier la rรฉponse ci-dessus ร  la mรชme place et en mรชmes caractรจres que ceux rรฉservรฉs par eux ร  la lettre de M. Poisson ยป.

Le 8 mai 1906, Le Nouvelliste est qualifiรฉ de ยซ journal royaliste ยป. Au sein d’un grand article de deux colonnes intitulรฉ ยซ A travers la presse rรฉactionnaire ยป111, Le Petit Manceau s’en donne ร  coeur joie pour descendre ses principaux concurrents conservateurs. Le discours concerne une analyse du Nouvelliste concernant les รฉlections lรฉgislatives qui ont vu faire passer au second tour le candidat radical Bouttiรฉ devant le candidat conservateur Fouchรฉ dรฉjร  instituรฉ. Un extrait de cette analyse est publiรฉe, on peut y lire que pour Le Nouvelliste, les รฉlecteurs vont rapidement revenir sur leur pas et retirer ce vote radical qu’ils ont rรฉalisรฉ ยซ par camaraderie ยป112 ; ยซ Ils reviendront ร  rรฉsipiscence et feront passer l’intรฉrรชt gรฉnรฉral avant leurs sentiments ยป. La rรฉponse du Petit Manceau, prise sur un ton trรจs familier envers le journal conservateur, tรฉmoigne de la vรฉritable violence qui existe entre les deux organes. On peut mรชme lire : ยซ Nouvelliste, mon cher, la fรขcheuse mรฉningite vous guette, car il vous a fallu vous torturer la cervelle pour en trouver une de ce calibre lร  ! ยป. Les propos du journal vont mรชme jusqu’ร  prendre un ton menaรงant : ยซ Vous pouvez continuer sur ce ton. Chacune de vos insultes vous sera comptรฉe… en bulletin de vote ยป.

L’Express fait aussi l’objet d’attaques par le journal rรฉpublicain. Il est รฉgalement taxรฉ de ยซ journal royaliste ยป. Publiant l’รฉdition traitant de l’รฉlection seulement ร  5h du soir, les propos d journal sont extrรชmement virulents vis ร  vis du candidat radical : ยซ vieillard intriguant, dont l’incapacitรฉ soulevait le rire dans les tournรฉes รฉlectorales ยป. Le journal manifeste alors son intransigeance face ร  ces propos : ยซ De telles injures [โ€ฆ] ne peuvent que soulever la rรฉpulsion et le dรฉgoรปt ยป. Cet article รฉtant signรฉ au nom du Petit Manceau, on peut conclure que les rรฉactions et les prises de positions virulentes vis ร  vis de ces deux organes conservateurs tรฉmoignent d’un รฉtat d’esprit partagรฉ dans toute la rรฉdaction.

Les attaques sont รฉgalement ร  voir dans l’autre sens. Le Nouvelliste et sa rรฉdaction ne manquent pas de rรฉpartie quand la nรฉcessitรฉ de dรฉfendre son honneur s’impose. On le voit dans un article publiรฉ le 15 fรฉvrier 1906 intitulรฉ ยซ Arguments captieux ยป. Dans cet article le journal rรฉagit aux accusations du Petit Manceau qui les accuse d’รชtre contradictoires avec leurs propres propos et valeurs au sujet des inventaires. Il les accuse notamment de ne pas respecter la loi en encourageant les catholiques ร  empรชcher les fonctionnaires de lโ€™ร‰tat de les rรฉaliser. Le Nouvelliste se fait alors un malin plaisir ร  dรฉmontrer les propres contradictions des rรฉpublicains face ร  leur conception de l’obรฉissance ร  la loi : ยซ Ce qu’ils oublient surtout, c’est qu’un rรฉpublicain n’a pas le droit de prรฉconiser la lรฉgalitรฉ ; car ils l’ont toujours violรฉe, et, s’ils ne l’avaient pas fait, la Rรฉpublique n’existerait pas ยป. L’auteur en vient mรชme ร  citer Ledru-Rollin en 1848 : ยซ ย ยปA la force brutale des majoritรฉs, j’oppose la force des armes ; j’en appelle aux armes !ย ยป Ainsi ont toujours parlรฉ les rรฉpublicains. ยป. Cette attaque est dรฉveloppรฉe sur une entiรจre colonne de la premiรจre page du journal : ยซ Un rรฉpublicain qui prรชche le respect de la loi cesse, par le fait mรชme, d’รชtre rรฉpublicain ยป.

Le Nouvelliste de la Sarthe : du discours victimaire au discours offensif

Comme nous l’avons expliquรฉ prรฉcรฉdemment, Le Nouvelliste de la Sarthe est l’organe mรฉdiatique des mouvements conservateurs, conservateurs ร  tendances royalistes du dรฉpartement de la Sarthe. Nous allons nous intรฉresser ร  la rรฉaction de la rรฉdaction de ce journal vis ร  vis du dรฉbat, du vote et de l’application de la loi de sรฉparation des ร‰glises et de lโ€™ร‰tat. Opposition ? Dรฉfaitisme ? Rรฉaction ? Lutte active ou bien passive ? Toutes ces questions sont posรฉes par le journal ร  des intervalles chronologiques diffรฉrentes que nous allons tenter d’analyser. Deux grands discours ressortent du journal, le premier est particuliรจrement dรฉfaitiste et victimaire.

Un premier discours pessimiste et victimaire ou de la persรฉcution francmaรงonnique

Les propos rรฉcurrents des journalistes du Nouvelliste sont bien souvent centrรฉs sur une accusation directe de la Franc-maรงonnerie dans la persรฉcution de lโ€™ร‰glise. L’objectif ici n’est pas de dรฉvelopper le propos sur l’organisation qu’est la Franc-maรงonnerie et sur ses diverses implications dans le pouvoir rรฉpublicain. Nous allons ici rendre compte de la vision que peuvent avoir ces dรฉfenseurs de la religion d’une sociรฉtรฉ secrรจte vue comme la plus grande persรฉcutrice religieuse du pays. Les attaques ne se font pas attendre, dรจs le 2 fรฉvrier 1905, dans un article intitulรฉ explicitement ยซ La Franc-maรงonnerie et la Sรฉparation ยป114, l’auteur relate les propos d’ ยซ une des notabilitรฉs les plus considรฉrables de la Franc-maรงonnerie ยป sur l’adoption nรฉcessaire et inรฉluctable de la loi de sรฉparation. Cet article est particuliรจrement intรฉressant car il rend compte de l’รฉtat d’esprit de la population catholique dรฉfendant le Concordat au dรฉbut de l’annรฉe 1905 mais aussi de celui des francs-maรงons et certainement de nombreux autres rรฉpublicains. En effet on peut lire, par les propos relayรฉs, que la loi doit รชtre dรฉbattue et votรฉe aprรจs les รฉlections lรฉgislatives de 1906. Les rรฉpublicains radicaux ne voulant pas mettre en jeu la majoritรฉ lรฉgislative avec la loi de sรฉparation, il est vivement conseillรฉ de reporter son vote.

Le journal s’empresse de dรฉnoncer, tout d’abord l’implication d’une sociรฉtรฉ ouvertement anti-religieuse dans les sphรจres du pouvoir, mais aussi la manipulation et la tromperie des รฉlecteurs. Cette prise de position est mรชme vue comme un aveu de faiblesse de leur part : ยซ Les Franc-maรงons [โ€ฆ] ne sont pas assez sots pour s’imaginer que la Sรฉparation [โ€ฆ] se puisse accomplir en France sans รฉmouvoir profondรฉment la nation. ยป. Dans un article du 11 fรฉvrier 1905, intitulรฉ ยซ 375 voix pour la Sรฉparation ยป abordant le vote du passage ร  l’ordre du jour de la discussion du projet de Sรฉparation ร  la Chambre par 375 voix contre 103115, les accusations de persรฉcutions franc-maรงonniques vont bon train. On peut notamment y lire : ยซ La Sรฉparation [โ€ฆ] sera votรฉe, si la Franc-Maรงonnerie l’exige ยป, ยซ Peu ร  peu tout se rรฉalise ; oui, tous les caprices des sectes clandestines prennent corps et s’insinuent dans la Constitution ou dans le Code ยป. L’article est mรชme conclu sur ces mots : ยซ Combes ou Rouvier, Loubet ou Brisson, peu importe aux Loges, quel que soit l’homme, il n’est que leur esclave : il signera toujours… ยป.

Au fil des dรฉbats de la Chambre sur la loi de sรฉparation, les accusations en direction de la Franc maรงonnerie continuent : ยซ Ce qu’il importe donc actuellement ร  la Franc-maรงonnerie, ce n’est plus tant d’obtenir le vote de la Sรฉparation qui lui paraรฎt acquis, que d’introduire dans la loi nouvelle la location des รฉglises et de faire accepter du clergรฉ une indemnitรฉ dรฉrisoire et temporaire. ยป116 Le 10 avril 1905, la responsabilitรฉ des รฉlus de la Chambre est mise en cause. Accusรฉs de voter pour le projet de loi de Briand par dรฉfaut et par soumission aux hautes autoritรฉs radicales et rรฉpublicaines, l’exemple est pris du dรฉputรฉ de l’Aveyron Lacombe qui manifeste de son adhรฉsion relative au projet dans un autre journal citรฉ : ยซ Je reprรฉsente une circonscription catholique [โ€ฆ] et on sera furieux contre moi ; mais il faut bien que j’adhรจre au projet Briand ยป.

On reproche mรชme ร  Joseph Caillaux, fils d’Eugรจne Caillaux dรฉfunt homme politique conservateur, et dรฉputรฉ dit ยซ progressiste ยป de Mamers depuis 1898118, de voter de ยซ peur de ne point paraรฎtre assez avancรฉ ยป. Ces accusations d’รฉlus, ร  caractรจre plus local, se muent rapidement pour se rediriger vers la Franc-maรงonnerie sur un ton dรฉfaitiste manifeste : ยซ Ainsi donc, entre le pouvoir civil et le pouvoir spirituel, le divorce va s’accomplir, sans que personne l’ait souhaitรฉ, sauf dans les Loges oรน depuis longtemps on guettait cette รฉchรฉance ยป. Les attaques et la haine de la rรฉdaction ร  destination de la Franc-maรงonnerie sont telles qu’ils en viennent mรชme ร  prendre la dรฉfense, teintรฉe de cynisme, de Briand. On peut lire dans un article du 25 avril 1905 concernant le caractรจre libรฉral du projet adoptรฉ : ยซ M. Briand n’est pas un Pรจre de lโ€™ร‰glise, [โ€ฆ] mais il a paraรฎt-il, une qualitรฉ : il n’appartient pas ร  la Franc-Maรงonnerie. ยป.

Les attaques redoublent alors : ยซ Les Loges obnubiles l’intelligence ; le Franc-maรงon ne connaรฎt que sa haine, il veut frapper sans cesse et frapper fort. Pour lui, ce qui n’est pas violent ne compte point, il ignore les demi-mesures le doigtรฉ, les nuances, il assรจne des coups comme un Apache, et n’est content que s’il vous laisse รฉtendu, ร  demi-mort, sur le champ de bataille ยป. Au moment du vote de la loi ร  la Chambre en juillet 1905, le dรฉferlement d’attaque redouble de force. Le propos se centre toujours sur une attaque perpรฉtuelle de cette sociรฉtรฉ vis ร  vis de l’รฉglise, le lecteur est mis en garde : ยซ Ils seront toujours lร  les hommes du Bloc et des Loges ยป. Au moment de l’adoption par le Sรฉnat de la loi de sรฉparation, La franc-maรงonnerie est รฉvidemment nouvellement ciblรฉe : ยซ Jamais encore l’obรฉissance maรงonnique n’avait รฉtรฉ plus cyniquement pratiquรฉe ยป. La plupart des autres attaques ร  l’รฉgard de la sociรฉtรฉ secrรจte ressemblent tant sur la forme que sur le fond ร  celles que nous venons de dรฉcrire. La moralitรฉ ร  retenir des propos du Nouvelliste est que la Franc-maรงonnerie est l’instigatrice transgรฉnรฉrationnelle de la sรฉparation des ร‰glises et de lโ€™ร‰tat, elle est le cancer de la nation et de la foi religieuse.

Un deuxiรจme discours offensif : les techniques d’oppositions

Le premier discours du journal, qui tend ร  contrer le vote mรชme de la loi de sรฉparation des ร‰glises et de lโ€™ร‰tat, tient ร  rester dans le cadre de la loi. La pรฉtition semble รชtre la meilleure technique de rรฉvolte respectant la paix civile. Dรจs le 9 mars 1905 un article est publiรฉ dans Le Nouvelliste attestant de la mise en circulation, par l’initiative du Comitรฉ catholique du Mans, d’une pรฉtition ร  signer contre le principe mรชme de la suppression du Concordat125. Quatre grandes revendications composent cette pรฉtition : Maintien du Concordat ยซ solennellement conclu entre le Saint-Siรจge et la nation franรงaise ยป ; ยซ Les conditions d’existence du culte catholique ne peuvent pas, sans pรฉril pour la libertรฉ et la paix religieuse, รชtre rรฉglรฉes en dehors de toute entente avec le chef suprรชme ยป ; Rรฉfรฉrence aux vols commis par la Rรฉpublique ร  lโ€™ร‰glise durant la Rรฉvolution l’endettant perpรฉtuellement envers l’institution romaine – et enfin le droit pour les catholiques de pouvoir s’organiser et s’exprimer librement sur la scรจne publique. L’enthousiasme de la rรฉdaction du Nouvelliste autour de cette dynamique pรฉtitionnaire est trรจs important. Au dรฉbut de l’annรฉe 1905 la loi n’en est qu’au stade de la discussion ร  la Chambre et au vote de quelques articles. L’espoir de voir le peuple catholique peser sur les dรฉcisions prises par les parlementaires est encore prรฉsent.

Dans un article du 20 avril intitulรฉ ยซ Le Pรฉtitionnement ยป126 on peut clairement visualiser l’รฉtat d’esprit des dรฉfenseurs du Concordat : ยซ De nombreux dรฉputรฉs ont votรฉ le passage ร  la discussion des articles, avec la rรฉsolution de voter finalement contre l’ensemble du projet ร  moins qu’il ne fรปt profondรฉment amendรฉ. [โ€ฆ] Il est donc encore temps pour leurs รฉlecteurs, de dire trรจs haut ce qu’ils demandent ยป. La pรฉtition est รฉgalement vue comme un moyen de propagande afin de ramener la population vers la dรฉfense de lโ€™ร‰glise : ยซ Recueillir des signatures, c’est en mรชme temps accomplir lโ€™oeuvre critique et nรฉcessaire d’รฉclairer ceux qui ne le seraient pas encore ยป. Le mouvement pรฉtitionnaire du voisin mayennais est notamment abordรฉ. Le 12 avril prรฉcรฉdent, l’Association des catholiques du dรฉpartement de la Mayenne, organisatrice de la tournรฉe pรฉtitionnaire dans ce dรฉpartement, annonce un rรฉsultat de plus de 125 000 signatures127. Aprรจs avoir fiรจrement annoncรฉ ce rรฉsultat, l’auteur donne รฉgalement les rรฉsultats d’autres dรฉpartements. On peut vรฉritablement ressentir le nouveau souffle que cette pรฉtition crรฉe chez les catholiques. Cette mobilisation pourrait รชtre un moyen pour rรฉveiller les consciences, permettre une mobilisation de masse et ainsi faire plier les dรฉfenseurs de la Sรฉparation.

Les rรฉsultats de la pรฉtition en Sarthe sont presque publiรฉs tous les jours d’avril ร  juin 1905

Le tableau ci-dessous rรฉcapitule toutes les signatures recueillies dans les communes de nos deux cantons analysรฉs. A comparer les deux cantons, il est flagrant que celui de Conlie rapporte beaucoup plus de signatures que celui de Pontvallain. Ce dernier tient un bilan nul ร  part pour les communes de Pontvallain et de la Fontaine-Saint-Martin qui restent relativement peu rentables pour la pรฉtition. Ici transparaรฎt clairement la diffรฉrence de la pratique du culte que nous avons dรฉveloppรฉ plus tรดt dans l’introduction. La population du canton de Conlie semble bien plus attachรฉe ร  la vie religieuse de son canton que la population du canton de Pontvallain. Pour cette derniรจre il semble que la prรฉsence ou non de religieux ne soit pas un bouleversement capital dans la vie de la communautรฉ. On peut noter que les mentions aux communes du canton de Pontvallain sont trรจs tardives, on peut penser que la pรฉtition a d’abord et d’avantage tournรฉ dans l’Ouest du dรฉpartement avant de gagner les rรฉgions les moins gagnรฉes par la religion.

Cela s’expliquerait tout d’abord par l’aspect de rentabilitรฉ propre ร  la pรฉtition mais aussi au fait que le mouvement pรฉtitionnaire est encore plus prรฉcoce et plus important dans le dรฉpartement de la Mayenne.

Le discours d’opposition va rapidement se structurer autour de plusieurs grandes figures du monde ecclรฉsiastique franรงais. Les premiers ยซ hรฉros ยป catholiques sont les cinq cardinaux qui envoient une lettre au prรฉsident de la Rรฉpublique pour manifester leur opposition ร  la loi de sรฉparation. Cette lettre est rapidement relayรฉe par la presse conservatrice, elle est prรฉsente sur la premiรจre page du Nouvelliste le 29 mars128. Une prรฉface de l’auteur confirme sa vive adhรฉsion aux propos des cardinaux. On retrouve, dans les revendications formulรฉes, une similitude avec les revendications de la pรฉtition : Libertรฉ d’organisation du culte, propriรฉtรฉ pleine des biens de lโ€™ร‰glise, maintien du Concordat vu comme seul contrat lรฉgitime entre lโ€™ร‰glise et lโ€™ร‰tat franรงais et enfin le discours concernant la dette de lโ€™ร‰tat franรงais ร  lโ€™ร‰glise ร  cause des ยซ mรฉfaits ยป commis durant la Rรฉvolution. L’รฉvรชque du Mans Marie Prosper de Bonfils s’investit personnellement aux cรดtรฉs des cardinaux en publiant dans les journaux conservateurs son adhรฉsion ร  leur lettre dรจs le 1er avril.

Par soumission naturelle au supรฉrieur ecclรฉsiastique, il devient le leader de l’opposition catholique sarthoise ร  la loi de sรฉparation. Le discours du journal va rapidement se muer en appel ร  la rรฉaction physique et mรชme ร  la haine de la Rรฉpublique. Le 12 juillet 1905, le journal relaie les propos de la Semaine religieuse de Nancy et de La Croix de Meurthe-et-Moselle. Dans le premier on peut lire :

ยซ La Rรฉpublique, que tant de catholiques pouvaient admettre en principe, jusqu’au jour oรน elle a attaquรฉ les religieux, se rend dรฉfinitivement odieuse et s’empoisonne par ses propres produits. ยป.

Dans le second on peut clairement lire un appel ร  une rรฉvolution anti-rรฉpublicaine : ยซ La Rรฉpublique se sรฉpare officiellement de lโ€™ร‰glise apostolique et romaine. Nous catholiques, nous nous sรฉparons de la Rรฉpublique franรงaise. [โ€ฆ] La Rรฉpublique veut la guerre. Elle l’aura. [โ€ฆ] En avant donc ! La Rรฉpublique est notre ennemie. A bas la Rรฉpublique ! ยป. Dรจs le 15 juillet 1905 le premier article du journal est intitulรฉ ยซ Soyons des opposants ยป131, le rรฉdacteur en chef du journal, auteur de l’article, appelle clairement les catholiques ร  s’opposer au vote et a fortiori ร  l’application de la loi : ยซ Nous sommes l’opposition, il faut agir en opposants, et ne point renoncer ร  la lutte pour obtenir des avantages sous lesquels l’ennemi a dissimulรฉ des piรจges… ยป. Comme on peut le voir, on se trouve encore face ร  un double discours : on peut autant lire cela comme un appel ร  la mobilisation citoyenne ou comme un appel ร  la rรฉaction violente.

Le discours reste manifestement et peut รชtre mรชme volontairement flou et ambigu. Le 26 aoรปt, le journal, relatant les propos d’un journal intitulรฉ La Correspondance hebdomadaire, appelle presque explicitement, les fidรจles ร  se grouper autour du curรฉ pour livrer bataille : ยซ Il est urgent de s’associer, de se grouper autour du prรชtre qui est le meilleur ami et le plus fidรจle dรฉfenseur du peuple contre les charlatans qui le dupent et qui l’exploitent. A lโ€™oeuvre donc et que partout l’association paroissiale rรฉunisse sous sa banniรจre ceux qui sont et qui veulent demeurer catholique ยป132. On note ici la virulente agressivitรฉ tรฉmoignรฉe ร  l’รฉgard de lโ€™ร‰tat franรงais. On utilise un discours qui fait appel ร  une identitรฉ catholique supรฉrieure aux identitรฉs nationales. Le lecteur catholique est mis au pied du mur, s’il ne se mobilise pas il ne pourra plus demeurer catholique. Il en va de l’existence mรชme du catholicisme et de la religion. Ce type de discours a un seul objectif : galvaniser les troupes contre l’oppresseur rรฉpublicain et francmaรงonnique.

On peut aisรฉment penser que la volontรฉ du journal de relayer ces propos en premiรจre page n’est pas anodin et tรฉmoigne du vรฉritable objectif de constituer un rapport de force massif face aux autoritรฉs rรฉpublicaines. Le problรจme reste toujours le mรชme, on ne peut s’assurer que cette lecture du discours est la bonne et qu’il ne s’agit pas juste d’un appel ร  la foi et ร  la priรจre autour du prรชtre.

L’apparent appel ร  une rรฉsistance active n’est pas si simple. En effet, le 9 dรฉcembre, ร  la veille du vote de la loi de sรฉparation, les propos du comte Albert de Mun, dรฉputรฉ du Finistรจre, membre de l’Acadรฉmie franรงaise et d’esprit modรฉrรฉ, sont relayรฉs sur la premiรจre page. Il appelle les catholiques ร  adopter une rรฉsistance passive : ยซ Je pense encore que, devant cette rรฉsistance passive de tout un clergรฉ, de tout un peuple, les armes des persรฉcuteurs s’รฉmousseraient bientรดt entre leurs mains ยป. Ce discours va nรฉanmoins s’effriter au fil des mois notamment ร  cause des inventaires qui vont rรฉveiller de plus vives รฉmotions chez les catholiques dรฉfenseurs du Concordat. Les inventaires des รฉglises provoquent un vif รฉmoi chez les catholiques. Ces derniers considรจrent cette intrusion de lโ€™ร‰tat dans les lieux sacrรฉs comme un vรฉritable sacrilรจge ayant pour simple but la spoliation des biens de lโ€™ร‰glise et des fidรจles. Cet รฉmoi est renforcรฉ par la demande expresse de lโ€™ร‰tat, aux fonctionnaires chargรฉs de rรฉaliser les inventaires, de faire ouvrir les tabernacles pour pouvoir noter leur contenu. Le sacrilรจge de lโ€™ร‰tat est manifeste et indรฉfendable.

Les inventaires sont lancรฉs dรจs le 1er janvier 1906 mais ont vรฉritablement lieu, en Sarthe, du mois de fรฉvrier ร  mars. Ces รฉvรฉnements provoquent nombre d’incidents que la presse conservatrice et catholique se plaรฎt ร  relayer. Les premiers incidents faisant la une du journal sont ceux ayant eu lieu aux Sables-d’Olonne et ร  Tours. Le journal se targue d’une levรฉe de boucliers catholiques. En rรฉalitรฉ les soulรจvements restent rares et trรจs รฉpars sur le territoire franรงais.

Fiertรฉ de la presse clรฉricale

L’รฉvรฉnement qui va vรฉritablement dรฉfrayer la chronique est l’inventaire de l’รฉglise Sainte Clotilde qui a lieu le 1er fรฉvrier 1906 ร  Paris. Dรจs le lendemain une premiรจre page entiรจre est dรฉdiรฉe ร  l’รฉvรฉnement. L’inventaire s’est tellement envenimรฉ que le prรฉfet de police de Paris en est venu ร  ordonner un assaut des forces de police sur l’รฉglise. Une vaste bagarre se dรฉclenche provoquant l’effroi et le chaos autour de la scรจne. Le journal s’en donne ร  coeur joie et dรฉcrit longuement la scรจne martyrisant les catholiques et dรฉpeignant une population inoffensive et pieuse victime d’un ร‰tat persรฉcuteur et violent. Le lendemain un gros titre ยซ LA BATAILLE CONTINUE ยป occupe la premiรจre page. Les heurts provoquรฉs lors de l’inventaire de l’รฉglise de Saint Pierre du gros caillou ร  Paris sont รฉgalement lโ€™oeuvre d’une reprise par notre journal.

On se rend vรฉritablement compte ici que la rรฉsistance passive n’est pas la seule rรฉaction prรดnรฉe et respectรฉe par la rรฉdaction du Nouvelliste. Rapidement les fidรจles sont รฉrigรฉs en hรฉros christiques et en martyrs : ยซ Des femmes des vieillards, des enfants, un vieux prรชtre ร  barbe banche sont prรฉcipitรฉs du haut des marches et les derniers rangs d’agents les reรงoivent ร  coups de bottes et de poings ยป. La martyrisation gagne aussi les fonctionnaires de lโ€™ร‰tat alors vus comme des frรจres catholiques contraints par la force de rรฉaliser une ยซ triste besogne ยป. Les individus impliquรฉs dans l’organisation des inventaires qui vont dรฉmissionner de leur fonction, en raison d’un conflit avec leur propre foi, vont รชtre portรฉs en hรฉros comme ayant connu une rรฉvรฉlation et ayant rejoint le bon cรดtรฉ des justes.

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Table des matiรจres

I/ Un environnement mรฉdiatique et informatif offensif qui influence les comportements ร  suivre (1905-1906)
1/ Le Petit Manceau : Un discours assurรฉ et moqueur ร  l’encontre des clรฉricaux et de lโ€™ร‰glise
a) Un parti pris rรฉpublicain, un net caractรจre anticlรฉrical et radical
b) Une attaque perpรฉtuelle : Une ร‰glise victimaire, cupide et faussement pieuse
c) Des affaires utilisรฉes ร  des fins politiciennes ou une stigmatisation de l’รฉglise dรฉclinante
d) Une opposition directe avec Le Nouvelliste de la Sarthe et le reste de la presse conservatrice et clรฉricale locale
2/ Le Nouvelliste de la Sarthe : Du discours victimaire au discours offensif
a) Un premier discours pessimiste et dรฉfaitiste ou de la persรฉcution francmaรงonnique
b) Un deuxiรจme discours offensif : les techniques d’oppositions
c) Une attente continuelle des consignes du Souverain Pontife
d) Des propos accusateurs ร  l’encontre de la population catholique de France et du dรฉpartement
II/ Des รฉlites politiques et institutionnelles : L’application de la loi sur le terrain, divergences des รฉlus et mesures de l’opinion
1/ Des opinions municipales divergentes
a) La Sรฉparation accueillie dans les conseils municipaux
b) Un canton radical et un canton conservateur ? Une rรฉalitรฉ plus complexe
2/ La surveillance et la mesure รฉlectorale ou de l’inquiรฉtude des hautes autoritรฉs
rรฉpublicaines
a) Surveillance et dรฉlations : Des moyens pour installer la Rรฉpublique laรฏque
b) L’รฉlection lรฉgislative de 1906 : une indication de l’opinion sur la loi de Sรฉparation
c) Des affrontements entre รฉlus sur la question des presbytรจres : entraide locale ou prise de parti prรฉfectorale ? Des divergences cantonales et communales
III/ De l’รฉvรชque ร  la fabrique : le modรจle de la rรฉsistance passive ?
1/ Une autoritรฉ รฉpiscopale investie auprรจs des tenants du culte
a) Le maintien de l’autoritรฉ de l’รฉvรชque dans les communes par la location et la vente des presbytรจres
b) Le mรฉdiateur ecclรฉsiastique des communes : Le Vicaire Gรฉnรฉral Lefebvre
2/ Les modes d’oppositions ร  la loi
a) Les inventaires : une derniรจre mobilisation possible
b) 1906 Une annรฉe de sursis : lutte active ou passivitรฉ exemplaire ?
c) Les protestations de clรดture des Conseils de fabrique : la derniรจre tribune de l’opposition
3/ L’aprรจs loi : l’absence ou la reprise du culte ?
a) La concession de jouissance gratuite des รฉglises : une victoire pour lโ€™ร‰glise
b) Le maintien du culte dans l’attente d’un statut lรฉgal
c) La place des laรฏques dans l’organisation et l’entretien du culte : une mentalitรฉ religieuse en รฉvolution

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