Après la standardisation de la technique radiographique par Broadbent et Hofrath en 1931, l’importance de l’analyse des tissus mous du visage était minimisée et les rapports dentosquelettiques devenaient les facteurs décisifs du diagnostic et du plan de traitement(24). Les orthodontistes diagnostiquaient et élaboraient des plans de traitement en ayant à l’esprit les tissus durs squelettiques et dentaires. Ces structures sont les supports des tissus mous faciaux sus-jacents. Toutefois, une harmonie de ces supports ne signifie pas que le tissu mou recouvrant le visage sera esthétique. L’Orthodontie s’est alors déplacée vers un nouveau paradigme des tissus mous, dans lequel les tissus mous faciaux occupent une place primordiale dans la planification du traitement.
A cet effet, certains auteurs tels que Downs ont commencé à incorporer des mesures de profil des tissus mous du visage dans leurs analyses céphalométriques en introduisant des filtres qui ont permis la visualisation de ces tissus mous (34). L’objectif était d’obtenir des informations sur la relation entre le profil des tissus mous du visage et celui des structures dentosquelettiques sous-jacentes. Ils ont ainsi réalisé que d’éventuelles anomalies des tissus durs pourraient être masquées ou aggravées par les tissus mous. En d’autres termes, les tissus mous ne suivent pas toujours les structures dentosquelettiques sous-jacentes.
Dans la même lancée, Park et Burstone en 1986, avaient contesté l’idée que l’occlusion optimale et le respect strict des normes céphalométriques des tissus durs conduisent à l’obtention d’un visage harmonieux (78). Ils avaient étudié 30 patients adolescents en fin de traitement orthodontique qui avaient les incisives inférieures bien placées à 1,5 mm en avant par rapport au plan A-pogonion. Un échantillon normal de patients avec des profils plaisants avait été utilisé pour la comparaison. L’analyse post thérapeutique avait montré de grandes variations dans les profils entre les 2 groupes de patients, la plus grande variation concernant la protrusion des lèvres. Ils conclurent que l’utilisation d’une norme céphalométrique basée sur les tissus durs ne suffirait pas à produire un type de profil donné, et que l’esthétique du visage nécessite un examen des tissus mous lors de la planification du traitement (105).
L’examen des tissus mous par l’intermédiaire des analyses céphalométriques présente cependant certaines limites. Les irradiations issues d’enregistrements radiographiques ne sont pas négligeables si bien que les téléradiographies successives (avant, en cours et en fin de traitement) ne sont pas sans risques pour les patients. De plus, ces images ne donnent pas une bonne appréciation des caractéristiques des tissus mous. Lorsqu’elles incorporent des tissus mous, c’est souvent une simple tentative pour quantifier la protrusion des lèvres. L’orientation des fentes palpébrales ne peut être évaluée sur un cliché radiographique. Les plis cutanés tels que les cernes ne peuvent aussi pas être objectivés à partir de telles images.
Dans le paradigme des tissus mous, les orthodontistes cherchent maintenant d’autres outils et moyens pour mieux analyser les tissus mous du visage. C’est dans cette optique que la photographie a été utilisée. Les images photographiques ont l’avantage de pouvoir être répétées à l’infini sans aucun danger d’irradiation pour le patient. De plus, elles donnent une meilleure appréciation des paramètres tissus mous (fentes palpébrales, cernes,…). Dès lors, la photographie peut être considérée comme un outil de choix pour une évaluation des tissus mous du visage.
Historique
L’intérêt pour l’esthétique du visage n’est pas nouveau. Il y a 5000 ans, les Egyptiens ont enregistré leurs attitudes sur la beauté avec des sculptures de la reine Néfertiti. Plusieurs siècles plus tard, les Grecs ont démontré leurs idéaux de beauté avec leurs sculptures classiques de « Vénus de Milo » et d’« Apollon Belvedere ». Par la suite, le sculpteur et peintre italien, Michelangelo, a influencé l’orientation esthétique de la Renaissance avec ses sculptures de « Pieta’ » et de « David » (6).
L’Esthétique faciale illustrée dans la sculpture grecque classique a fortement influencé les débuts de l’orthodontie. A la fin du 19ème siècle, l’orthodontiste Norman Kingsley s’est intéressé aux malocclusions dentaires (13). Dans le concept de Kingsley, l’agencement des dents était secondaire à l’esthétique du visage (80).En revanche, au début du 20ème siècle, Edward Angle, père de l’orthodontie moderne qui a fortement influencé les concepts en dentisterie, mettait l’accent sur l’occlusion et soulignait qu’avec l’obtention d’une occlusion idéale, l’esthétique du visage suivrait. Même s’il a évoqué le buste d’ « Apollon Belvedere » comme étant le profil idéal, il a estimé que l’évaluation des tissus mous ne faisait pas partie du plan de traitement (95). Au 20ème siècle, l’orthodontie était ainsi fondée sur ce qui pouvait être appelé le paradigme d’Angle. Ce dernier déclarait, vers la fin du 20ème siècle que la nature prévoit pour tous les adultes des dents parfaitement alignées sur leurs arcades avec des rapports d’occlusion idéaux. Lorsque cette denture naturelle était obtenue, la face était en harmonie et en équilibre, et le système stomatognathique pouvait fonctionner normalement.
Le nouveau paradigme des tissus mous
Un point de vue scientifique accepté est appelé un paradigme (62). Le paradigme peut être considéré comme la base sur laquelle une structure scientifique ou un traitement rationnel est construit. Les progrès scientifiques procèdent de la sorte jusqu’à ce qu’une nouvelle façon de voir les choses arrive. Un nouveau paradigme est alors proposé et accepté. Du fait qu’un nouveau paradigme remplace un ancien, ce qui est vrai aujourd’hui peut devenir demain un mythe.
Dans la société actuelle, les premières impressions sont principalement fondées sur l’apparence du visage qui est jugée en grande partie sur les contours des tissus mous, et non sur les rapports des tissus durs dentaires ou squelettiques faciaux. En somme la relation entre la denture et les structures osseuses sous-jacentes n’est pas perçue par les individus. Ce qu’ils distinguent, en plus de l’alignement des incisives, c’est le rapport des dents avec : les lèvres, le nez et le menton ; ainsi que les rapports de ces tissus mous entre eux. En orthodontie, les cliniciens sont souvent tentés de se concentrer sur l’occlusion dentaire et les rapports squelettiques maxillo mandibulaires et de supposer que, si ceux-ci sont corrigés, les tissus mous cutanés de recouvrement seront également normaux. Cette supposition (qui découle du paradigme d’Angle) n’est pas toujours vraie, et dans de pareils cas, l’objectif du traitement qui consiste à harmoniser les structures squelettiques, dentaires et cutanées et à rétablir une occlusion esthétique et fonctionnelle stable ne pourrait être atteint. Des données actuelles existent pour montrer que l’adaptation des tissus mous est l’élément clé de la stabilité post thérapeutique ; et que les limites du traitement imposées par l’adaptation des tissus mous sont bien connues (62, 94).
Dans le paradigme d’Angle, par l’intermédiaire de l’utilisation de dispositifs mécaniques, les orthodontistes tentaient de permettre à un individu d’obtenir la forme naturelle idéale prévue. Sur le plan conceptuel, les cliniciens et la nature étaient donc des partenaires. Les concepts biologiques modernes ne sont pas compatibles avec ce point de vue : la variabilité inter individuelle est la règle ; et l’«idéale imaginaire » est une exception (85). De là, les orthodontistes ne pouvaient plus s’attendre à ce que la même relation idéale puisse exister pour tous, ou même pour la plupart des patients. L’orthodontiste et la nature deviennent des adversaires si le même objectif est déterminé pour tous les patients. La tâche de l’orthodontiste est de parvenir à des résultats occlusaux et faciaux les plus bénéfiques pour chaque patient dont les préoccupations esthétiques sont souvent primordiales (94). Cet objectif doit être accompli dans les limites de la capacité de l’individu à s’adapter physiologiquement aux changements morphologiques. Cela signifie que les considérations des tissus mous, y compris l’adaptation neuromusculaire et les limites de l’attache parodontale ainsi que les pressions et les contours du masque facial des tissus mous, sont les facteurs déterminants dans la planification du traitement.
Pour les traitements orthodontiques du 21ème siècle, les effets des tissus mous devraient se refléter dans ce qui peut être appelé le paradigme des tissus mous en orthodontie. Les relations des tissus mous, et non celles des tissus durs encore moins les relations dentaires deviennent les principaux facteurs influençant aussi bien les résultats esthétiques que la stabilité post thérapeutique. L’adaptation neuromusculaire des tissus mous détermine aussi si une fonction satisfaisante a été atteinte. Cela signifie qu’il est du rôle de l’orthodontiste dans le diagnostic et la planification du traitement de s’assurer des limites de l’adaptation des tissus mous chez chaque patient compte tenu des modifications dentaires, squelettiques et faciales des tissus mous que l’orthodontiste et le patient souhaitent créer.
Le nouveau paradigme ne diminue en aucun cas l’efficacité ou la valeur des traitements orthodontiques chez la plupart des patients. Il peut cependant contester la stabilité à long terme de certains types de traitements chez certains patients. Avec ce nouveau concept le traitement orthodontique continuera de fournir comme dans le paradigme d’Angle, des résultats esthétiques fonctionnels satisfaisants pour les patients. Le nouveau paradigme n’est pas une excuse pour une orthodontie moins rigoureuse, mais il aura une incidence sur l’objectif du traitement chez de nombreux patients ; et il encourage un autre moyen d’évaluation des résultats thérapeutiques. Un nouveau paradigme stimule la production de nouvelles connaissances et on peut s’attendre à un développement rapide de nouvelles informations.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE SUR LA PHOTOGRAMMETRIE DES TISSUS MOUS DU VISAGE
I/Historique
II/ Le nouveau paradigme des tissus mous
III/ Analyses photogrammétriques des tissus mous crânio-faciaux
3.1 : Principes de base de la technique photographique
3.2 : Limites de la photographie des tissus mous crânio-faciaux
3.3 : Analyses photogrammétriques des tissus mous
3.3.1 Points et lignes cutanés
3.3.2 Analyses cutanées
IV Le dimorphisme racial des tissus mouscutanés
DEUXIEME PARTIE : ETUDE DES CARACTERISTIQUES PHOTOGRAMMETRIQUES DE PROFIL DES TISSUS MOUS ET D’ARCADES CHEZ DEUX GROUPES RACIAUX
I/ Introduction
II/ Matériels et méthodes
2.1 Sujets d’étude
2.1.1 Enregistrement et mesures photographiques
2.2.1 Enregistrements photographiques
2.2.2 Points et lignes des tissus mous utilisés
2.2.2.1 Les points
2.2.2.2 Les lignes
2.2.3 Les mesure
2.2.3.1 Les mesures linéaires verticales
2.2.3.2 Les mesures linéaires horizontales
2.2.3.3 Les mesures angulaires
2.3 Enregistrement des paramètres intra et inter arcades
2.4 Analyses statistiques
III/ Résultats
3.1. Statistiques descriptives globales
3.2 : Etude comparative
3.2.1 : Selon le sexe
3.2.1.1 : Etude de l’âge
3.2.1.2 Etude des variables d’arcades
3.2.1.3 Etude des variables photogrammétriques linéaires du sens sagittal
3.2.1.4 : Etude des variables photogrammétriques angulaires du sens sagittal
3.2.1.5: Etude des variables photogrammétriques linéaires du sens vertical
3.2.1.6 : Etude des variables photogrammétriques angulaires du sens vertical
3.2.2 : Selon la race (nationalité)
3.2.2.1 : Etude de l’âge
3.2.2.2 Etude des variables d’arcades
3.2.2.3 : Comparaison des variables photogrammétriques linéaires du sens sagittal
3.2.2.4 : Comparaison des variables photogrammétriques angulaires du sens sagittal
3.2.2.5 : Comparaison des variables photogrammétriques linéaires du sens vertical
3.2.2.6 : Comparaison des variables photogrammétriques angulaires du sens vertical
3.2.3 : Selon la race (nationalité) et le sexe
3.2.3.1 : Etude de l’âge
3.2.3.2 : Etude des variables d’arcades
3.2.3.3 : Comparaison des variables photogrammétriques linéaires du sens sagittal entre sénégalais et marocains
3.2.3.4 : Comparaison des variables photogrammétriques linéaires du sens sagittal entre sénégalaises et marocaines
3.2.3.5 : Comparaison des variables photogrammétriques angulaires du sens sagittal entre sénégalais et marocains
3.2.3.6 : Comparaison des variables photogrammétriques angulaires du sens sagittal entre sénégalaises et marocaines
3.2.3.7 : Comparaison des variables photogrammétriques linéaires du sens vertical entre sénégalais et marocains
3.2.3.7 : Comparaison des variables photogrammétriques linéaires du sens vertical entre sénégalaises et marocaines
3.2.3.8 : Comparaison des variables photogrammétriques angulaires du sens vertical entre sénégalais et marocains
3.2.3.9 : Comparaison des variables photogrammétriques angulaires du sens vertical entre sénégalaises et marocaines
3.3 : Etude corrélative
3.3.1 : Corrélation entre les variables photogrammétriques linéaires du sens sagittal et les paramètres d’arcades
3.3.2 : Corrélation entre les variables photogrammétriques angulaires du sens sagittal et les paramètres d’arcades
3.3.3 : Corrélation entre les variables photogrammétriques linéaires du sens vertical et les paramètres d’arcades
3.3.4 : Corrélation entre les variables photogrammétriques angulaires du sens vertical et les paramètres d’arcades
IV : Discussion
CONCLUSION