Dans un contexte marqué par la mondialisation des échanges et des communications, « l’émergence de la langue chinoise et son accès à une dimension internationale sont le phénomène majeur affectant le paysage linguistique mondial ces dernières années. Cette émergence, loin d’être un effet de mode, est l’une des incidences de la mobilité des personnes et de la mondialisation des échanges sur la dimension des langues. Hier langue exotique et lointaine, le chinois devient dans un tel contexte une nouvelle langue frontalière » (Bellassen, 2011, p.56). Selon les statistiques du Ministère de l’Éducation nationale en décembre 2015, « l’ensemble des apprenants de chinois en France est désormais de 100 000, dont la moitié dans l’enseignement scolaire (primaire, secondaire, établissements français à l’étranger et CNED), 20 000 environ dans l’enseignement supérieur (spécialistes et non-spécialistes) et les effectifs restants dans le cadre associatif (associations culturelles, associations de Chinois d’Outre-mer, Instituts Confucius, etc.) » .
Une réalité massive de l’enseignement du chinois, confirmée par nos observations d’enseignante, est que peu d’étudiants lisent par eux-mêmes des documents, et a fortiori des textes. Il faut à l’évidence un long parcours pour connaître un nombre de caractères suffisant pour aborder la lecture. Par ailleurs, beaucoup abandonnent leurs études avant de pouvoir commencer à lire, et nombreux sont ceux qui ne lisent pas alors qu’ils en auraient la capacité : ils se contentent de rester d’ « éternels débutants ». Le chinois est une langue à écriture non alphabétique, ce qui rend la compréhension écrite plus difficile, du fait de son manque de transparence.
La didactique du chinois langue seconde est une discipline récente, de nombreux domaines de recherche sont encore des terres quasi-vierges, ce qui fait que des questions importantes restent sans réponse scientifique. C’est le cas de la question que nous nous proposons de traiter dans notre thèse : le « niveau-seuil » de la compréhension écrite du chinois langue seconde.
Qu’est-ce que la lecture ?
Du latin lectura, dans le sens de « fait de lire », le mot « lecture » renvoie au Moyen Age à des activités réservées à une élite (études, érudition, commentaires juridiques). Le mot désigne, encore aujourd’hui, un texte lu avant l’Evangile, au cours des offices religieux. Au XVe siècle, le terme renvoie à l’activité de lire à voix haute, sens repris dans les lectures (conférences) des Anglo-Saxons. Selon la même acception, on appelle aujourd’hui « lecteur » des enseignants de langues étrangères à l’université. Au cours du XVIe siècle, le sens courant de lecture est « action de prendre connaissance d’un texte en le lisant pour soi ». A partir du XVIIIe siècle, le sens du mot « lecture » se réduit pour ne désigner que le « déchiffrement de toute espèce de notion ». Enfin de nos jours deux sens ont pris le dessus : le mot désigne aujourd’hui d’une part une technique, indépendante de la signification du texte sur lequel elle s’exerce ; d’autre part la découverte et de l’interprétation d’un contenu (Fijalkow et Fijalkow, 2010, p.1).
La lecture est une activité d’acquisition d’informations particulièrement complexe qui comprend plusieurs dimensions : la dimension linguistique (la connaissance du vocabulaire, de la grammaire et la compréhension de la construction du texte) ; la dimension cognitive (le fonctionnement du cerveau) ; la dimension psychologique (le fonctionnement de la personnalité du lecteur) et la dimension sociologique (les conditions de l’enseignement et de l’apprentissage de la lecture) (Wemague, 2010). Il existe plusieurs définitions possibles du concept de lecture. Par exemple, dans « aimer la lecture », il s’agit de l’action de lire ; dans « enseigner la lecture aux enfants» il s’agit de la capacité de comprendre un texte écrit ; et par « une lecture instructive », on entend simplement un texte lu. Dans le cadre de notre étude, c’est le premier de ces trois sens qui est concerné : l’action de lire.
La lecture ne s’acquiert pas toute seule : elle s’apprend, et une instruction spécifique est nécessaire pour apprendre à lire. Comme le constate Bentolila (1998, p.15-17), « L’activité de lecture est spécifique à l’espèce humaine, tout comme l’activité de parole, mais elle ne découle pas, en tout cas pas directement, de capacités innées qu’il suffirait d’activer par simple fréquentation du matériel écrit. […], apprendre à lire n’est pas, non plus, magique ou surnaturel, […] la lecture est une activité mentale hautement complexe et organisée » . Une lecture accomplie nécessite entre autres l’identification des mots écrits, une analyse syntaxique et une construction du sens global. Morais (1999, p115), psycholinguiste et neuropsychologue, définit ainsi cette activité « Qu’est-ce que la lecture ? […], ce qui est spécifique de l’activité de lecture est la capacité de reconnaissance des mots écrits, c’est-à-dire la capacité d’identifier chaque mot en tant que forme orthographique ayant une signification et de lui attribuer une prononciation ».
compréhension […] ». Comment définir la compréhension écrite ?
La compréhension écrite est étudiée à la fois par les linguistes, les psychologues, les cognitivistes, les neurosciences… Les pédagogues quant à eux s’y intéressent pour essayer de développer celle de leurs élèves à l’aide d’exercices adaptés. Ils testent le niveau de compréhension en prenant appui sur différentes méthodes. On définira la compréhension des textes comme l’ensemble des processus permettant de (re)construire leur sens. Ces processus sont de nature et de niveaux divers (cf. infra).
Il ne faut imaginer que la compréhension est toujours parfaite. On peut distinguer différents degrés selon qu’elle est déficiente, suffisante etc… Pour les pédagogues, le décodage des mots est indispensable pour la compréhension, nous y reviendrons dans la section « 1.1.1.2 » de ce chapitre. Lecocq et al. (1996, p.5) ont souligné le lien direct entre la compréhension et la reconnaissance des mots « en fait la compréhension de l’écrit (en particulier lors des premières années de l’apprentissage de la lecture) est étroitement dépendante de la précision, de la rapidité et de l’automatisation des processus d’accès au lexique et de reconnaissance du mot […]». Pour la linguistique cognitive l’efficacité de ces processus est conditionnée par l’automatisation des processus de bas niveau qui permettent de libérer les ressources cognitives nécessaires aux processus de haut niveau. Le coût cognitif varie en fonction du degré d’automatisation : plus un traitement serait automatisé, plus le coût serait faible et vice versa (Gaonac’h, 2000).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES SIGLES ET DES ACRONYMES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE 1. CONTEXTE GÉNÉRAL DE LA RECHERCHE
Chapitre I. Les processus à l’œuvre dans la lecture
1.1 Considérations générales
1.2 Spécificités des langues à écriture sinographique
1.3 Lire en français vs.lire en chinois
Chapitre II. CECRL et seuils de caractères
2.1 Le mouvement de normalisation de l’enseignement du chinois
2.2 L’entrée par le caractère (Zi ben wei)
2.3 Les listes de caractères
PARTIE 2. ENQUÊTE SUR LES PRATIQUES DE LECTURE AUTONOME EN CHINOIS
Chapitre III. La préparation de l’enquête
3.1 Enjeux et objectifs de l’enquête
3.2 Sélection des apprenants (volet 1)
3.3 Élaboration de la biographie langagière (volet 2)
3.4 Constitution d’un corpus de textes authentiques lus en premier (CTALP)
3.5 Evaluation des compétences sinographiques
Chapitre IV. Le déroulement de l’enquête
4.1 Volet 1 : le questionnaire et le test
4.2 Volet 2 : les biographies langagières et le corpus de textes authentiques lus en premier (CTALP)
4.3 Bilan de l’enquête
PARTIE 3. CADRE ANALYTIQUE
Chapitre V. L’analyse de biographie langagière et présentation du corpus
5.1 Hypothèses
5.2 Méthodologie
5.3 Analyse du profil des apprenants
5.4 Présentation du corpus
5.5 Le passage à la lecture autonome
5.6 Synthèse des problèmes aperçus dans l’analyse des biographies langagières
Chapitre VI. Constitution d’un corpus représentatif et élaboration d’un seuil de caractères pour accéder à la lecture en autonomie (SCALA)
6.1 Constitution d’un corpus représentatif
6.2 Elaboration d’un seuil de caractères pour accéder à la lecture en autonomie (SCALA)
Chapitre VII. Validation de la liste SCALA : enjeux et mise en perspective
7.1 Méthodologie
7.2 Le processus de validation
CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXE
ANNEXE 1. Questionnaires sur les pratiques de lecture
ANNEXE 2. Tests
ANNEXE 3. Questionnaire sur les biographies langagières
ANNEXE 4. Les différents indicateurs concernant l’apprentissage et la pratique du chinois des apprenants
ANNEXE 5. Présentation des textes choisis par les apprenants
ANNEXE 6. Le corpus
ANNEXE 7. Textes écartés
ANNEXE 8. Segmentation de LCT (Liste des Caractères à Traiter)
ANNEXE 9. Bipartition de LCT
ANNEXE 10. Test de validation
ANNEXE 11. Test complémentaire de validation de la liste SCALA
ANNEXE 12. Listes de sinograpmmes
TABLE DES MATIÈRES
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