Historique des recherches : bilan critique
De la culture au style, précisions terminologiques
Dès la seconde moitié du XIXème siècle, émerge la nécessité d’affiner la description et d’améliorer la compréhension des groupes humains établis sur le territoire européen au Néolithique. Différents concepts, inspirés de l’ethnologie, sont alors développés afin de classer les sociétés préhistoriques. Préciser leurs définitions est un préalable indispensable à l’historique des recherches, qui voit s’entremêler ces différentes notions.
Bien que le terme de civilisation soit employé de longue date, sa connotation historique (formations de cités, etc.) en fait un terme peu maniable pour des contextes préhistoriques. Le concept de culture est quant à lui plus largement développé. Emprunté aux ethnologues, il se rapporte à l’ « ensemble des valeurs, des connaissances et des comportements par lequel des individus marquent leur appartenance à une ethnie et signalent leur différence avec les étrangers » (Leroi Gourhan, 1988, p. 295). Au sens proprement archéologique, la culture fait référence à une « unité historique concrète et appréhendable dans un espace et un temps donné, et qui possède son système, ses structures et sa dynamique propres. Elle est définie par l’ensemble des données de l’archéologie et des sciences naturelles, ainsi que par les contraintes de l’environnement. Mais elle se caractérise aussi, durant cette époque, par des systèmes économiques, des structures sociales et des éléments religieux bien particuliers » (Lichardus et al., 1985, p. 225). Il est évident que le terme de culture englobe plus que le simple matériel conservé, ce sont tous les éléments constitutifs des sociétés qui sont ici entendus.
Une plus grande variété sémantique, découlant de la diversité des points de vue privilégiés, règne concernant les dénominations de groupes culturels ou encore de styles. Le groupe culturel « entend (ainsi) une entité plus restreinte, qui ne se différencie en règle générale que sur certains points particuliers des cultures ou groupes environnants » (Lichardus et al., 1985, p. 226). Ces points particuliers peuvent se référer « soit à une population, soit à des traits culturels, soit à un ensemble d’objets, dont on veut souligner ce qu’ils ont de commun » (Leroi Gourhan, 1988, p. 474). Le style se distingue du groupe culturel au sens où il se rapporte à une homogénéité technique et/ou esthétique reposant essentiellement sur les productions matérielles. Un style n’est donc en aucun cas limité à un groupe culturel ou à une phase chronologique.
D’autres termes peuvent néanmoins intervenir dans le discours mais de façon beaucoup plus ponctuelle. Le terme de complexe renvoie ainsi à un ensemble d’éléments divers qui constituent un tout plus ou moins cohérent tandis que le vocable cycle témoigne des liens forts (filiation) existant entre différents groupes d’objets ou d’individus. L’ensemble des traits distinctifs de certains ensembles peut être exprimé comme un type. Toutefois, cette dernière appellation est plutôt réservée aux productions lithiques. Enfin, la notion de faciès renvoie à un ou des éléments particuliers constituant des ensembles au sein d’une ou de plusieurs entités. Ainsi, il est possible de « définir des faciès dans la mesure ou une ou plusieurs particularités se répèteront de façon systématique, dans plusieurs assemblages appartenant chacun à une aire bien déterminée ou coexistant à l’intérieur d’une même zone » (Lenoir, 1974, p.63).
Le Néolithique récent sud-armoricain ou la création du « magma armoricain »
C’est un lieu commun que de rappeler la précocité des recherches archéologiques bretonnes. La conservation encore en élévation de monuments tout particulièrement mégalithiques intrigue très tôt voyageurs, antiquaires et collectionneurs ; à tel point que certains édifices sont dès le XVIIIème siècle largement décrits. Il faut toutefois attendre le milieu du XIXème siècle pour connaître les prémices de véritables explorations archéologiques. Sous l’impulsion de figures marquantes, tels celles du chevalier De Fréminville, A et P. Du Châtellier puis de Z. Le Rouzic, de F. Gaillard, de M. et St.-J. Péquart, nombreuses sont les fouilles de monuments et sites archéologiques bretons, notamment autour de la presqu’île quiberonnaise. Toutes n’ont malheureusement pas fait l’objet d’un rapport ou d’un compte-rendu précis mais la survivance du mobilier alors exhumé et de notes manuscrites de terrain permet de poursuivre les investigations. Les connaissances concernant le Néolithique récent découlent pour l’essentiel de ces recherches anciennement menées, et hyper-localisées sur la frange littorale du Morbihan et, dans une moindre mesure, du Finistère.
Le Néolithique récent tel qu’il s’entend pour le Massif armoricain repose, à l’heure actuelle, sur l’observation d’ensembles céramiques. En vue de proposer un premier état des lieux sur le sujet, une reprise critique des publications proposant des définitions de styles ou de groupes culturels parait nécessaire.
Une histoire de style : Conguel, Groh-Collé, Rosmeur, Kersidal
Bien que désormais plus traditionnellement affilié au Néolithique final, à l’appui de récentes datations fournies par le site de la Hersonnais à Pléchâtel (Ille-et-Vilaine ; Tinevez et al., 2004), le Conguel doit ici sa place aux premières réflexions dont il fut l’objet. C’est à J. L’Helgouac’h que revient la première mention du style de Conguel (L’Helgouac’h, 1962). Etudiant sous un nouveau jour le lot céramique issu des fouilles menées en 1891 par Ch. De Lagrange et F. Gaillard sur le dolmen de Conguel (Gaillard, 1892), il met en évidence l’existence de deux styles céramiques. Basée sur des critères morpho-stylistiques, cette distinction correspond de plus aux deux niveaux stratigraphiques nettement dissociés par un « dallage de pierres plates » (ibid., p. 39) repérés par les fouilleurs. La provenance exacte des vases étudiés en 1962 n’est cependant assurée que pour neuf des onze récipients cités par le fouilleur ; deux vases semblent s’être « volatilisés » lors de l’acquisition de la collection par P. Du Châtellier et à l’inverse, quatre vases – possiblement issus du remontage de fragments de poterie – font ici leur apparition (L’Helgouac’h, 1962, p. 374). Le Conguel inférieur, défini sur la base de huit vases parmi lesquels deux absents en 1962, se caractérise par des récipients le plus souvent à fond rond mais également plus occasionnellement à fond plat. Seul un décor de panneaux de lignes incisées parallèles verticales, horizontales, en arceaux et ondulées apparaît en partie haute d’un vase à fond rond. Par analogie décorative, l’auteur raccorde à cette phase un second récipient à fond plat orné en partie supérieure de panneaux de lignes incisées verticales et horizontales (vase inexistant pour F. Gaillard). Le style Conguel supérieur se singularise quant à lui par des « formes biconiques et de profil ové », « à fond […] ombiliqué ou plat » (ibid., p. 378). Les motifs incisés de lignes parallèles horizontales prennent place une nouvelle fois entre le bord et le diamètre maximum des récipients. Par comparaison une nouvelle fois décorative, J. L’Helgouac’h adjoint à ce niveau un vase (apparu en 1962) biconique à fond plat légèrement ombiliqué décoré de lignes de zigzag parallèles. Sur des gisements géographiquement proche du dolmen de Conguel, se rencontrent des récipients de formes proches – typologiquement Conguel supérieur – ornés de motifs d’incisions circulaires ou des triangles imbriqués hachurés, témoignant d’une plus grande variété décorative. Le récipient campaniforme de ce niveau, ici gênant, est écarté de la définition mais a le mérite de soulever le problème du caractère ouvert ou clos du monument. De la même façon, la réalité des deux horizons stratigraphiques est nette mais ne traduit pas nécessairement deux styles distincts. Le laps de temps séparant les deux dépôts est en effet inconnu et peut s’avérer relativement court. En dépit des distinctions morpho-stylistiques les critères technologiques sont loin de séparer les deux productions.
Bien que difficile à aborder, une datation est proposée pour ces deux styles s’appuyant sur des analogies une nouvelle fois morpho-stylistiques et notamment un rapprochement avec un récipient du tumulus du Planti à Availles-sur-Chizé (Chizé, Deux-Sèvres ; L’Helgouac’h, 1962 ; Fillon, 1864, p. 8). Le Néolithique récent est donc dans un premier temps avancé. Cette première définition des styles Conguel, basée sur un corpus restreint et aussi particulier que peut l’être un ensemble funéraire, est susceptible selon J. L’Helgouac’h de se rapporter à un ou deux groupes occupant le littoral sudarmoricain.
Une synthèse sur les céramiques cannelées du Néolithique morbihannais (Bailloud, 1975), en réponse aux travaux de J. Hawkes (1938), S. Piggott (1953), entérine les styles de Conguel mais donne également naissance au style Groh-Collé. Reprenant un grand nombre de lots céramiques issus des fouilles menées à la fin du XIXème et au début du XXème siècle sur le littoral morbihannais, G. Bailloud avance une périodisation des ensembles du Néolithique moyen au Néolithique final.
La définition qu’il propose alors du style de Groh-Collé s’appuie sur les éléments céramiques recueillis lors des explorations du site éponyme (Saint-Pierre-Quiberon, Morbihan) par l’abbé Collet en 1868 et Z. Le Rouzic en 1911-1913 mais également par extension stylistique aux habitats du Lizo (Carnac), de Pen-Men (Groix), d’Er Yoh (Houat) et aux tombes à couloir telles celles de ManéGrageux (Carnac) ou encore Mané-Roullarde (La Trinité-sur-Mer). Ce style connaît une extension littorale, « du golfe du Morbihan à la Baie d’Audierne » (ibid., p. 364). Les formes isolées consistent pour l’essentiel en des bols et des écuelles à ruptures de pente, douce dans la plupart des cas . Des fonds plats à aplatis caractérisent ce style ainsi que des bords à lèvre épaissie à aplatie. Les éléments de préhension et/ou de suspension se limitent à de gros boutons aplatis. Les récipients proposent des surfaces lissées ou beaucoup moins souvent lustrées, de teintes variant du noir au beige. Les décors, essentiellement en creux (cannelures ou incisions), prennent place en partie haute des vases, entre bord et carène. Les affinités décoratives avec le Castellic, lui-même issu d’un substrat chasséen, sont marquantes et plaident pour une origine locale. Ces motifs s’organisent en panneaux de lignes parallèles horizontales, verticales, obliques, alternées à entremêlées. Des tracés plutôt circulaires sont à mentionner de même que de très rares boutons au repoussé, notamment sur le site éponyme. En marge de ce répertoire, une production de grands vases à ligne de perforations sous le bord apparait commune au Groh-Collé et au Kerugou. Une contemporanéité, même partielle, de ces derniers ensembles est supposée puisque l’influence du Kerugou transparait dans « l’évolution des formes et en partie celle des décors » du Groh Collé (ibid., p. 364). La présence de récipients Kerugou est de plus récurrente sur les gisements à céramique Groh-Collé.
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Table des matières
Introduction
I. LE NEOLITHIQUE RECENT, HISTOIRE ET DEFINITION D’UN SUJET
1. Historique des recherches : bilan critique
1.1. De la culture au style, précisions terminologiques
1.2. Le Néolithique récent sud-armoricain ou la création du « magma armoricain »
1.2.1. Une histoire de style : Conguel, Groh-Collé, Rosmeur, Kersidal
1.2.2. Entre Néolithique récent et final : le Kerugou
1.2.3. Les ensembles funéraires Quessoy et Crec’h Quillé-Le Mélus : un Néolithique récent-final nord-armoricain ?
1.3. Le Néolithique récent dans le Centre-Ouest de la France
1.3.1. Le « cycle » Matignons/Peu-Richard
1.3.2. Périphérie : du Vienne-Charente au Loire-Dordogne en passant par le Taizé
2. Hétérogénéité des données disponibles
2.1. Déséquilibre quantitatif et qualitatif
2.2. Le « magma armoricain » actuel
2.3. Des découpages chronologiques et géographiques récents pour le Centre-Ouest de la France
3. Problématiques
II. DEMARCHE ANALYTIQUE
1. Modalités d’étude
1.1. Analyse spatiale et chronologique
1.2. Etat de conservation et quantification
2. Les assemblages lithiques
2.1. Voies de recherches développées
2.2. Modalités d’étude des assemblages lithiques
2.2.1. Acquisition et gestion des matières premières
2.2.2. Modalités du débitage
2.2.3. Transformations et utilisations des supports
2.2.4. Représentation graphique
3. Etude typo-technologique des productions céramiques
3.1. Voies de recherches développées
3.2. Modalités de l’étude céramologique
3.2.1. Acquisition et gestion de la matière première
3.2.2. Chaîne opératoire de façonnage
3.2.3. Le produit fini : typologie et usage
3.2.4. Représentation graphique
III. CADRE ET CORPUS D’ETUDE
1. Cadre de l’étude
1.1. Cadre géographique et géomorphologique
1.2. Cadre géologique
2. Corpus réuni
IV. LE MASSIF ARMORICAIN : DU FINISTERE A L’ESTUAIRE DE LA LOIRE
1. Contextes d’habitat
1.1. Groh-Collé (Saint-Pierre-Quiberon, Morbihan)
1.1.1. Présentation du site
1.1.2. Corpus lithique
1.1.3. Corpus céramique
1.1.4. Etudes archéométriques (collection 2006-2008)
1.2. Er Yoh (Houat, Morbihan)
1.2.1. Présentation du site
1.2.2. Corpus céramique
1.3. Le Lizo
1.3.1. Présentation du site
1.3.2. Corpus lithique
1.4. Clis D (Guérande, Loire-Atlantique)
1.4.1. Corpus lithique (2251 individus)
1.4.2. Corpus céramique
2. Site de production
2.1. Groah Denn 1 (Hoëdic, Morbihan)
2.1.1. Présentation du site
2.1.2. Corpus lithique
2.1.3. Corpus céramique
2.1.4. Etudes archéométriques
3. Contextes funéraires
3.1. Conguel (Quiberon, Morbihan)
3.2. Rosmeur (Penmarc’h, Finistère)
3.3. Port-Blanc (Saint-Pierre-Quiberon, Morbihan)
3.4. Mané-Meur (Quiberon, Morbihan)
3.5. Kercado (Carnac, Morbihan)
3.6. Kerugou (Plomeur, Finistère)
V. LE MASSIF ARMORICAIN : LE SUD DE LA LOIRE
1. Contextes d’habitat
1.1. Les Gâtineaux (Saint-Michel-Chef-Chef, Loire-Atlantique)
1.1.1. Présentation du site
1.1.2. Corpus lithique
1.2. Les Prises (Machecoul, Loire-Atlantique)
1.2.1. Présentation du site
1.2.2. Corpus céramique
1.3. ZAC Richebourg-Sainte-Croix (Machecoul, Loire-Atlantique)
1.4. Les Caltières (Olonne-sur-Mer, Vendée)
1.5. La pointe de la Tranche (Ile d’Yeu, Vendée)
1.5.1. Présentation du site
1.5.2. Corpus lithique
1.5.3. Corpus céramique
1.6. Les Cléons (Haute-Goulaine, Loire-Atlantique)
1.6.1. Corpus lithique
1.6.2. Corpus céramique
1.7. La Goubaudière (Cholet, Maine-et-Loire)
2. Contextes funéraires
2.1. Le Grand Carreau Vert (Saint-Michel-Chef-Chef, Loire-Atlantique)
2.2. Moulin-Perret (Corsept, Loire-Atlantique)
VI. LE CENTRE-OUEST DE LA FRANCE
Conclusion