LES NAVIRES, VECTEURS DE LA GLOBALISATION
Globalisation et évolution de la flotte
« Objet de tant de débats contradictoires, la mondialisation s’invite chaque jour chez nous, qu’on le veuille ou non : un café sud-américain, une paire de chaussure de sport ou un jouet conçu aux Etats-Unis et fabriqués en Chine » (Frémont & Soppé, 2005, p. 187). La mondialisation n’est pas un processus récent (Jacquet & Sachwald, 2000), elle a été rendue possible grâce aux évolutions apportées au domaine maritime, permettant alors aux grands navigateurs de relier les continents (Coutansais, 2010). Nous pouvons distinguer trois périodes dans la globalisation. À partir de la moitié du XVème siècle, les marins vont bénéficier de nouvelles aides à la navigation : invention de la boussole, de l’astrolabe et du gouvernail d’étambot (Coutansais, 2010; Edouard, 2014). Ces outils sont utilisés à bord d’une invention majeure : la caravelle. La caravelle a été conçue par les portugais en associant les voiles carrées, disponibles à bord des navires nordiques, et les voiles latines, utilisées par les méditerranéens, sur un navire de petit gabarit équipé de gouvernail d’étambot. Ces progrès et nouveaux navires, extrêmement maniables et autorisant la navigation dans de faibles profondeurs (Guiral-Hadziiossif, 1987) sont à l’origine de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (1492), le franchissement du Cap de bonne espérance par Vasco de Gama (1498) ou encore le tour du monde de Magellan (1522) (Coutansais, 2010). La seconde période de la mondialisation commence 300 ans plus tard, avec l’invention du navire à vapeur et l’aménagement des ports, avec des bassins, des grues, des entrepôts ou encore des voies ferrées (Jacquet & Sachwald, 2000). C’est également durant cette période que s’achèvent des ouvrages importants : les canaux de Suez, en 1869, et de Panama (1904) (Coutansais, 2010), toujours très utilisés encore aujourd’hui. La troisième phase débute elle aussi par une innovation : le conteneur en 1956, révolutionnant alors le transport maritime (Coutansais, 2010).
Selon une estimation des Nations Unies, en 2013, 9,6 milliards de tonnes ont transité par voie maritime (UNCTAD, 2014), soit 90% du commerce mondial (Coutansais, 2010). Ces échanges internationaux ont été assurés par 47 601 navires (UNCTAD, 2014) armés par près de 1,37 millions de marins (Cornier & Mélennec, 2014). Leur port en lourd (tpl) a augmenté de 4,1% en 2013, atteignant 1,69 milliards de tpl en janvier 2014 (UNCTAD, 2014). Les cargos représentent 42,9 % du tonnage total, les pétroliers 28,5 % et les porte-conteneurs 12,8%. Les navires à passagers représentent une part infime de la flotte : seulement 0,3 % du tonnage.
La flotte de navires de commerce n’a pas cessé d’augmenter afin de répondre à la demande. En 2004, son port en lourd était de 864 millions de tonnes, soit un accroissement de 771 millions de tonnes en près de dix ans ce qui représente une progression de 96 %. À titre de comparaison, entre 1984 et 2004 la flotte mondiale avait crû de 182 millions de tonnes, soit une augmentation de 27% (Cornier & Mélennec, 2014). Les navires battent plus de 150 pavillons mais cinq d’entres eux détiennent près de 57 % de la flotte (en tpl) (UNCTAD, 2014). Le tableau suivant présente les trente cinq premiers pavillons.
Le Panama est très loin devant les autres pavillons avec plus d’un cinquième du tonnage mondial et près d’un navire sur sept dans le monde (Cornier & Mélennec, 2014). Nous remarquons que pour les trois premiers pavillons, les propriétaires ne sont pas locaux mais uniquement étrangers, profitant de la libre immatriculation et de pays moins regardant et moins exigeant sur le plan de la législation. La France arrive seulement à la 28ème position, avec seulement 226 navires ayant une jauge brute supérieure à 100 tonneaux .
C’est dans ce contexte libéral et international que le transport de passagers par voie maritime poursuit son développement. Moyen préféré des individus pendant des siècles, il est aujourd’hui loin derrière le transport aérien : « 12,6 millions de personnes ont ainsi été transportées sur les flots en 2008 contre 2 milliards par les airs » (Coutansais, 2010, p. 308). Mais les services proposés attirent de plus en plus et la progression sur ces dix dernières années est importante : le nombre de croisiéristes a doublé, atteignant les 21 millions en 2012 (Auvray, 2014). Les rouliers, navires flexibles, sont des moyens privilégiés par les asiatiques, notamment aux Philippines, avec 65 millions de passagers en 2012, et l’Indonésie, avec 56 millions de personnes transportées. Ces « bus des mers » sont faciles d’accès et peu onéreux, navire de seconde main où la sécurité n’est pas la priorité (Auvray, 2014) comme en témoignent les récents naufrages énoncés en introduction .
Les vingt premiers ports de cette figure concentrent près de 40 % du nombre total de passagers, soit 190 millions de personnes. Nous remarquons également le contraste saisissant entre l’Asie, avec un trafic en progression, et le reste du monde, où la fréquentation des ports diminue (Auvray, 2014). Malgré ces chiffres en berne, les armements européens de ferries occupent les premières places du classement des compagnies les plus importantes .
Le trafic transmanche
La compagnie étudiée propose essentiellement des liaisons entre la France et le Royaume Unis. La Manche est la mer privilégiée par la compagnie, bien qu’elle emprunte parfois la façade Atlantique pour les liaisons sur l’Espagne. La compagnie n’est pas la seule à opérer dans cette zone et elle doit faire face à une concurrence particulièrement agressive, ce qui implique une nouvelle stratégie et influence directement le management. Il convient donc de mieux connaître cet environnement.
Le transport maritime est le moyen privilégié par l’Union Européenne pour les échanges commerciaux : « 90% du commerce extérieur de l’Europe et près de 40% de son commerce intérieur se font par voie maritime » (Bahé, 2013, p. 10). Ce choix implique d’avoir des infrastructures permettant de charger et décharger les navires. L’UE possède plusieurs ports d’envergure dont une majorité en Europe de l’ouest, permettant la prise en charge des navires effectuant des liaisons transcontinentales. Ces ports sont Rotterdam, Anvers, Hambourg, Bremerhaven, Zeebruges, Le Havre ou encore Dunkerque. Des caboteurs prennent ensuite le relais afin d’acheminer les marchandises dans les autres ports européens (Bahé, 2013). La Manche occupe une position stratégique, les navires desservant les ports l’Europe du Nord n’ont pas d’autres choix, aujourd’hui, que d’emprunter ce couloir maritime, dans lequel « circule près de 20% du trafic maritime mondial » (Bahé, 2013, p. 10).
La compagnie étudiée participe aux 150 « liaisons quotidiennes nord-sud, entre les ports français et britanniques » (Bahé, 2013, p. 10). La Manche est également un lieu privilégié pour l’extraction de granulats et prisée par les pêcheurs, représentant environ 4200 navires, nombre auquel il faut rajouter les plaisanciers (Bahé, 2013). Le trafic important en Manche en fait une zone dangereuse, où les règles de barre doivent être rigoureusement respectées. Nous avons pu nous en rendre compte lors de nos embarquements, en particulier lorsque les ferries traversent les voies montantes ou descendantes. Les lieutenants de quart doivent alors « zigzaguer » (Thomas , lieutenant), entre pétroliers, portes conteneurs et encore cargos, afin d’éviter les collisions.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : LE NAVIRE AU CENTRE D’UN SYSTEME HYPERCOMPLEXE
1. Les navires, vecteurs de la globalisation
1.1 Globalisation et évolution de la flotte
1.2 Le trafic transmanche
2. Un système d’acteurs
2.1 L’approche systémique
2.2 Le système
2.3 Les systèmes hypercomplexes
2.4 La complexité du transport de passagers
3. Le Navire : lieu de vie, lieu de travail
3.1 Définition juridique du navire
3.2 Caractéristiques des navires rouliers à passagers
3.3 Le navire comme un lieu de travail
3.4 Habiter le navire
3.5 Isolement chez le marin
4. Des identités professionnelles aux groupes sociaux
4.1 L’identité professionnelle
4.2 Marin ou gens de mer ?
4.3 Les identités collectives
5. Le travail articulé autour du passager
5.1 Définition du concept d’objet frontière
5.2 Le passager, un individu-frontière ?
Conclusion du Chapitre 1
CHAPITRE 2 : UN FERRY PEUT-IL ETRE UNE ORGANISATION A HAUTE FIABILITE
1. La fiabilité organisationnelle
1.1 Emergence du concept d’organisation à haute fiabilité
1.2 Caractérisation des organisations de haute fiabilité
2. Anticipation et résilience : deux approches de la fiabilité
2.1 Approche mécaniste
2.2 Approche organique
2.3 Deux approches convergentes ou divergentes ?
3. Navire et haute fiabilité : est-ce compatible ?
3.1 Quand l’organisation sombre
3.2 Vers un navire à haute fiabilité ?
3.3 Devenir un navire à haute fiabilité : les limites de la théorie HRO
4. L’homme au cœur de l’organisation
4.1 Le facteur humain
4.2 Santé de l’équipage et fiabilité du navire, quels liens ?
4.3 Le comportement des passagers
Conclusion du chapitre 2 et problématique
CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE
1. Construction de l’objet de recherche
1.1 Émergence du projet de recherche
1.2 L’apport de la théorie dans la réflexion
1.3 Le comité de pilotage
2. Choix du terrain et du dispositif méthodologique
2.1 Le terrain
2.2 Le dispositif méthodologique
3. La collecte des données
3.1 L’observation
3.2 Les entretiens
3.3 Le questionnaire
4. L’échantillon et l’analyse des données
4.1 L’échantillon
4.2 Analyse des données
5. L’ancrage épistémologique de la thèse
5.1 Positivisme ou constructivisme ?
5.2 Une démarche abductive
5.3 Validité de l’étude et généralisation des résultats
Conclusion du Chapitre 3
CONCLUSION GENERALE
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