Le monoxyde d’azote (NO) chez les plantes
Le monoxyde d’azote ou NO a été découvert en 1772 dans l’air par un théologien et chimiste anglais Joseph Priestley. D’abord nommé « air nitreux », Joseph Priestley le décrit comme induisant une sensation de bien être couplée à des crises de rire. Depuis sa découverte, il a été démontré que le NO orchestrait une pléthore de fonctions physiologiques et a reçu le titre de « molécule de l’année » en 1992 par le journal Science. D’abord très étudié et décrit chez les animaux pour être impliqué dans divers processus biologiques tels que la neurotransmission, la vasodilatation ou encore l’immunité, l’étude du NO dans les systèmes végétaux et microbiens a suscité un vif intérêt depuis ces dernières années. A ce jour, la littérature sur le NO est colossale. Ainsi, le mot clé « nitric oxide » sur le moteur de recherche PubMed renvoie à plus de 135 000 articles.
Caractéristiques chimiques du NO
Le NO qui est composé d’un atome d’azote et d’oxygène est une petite molécule gazeuse très réactive. Sa réactivité et son temps de demi-vie très court (1-5 s) sont dus à la présence d’un électron orbital non apparié lui conférant des propriétés oxydantes (Stamler et al., 1992). En effet, pour être électroniquement plus stable, le NO interagit avec de nombreuses molécules de diverses natures telles que les lipides, l’ADN, les protéines et les espèces réactives de l’oxygène. Par exemple, les ions ferriques hémiques et non hémiques contenus dans les protéines sont des lieux privilégiés d’interaction avec le NO (Besson-Bard et al., 2008b; Scheler et al., 2013). Le NO est aussi bien connu pour interagir avec l’ion superoxide (O2.-) conduisant à la formation du peroxynitrite (ONOO- ), une molécule très oxydante impliquée dans la tyrosine nitration des protéines (Besson Bard et al., 2008 ; Scheler et al., 2013). Cependant, la réactivité et la durée de vie du NO peuvent être modulées en fonction de son environnement (pH, température, pouvoir redox…). En effet, par exemple, le pH acide de l’apoplasme stabilise les molécules de NO (Besson-Bard et al., 2008).
Une autre caractéristique du NO est d’être une molécule hydrophobe. Cette hydrophobicité lui confère la possibilité de traverser les membranes biologiques et ainsi d’agir à distance. Un exemple illustrant bien cette propriété est la caractérisation du NO comme neurotransmetteur gazeux (le seul existant) chez les mammifères (Paul and Ekambaram, 2011). Cependant, chez les animaux, la diffusion du NO serait facilitée par les aquaporines qui, outre leur aptitude à transporter l’eau, pourraient véhiculer le NO et d’autres gaz (Herrera and Garvin, 2011).
Synthèse du NO
Chez les animaux, la synthèse du NO est assurée par des NO synthétases (NOS) qui catalysent la transformation de la L-arginine en L-citrulline et NO. Chez les végétaux, bien qu’aucun homologue des NOS animales n’ait été trouvé, des études ont montré l’existence d’une activité NOS-like dans différents tissus végétaux et organelles (Corpas et al., 2006; Besson-Bard et al., 2008). En outre, des inhibiteurs des NOS de mammifères peuvent supprimer la synthèse de NO dans les plantes et dans des suspensions cellulaires en réponse à différents stimuli (Guo et al., 2003; Mur et al., 2005).
Récemment, une autre voie de synthèse du NO chez les plantes a été démontrée: les nitrates réductases (NR). Ces enzymes connues pour catalyser la réduction des nitrates (NO3-) en nitrites (NO2- ), réduisent aussi les nitrites en NO via l’utilisation du cofacteur NADPH comme donneur d’électrons (Yamasaki and Sakihama, 2000). Cette voie de synthèse du NO participe à un grand nombre de processus biologiques notamment lors de la fermeture des stomates. En effet, la double mutation des gènes nia1 et nia2 codant pour les 2 isoformes des nitrate réductases chez Arabidopsis thaliana, conduit à un arrêt de la synthèse de NO en réponse à l’acide abscissique, provoquant ainsi un blocage de la fermeture des stomates (Gayatri et al., 2013).
De plus, du NO serait synthétisé lors du catabolisme des polyamines par les polyamines oxydases. Les polyamines sont de petites molécules azotées issues notamment du catabolisme des acides aminés. Il a été montré que des plantules d’A. thaliana traitées avec des polyamines produisent du NO. Par ailleurs, un double mutant nia1/nia2 est capable de produire du NO en présence de polyamines. De plus, un mutant de polyamine oxydase (diamine oxydase) synthétise moins de NO qu’une lignée sauvage en présence de polyamines (Tun et al., 2006). Enfin, du NO peut être généré de façon non enzymatique. Par exemple, une réduction spontanée des nitrites en NO a été caractérisée à pH acide dans l’apoplasme des cellules aleuroniques de la graine (Bethke et al., 2004). Cette production de NO dans les couches supérieures de la graine pourrait avoir un rôle antimicrobien (Bethke et al., 2004).
Rôles du NO
Le rôle du NO est très dépendant de sa concentration.
a) Le NO en tant que molécule signal
A faibles concentrations (≤ µM), le NO est décrit comme une molécule signal impliquée dans de nombreux processus biologiques chez les plantes, du développement aux réponses aux stress abiotiques (Yu et al., 2014).
Le NO a par exemple été décrit comme un répresseur de la floraison chez A. thaliana (He et al., 2004). En effet, le NO inhibe l’expression du gène codant pour le régulateur majeur de transition du méristème végétatif en méristème floral LFY. A l’inverse, le NO active l’expression du gène codant pour la protéine FLC, un inhibiteur de LFY (Simpson, 2005). En outre, le NO a un rôle inducteur de la germination. En effet, une application exogène de NO lève la dormance des graines d’A. thaliana. En revanche, un traitement avec un piégeur de NO inhibe la germination (Bethke et al., 2007). Il a été proposé que le NO intervienne à la fois dans le catabolisme de l’acide abscissique, une phytohormone inhibant la levée de dormance des graines et dans la synthèse des gibbérellines, des phytohormones activatrices de la germination via les espèces réactives de l’oxygène (Arc et al., 2013).
b) Le NO en tant que molécule toxique
A plus fortes concentrations (~ mM), le rôle signal du NO laisse place à un rôle toxique. Comme cela a été dit précédemment, le NO a un fort pouvoir oxydant et peut engendrer des dommages sur plusieurs molécules vitales telles que l’ADN, les protéines ou encore les lipides. En effet, en 1991, Wink et ses collègues ont montré que le NO est capable d’entrainer la déamination de l’ADN in vitro et in vivo expliquant probablement l’effet mutagène du NO (Wink et al., 1991). De plus il a été montré que le peroxynitrite issu de la réaction du NO avec l’ion superoxyde engendre une oxydation et une nitration des lipides (Rubbo et al., 2009).
Cet effet toxique du NO contribue à divers processus biologiques chez la plante. L’exemple le mieux connu est le rôle du NO dans les mécanismes de défense de l’hôte contre des pathogènes et notamment la contribution du NO à la mise en place de la réponse hypersensible (HR) (Romero-Puertas et al., 2004). La HR qui est caractérisée par la mort des cellules végétales au site d’infection permet de contenir la propagation de la maladie et est par conséquent un mécanisme de résistance aux pathogènes. En outre, il a même été suggéré que la capacité d’une plante à être résistante ou sensible à un pathogène pourrait dépendre de se capacité à accumuler du NO. En effet alors que du NO s’accumule fortement dans des cellules d’A. thaliana et de soja en réponse à une bactérie avirulente (pas de maladie) (RomeroPuertas et al., 2004 ; Zhang et al., 2003), une modeste accumulation est observée chez ces 2 plantes lorsqu’elles sont mises en présence d’une bactérie virulente (développement de la maladie) (Romero-Puertas et al., 2004). Le rôle des espèces réactives de l’oxygène (ROS) dans les mécanismes de défense de la plante et notamment de la HR est avéré et Gaupels et ses collaborateurs proposent en 2011 que l’association des ROS et du NO formant le peroxynitrite soit responsable de la HR chez A. thaliana (Gaupels et al., 2011).
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Table des matières
INTRODUCTION
I) Le monoxyde d’azote (NO) chez les plantes
1) Caractéristiques chimiques du NO
2) Synthèse du NO
3) Rôles du NO
4) Modes d’action du NO
II) Les réponses des bactéries au NO
1) Les systèmes senseurs bactériens du NO
2) Les mécanismes de piégeage/dégradation du NO
3) Les mécanismes de résistance au NO
III) Le NO dans les symbioses légumineuses/rhizobia
1) La symbiose fixatrice d’azote M. truncatula/ S. meliloti : notre modèle d’étude
2) Du NO est détecté à toutes les étapes de la symbiose Medicago/ S. meliloti
3) La modulation du niveau de NO dans les nodules symbiotiques
4) Rôles du NO dans les nodules symbiotiques et importance de la réponse bactérienne au NO pour le maintien de la symbiose
RESULTATS
I) S. meliloti code pour au moins 4 protéines impliquées dans le contrôle du niveau de NO
1) NnrS1, NnrS2 et NorB participent à la résistance au NO en culture
2) NnrS1 et NnrS2 participent directement ou indirectement à la dégradation du NO en culture
3) NnrS1, NnrS2, Hmp et NorB agissent indépendamment en culture
4) NnrS1 semble avoir une activité NO réductase
5) NnrS1 et NnrS2 participent directement ou indirectement à la dégradation du NO dans les nodules symbiotiques
II) Les plantes inoculées avec les mutants nnrS1, nnrS2 ou norB présentent une sénescence précoce des nodules
1) Caractérisation macroscopique et microscopique de la sénescence des nodules formés par les mutants bactériens nnrS1, nnrS2 et norB
2) Les bactéries se différencient en bactéroïdes mais perdent leur viabilité dans les nodules formés par les mutants nnrS1, hmp et norB
3) Les plantes inoculées avec chacun des mutants présentent une diminution de la fixation d’azote corrélée à une réduction du développement des parties aériennes
4) La diminution de la quantité de NO en zone III du nodule suffit à retarder la sénescence
III) Etude de la tyrosine nitration de protéines bactériennes et végétales
1) Les protéines bactériennes NnrS1 et Hmp régulent la tyrosine nitration et l’activité de la GS végétale dans les nodules
2) Mise en évidence de nouvelles protéines bactériennes et végétales tyrosine nitratées
3) Vers l’identification par spectrométrie de masse des protéines bactériennes tyrosine nitratées
DISCUSSION
I) Fonction de NnrS1 et NnrS2 de S. meliloti
II) Les nodules formés par les mutants nnrS1, nnrS2 et norB accumulent du NO et sénescent prématurément
III)Contribution respective de chacune des protéines dans le contrôle du niveau de NO dans les nodules
IV) Mode d’action du NO dans l’induction de la sénescence : étude de la tyrosine nitration de protéines végétales et bactériennes
MATERIELS ET METHODES
I ) Souches et plasmides
1) Culture des souches bactériennes
2) Construction du mutant de délétion nnrS2
3) Construction des souches surexprimant nnrS1et hmp
4) Construction des souches contenant le biosenseur du NO
II) Test de sensibilité au NO
IV) Conditions de croissance des plantes
IV) Détection et quantification du NO
1) Détection sur coupes de nodules
2) Quantification du NO
V) Extraction d’ARN de nodules, reverse transcription et analyse d’expression du gène hmp
VI) Dosage du N2O par chromatographie en phase gazeuse
VII) Dosage d’une activité NO réductase
VIII) Observation et mesure des paramètres biologiques liés à la sénescence des nodules
1) Suivi de la sénescence des nodules
2) Microscopie électronique et coloration au bleu de Toluidine
3) Coloration avec la sonde « Live and Dead »
4) Fixation de l’azote mesurée par le test de réduction de l’acétylène (ARA)
5) Mesure du poids sec des parties aériennes des plantes
IX) Quantification de la tyrosine nitration et activité de la Glutamine Synthétase (GS)
1) Extractions des protéines, SDS-PAGE et analyse par Western blot
2) Quantification de la nitration de la GS par un test ELISA
3) Détermination de l’activité de la GS
X) Tyrosine nitration de protéines bactériennes
1) Profil de protéines tyrosine nitratées de nodules
2) Profil de protéines tyrosine nitratées de cultures bactériennes
3) Identification des protéines bactériennes tyrosine nitratées en culture
CONCLUSION
ANNEXES
REFERENCES