Une réponse humanitaire lente à se mettre en place
Comme évoqué précédemment, les investigations épidémiologiques ayant fait suite au déclenchement de l’épidémie de choléra en Haïti ont inculpé le contingent népalais de la MINUSTAH comme responsable de l’introduction de la maladie dans le pays. Cette déclaration a lancé un profond discrédit de l’ONU au sein de la population haïtienne, étant allé jusqu’à une plainte déposée par des avocats des victimes du choléra ; cette plainte visait principalement l’ONU, son secrétaire général ainsi que la MINUSTAH. Ce discrédit a affecté par extension les ONG car, dans l’imaginaire local, la distinction entre l’ONU et les ONG n’est pas forcément faite. Aussi, l’ensemble de l’action humanitaire a été entaché d’aspects négatifs.
Les premières réactions face à cette accusation ont été des tentatives de mettre à mal la possibilité selon laquelle les Nations Unies seraient coupables et de sous-estimer la sévérité de la crise. Ainsi, mi-novembre 2010, l’OMS estimait à 200.000 le nombre de cas potentiels de choléra dans les 6 à 12 mois à venir. Plus tard, l’organisation révisa ses chiffres à la hausse pour estimer à 400.000 personnes potentiellement atteintes dans le « pire scénario ». Or, neuf mois plus tard, le nombre d’haïtiens touchés par le choléra avait dépassé les 400.000 personnes et continuait d’augmenter. Cette sous-estimation de l’épidémie par l’OMS a été néfaste pour deux raisons principales. Tout d’abord, les fonds mobilisés pour le choléra ont été trop faibles étant donné qu’ils étaient proportionnés aux 200.000 cas potentiels. De plus, les premières réactions ont été trop lentes et cela s’illustre par les chiffres. En effet, selon l’OMS, avec un traitement adéquat, le taux de létalité devrait rester au dessous de 1%. Or, dans les premières semaines de l’épidémie, le taux de létalité avait atteint près de 7% dans les zones du pays les plus affectées.
Par ailleurs, en janvier 2011, les Nations Unies ont déclaré que le choléra en Haïti était sur une tendance décroissante et que l’épidémie avait été stabilisée dans l’ensemble des 10 départements du pays, affirmant ainsi une réduction de taux de létalité à 2% environ.
Beaucoup d’acteurs de santé ont donc commencé à réduire le volume de leur réponse.
Or, la majeure partie de cette stabilisation était due à la saison sèche. Une étude publiée dans le journal médical The Lancet, en mars 2011, notait justement que la baisse du taux de prévalence du choléra au début de l’année 2011 était partie intégrante de l’évolution d’une épidémie et ne devait pas être interprétée comme un indicateur du succès d’une intervention. Toutefois, les financements pour la lutte contre le choléra et la préparation pour la saison des pluies ont commencé à diminuer.
Les efforts dans la lutte contre le choléra ont également été sévèrement minés et ralentis par les élections présidentielles en novembre 2010 qui ont lieu lors du pic du taux d’incidence et de mortalité du choléra. Or, ce sont les élections qui ont été privilégiées, notamment au niveau des financements au détriment de la lutte contre le choléra. Par ailleurs, les élections ont également eu l’effet néfaste et non intentionnel de rassembler un grand nombre de personnes alors même qu’une épidémie violente se propageait dans le pays.
Il apparaît donc bien que l’épidémie de choléra soit survenue dans un pays en état de choc suite au séisme du 12 janvier 2010. Si Haïti est un pays qui a des défaillances structurelles quant au secteur de l’EHA, le séisme est venu mettre à mal les premiers efforts entrepris et détruire le peu d’infrastructures existantes. Dans ce contexte, l’épidémie de choléra a souligné de façon dramatique ces défaillances. L’amélioration de l’accès de la population à des services adaptés d’eau et d’assainissement, l’amélioration de la qualité de l’eau de boisson et l’amélioration des pratiques d’hygiène constituent les défis majeurs pour endiguer la propagation du choléra. En ce sens, il est désormais essentiel de s’intéresser aux mécanismes d’urgence mis en place en réponse à l’épidémie de choléra par les organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales et d’analyser leurs impacts.
Une réponse d’urgence aux impacts limités
La réponse humanitaire a été lente à se mettre en place suite à la déclaration des premiers cas de choléra, étant donné la surprise qu’a représenté cette nouvelle catastrophe à laquelle les acteurs ne s’étaient pas préparés et le discrédit jeté sur l’ONU.
Il importe donc d’étudier les mécanismes d’urgence mis en œuvre par les acteurs en présence ainsi que les avancées qu’ils ont rendu possible et les défis restant à relever.
Le modus operandi des ONG qui empêche de « penser dans l’urgence »
Un mode opératoire qui souffre d’une coordination défaillante…
Il est essentiel de comprendre dans le cas de l’épidémie de choléra, que la réponse WaSh a été apportée par des acteurs déjà opérant dans le cadre de la réponse au séisme, par exemple au travers d’activités de Water Trucking , pour approvisionner les populations déplacées dans les camps. Il importe également de noter que la présence humanitaire en Haïti est une présence de longue date visant à relever les défis structurels du pays, notamment au travers de projets de développement.
Haïti est la première république indépendante en 1804 issue de la révolte des esclaves.
Entre les dictatures successives et les évènements climatiques chroniques, les organisations humanitaires tentent depuis longtemps de pallier les lacunes du gouvernement et subvenir aux besoins de la population dans différents secteurs. L’ONU, présente en Haïti depuis 2004 à travers la MINUSTAH, s’est vue prolonger son mandat, « aider le gouvernement haïtien à créer un environnement sûr et stable » à la suite du séisme du 12 janvier 2010. Cette mise en contexte permet de comprendre combien la réponse à l’épidémie de choléra survenue en octobre 2010 s’est ancrée dans un paysage humanitaire complexe régi par un système de coordination préexistant. Or, la coordination des différentes parties prenantes est accusée de faire défaut depuis bien avant le séisme. En effet, le « C word », faisant référence au terme coordination, est souvent pointé du doigt comme l’origine de tous les maux du pays. L’inefficacité des nombreux groupes de coordination et leur difficulté à harmoniser des acteurs aux mandats différents (acteurs d’urgence, de développement, etc.) est souvent soulignée. Si le séisme a redistribué les cartes de la coordination, avec notamment la mise en œuvre du système onusien des clusters, celle-ci n’a pour autant pas pallier ses difficultés et l’épidémie de choléra a cruellement révélé ses défaillances et son manque d’efficacité.
L’organisation par clusters, faisant suite à la réforme humanitaire enclenchée en 2005, est un mécanisme de coordination sectorielle des différents acteurs humanitaires en présence. Au-delà de problématiques opérationnelles telles que l’utilisation majoritaire de l’anglais comme langue de travail, ce mode de fonctionnement en cluster s’est avéré dans le contexte haïtien très standardisé et peu propice à des actions d’urgence efficaces. A titre d’exemple, nous pouvons faire un détour par la réponse sanitaire immédiate aux premiers cas de choléra qui a été apportée par des acteurs ne prenant pas part aux clusters. En effet, J-M Biquet et C. Schulte-Hillen illustrent dans leur article comment Médecins Sans Frontières et des médecins venant de Cuba ont été les seuls, durant les trois premiers mois de l’épidémie, à être en mesure d’apporter une réponse d’urgence, traitant ainsi 80% des cas enregistrés sur la période. Cela est d’autant plus alarmant que sans traitement, le choléra peut tuer plus de 50% des cas.
Des organisations telles que la Croix-Rouge française ou Save the Children n’ont ouvert de centres de traitement contre le choléra qu’en janvier 2011. Ce détour nous permet de comprendre que ce ne sont pas les moyens des acteurs pour intervenir qui ont fait défaut mais bien la capacité à penser puis à mettre en place des actions en urgence de manière efficace, notamment au sein d’un système de coordination trop complexe. C’est donc la capacité à « penser dans l’urgence », pour reprendre la formule de Rony Brauman , qui a péché.
Le système de coordination en clusters semble donc avoir été défaillant dans le cadre de la réponse apportée à l’épidémie de choléra. Le caractère sectoriel de cette organisation a posé problème dans cette « double crise » qui aurait nécessité une transversalité des interventions. Cela est d’autant plus vrai que, si le choléra nécessite bien évidemment des interventions médicales d’urgence, il n’en reste pas moins que, comme nous l’avons vu précédemment, sa propagation est due à des problèmes sanitaires structurels que le séisme a accentué. Rappelons également qu’au niveau gouvernemental, si la DINEPA joue un rôle de leader au sein du cluster WaSH, c’est le MSPP qui est charge de la gestion de l’épidémie de choléra, ce qui n’a pas facilité la transversalité des interventions. Ainsi, le système de coordination alors en place n’est pas parvenu à s’adapter à son contexte spécifique et a empêché les acteurs WaSH notamment de penser cette transversalité et d’imaginer des solutions pérennes dans une situation d’urgence en parallèle d’actions coup de poing classiques.
…empêchant de « penser dans l’urgence »
Après avoir étudié les mécanismes de coordination défaillants dans le contexte haïtien de « crise dans la crise », notre analyse se concentrera ici sur les initiatives mises en œuvre dans secteur de la WaSH qui nous intéresse et qui semble être le levier majeur pour endiguer une épidémie de choléra. En effet, les mesures prises concernant l’eau, l’hygiène et l’assainissement, ont été largement insuffisantes pour répondre aux besoins criants de la population affectée. Cela est en partie dû au fait que les acteurs en présence ont mis en place des actions d’urgence dites classiques, liées plus à leur savoir faire qu’aux besoins identifiés, sans véritable mise en contexte. L’adaptation au contexte revêt cependant toute son importance par le simple fait que la population n’a aucune capacité de résilience, ni de connaissances, face à cette maladie qui n’a pas sévi depuis environ un siècle sur l’île.
L’épidémie de choléra s’étant déclarée dans un pays qui s’attelait à la réponse humanitaire du séisme, les mécanismes proposés et mis en œuvre sont venus se superposer à ceux alors en place. Une concentration des services dans les camps de déplacés a été observée et la promiscuité y laissait craindre une propagation fulgurante de l’épidémie. Les activités de court terme visant la pose de bladders,l’approvisionnement en camion-citerne, la mise en place de stations de potabilisation, la réhabilitation de latrines dans les camps ainsi que la distribution de kits d’hygiène se sont multipliées. Ces réponses étaient pour la plupart orientées sur les conséquences immédiates du séisme puis de l’épidémie de choléra et non focalisées sur les infrastructures WaSH pourtant à l’origine de la propagation rapide de la maladie. La véritable vulnérabilité de la population, au travers de l’interrogation « pourquoi les gens sont-ils dans ces camps ? », semble avoir été oubliée au profit d’interventions classiques que les ONG savent mettre en œuvre. Parallèlement, d’autres acteurs, dits de « développement », avec une stratégie à plus long terme, qui travaillaient dans le secteur de l’eau avant ces catastrophes, ont commencé la réhabilitation des infrastructures de réseau, réservoirs et kiosques, notamment en coopération avec les administrations nationales. Cette distinction d’interventions montre bien qu’au sein d’un même secteur, les interventions sont divisées entre les organisations prônant des stratégies court terme et celles avec des stratégies à plus long terme. Là encore, le manque de coopération et de transversalité est criant et ces « approches par projets » montrent l’inefficacité de l’éparpillement des initiatives.
De plus, d’une manière générale, les organisations spécialisées dans la WaSH ont mis essentiellement l’accent dans leurs interventions sur l’accès (à l’eau, à l’assainissement, etc.) et beaucoup moins sur les deux autres maillons de l’assainissement que sont l’évacuation et le traitement des effluents de boue, des eaux usées, etc. ; volet pourtant essentiel dans la lutte contre le choléra. Enfin, le secteur humanitaire WaSH n’a pas su ou pu développer des options de gestion des excrétas dans les contextes urbains. En effet, les propositions techniques et organisationnelles faites à l’époque, à Port-auPrince notamment, ne peuvent pas être viables, tant d’un point de vue économique qu’environnemental.
Nous reviendrons sur la difficulté d’intervenir dans le secteur WaSH en milieu urbain ainsi que sur la vulnérabilité spécifique de la population dans la seconde partie de ce travail car il importe auparavant d’interroger les obstacles, autres qu’une coordination défectueuse, ayant empêchés les acteurs WaSH à « penser dans l’urgence » et à mettre en œuvre les solutions réellement pertinentes pour répondre à cette crise. D’une part, il est possible de relever un obstacle inhérent à la pratique même d’acteurs de terrain ; obstacle communément appelé l’« effet tête dans le guidon ». Cet obstacle revient à l’incapacité, pour les acteurs sur place, de prendre le temps de la réflexion et d’agir de manière presque mécanique pour répondre à une crise similaire connue ailleurs en faisant bien souvent l’abstraction des contextes spécifiques. L’urgence de la crise conduit souvent à ce type d’obstacles du fait d’un diagnostic trop rapide ou d’un suivi opérationnel ne permettant pas le réajustement des activités en fonction de l’évolution du contexte, accentué par un taux de rotation élevé du personnel expatrié qui rend difficile la capitalisation d’expérience. Cet état de fait s’illustre encore plus dans le contexte haïtien où l’épidémie de choléra est intervenue comme un choc dans une situation de crise, surprenant la majeure partie des acteurs qui se sont retrouvés figés.
D’autre part, il existe un obstacle à « penser dans l’urgence » d’ordre beaucoup plus pragmatique ; il concerne la question des financements dont dépendent beaucoup d’ONG. Lors d’une proposition de projet, les ONG sont soumises à différents critères d’intervention émis par les bailleurs de fonds et qui diffèrent selon chacun. Ces critères sont établis selon un système top-down pouvant obstruer des interventions adéquates.
Ils laissent donc peu de marge de manœuvre aux ONG qui doivent réaliser d’intenses plaidoyers si elles veulent rendre possible des prises de conscience auprès des bailleurs de la non adéquation des critères initiaux avec la réalité du terrain. De plus, dans la logique des bailleurs, une urgence pouvant rapidement être chassée par une autre, les ONG se trouvent dans un équilibre fragile où il s’avère nécessaire de prendre les financements tant qu’il y en a, sur des projets à court termes, au risque de ne pas apporter la meilleure réponse possible.
En somme, il semble qu’il existe de fait un ensemble de facteurs qui rendent systématique une lecture linéaire et chronologique du célèbre continuum URD auquel les acteurs humanitaires se sont conformés avec chacun sa stratégie d’intervention. Or, il apparaît que le contexte haïtien et particulièrement le choc qu’a constitué l’épidémie de choléra dans une situation de crise due au séisme et aux problèmes structurels du pays, désincarnent ce modèle théorique séquentiel et appellent à le dépasser. Au delà d’une mise à mal de ce modèle, il est même possible d’interroger l’impact négatif du strict respect de ce continuum et donc des réponses d’urge.
Le principe du «Ne Pas Nuire » en question
Le principe du « Ne Pas Nuire » réfère à la responsabilité de protection de la population qui incombe aux organisations humanitaires. Généralement, ce principe vise les situations de conflits et signifie devoir « éviter ou minimiser l’impact négatif pouvant être généré par ses programmes humanitaires » . Bien que le contexte haïtien ne soit pas celui d’un conflit armé, nous ferons référence à cette définition dans le but d’analyser les possibles impacts négatifs des actions d’urgence mises en place en réponse à l’épidémie de choléra. Le but est de comprendre en quoi les interventions humanitaires ont pu exposer la population à de nouveaux préjudices. Nous nous attacherons ici aux impacts très opérationnels d’une action en prenant deux exemples d’effets pervers de réponses d’urgence identifiés en Haïti.
Tout d’abord, nous avons vu précédemment que, dans le secteur de l’EHA qui nous intéresse, la réponse à l’épidémie de choléra s’est superposée à celle apportée pour le séisme dans les camps de déplacés avec la crainte d’une propagation fulgurante de l’épidémie. Ainsi, les populations disposaient d’un ensemble de services WaSH performants rendant les conditions de vie, relatives à ce secteur, beaucoup plus acceptables que dans les quartiers ou les bidonvilles. Emmanuel Moy, alors coordinateur programmes en Haïti pour l’ONG Solidarités International explique : « En fait, on faisait du concret dans les camps. A tel point que ce sont les gens des quartiers qui ont fini par venir vivre dans les camps. C’est tout le contraire de ce qu’on cherchait à faire ».
L’ensemble des services, notamment WaSH, se concentrant dans les camps, les gens démunis y voyaient de nombreux avantages, particulièrement l’absence de loyers et la perspective de « durcissement » des infrastructures (tentes, latrines, etc.). Cet effet pervers de la multiplication des services interroge d’une part la pertinence des actions d’urgence ayant pour simple objectif d’agir, en dehors de toute stratégie globale, et d’autre part, indique une mauvaise analyse de la cause de la vulnérabilité de ces populations déplacées.
De plus, et ce second impact est très lié au premier, les actions d’urgences mises en œuvre ont plongé le pays dans une situation d’assistanat exacerbée. Si Haïti est dite « sous perfusion humanitaire » depuis de nombreuses années, cette double crise et les interventions d’urgence qui s’en sont suivies ont réellement mis à mal les services nationaux alors pris en charge par les organisations humanitaires. Concernant l’approvisionnement en eau dans les camps de déplacés, la majorité du service de Water Trucking a été payée par les organisations internationales mais a placé à long terme les populations dans une situation d’assistanat et tend à fragiliser les structures communautaires préexistantes. La démonstration pourrait être la même concernant la vidange des latrines, ce service étant payé par la communauté internationale sans réelle réflexion sur le devenir de celui-ci. Nous ne nions pas que ces modalités d’interventions soient essentielles et pertinentes en phase d’urgence aiguë, comme ce fut le cas après le séisme, mais si elles perdurent sans stratégie globale, ni stratégie de sortie, les effets pervers sont alors nombreux. Or, l’épidémie de choléra aurait pu et dû être un levier pour penser de nouvelles modalités d’intervention plus pérennes, particulièrement dans le secteur WaSH. Là encore, le questionnement sur l’objet de la vulnérabilité des populations déplacées semble être central.
L’ensemble de ces éléments mène à penser que les organisations humanitaires présentes en Haïti en réponse au séisme de 2010 n’ont pas su appréhender l’épidémie de choléra comme un choc nécessitant une approche plus transversale dépassant le continuum classique URD. Concernant le secteur WaSH, la réponse humanitaire semble s’être enlisée dans une situation d’urgence chronique, les défis du désengagement et de la maintenance des infrastructures n’ayant pas été anticipés. Sans mise en contexte actualisée, ces conclusions pourraient venir pousser à l’extrême notre hypothèse de départ selon laquelle « Dans le contexte de l’épidémie de choléra, intervenir sur une urgence par des mécanismes à court terme a un impact limité sur l’atteinte des objectifs ».
En effet, les conséquences néfastes de ces mécanismes à court terme nous tenteraient de remplacer les termes d’ « impact limité » par « impact néfaste ». Or, il ne faut pas nier qu’enter 2010 et 2013, l’épidémie a finalement été contenue. Reste à savoir quelles ont été ces avancées et quels enjeux sont encore d’actualité.
Des avancées, des défis
Des progrès substantiels mais des risques persistants
Entre octobre 2010 et fin 2013, les interventions humanitaires du secteur WaSH et sanitaire, suivant des stratégies à court terme, se sont succédées. Malgré l’absence de pérennité de la plupart de ces interventions, des progrès significatifs ont été réalisés et ont participé à la réduction de l’incidence du choléra dans le pays. Sur la période, plus de 140 millions US dollars dédiés à la lutte contre l’épidémie de choléra ont été investis, des système de surveillance de la qualité de l’eau ont été mis en place notamment dans les centres de santé, plus de 9 millions de pastilles de purification de l’eau, savons et équipements médicaux ont été distribués dans des kits d’hygiène pour prévenir et soigner le choléra. De plus, la vidange des latrines par les organisations WaSH a concerné environ 1,2 million de personnes. Des campagnes de vaccins contre le choléra par voie orale ont été réalisées ainsi que des campagnes d’hygiène communautaire ayant sensibilisé des milliers de familles. Enfin, des efforts ont été faits pour renforcer le rôle des autorités nationales et pour améliorer la coordination et la réponse apportée à travers le pays.
Ces progrès peuvent également s’illustrer à travers les chiffres. Fin novembre 2013, la proportion de décès dus au choléra était de 1,2%, ce qui est légèrement supérieur aux 1% recommandés par l’OMS pour qualifier une épidémie de contrôlée. Par ailleurs, le nombre de cas par mois est passé de 84.391 en décembre 2010 à 6.617 en novembre 2013.
Si l’épidémie de choléra semble avoir été contrôlée grâce à ces mécanismes d’intervention à court terme, ceux-ci constituent largement une substitution aux services étatiques et ne représentent en aucun cas des solutions durables. Or, l’épidémie de choléra, bien que contenue, comporte encore de nombreux risques. Le principal d’entres eux est le risque pour Haïti de devenir un pays où le choléra serait présent de manière endémique . En effet, cette maladie étant principalement véhiculée par l’eau et, considérant le manque chronique d’accès à l’eau potable et les défis structurels relatifs aux infrastructures d’assainissement dans le pays, il semble fort probable que la maladie devienne endémique en Haïti. Cela est d’autant plus vrai que tout ouragan ou cyclone devient source d’inquiétude sur une possible recrudescence des cas de choléra que les défaillances structurelles du secteur ne sont pas en mesure de juguler.
Parallèlement, et cela vient confirmer ce risque endémique, au vue de la baisse du nombre cas et du taux d’incidence de l’épidémie dans le pays, de nombreuses ONG intervenant dans la lutte contre le choléra ont réduit leur volume d’intervention, voire se sont retirées du pays. Ainsi, nous disions précédemment qu’environ 100 ONG intervenaient dans le secteur WaSH en 2011 quand, fin 2013, il n’en demeurait plus qu’environ 50 alors même que les capacités nationales n’ont que très peu progressé, ou du moins pas de manière comparable au contrôle de l’épidémie. Cette réduction significative des ONG dans ce secteur laisse place à un grand déficit en termes de couverture sanitaire. L’enjeu relatif au choix des mécanismes d’intervention devient donc de taille et la mise en place de stratégies adaptées à cette évolution du contexte, pour les acteurs internationaux notamment, se doit d’être la priorité.
Il est intéressant, afin de conclure ce point, de noter la contradiction inhérente aux actions de court terme car si elles ont pu permettre de contenir l’épidémie de choléra et de réduire significativement son incidence dans le pays, elles semblent parallèlement responsables du risque endémique pesant aujourd’hui sur Haïti. Etant donné l’absence de résilience de la population haïtienne face à cette maladie ainsi que les défaillances structurelles des infrastructures WaSH du pays, le risque endémique aurait pu être identifié par les acteurs en présence dès le début de l’épidémie et aurait pu être appréhendé grâce à des actions plus pérennes parallèlement aux réponses d’urgence, soit une approche intégrée à travers une stratégie bouclier/coup de poing.
En ce sens, il importe désormais de s’attacher à ce volet structurel de la lutte contre le choléra qui semble avoir été oublié lors de la propagation de l’épidémie et dont le risque endémique paraît avoir marqué la prise de conscience de l’ensemble des acteurs en présence.
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Table des matières
LISTE DES ACRONYMES
LEXIQUE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE – « L’URGENCE DE SOLUTIONS DURABLES » FACE AU CHOLERA EN HAÏTI : L’URGENCE OUBLIEE
A. LE CHOLERA EN HAÏTI
1. Etat des lieux de la situation sanitaire
a. La situation sanitaire déplorable …
b. … que le séisme est venu exacerber.
2. Historique de l’épidémie
a. L’épidémie de choléra : un choc dans une situation de crise
b. Une réponse humanitaire lente à se mettre en place
B. UNE REPONSE D’URGENCE AUX IMPACTS LIMITES
1. Le modus operandi des ONG qui empêche de « penser dans l’urgence »
a. Un mode opératoire qui souffre d’une coordination défaillante
b. …empêchant de « penser dans l’urgence »
c. Le principe du «Ne Pas Nuire » en question.
2. Des avancées, des défis
a. Des progrès substantiels mais des risques persistants
b. Lutter contre le choléra : une prise de conscience du volet structurel
PARTIE 2 – POUR SOLIDARITES INTERNATIONAL, UNE NECESSITE D’INNOVER
A. INTERVENIR SUR UNE CRISE COMPLEXE EN MILIEU URBAIN
1. Une vulnérabilité spécifique de la population
a. Mettre fin à l’urgence dans les camps…
b. … et intervenir dans les quartiers.
2. Faire de la WaSH en contexte urbain de manière durable : quels enjeux ?
a. Un enjeu technique
b. Un enjeu institutionnel
c. Un enjeu socioculturel
B. L’INNOVATION D’UN PROJET INTEGRE (QUI REPOND A LA DOUBLE CRISE : SEISME + CHOLERA)
1. Un cheminement innovant
a. La compréhension du changement de paradigme de l’urgence
b. Focus sur Christ-Roi : un quartier, des enjeux
2. Un double défi pour SI
a. Le défi des modalités d’actions et des actions à mener
b. Se maintenir dans son mandat
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE 1
ANNEXE 2
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