Le modèle séquentiel (Atkinson et Shiffrin, 1968
Les trois composantes de la mémoire dans ce modèle sont (figure 2.1) :
– Un registre sensoriel (ou « mémoire sensorielle ») pouvant retenir une grande quantité d’informations sensorielles (sons, images, odeurs, … etc.) pendant un temps très court (moins d’une seconde) ;
– Une MCT contenant un nombre limité d’éléments, stockés sous forme verbale pendant quelques secondes ;
– Une MLT correspondant à la conception de la mémoire au sens large. Elle contient des informations de nature sémantique, et ne connaît pas, en théorie, de limites de capacité ou de durée de mémorisation.
Selon ce modèle, la probabilité de mémorisation en MLT (c’est-à-dire un apprentissage durable) dépenderait uniquement de la durée de présence en MCT. De plus, toute perturbation en MCT devrait entraîner des troubles de la MLT. Or on observe en pathologie des dissociations qui prouvent que le registre à long terme peut être intact malgré une atteinte du registre à court terme (Rouleau and Belleville, 1993, Eustache and Desgranges, 2003).
Concept de Mémoire de Travail (Baddeley, 1986)
Dans ce modèle, les auteurs Baddeley et Hitch (1974) (figure 2.2) contestaient le principe de mémorisation du modèle séquentiel, donnant naissance au concept de MdT. On distingue ainsi la MCT qui serait un système de rétention provisoire et passif, de la MdT qui permettrait de réaliser un certain nombre de traitements pendant la rétention de l’information (système actif). Le modèle de Baddeley ne postule pas le passage obligatoire par le système à court terme avant d’accéder au système à long terme, et remet en question le principe unitaire de la MCT proposant l’existence de plusieurs sous-systèmes travaillant en parallèle.
La MdT serait définie comme un système dynamique, de capacité limitée dans le temps et dans la quantité d’informations, permettant le stockage temporaire des informations pendant le temps nécessaire à leur traitement (Godefroy, 1998). Les capacités restreintes de ce modèle engendrent des baisses de performances en situation de double tâche (Baddeley, 1998b).
Dans le modèle proposé par Baddeley et Hitch (1974), puis par Baddeley (1986), une composante principale amodale, l’Administrateur Central (AC) (central executive), est soutenue par deux systèmes esclaves : la Boucle Phonologique (BP) ou articulatoire (articulatory/phonological loop) et le Calepin Visuo-Spatial (CVS) (visuo-spatial sketchpad).
L’administrateur central
C’est la composante la plus importante du modèle, car il intervient dans toutes les tâches cognitives. Il est défini comme un système attentionnel flexible, dépendant du cortex préfrontal, de capacité limitée, qui permet le traitement des informations quelques soient leurs natures (Baddeley, 1986). Il a pour fonction de superviser les processus cognitifs et de contrôler leur exécution : il intervient dans la sélection des informations pertinentes à intégrer et dans la mise en oeuvre des processus nécessaires à leur traitement. Une définition de l’AC serait donc un système attentionnel qui coordonne les opérations des sous-systèmes, qui gère le passage des informations entre les soussystèmes et la MLT et qui sélectionne stratégiquement les actions les plus efficaces à effectuer. Baddeley proposait que l’AC régulerai la manipulation de l’information dans toutes les tâches qui nécessitent un stockage d’information. Il interviendrait principalement dans la coordination entre tâches, la sélectivité attentionnelle, le shifting et la recherche en MLT (Baddeley, 1996b, Godefroy, 1998). Baddeley a également distingué d’autres fonctions à l’AC, notamment la coordination de tâches doubles autrement définie comme la capacité de réaliser deux activités mentales simultanément (Baddeley, 1996a, Van der Linden et al., 1998). Selon Baddeley (Baddeley, 1986, Baddeley, 1996a), l’AC serait un système attentionnel qui se rapprocherait du concept. de superviseur attentionnel (Système Attentionnel de Supervision ou SAS) du modèle proposé par Norman et Shallice (Norman and Shallice, 1980)(cf. chapitre 3, partie 3.1.3.2.), système qui intervient lors de situations nouvelles ou les schémas ou routines d’action sont absents ou inappropriés. Ce système serait apte à interrompre des comportements en cours, inhiber des actions habituelles ou faire un choix entre différents schémas d’action.
La boucle phonologique
Elle est spécialisée dans le stockage temporaire de l’information verbale. C’est la composante de la MdT la plus étudiée. Baddeley (Baddeley, 1996c) postulait que ce système a deux composantes : une unité de stockage phonologique passif (non articulatoire) et un processus de contrôle (récapitulation) articulatoire (figure 2.3). L’unité de stockage phonologique permet de garder une trace mnésique verbale pendant une durée d’environ 2 secondes (capacité de stockage limitée, correspondant à l’empan). On peut la mettre en évidence grâce à l’effet de similarité phonologique. Décrit à l’origine par Conrad (Conrad and Hull, 1964) puis repris par Baddeley (Baddeley, 1966), on montre que lors du rappel d’une série de lettres ou de mots, on obtient des résultats plus performants pour les séries d’items phonologiquement contrastés (par exemple : F, W, T, R, K, J) par rapport aux items dont la phonologie ou les caractéristiques articulatoires sont semblables (par exemple : B, C, G, V, T). Les items similaires ont moins de caractéristiques distinctives et sont donc susceptibles de s’effacer plus rapidement (Baddeley, 1996c). Cet effet de similarité est obtenu car le stockage des informations linguistiques se fait sous forme phonologique. Cet effet s’observe principalement lors de rappel immédiat, et tant à disparaître lors d’un rappel différé, confortant l’idée que le stockage en MCT se fait sous forme phonologique alors que le stockage en MLT se fait sous forme sémantique (informations plus stables) (Baddeley, 1996c).
La deuxième composante de la BP est le processus de contrôle articulatoire. Ce système est capable de maintenir l’information dans le stock phonologique en le recyclant, par le biais de l’activité continue de l’autorépétition sub-vocale : il permet de rafraîchir l’information en la réintroduisant dans le stock phonologique.
L’argument principal en faveur de l’existence de ce système est l’effet de longueur des mots : les mots les plus courts (monosyllabiques, par exemple ‘part’) sont plus facilement rappelés que les mots longs (polysyllabiques, par exemple ‘particulier’). De même, l’empan verbal pour des mots courts est plus important que l’empan verbal des mots longs. Cet effet de longueur semble plus sensible à la durée de l’articulation qu’au nombre de syllabes à répéter : plus l’articulation est rapide, plus le nombre d’items mémorisés est grand (Baddeley, 1996c). Il est possible d’empêcher la répétition sub-vocale grâce à la suppression articulatoire (élimination du processus d’autorépétition sub-vocale). La répétition continuelle d’une syllabe sans signification (bla bla bla par exemple), interfère avec le fonctionnement de la BP : le processus d’encodage, par la sub-vocalisation, d’un matériel visuel sera empêché : les performances diminuent et les effets de similitude phonologique et de longueur des mots disparaissent (Baddeley, 1996c).
La BP a un rôle important dans la fonction langagière. Elle permet notamment (Baddeley, 1996c) :
– L’apprentissage de la lecture : l’empan verbal des enfants dyslexiques est réduit. Or la mémoire et la conscience phonologique interviennent dans l’apprentissage de la lecture. Il semble que la lecture améliore la performance de l’empan mnésique et de la conscience phonologique, qui contribuent euxmêmes aux progrès de la lecture ;
– La compréhension du langage : elle permet de garder une trace mnésique des phrases entendues ou lues. Les patients avec un déficit de la BP ont des difficultés à comprendre des phrases longues et complexes, lues ou entendues ;
– L’acquisition du vocabulaire : l’étude de la répétition de non mots et la taille du vocabulaire sont deux variables fortement corrélées chez des enfants non encore en âge d’apprendre à lire.
Le calepin visuo-spatial
Il est impliqué dans le stockage et le maintien temporaire de l’information visuospatiale et jouerait également un rôle dans la génération et la manipulation des images mentales. Cette composante a été beaucoup moins étudiée car il est difficile de trouver une tâche pertinente. Baddeley supposait l’existence d’un registre de stockage à court terme, visuel et passif, et des processus de contrôle (processus de récapitulation actif) responsables de l’enregistrement de l’information visuo-spatiale, avec une composante de répétition, de nature spatiale, pour le rafraîchissement de l’information (Baddeley, 1996c, Collette et al., 2003). Des données issues de l’observation de cas pathologiques postulaient l’indépendance fonctionnelle entre le CVS et la BP (Morris, 1987). Cependant, ce système est peu décrit et reste encore peu étudié. On sait néanmoins qu’il est possible d’interférer dans le processus de stockage en demandant au sujet un traitement simultané d’information spatiale ou en présentant des items visuels non pertinents. Un autre rôle supposé de la répétition ou récapitulation spatiale de l’information concerne la planification des mouvements en général (Collette et al., 2003).
Des études, notamment en Tomographie par Emission de Positons (PET), suggéraient que les informations de modalité visuelles seraient automatiquement transformées en un code phonologique correspondant, qui permettrait la manipulation de ces informations (Smith and Jonides, 1997).
Remise en question du modèle de Baddeley
Sur les effets de longueur et de similarité
Le modèle de MdT de Baddeley représente à l’heure actuelle l’un des modèles théoriques les plus influents et les plus utilisés depuis les 25 dernières années. Cependant, certaines observations ne trouvaient pas d’explications satisfaisantes dans ce modèle. En particulier, un certain nombre de critiques ont été émises concernant les effets de longueur de mots et de similarité phonologique, effets fondamentaux du modèle de Baddeley. La principale critique concerne l’absence de reproductibilité de ces effets.
Dans une étude comparative des performances de sujets normaux et de sujets anarthriques (difficulté ou impossibilité d’articuler les sons du langage), Della Sala et al. (Della Sala et al., 1991) observaient qu’un certain nombre de sujets normaux ne présentaient pas les effets de longueur ou de similarité, avec un effet test-retest très faible. De même, Logie et al. (Logie et al., 1996) ont mené une étude sur 251 sujets normaux adultes pour analyser les effets de longueur et de similarité. Ils montraient que dans 43% des cas, au moins un des deux effets était absent. Cette absence était observée chez les sujets n’ayant pas utilisé de stratégie d’autorépétition verbale et chez les sujets ayant un faible empan. Par contre, les effets étaient présents chez les sujets qui changeaient de stratégie au cours des sessions. Les auteurs proposaient donc que la répétition articulatoire soit un mécanisme optionnel utilisé seulement en cas de choix stratégique du sujet.
D’autres observations ont conduit à se poser la question d’une éventuelle influence de la MLT sur les performances en MdT. On observe notamment que :
– L’empan des mots est supérieur à l’empan des non mots (effet sémantique : les mots ayant une représentation en MLT, contrairement aux non mots) ;
– L’empan de mots fréquents est supérieur à celui de mots non fréquents (la performance en MdT varie en fonction de la fréquence d’utilisation des mots = effet de lexicalité) ;
– L’empan de mots concrets est supérieur à celui de mots abstraits ;
– L’empan de mots à contenu est supérieur à l’empan de mots fonctionnels (effet grammatical) ; D’après le modèle initial de Baddeley, la MdT a un encodage de type phonologique, ce qui n’explique pas les différences des empans précités : si l’encodage était purement phonologique, les empans devraient être tous égaux. Ces observations suggèrent ainsi l’existence d’une influence de la MLT sur la MdT. Or, toujours d’après le modèle original de Baddeley, la relation entre MLT et MdT est supposée unidirectionnelle, dans le sens MdT vers MLT, et non l’inverse. Ces données ont conduit Logie et al. (Logie et al., 1996) à proposer des modifications importantes au modèle original de Baddeley (figure 2.4). Ils proposaient que les différents effets observés ne puissent s’expliquer que si l’on supposait que les traces mnésiques en MdT seraient reconstruites à partir d’informations présentes en MLT. Dans ce modèle, la MdT est considérée comme une composante optionnelle de la cognition. Sa mise en œuvre s’effectue en fonction d’une stratégie optionnelle de résolution. Cet aspect du fonctionnement de la MdT permettrait l’accès aux représentations des entrées sensorielles en MLT le temps que les processus de traitement s’effectuent, ce qui permet d’expliquer les effets phonologiques, sémantiques et épisodiques observés sur les performances en MdT (cf. l’exemple des empans précédent).
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 : Objectifs de l’étude
Chapitre 2 : Mémoire de Travail
2.1. Evolution du concept de mémoire
2.1.1. Le modèle séquentiel (Atkinson et Shiffrin, 1968)
2.1.2. Concept de Mémoire de Travail (Baddeley, 1986)
2.1.2.1. L’administrateur central
2.1.2.2. La boucle phonologique
2.1.2.3. Le calepin visuo-spatial
2.1.3. Remise en question du modèle de Baddeley
2.1.3.1. Sur les effets de longueur et de similarité
2.1.3.2. Le Buffer épisodique
2.1.3.3. Sur le fonctionnement de l’AC
2.2. Anatomie de la MdT
Chapitre 3 : Attention Divisée
3.1. Les modèles attentionnels
3.1.1. Le modèle du filtre attentionnel (Broadbent, 1958)
3.1.2. Les modèles des ressources attentionnelles
3.1.2.1. Kahneman, 1973
3.1.2.2. Wickens (1984)
3.1.3. Les modèles de systèmes de contrôle
3.1.3.1. Shiffrin et Schneider (1977)
3.1.3.2. Norman et Shallice (1980)
3.1.3.3. Laberge (1995)
3.1.3.4. Baddeley (1986)
3.1.4. Les modèles en réseaux de neurones
3.1.4.1. Mesulam (1990)
3.1.4.2. Posner (1991)
3.1.5. Le modèle de Van Zomeren et Brouwer (1994)
3.1.5.1. Système Attentionnel Superviseur (SAS)
3.1.5.2. Intensité
3.1.5.3. Sélectivité
3.2. Attention divisée
Chapitre 4 : Le traumatisme crânien sévère
4.1. Introduction
4.2. Définition du TCS
4.3. Physiopathologie
4.3.1. Anatomie
4.3.2. Lésions
4.3.2.1. Lésions initiales
4.3.2.2. Lésions secondaires
4.4. Séquelles neuropsychologiques des TCS
4.4.1. Cortex frontal et fonctions exécutives
4.4.1.1. Anatomie du lobe frontal
4.4.1.2. Les fonctions exécutives et leur dysfonctionnement
4.4.2. MdT et AD après un TCS
4.4.2.1. Approche neuropsychologique
4.4.2.2. Bases anatomiques
Chapitre 5 : L’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle
5.1. Principes
5.1.1. Bases physiologiques
5.1.2. Contraste BOLD
5.1.3. Variation du signal pendant l’activité cérébrale
5.1.4. Aspects pratiques
5.2. Avantages et limitations de l’IRMf
5.2.1. Avantages
5.2.2. Limites
5.2.2.1. Limites méthodologiques
5.2.2.2. Artefacts de mouvements
5.2.2.3. Autres limitations
5.3. Acquisition des données
5.3.1. Paradigme
5.3.1.1. Paradigme dit en blocs
5.3.1.2. Paradigme événementiel
5.3.2. Contrôle des performances
5.3.3. Types de données acquises
5.4. Analyse des données
5.4.1. Pré-traitements
5.4.1.1. Corrections des mouvements
5.4.1.2. Lissage temporel
5.4.1.3. Lissage spatial
5.4.2. Normalisation des images
5.4.3. Analyses statistiques
5.4.3.1. Méthodes comparatives
5.4.3.2. Méthodes de corrélation
5.4.3.3. Analyse de covariance
5.4.4. Cartes d’activation
CONCLUSION
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