Le modèle interactif de la lecture

Le modèle interactif de la lecture

Définition et importance du problème

Toutes decennies confondues, la lecture a toujours ete consideree comme l’un des apprentissages essentiels dans le programme scolaire obligatoire. Les autres sont le savoirecrire et le savoir-calculer. Dans la plupart des systemes scolaires, l’apprentissage de la lecture est concu comme le socle permettant de construire tous les suivants, scolaires ou quotidiens, proches ou lointains. ≪ Apprendre a lire est un defi de societe ≫ (Provencher, 2014a, p.84). Pour l’illustrer, nous pouvons prendre la metaphore de la construction d’un mur : la lecture est la premiere ligne de briques servant de base a la pose des suivantes. Elle est a la fois une finalite disciplinaire du francais et un moyen d’apprentissage des autres disciplines. Par consequent, des difficultes en lecture peuvent compromettre la comprehension des taches proposees dans d’autres disciplines, aussi differentes soientelles. Prenons l’exemple d’un probleme en mathematiques : comment un enfant peut-il savoir ce qu’il doit chercher et trouver, s’il n’a pas saisi toutes les precisions contenues dans la donnee ? De plus, l’apprentissage de la lecture marque l’entree dans le cursus primaire, souvent percu comme plus serieux et exigeant par rapport aux annees scolaires precedentes.

En Suisse romande, bien que la distinction entre l’ecole enfantine et primaire ne soit plus d’actualite avec HarmoS (CDIP, 2007, p.4), l’etat d’esprit reste le meme puisque la denomination ≪ ecole primaire ≫ est encore tres utilisee. L’expression ≪ le grand passage ≫ de Bianca Zazzo, reprise par Cebe et Goigoux (2006, p.3), caracterise la transition entre l’ecole enfantine, davantage marquee par l’insouciance, la liberte et l’acceptation des differences, et l’ecole primaire, ou les eleves ≪ comprennent que, dorenavant, ils n’auront plus le droit de ne pas y arriver, de ne pas reussir : l’apprentissage, surtout celui de la lecture, devient, comme l’ecole, obligatoire ≫ (p.3). Apparait alors un malentendu quant a la portee de l’apprentissage en lecture : il est generalement compare a une contrainte scolaire et est rarement rattache au plaisir ou a l’envie de lire. Meme si la lecture nous semble un concept connu de tous, il est difficile d’en donner une definition stabilisee et faisant consensus.

En effet, dans le sens commun, nous limitons trop souvent l’apprentissage de la lecture a la maitrise de mecanismes techniques comme le decodage mot a mot, frequemment symbolise par le ≪ b.a-ba ≫. Cette conception provient d’une des deux principales methodes d’enseignement qui a marque la pedagogie du debut du XXe siecle : la methode syllabique. La majorite des manuels de lecture y recourait jusque dans les annees 1960 (Chauveau, 2007, p.21). La seconde, la methode globale, s’y est diametralement opposee des 1920. La premiere methode part du particulier et va vers le general ; l’autre prend le chemin contraire. Alors que la methode syllabique privilegie l’entree par les sons de chaque mot, la globale prefere proceder a l’inverse en considerant le mot entier avant de l’analyser plus precisement. La methode syllabique consiste alors ≪ a dechiffrer, a oraliser syllabe apres syllabe – a syllaber – un enonce ecrit ≫, alors que la methode globale, developpee par Decroly, demande de memoriser d’abord l’orthographe des mots dans leur ensemble pour pouvoir ensuite les comparer, les analyser et entrer profondement dans leur construction (Chauveau, 2007, p. 17-18). Le lecteur se construit alors une banque de mots connus et donc facilement identifiables lors de nouvelles lectures. D’autres methodes moins categoriques ont fait surface par la suite.

La compréhension en lecture, un processus désormais global

Depuis environ dix ans, la conception de la comprehension en lecture a bien evolue (Giasson, 2007, p. 3). A l’heure actuelle, la majorite des chercheurs en didactique de la lecture se sont mis d’accord sur un modele qui s’oppose au schema traditionnel en deux points. Le premier est celui de considerer desormais la comprehension en lecture comme la mobilisation simultanee de plusieurs habiletes cognitives complexes qui s’etend sur tout le cursus scolaire, et non plus comme la succession hierarchique d’habiletes separees les unes des autres. En effet, nous – chercheurs et enseignants – partagions auparavant la conception qu’il fallait enseigner separement differentes sous-habiletes et etions convaincus qu’elles garantissaient la comprehension d’un texte (Giasson, 2007, p 4). Ainsi, il suffisait que les apprentis lecteurs parviennent a les mobiliser dans des activites decontextualisees pour etre juges comme de bons lecteurs. Pourtant, les chercheurs n’ont jamais pu lister exhaustivement ces sous-habiletes (Irwin citee par Giasson, 2007, p 4) et ont constate qu’il etait frequent qu’un faible lecteur maitrise mieux une de celles-ci par rapport a un lecteur aguerri sans pourtant comprendre le texte (Altwerger et al. cites par Giasson, 2007, p. 4).

Giasson (2007) explique ce paradoxe en affirmant : ≪ toute habilete apprise en dehors d’une activite globale de lecture ne se realise pas de la meme facon que lorsque cette meme habilete est utilisee dans un contexte reel de lecture ≫ (p. 4). Ainsi, l’auteure met l’accent sur l’importance d’entrainer ces habiletes sur des supports authentiques tout en prenant en compte le contexte dans lequel est realisee la lecture. Giasson (2007) utilise d’ailleurs deux metaphores afin d’illustrer la necessaire interaction entre les habilites en comprehension de l’ecrit. La premiere est celle d’un enfant desirant apprendre a conduire un velo : Tout le monde sera d’accord pour dire qu’un enfant qui a appris separement a tenir le guidon d’une bicyclette, a serrer les freins et a pedaler ne sait pas necessairement aller a bicyclette. C’est l’interaction de toutes ces habiletes qui constitue la capacite de conduire une bicyclette. Il en va de meme pour la lecture. (p. 5) La seconde utilise l’image de l’interpretation reussie d’une oeuvre musicale : ≪ […] pour interpreter une symphonie, il ne suffit pas que chaque musicien connaisse sa partition, encore faut-il que toutes ces partitions soient jouees de facon harmonieuse par l’ensemble des musiciens ≫ (Giasson, 2007, p. 5).

De plus, les habiletes necessaires a la reelle comprehension d’un texte doivent s’integrer dans un enseignement dit ≪ spiralaire ≫. Contrairement a un escalier, la spirale permet de revenir constamment et de facon plus approfondie sur les memes notions. Ainsi, le jeune lecteur commence des le debut a entrainer des strategies complexes qu’il creusera tout au long de son apprentissage qui depasse, rappelons-le, le simple cursus scolaire. Taberski (2014) reprend les propos de Harvey et Goudvis pour expliquer la procedure spiralaire attendue chez les enseignants :

Un apprentissage social et culturel

Le modele de lecture de Chauveau s’est largement appuye sur l’approche historicoculturelle de Vygotsky (1985/1997). En effet, la maitrise du langage ecrit ou oral est une fonction psychique superieure apparaissant a deux reprises dans le developpement d’un enfant : tout d’abord avec l’aide d’une personne experimentee (mediateur), puis de facon autonome (Chauveau et al., 2001, p. 18 et Vygotsky, 1985/1997). Grace aux lectures partagees avec un lecteur competent, les jeunes lecteurs ont la chance d’entrer culturellement dans le monde de l’ecrit (activite culturelle). ≪ L’apprenti lecteur acquiert un role, une position, une attitude de lecteur avant d’acquerir les techniques de la lecture ≫ (Chauveau et al., 2001, p. 19). Par ce moyen, le gout pour la lecture est developpe : ≪ la lecture en duo favorise la complicite, diminue l’anxiete et surtout, transforme la lecture en un moment de plaisir ≫ (Provencher, 2016) ≪ et quand [la] ren contre avec le livre se produit dans la joie et le plaisir partage, l’enfant en demande encore ≫ (Andre, 2003). Ainsi, l’apprentissage de la lecture est egalement un apprentissage social. Les premieres experiences en lecture n’apparaissent pas a l’age de six ou sept ans, mais deja plus tot pour les enfants qui beneficient d’un entourage accordant de l’importance a l’acte de lire.

Chauveau parle alors de ≪ pre-lecture ≫, de ≪ lectures interposees ≫ ou de ≪ lecture par procuration ≫ (Chauveau et al., 2001, p. 19). Au final, le plaisir de lire emerge chez l’enfant tout en construisant ses premiers apprentissages comme par exemple la comprehension que la lecture s’effectue toujours de gauche a droite. Or, ces moments de lecture partages ne devraient pas cesser des l’entree a l’ecole primaire, mais devraient se poursuivre en vue de maintenir ce gout pour la lecture. En effet, avec l’aide d’un lecteur aguerri, l’enfant peut lire des textes un peu trop difficiles pour lui. Il sera alors stimule a perseverer pour parvenir plus tard a les lire seul. Ce phenomene est conceptualise sous le terme vygotskien de zone proximale de développement (ZPD) (Vygotsky, 1985/1997). Nous aimerions faire un parallele entre l’apprentissage social et culturel de Chauveau et la variable ≪ contexte ≫ de Giasson. Nous retrouvons effectivement chez le premier auteur les trois sous-contextes de Giasson : le contexte physique, le contexte social, et le contexte psychologique.

En premier lieu, tout ce qui a trait a la mediation d’un adulte dans l’apprentissage de la lecture correspond au contexte social. En rappel, ce dernier a pour but de transmettre l’envie de lire en interagissant avec l’enseignant, les parents et d’autres lecteurs competents qui incarnent le role de mediateurs. Puis, pour Chauveau la lecture se fait dans un livre, un album, un journal, etc. ou sur une pancarte, une manchette, etc. Ainsi, le comportement du lecteur dependra du support (texte) sur lequel se fera la lecture. Cet aspect correspond donc au contexte physique.

Enfin, concernant le contexte psychologique, le bon lecteur est non seulement un chercheur de sens et de code (Chauveau, 1990, p. 12), mais il est egalement amene a se construire progressivement un projet de lecteur en repondant a la question generale : ≪ pourquoi lire ? ≫. Le but de la lecture depend du type de texte. Ainsi, les trois composantes que sont le lecteur, le texte et le contexte interagissent, pour Chauveau, egalement entre elles, comme le veut le modele interactif de la lecture. Pour conclure ce point, nous aimerions faire une legere distinction entre le projet de lecteur de Chauveau et l’intention de lecture de Giasson. Autant le projet que l’intention de lecture amene le lecteur a trouver une raison a lire tel ou tel texte, cependant, le projet se situe a un niveau plus macro que l’intention de lecture. En se forgeant un projet, le lecteur se questionne sur le but de la lecture en general : ≪ pourquoi lire ? A quoi ca sert ? ≫. En revanche, le lecteur ne se construit une intention de lecture qu’au moment de debuter une nouvelle lecture.

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Table des matières

Remerciements
Résumé
Mots-clés
Introduction
Partie théorique
A. Problématique
1. Définition et importance du problème
2. État de la question
3. Objectifs de la recherche
B. Cadre conceptuel
1. Le modèle interactif de la lecture
1.1. La compréhension en lecture, un processus désormais global
1.2. L’interaction texte – lecteur
1.3. Le texte
1.4. Le contexte
1.4.1. Le contexte psychologique
1.4.2. Le contexte social
1.4.3. Le contexte physique
1.5. Le lecteur
1.5.1. Les structures cognitives et affectives
1.5.2. Les processus mobilisant ces structures
2. Les processus de lecture et leurs composantes
2.1. Les microprocessus
2.2. Les processus d’intégration
2.3. Les macroprocessus
2.4. Les processus d’élaboration
2.5. Les processus métacognitifs
2.6. Tableau comparatif des terminologies des stratégies de lecture
3. La lecture, une activité double
3.1. Un apprentissage sur le code et le sens
3.2. Un apprentissage social et culturel
4. L’accompagnement parental
4.1. La relation pédagogique tripolaire
4.2. Les degrés d’implication des parents dans la lecture de leur enfant
5. La relation école-famille
5.1. Du triangle pédagogique au polygone de la coéducation
5.2. Les devoirs à la maison
C. Question de recherche et hypothèses
D. Dispositif méthodologique
1. Méthode de recherche
2. Démarche
3. Échantillon
4. Questionnaires
4.1. Questionnaires des parents
4.2. Questionnaire des élèves
4.3. Activité de lecture
Partie empirique
A. Analyse des données
1. Environnement littéraire des familles
2. Valeur donnée à l’apprentissage de la lecture
2.1. Premier questionnaire des parents
2.2. Deuxième questionnaire des parents
2.3. Questionnaire des enfants
3. Plaisir mutuel à partager des moments de lecture
3.1. Premier questionnaire des parents
3.2. Deuxième questionnaire des parents
3.3. Questionnaire des enfants
4. Sentiment de compétence des parents
4.1. Premier questionnaire des parents
4.2. Deuxième questionnaire des parents
5. Relation famille-école
5.1. Premier questionnaire des parents
5.2. Deuxième questionnaire des parents
6. Retour général sur l’expérience
B. Interprétation des données
1. Première hypothèse
2. Deuxième hypothèse
3. Troisième hypothèse
4. Quatrième hypothèse
Conclusion
A. Valeurs de la démarche
1. Richesse bibliographique
2. Prolongement d’une recherche HEP
3. Relation avec les parents
B. Limites de la démarche et propositions d’amélioration
1. Durée de l’expérimentation et ses conséquences
2. L’option du non volontariat des parents
3. Questionnaires
4. Activités
C. Perspectives pour des recherches ultérieures
Références bibliographiques
Liste des annexes
Attestation d’authenticité

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