Le modèle du jellium, ou gaz d’électrons homogène, est constitué d’un ensemble d’électrons en interaction, accompagnés d’un fond uniforme et inerte de charge positive, de telle sorte que le système soit globalement neutre. Dans cette thèse, aucun champ électrique ou magnétique n’est appliqué, et nous négligeons les effets relativistes. En revanche, les électrons seront bien traités comme des fermions.
Ce modèle épuré est l’un des modèles fondamentaux de la matière condensée : il constitue une première approche pour étudier les interactions entre électrons dans les solides alcalins, comme le sodium [Sla34, WS34, HSP+10]. Le gaz d’électrons bi dimensionnel est aussi réalisé expérimentalement à la surface de l’hélium liquide [GA79] et dans les hétérostructures, à l’interface entre deux couches de semi conducteurs [YLS+99]. Bien avant toute théorie de la conductivité électrique, les métaux sont connus pour être intimement liés à l’électricité. Ainsi, lorsque la particule porteuse de la charge dans les métaux fût mise en évidence pour la première fois par Thomson en 1897, elle fut dénommée électron : c’est la première particule élémentaire à avoir été découverte. Trois ans plus tard, les premiers travaux sur le comportement des électrons dans les métaux ont été faits par Drude en 1900. Dans son modèle, qui porte aujourd’hui son nom, les électrons constituent un ensemble de particules indépendantes, tels les atomes ou molécules dans un gaz dit idéal. Ses calculs donnent des comportements de la conductivité électrique, de la conductivité thermique et de l’effet Hall à température ambiante qui sont qualitativement en accord avec l’expérience.
Dans le modèle de Sommerfeld, l’énergie des électrons est purement cinétique. Chaque électron occupe un état d’onde plane, dont l’énergie et le vecteur d’onde sont reliés par une relation de dispersion quadratique. On appelle gaz de Fermi l’état fondamental d’un gaz d’électrons sans interaction. Cet état est décrit par l’ensemble des ondes planes de vecteur d’onde k de norme inférieure ou égale à kF , le vecteur d’onde associé à l’énergie de Fermi. Chaque état d’onde plane est occupée deux fois, une par état de spin : il y a autant de spin « up » que de spin « down ». L’état fondamental du modèle de Sommerfeld est un gaz de Fermi non-polarisé.
En 1929, Bloch ajoute l’interaction coulombienne au modèle de Sommerfeld qu’il traite par une méthode de champ moyen : la méthode de Hartree-Fock [Blo29]. Dans cette approximation, où la fonction d’onde à N corps s’écrit comme un déterminant de Slater, l’énergie comprend une énergie cinétique positive proportionnelle à k 2 F et une énergie potentielle négative et proportionnelle à kF (voir Fig. 1). Comme kF est inversement proportionnel à rs, l’énergie potentielle domine à rs grand (basse densité) et l’énergie cinétique à rs petit (haute densité). Comme kF dépend aussi de la polarisation, le gaz se polarise à basse densité (Fig. 1). Dans les problèmes à N corps, la prise en compte des corrélations est une tâche difficile. Les premiers travaux incluant les corrélations entre électrons (au moins partiellement) ont été faits par Wigner en 1934 [Wig34, Wig38]. Ces travaux montrent qu’à basse densité, lorsque l’énergie potentielle d’interaction est beaucoup plus importante que l’énergie cinétique, les corrélations déstabilisent le gaz de Fermi et les électrons se localisent autour des sites d’un réseau. Cet état électronique a depuis pris le nom de cristal de Wigner. Dans son modèle, les électrons se comportent comme des oscillateurs harmoniques indépendants autour de leurs sites d’équilibre du réseau. Les réseaux les plus stables sont le réseau cubique centré (bcc) à d = 3, et triangulaire à d = 2 [Fuc35, BM77].
En 1978, les premières simulations numériques sur le diagramme de phase du jellium à deux et trois dimensions sont faites par Ceperley, avec une méthode de Monte Carlo Variationnelle (VMC) [Cep78]. Les calculs Monte Carlo ont permis de grandes avancées sur l’étude du gaz d’électrons. Notamment, les résultats sur la phase gazeuse à haute densité ont donné de meilleures paramétrisations de l’énergie d’échange-corrélation [PZ81], nécessaire aux nombreux calculs de fonctionnel de la densité (DFT) [JG89, GV05]. Aussi, les paramètres de Landau du gaz d’électrons ont pu être calculés [KCM94, HBO+09, HSP+10, HBP+11, DN13a, DN13b]. En 1980, les résultats VMC sur le jellium ont été suivis par des calculs plus précis (d = 3), en utilisant une méthode plus élaborée : Diffusion Monte Carlo (DMC) [CA80b, CA80a]. Trois phases ont été envisagées : le gaz de Fermi polarisé et non polarisé, ainsi que le cristal de Wigner polarisé . À haute densité, l’énergie cinétique domine et le système forme un gaz de Fermi nonpolarisé, comme prédit par le modèle de Sommerfeld. À plus basse densité, rs > 75±5, le gaz de Fermi se polarise, suivant le scénario de Bloch (voir Fig.1), mais à une densité de transition bien plus basse. Le gaz cristallise à rs = 100 ± 20, suivant le scénario de Wigner. En 1982, Alder et al montrent qu’un gaz de Fermi partiellement polarisé est stable de rs = 20 jusqu’à la cristallisation [ACP82]. Dans les années suivantes, les méthodes ont évolué et sont devenues plus précises : ajout du « backflow » et des corrélations à trois corps dans le Jastrow [KCM93, KCM98, HCPE03], calcul de corrections liées aux effets de taille finie [CCMH06, DNSF08]. Les valeurs des densités de transitions ont suivi cette évolution. En 1999, Ortiz et al obtiennent un cristal de Wigner à densité plus grande : rs > 65 [OHB99]. En 2004, Drummond et al confirment les résultats de Ceperley et la cristallisation est obtenue pour rs > 106±1 [DRT+04].
La polarisation du gaz de Fermi est aussi un sujet controversé : Ortiz et al obtiennent une évolution continue de la polarisation entre 20±5 < rs < 40±5. En 2002, Zong et al obtiennent aussi une évolution continue, mais pour rs > 50±2 [ZLC02]. Cependant, leur conclusion indique que des calculs plus précis sont nécessaires. Des calculs récents confirment la stabilité du gaz de Fermi non polarisé pour 0.5 < rs < 20 [SND13].
À deux dimensions, les premiers calculs DMC sont faits en 1989 (Tanatar et Ceperley [TC89]). Contrairement au gaz à trois dimensions, la cristallisation apparaît à des densités plus hautes que la polarisation du gaz : le diagramme de phase est réduit à un gaz non-polarisé à haute densité (rs < 37±5) et un cristal polarisé à basse densité. La polarisation du cristal de Wigner est un problème très difficile. Les excitations de basse énergie correspondent à des excitations de spin décrites par un hamiltonien effectif de multiéchange de spin sur réseau [Tho65]. Les paramètres de cet hamiltonien sont les probabilités d’échange de spin. À très basse densité, régime semi-classique, Roger a calculé ces paramètres échanges en 1984 (méthode WKB, [Rog84]). Au début des années 2000, les échanges ont été calculés par une méthode Monte Carlo Quantique pour le cristal de Wigner à 2 et 3 dimensions [BCC01, BC04, CBC04]. À d = 2, le cristal de Wigner sur un réseau triangulaire se polarise à basse densité à rs = 175±10 [BCC01]. À d = 3, l’état fondamental du cristal de Wigner sur un réseau bcc est toujours non-polarisé [CBC04].
Le modèle du jellium dans le formalisme des matrices densité
Le modèle
L’objectif de cette étude est de comprendre la physique à température nulle du modèle du jellium à la limite thermodynamique. Bien évidemment, afin de faire une étude numérique, nous serons limités à un système de taille finie. Nous utiliserons les conditions aux limites périodiques pour limiter les effets de taille finie, et nous procéderons à une étude de convergence de l’énergie du système en fonction de sa taille. Nous considérons N électrons de masse me et de charge e dans une boîte à d dimensions de volume Ω où d = 2 ou 3. La densité moyenne des électrons est n0 = N/Ω. Un fond uniforme de charge positive de même densité assure l’électroneutralité globale du système.
Hamiltonien et conditions aux limites périodiques
En appliquant les conditions aux limites périodiques, appelées aussi conditions de Born-Von Karman, le système entier est copié à l’identique une infinité de fois. Ceci définit un réseau Rú1 dont les vecteurs générateurs li (i œ [1,d]) correspondent aux dimensions de la boîte de forme parallélépipèdique. L’espace entier est alors subdivisé en cellules, chacune d’entre elles étant une copie de la boîte de départ. Toutes les charges, c’est-à-dire les électrons et le fond uniforme de toutes les cellules, interagissent entre elles par le potentiel d’interaction coulombien v(r) = ❘❘r❘❘-1 en dimensions 2 et 3.
Le problème de la N-représentabilité
À partir d’une matrice densité flN , il est facile d’obtenir les matrices densité réduites flp : il suffit d’appliquer la relation 1.16. À l’inverse, il est très difficile de savoir a priori si une matrice flp est la réduction d’une matrice flN non connue. Ce problème, non résolu pour tout p, porte le nom de N-représentabilité et demeure un problème délicat. Seul le cas p = 1 est complètement résolu et donne le théorème suivant [Col63] :
Théorème 1. Soit fl1 un opérateur hermitien sur HΩ avec Trfl1 = 1, alors il y a équivalence entre les deux propositions suivantes :
(i) fl1 est la matrice densité réduite d’une certaine matrice densité à N corps flN .
(ii) 0 < fl1 < 1/N : toutes les valeurs propres de fl1 sont comprises entre 0 et 1/N.
L’implication (i) ∆ (ii) est la partie « facile » du théorème. Les valeurs propres sont positives car fl1 est un opérateur positif et la contrainte fl1 < 1/N est une conséquence du principe d’exclusion de Pauli : deux fermions ne peuvent pas occuper le même état. L’implication (ii) ⇒ (i) est bien plus hardue à montrer, et n’a pas d’interprétation physique simple [Col63].
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Table des matières
Introduction
1 Le modèle du jellium dans le formalisme des matrices densité
1.1 Le modèle
1.1.1 Hamiltonien et conditions aux limites périodiques
1.1.2 Le système sans interaction : le gaz de Fermi
1.1.3 Un seul paramètre : rs
1.2 Formalisme de la matrice densité
1.2.1 La matrice densité à N corps : flN
1.2.2 Les matrices densité réduites : flp
1.2.3 Le problème de la N-représentabilité
1.3 Écriture de l’énergie avec fl1 et fl2
1.3.1 Définition préliminaire : l’espace des états
1.3.2 Calcul de l’énergie
1.4 Approximation de Hartree-Fock
1.5 Cas limites
1.5.1 Le gaz de Fermi
1.5.2 Le cristal de Wigner
1.6 Conclusion
2 États périodiques du modèle du jellium
2.1 Motivations et objectifs
2.1.1 Étude avec aucune hypothèse sur fl1
2.1.2 Objectifs
2.2 Description de la symétrie imposée
2.2.1 Symétrie et taille de la boîte
2.2.2 Le type de réseau
2.2.3 La modulation Q
2.3 Représentation d’un état périodique
2.3.1 Décomposition de fl1
2.3.2 Représentation des matrices flk
2.4 Énergie Hartree-Fock pour un état périodique
2.5 Méthode de descente
2.5.1 Algorithme global
2.5.2 Expression des gradients
2.5.3 Descente sur –uk,i,
2.5.4 Descente sur Dk,i
2.6 Modèle « Restricted » : états polarisés « P » et non-polarisés « U »
2.6.1 Polarisation d’un état quelconque
2.6.2 Modèle « Restricted » appliqué aux états périodiques
2.7 Conclusion
3 Interpolation entre le gaz de Fermi et le cristal de Wigner
3.1 Le gaz de Fermi dans le modèle périodique
3.2 Le cristal de Wigner
3.2.1 Première approche : modèle « Restricted »
3.2.2 Cristal avec plusieurs électrons par maille (modèle « Restricted »)
3.2.3 Étude de la polarisation : modèle « Unrestricted »
3.2.4 Transition entre le cristal de Wigner et le gaz de Fermi à Q = QW
3.3 Les états métalliques : stabilité et propriétés
3.3.1 Énergie en fonction de la densité et de la modulation
3.3.2 Distribution des impulsions
3.3.3 Densité de charge et de spin
3.3.4 Structure de bande
3.3.5 Fonctions de corrélations
3.4 Convergence en fonction des paramètres M, MΛ et nb
3.4.1 Troncation de l’espace réciproque : MΛ
3.4.2 Nombre de bandes : nb
3.4.3 Taille du système : M
3.4.4 Temps de calcul et taille mémoire
3.5 Conclusion
4 Diagramme de phases Hartree-Fock du modèle du jellium – Conclusion
4.1 Diagramme de phases
4.2 Comportement universel à haute densité : CDW/SDW
4.3 Conclusions et perspectives
Conclusion
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