Le modèle d’écriture cursive : un choix déterminant pour l’apprentissage
L’apprentissage de l’écriture cursive débute dès la dernière année de maternelle. Bara et al. (2013) rapportent que les règles de production motrice de ce type d’écriture diffèrent de celle du dessin, ce qui rend difficile son appropriation par les élèves. Un entrainement approprié et régulier doit être mené pour amener les élèves à maitriser et automatiser le geste d’écriture. Les modèles proposés par les éditeurs concernant la forme des lettres sont fluctuants, ce qui complexifie le choix des enseignants dans leur enseignement de l’écriture cursive. L’objectif premier est de faciliter l’apprentissage des lettres pour les élèves. Le second est de faciliter la fluidité de l’écriture en utilisant des ligatures cohérentes entre les lettres (MENESR, 2015)
La forme de la lettre
La classification des lettres par forme semble la méthode la plus pragmatique pour l’apprentissage des lettres en écriture cursive (MENESR, 2015).
Comment enseigner le plus efficacement possible l’apprentissage des lettres?
Nous développerons ici plus spécifiquement le cas des lettres en écriture cursive chez les élèves de grande section de maternelle.
Si les lettres du prénom sont globalement mieux connues que les autres, les élèves présentent des difficultés à retenir certaines lettres. C’est le cas des lettres qui partagent des ressemblances physiques et/ou phonologiques, telles que les lettres b, p et d. (Bara & al., 2013). Il apparait donc important de mettre en œuvre un enseignement efficace des lettres dont la finalité est l’acquisition et la compréhension de l’écrit.
La théorie de la cognition incarnée
Selon l’approche incarnée de la cognition, les connaissances sont l’ensemble « des sensations, perceptions, mouvements, émotions mobilisés lors d’un apprentissage par un individu » (Bara et Tricot, 2017, p.3)
Celle-ci prend en compte l’apprenant en interaction avec son environnement physique. La construction de la cognition reposerait sur les interactions directes avec l’environnement et les expériences sensorimotrices précédemment acquises (Bara et Tricot, 2017). De nombreuses recherches ont a en effet montré que « les systèmes cognitif et sensorimoteur sont intimement liés et que l’interaction entre le corps et l’environnement favorise les apprentissages dans des domaines variés tels que la lecture, l’arithmétique, le langage, la résolution de problèmes » (Bara et Tricot, 2017, p.6). A titre d’exemple, la reconnaissance ainsi que la catégorisation de figures géométriques ont pu être favorisées par l’exploration haptique de figures géométriques en relief (Kalénine, Pinet & Gentaz, 2011 cités par Bara et Tricot, 2017, p7).
Plus précisément, lorsqu’un apprentissage se fait par le biais du corps, celui-ci laisse des traces en mémoire qui correspondent à des pattern d’activation sensori-moteurs. Les connaissances sont le résultat de l’interaction entre la situation vécue et les expériences passées, qui active les traces correspondantes en mémoire (Bara et Tricot, 2017). Mobiliser le corps dans les apprentissages permettrait donc de « favoriser les processus mnésiques et donc le rappel des informations » (Bara et Tricot, 2017, p. 17)
Origines des effets bénéfiques
Toutefois, des questions se posent quant à l’origine des effets bénéfiques de l’utilisation du corps dans la construction des connaissances. Bien souvent, c’est la multiplicité d’encodages qui, par la mise en lien de diverses informations, favorise la mémorisation (Bara et Tricot, 2017). Il s’agit de l’effet de modalité. Plusieurs études ont montré que l’exploration visuelle, auditive et motrice des lettres de l’alphabet favorise leur apprentissage. Il est également nécessaire de se pencher sur l’impact de l’enseignement lors des activités de manipulation. En effet, lors de séances où les élèves devaient tracer des lettres avec le bras ou marcher le long des contours de lettres dessinées au sol, les enseignants ont eu tendance à verbaliser davantage sur la forme de la lettre, en comparaison avec une séance de classique où les lettres étaient travaillées de manière visuelle (Bara & al., 2013). Les bons résultats obtenus chez les élèves ayant eu recours au corps pour apprendre seraient donc à relativiser.
Points de vigilance à l’utilisation du corps dans les apprentissages
D’après Bara et Tricot (2017), l’utilisation du corps peut parfois avoir des effets négatifs sur l’apprentissage en induisant une surcharge cognitive chez l’élève, à l’origine d’une diminution de ses performances. Cela s’explique par la limitation de la capacité de mémoire de travail lors d’un apprentissage.
Bara et Tricot (2017, p.11) établissent que pour certaines tâches, l’apprentissage par le corps n’est pas pertinent :
Dans le cas où il conduit les élèves à traiter des informations parfois non pertinentes, sans lien avec la connaissance à construire.
Dans le cas où il complexifie la tâche en augmentant le nombre d’informations à traiter.
Bien que ces informations soient pertinentes, le même apprentissage aurait peut-être mené avec une tâche plus simple.
Afin d’illustrer ce second cas de figure, Bara et Tricot (2017) prennent l’exemple de l’enseignement des comptines en maternelle. Celui-ci se fait souvent en associant le geste à la parole pour aider les élèves à la mémorisation. Pour la plupart d’entre eux cela fonctionne, mais pour certains, l’ajout des gestes est délétère. En effet, leurs ressources attentionnelles n’étant pas suffisantes pour traiter les deux types d’information, ces élèves vont tenter d’imiter les gestes en ayant toujours un temps de retard sur le texte oral.
La manipulation d’objets physiques peut permettre d’appréhender une notion nouvelle. Mais la question de l’abstraction se pose par la suite. Une étude a montré que les capacités de mobilisation des connaissances dans d’autres tâches sont plus restreintes pour les élèves ayant appris uniquement en manipulant des objets concrets (Kaminski, Sloutsky& Heckler, 2009 cités par Bara et Tricot, 2017, p27). Une évolution vers des « supports de plus en en plus déconnectés de la réalité concrète » doit être installée au cours de l’apprentissage, « pour faciliter la compréhension et l’appropriation des concepts eux-mêmes abstraits » (Bara et Tricot, 2017, p28). A la lumière de ces éléments, l’utilisation du corps dans l’acquisition de connaissances ne constituerait qu’une étape, qu’il serait nécessaire de dépasser.
De plus, une attention particulière doit être apporté au choix du matériel qui va faire l’objet de la manipulation. Celui-ci doit favoriser les comportements d’exploration à l’origine de la construction des connaissances. Selon Bara et Tricot, « l’exploration libre sans perception du but à atteindre » serait à privilégier (2017, p.17)
L’apport de la cognition incarnée sur l’apprentissage des lettres
La perception et la mémorisation de la forme des lettres n’est pas uniquement liée à l’expérience visuelle. Les recherches actuelles plaident pour l’association de différents sens (vision, audition, toucher) qui contribuerait à une meilleure construction de la représentation de la lettre.
A titre d’exemple, il a en été montré que l’ajout de commentaires verbaux sur la manière de former les lettres en complément d’une présentation visuelle de la lettre donne de meilleures performances sur le tracé de ces dernières (Kirk, 1981 ; Karlsdottir, 1996 cités par Bara et Gentaz, 2010, p137).
Bara & al. (2004) ont étudié les effets bénéfiques de l’ajout de l’exploration visuohaptique et haptique de lettres, par l’exploration de lettres en creux et en relief chez des enfants de grande section de maternelle. L’utilisation de lettres en creux a permis aux élèves d’influencer positivement leur sens du tracé, ce qui a un impact direct sur la fluidité de l’écriture. En revanche, la qualité du tracé ne s’en est pas trouvée améliorée. L’utilisation de lettres en relief a quant à elle permis une meilleure reconnaissance des lettres ainsi qu’un tracé plus qualitatif, mais n’a pas influencé le sens de l’écriture.
Une autre étude a permis de mettre en avant l’effet bénéfique d’une exploration haptique des lettres non pas sur des activités de tracé ou de reconnaissance des lettres, mais sur des activités de décodage. L’entrainement visuohaptique a été réalisé avec des lettres en mousse de 5 à 10cm de hauteur en mousse que les enfants ont parcouru à l’aide de leur index en suivant une ligne directrice correspondant au sens d’écriture de la lettre. Ils ont ensuite exploré la lettre uniquement par le toucher sans pouvoir la visualiser. Le même exercice a été repris avec des lettres plus petites, afin d’amener les élèves à réaliser des mouvements de plus faible amplitude.
Les élèves ayant été entrainés selon des modalités visuelles et haptiques ont obtenu de meilleurs résultats dans une tâche de décodage de pseudo-mots en comparaison avec les autres groupes d’élèves n’ayant pas bénéficié d’un entrainement avec ces modalités (Bara, Gentaz, Colé et Sprenger-Charolles, 2004).
De la même manière, Hillairet de Boiseferon, Bara, Gentaz et Colé (2007) ont montré que l’ajout d’une modalité haptique au sein d’un entrainement permettait d’augmenter significativement le nombre de pseudomots décodés par des enfants de 5 ans. Des lettres en mousse de grandes tailles et de plus petits en plastique ont été utilisées, d’abord en exploration libre puis en exploration guidée.
Bara et Gentaz (2010) suggèrent que l’exploration haptique de lettres agit à la fois sur la qualité de la représentation de la lettre en mémoire et sur l’exécution du geste moteur.
Utilisation du corps dans sa globalité pour l’apprentissage des lettres: l’exemple d’une étude de Florence Bara et al
S’il apparait évident que l’écriture se trouve améliorée par une meilleure perception de la lettre, l’inverse se vérifie également : l’écriture manuscrite parce qu’elle fait intervenir la mémoire sensorimotrice, contribue à la reconnaissance visuelle des lettres. Longcamp, Zerbato-Poudou et Velay (2005) ont établi que des élèves de maternelle reconnaissaient mieux les lettres de l’alphabet lorsqu’ils avaient été entrainés en les écrivant plutôt qu’en les tapant sur un clavier d’ordinateur.
Bara et al. (2013) sont allés plus loin en se penchant sur les effets de la sollicitation du corps dans sa globalité sur la perception des lettres. L’étude a été réalisée auprès de 51 élèves de grande section. Elle avait pour but de confronter un apprentissage via un entrainement visuel et un apprentissage via un entrainement moteur. Les compétences visées étaient la reconnaissance des lettres, la connaissance du nom des lettres, l’écriture ainsi que la copie des lettres.
L’entrainement moteur comportait deux étapes : dans un premier temps, les élèves s’exerçaient à tracer les lettres dans les airs après une démonstration de l’enseignante. Dans un second temps, ils étaient invités à marcher chacun leur tour le long des contours des lettres tracées sur le sol.
L’étude a révélé que les lettres apprises lors des séances motrices sont mieux reconnues et plus fréquemment tracées dans le sens conventionnel de l’écriture que celles apprises lors des séances basées sur la seule observation visuelle des mêmes lettres. Le nombre de lettres écrites sous la dictée ou encore la qualité globale des tracés n’ont en revanche pas été impactés par le type d’entrainement mené.
Bara et al. (2013) précisent que l’exercice consistant à marcher sur le contour des lettres tracées au sol permet d’entrainer la coordination visuomotrice de l’élève, qui doit percevoir visuellement la forme de la lettre puis exécuter le mouvement approprié avec son corps. Ceci pourrait être à l’origine d’un apprentissage efficace de la forme et du sens du tracé de lettres.
Toutefois, cette étude ne permet pas de conclure de manière certaine sur l’utilisation bénéfique du corps dans sa globalité (déplacement du corps sur la lettre). En effet, l’entrainement moteur comprenait également une phase de tracé de la lettre dans les airs avec le bras, qui a également pu avoir un effet positif sur l’apprentissage des lettres, en comparaison avec les séances visuelles.
Problématique et hypothèses
De nombreuses études ont pointé les bénéfices d’une approche multi sensorielle dans l’apprentissage des différentes composantes des lettres à l’école maternelle. L’utilisation du corps dans son ensemble a fait l’objet d’une étude par Bara et al. (2013) décrite précédemment.
Celle-ci a établi qu’un entrainement moteur est à l’origine d’un meilleur apprentissage des lettres en écriture cursive. Mais elle engendre un questionnement sur les potentiels apports distincts des différentes phases de cet entrainement : une phase de tracé dans les airs avec le bras et une phase de déplacement sur les contours des lettres tracées au sol. En effet il n’était pas possible à ce stade de conclure à un effet du déplacement du corps indépendamment de l’effet du tracé avec le bras. Cela nous amène à nous demander lequel de ces entrainements moteurs est le plus profitable à l’apprentissage des lettres. Nous nous questionnons également sur l’apport d’un entrainement moteur en comparaison avec un entrainement classique, basé sur des exercices de copie. Nous supposons qu’un entrainement moteur global qui amène l’élève à tracer les lettres dans l’air puis à se déplacer sur les contours de la lettre serait plus efficace pour l’apprentissage des lettres qu’un entrainement ne faisant intervenir que le bras. Plus largement, nous supposons les entraînements moteurs plus efficaces que l’entrainement classique.
Séances condition papier/crayon
La séance débute par un temps de réinvestissement des lettres vues les semaines précédentes.
L’enseignante dispose d’un fichier où les lettres ont été préalablement imprimées dans l’ordre dans lequel elles ont été apprises. Les élèves se remémorent la lettre de manière visuelle, puis la trace sur ardoise à deux reprises. L’enseignante fait un retour aux élèves si nécessaire sur le sens de la lettre, le point de départ, la forme de la lettre.
Lors de la séance d’entrainement, les élèves sont assis. L’enseignante trace la lettre au tableau en verbalisant son geste. Elle donne aux élèves des indications précises en décomposant son geste. Elle nomme la lettre et invite les élèves à s’entrainer dans un premier temps à repasser sur la lettre en grand format avec indication du sens du tracé représenté par des flèches (fiche 1). Les élèves travaillent par-dessus des pochettes plastique et peuvent donc effacer et recommencer autant qu’ils le souhaitent. Dans un second temps, les élèves s’entrainent à tracer la lettre en plus petit format, toujours sous fiche plastique (fiche 2). Ils s’exercent d’abord en repassant sur des lettres pleines, puis des lettres en pointillés, puis en traçant la lettre seuls avec l’aide d’un modèle. Enfin, la fiche est sortie de la pochette plastique afin que les élèves s’entrainent à tracer la lettre sur papier avec un crayon, selon les mêmes modalités. Un exemple de fiches est donné en annexe 3. L’enseignante adapte la quantité et la difficulté du travail aux capacités de chaque élève. Tout au long de l’entrainement, elle veille à ce que le tracé soit correct et incite l’élève à recommencer pour progresser. Elle redonne le modèle si nécessaire.
Séances condition bras
Exercices communs aux conditions bras et bras/corps
La séance débute par un temps de révision des lettres préalablement apprises, avec le même support papier que pour la condition papier/crayon. Les lettres sont reprises les unes après les autres en respectant l’ordre d’apprentissage. L’enseignante montre la lettre en la nommant, puis elle trace et modélise ensuite la lettre au tableau devant les élèves. Les élèves sont alors invités à tracer à deux reprises chaque lettre dans les airs avec leur bras. L’enseignante fait un retour aux élèves si nécessaire sur le sens de la lettre, le point de départ, la forme de la lettre.
Pour la séance de découverte de la nouvelle lettre, les élèves sont assis. L’enseignante trace d’abord la lettre en grand au tableau tout en verbalisant son geste afin de donner des indications précises sur le tracé de celle-ci tels que les gestes graphiques qui la compose. Puis les élèves s’entrainent à écrire la lettre en grand dans les airs en tenant un crayon dans leur main et en imitant les gestes l’enseignante. La première fois celle-ci verbalise le tracé en même temps qu’elle montre le geste, la seconde fois elle fait uniquement le geste (les élèves de la condition bras le font deux fois), la troisième fois les élèves trace la lettre seuls (les élèves de la condition bras le font deux fois). La dernière fois les élèves réalisent le tracé les yeux fermés. Tout au long de l’entrainement, l’enseignante veille à ce que le tracé soit correct et incite l’élève à recommencer pour progresser. Elle redonne le modèle si nécessaire.
Exercices spécifiques à la condition bras
Les élèves s’entrainent une nouvelle fois à tracer de la lettre dans les airs, en enchainant leurs tracés. Chacun trace deux fois la lettre. Puis ils travaillent par deux, l’un est assis et a les yeux fermés et l’autre se place debout derrière pour le guider dans le tracé de la lettre, en lui tenant la main. Chaque élève tient chacun des rôles deux fois. Enfin, les élèves s’exercent à tracer la lettre sur un plan horizontal, en faisant semblant de l’écrire en grand sur une table avec le bras.
L’enseignant modélise et verbalise le tracé en rappelant les gestes graphiques qui compose la lettre, puis les élèves répètent trois fois le tracé. L’enseignant fait des feedbacks sur le sens de la lettre, le point de départ, le moment où le crayon est levé, la tenue du crayon, incite l’élève à recommencer et redonne le modèle si besoin.
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Table des matières
Introduction
1. Etat de l’art
1.1 Le travail autour de la lettre en maternelle
1.1.1 Ce qu’en disent les programmes
1.1.2 Connaitre le nom des lettres
1.1.3 Savoir tracer les lettres
1.2 L’écriture : un long apprentissage
1.2.1 Le tracé de lettres chez l’adulte
1.2.2 Les différents stades de l’écriture chez l’enfant
1.3 Le modèle d’écriture cursive : un choix déterminant pour l’apprentissage
1.3.1 La forme de la lettre
1.3.2 Les ligatures
1.4 Comment enseigner le plus efficacement possible l’apprentissage des lettres?
1.4.1 La théorie de la cognition incarnée
1.4.2 Origines des effets bénéfiques
1.4.3 Points de vigilance à l’utilisation du corps dans les apprentissages
1.4.4 L’apport de la cognition incarnée sur l’apprentissage des lettres
1.4.5 Utilisation du corps dans sa globalité pour l’apprentissage des lettres: l’exemple d’une
étude de Florence Bara et al
2. Problématique et hypothèses
3. Expérimentation : implication du corps dans l’apprentissage des lettres en grande section de maternelle
3.1 Matériel et Méthode
3.1.1 Participants
3.1.2 Choix des groupes de lettres
3.1.3 Les pré-tests et post-tests
3.1.4 Déroulement
3.2 Résultats
3.2.1 Statistiques descriptives
3.2.2 Statistiques inférentielles
3.3 Discussion
3.3.1 Contexte de notre étude
3.3.2 Mise en lien avec les recherches antérieures
3.3.3 Limites de notre étude
3.3.4 Mon apport en tant qu’enseignante
Conclusion
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